Sur le démantèlement annoncé de l’usine Michelin de Joué-les-Tours

NdPN : vous l’aurez remarqué, nous ne dressons pas franchement de lauriers aux journalistes de la Nouvelle République… pour employer un euphémisme ! Néanmoins il y en a qui font du bon taf : une fois de plus, c’est le cas de ce journaliste, qui produit ici deux bons papiers sur le démantèlement annoncé de l’usine Michelin à Joué-les-Tours.

Quand Michelin a déménagé

Le démantèlement annoncé ces jours-ci de l’usine Michelin de Joué-lès-Tours s’est déroulé à Poitiers il y a quelques années. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Une image forte. Le Bibendum jeté au sol, puis brûlé, comme une statue de dictateur au Proche-Orient. C’était le 12 octobre 2005, à Poitiers. Le groupe Michelin venait d’annoncer l’arrêt de la production de pneus poids lourds, pour la transférer à… Joué-les-Tours. 432 salariés étaient concernés. 60 sont restés sur place dans l’unité de logistique et de montage (*), 129 avaient l’âge de bénéficier d’un départ anticipé, 133 ont fait le choix de monter dans la navette pour aller travailler en Touraine (voir ci-dessous), et 111 ont été licenciés.

 Depuis, il n’y a eu que Kramp, «  c’est loin de faire la balle  »

Aujourd’hui, c’est l’usine de Joué qui est dans le collimateur du groupe. Fermeture annoncée. « Bis repetita, ça fait mal au cœur, commente Laurent Sapin, l’un des soixante qui est resté à Poitiers. A l’époque, pour faire passer la pilule, le directeur nous vantait les mérites de l’usine de Joué-les-Tours et du pneu X One qui allait révolutionner le transport. » Le pneu a fait flop en Europe et, aujourd’hui, Michelin veut se débarrasser de son Joué. A Poitiers, les anciens se souviennent des promesses de l’époque. Et rigolent de celles qu’ils entendent aujourd’hui. Quand Michel Sapin, le ministre du Travail, assure que personne n’ira à Pôle Emploi, Hervé Daumand, syndicaliste de l’époque, rappelle « les 111 qui ont été licenciés, et qui n’ont rien gagné devant la justice ». Combien ont retrouvé un boulot ? « 64 avaient un CDI en 2009, après, j’ai arrêté de tenir les comptes, c’est trop déprimant. » Et la revitalisation du site abandonné, comme le promet Michelin, aujourd’hui en Touraine ? A Poitiers, le site a été rasé, puis la société Prologis a reconstruit des bâtiments, dont l’un loué par Michelin justement. En 2008, Prologis annonçait « 600 emplois d’ici 4 ans ». Aujourd’hui, on les cherche. Il y a bien eu l’installation de l’usine Kramp (125 salariés), mais elle a été délocalisée de Civray. « C’est loin de faire la balle », sourit, jaune, Laurent Sapin qui avoue avoir une pensée, chaque jour « pour les anciens potes de Michelin, qui font la route tous les jours, et ceux qui ont été virés ». Ceux-là, ne croient plus aux promesses.

 (*) A Poitiers, Michelin conserve un site pour le montage des pneus (le seul en Europe) et la logistique, avec 50 salariés. L’unité reçoit des pneus des usines européennes du groupe et les renvoie, montés, dans toute l’Europe du nord. Pour l’heure, de source syndicale, ce site connaît une activité très satisfaisante et n’est pas menacé.

repères

Les dates-clés du Bibendum à Poitiers

> 1972 : Michelin installe une usine à Poitiers, sur un site de 34 hectares à l’ouest de la ville, qui deviendra la zone industrielle de la République. > 1982 : L’entreprise emploie 1.200 salariés, un pic qu’elle ne retrouvera jamais. > 2002 : Michelin met en place une direction commune pour les deux sites de Poitiers (700 salariés à l’époque) et de Joué-lès-Tours, qui fabriquent tous les deux des pneus pour les poids lourds. > 2003 : Michelin annonce « le transfert progressif » de 190 emplois de Poitiers vers Joué. Les syndicats protestent contre le déménagement des machines, synonyme de fermeture à court terme du site de Poitiers. > 2005 : Le 22 juin, Michelin annonce l’arrêt de la production de pneus à Poitiers : 432 postes vont être supprimés. Le groupe auvergnat n’entend conserver qu’une soixantaine de salariés sur le site pour du montage et de la logistique. Les volontaires sont reclassés vers l’usine de Joué-lès-Tours, un bus les y conduira trois fois par jour. Les autres seront licenciés. Le 12 octobre, au plus fort du mouvement de grève consécutif à l’annonce, le Bibendum qui trônait à l’entrée de l’usine part en fumée. > 2006 : La production est stoppée le 16 février. 111 salariés reçoivent leur lettre de licenciement. > 2008 : La cheminée historique de l’usine de Poitiers est abattue. Le nouveau propriétaire des lieux, Prologis, construit à la place une plateforme logistique, pour laquelle on annonce la création de 600 emplois en quatre ans. > 2009 : La cour administrative d’appel de Bordeaux rejette les derniers recours déposés par des salariés qui contestaient leur licenciement. C’est la fin de trois ans de combats judiciaires qui a vu Michelin gagnant sur toute la ligne.

Philippe Bonnet, Nouvelle République, 13 juin 2013

 » C’est du copier-coller « 

Ce mercredi matin, à l’heure de monter dans la navette Véolia qui le conduit chaque jour à l’usine de Joué, depuis 2005, Patrick Guichet est en colère. Il vient de voir Jean-Pierre Raffarin, à la télé, dire « que les socialistes sont incapables de gérer le déclin industriel » : « Et lui, en 2005, qui venait d’être Premier ministre pendant trois ans, qu’est-ce qu’il a fait pour que Michelin reste à Poitiers ? » A l’époque, Patrick avait 50 ans. Il n’avait pas d’autre choix que d’accepter la mobilité vers Joué-lès-Tours. Sept ans plus tard, le voici confronté à une nouvelle fermeture. « C’est du copier-coller, la décision qui vous arrive sur la tête comme ça, d’un seul coup, explique-t-il. L’onde de choc va être terrible, il y a des gars qui vont craquer là-bas. » Lui, espère faire partie du plan « fin de carrière » qui accompagnera la fermeture de l’usine : « On nous dit que ça concernera ceux qui sont nés avant le 30 septembre 1957. » C’est son cas, il a 57 ans et, en plus, 39 ans « de boîte ». Mais la perspective d’un départ anticipé, alors que se profile une énième réforme des retraites, lui semble quand même incongru. « Surtout quand on sait qu’il y a Laurence Parisot et Louis Gallois au conseil de surveillance de Michelin »…

Ph.B., Nouvelle République, 13 juin 2013