Petites réflexions autour des sujets du bac de philosophie 2013. Les mots ne sont pas innocents, et l’on distingue bien tout le formatage des esprits à l’œuvre, dans la formulation des énoncés elle-même.
« Le langage n’est-il qu’un outil ? »
Toutes les institutions de domination sociale (les églises et leurs écrits sacrés, les états et leurs lois indiscutables, les médias et leurs analyses péremptoires, les publicitaires et leur logorrhée abjecte), monopolisent, stérilisent et systémisent la communication entre les êtres vivants, transformant les langues infinies des corps en système, en langage. De vécue, manifestant les désirs en actes, la communication se transforme en outil séparé, en contrôle du vivant. Le langage est un système de paradigmes totalitaires et indiscutables, pour unifier faussement ; l’outil du langage est une arme pour catégoriser et hiérarchiser, c’est-à-dire diviser réellement. Notre défi consiste à nous réapproprier une communication directe et à subvertir les rôles sociaux imposés par le langage, en faisant apparaître toute la violence occulte de ses déterminismes imposés.
« La science se limite-t-elle à constater les faits ? »
La science prétend partir des faits pour dégager des lois générales, réduisant la complexité du réel à des schémas grossiers et étanches, cloisonnant l’expérience vécue en une division du travail, en des disciplines étriquées, en des faits séparés de leur contexte. Il suffit de porter un regard sur les tristes mécènes de la science : ce sont les premiers à envoyer les chercheur-euse-s sur les bûchers.
« Que devons-nous à l’Etat ? »
Le massacre et le viol de nos sœurs et de nos frères, l’esclavage permanent, nos divisions en catégories discriminatoires, le monopole sur tout ce qui nous relie, l’accaparement des décisions qui ne concernent que nous, le pillage du fruit de nos activités, la sacralisation de notre soumission forcée sous la menace des armes et de l’exclusion. Si nous devions payer nos « dettes » aux Etats, qu’il s’agisse donc de leur rendre coup pour coût.
« Interprète-t-on à défaut de connaître ? »
La question ne serait-elle pas plutôt : ne connaît-on pas qu’à défaut d’interpréter ? Il faut toute l’assurance mégalomane du dominant pour prétendre connaître, toute la dépossession du dominé pour croire encore pouvoir apprendre de qui domine. Il n’y pas de vérité, il n’y a que tentative de trouver les réponses les plus adéquates à nos situations, et personne d’autre que nous n’est légitime à le faire. Le vernis de vérité du plus brillant orateur ne vaudra jamais les trésors que recèle notre intelligence collective.
« Peut-on agir moralement sans s’intéresser à la politique ? »
Les chaînes serviles des normes morales décrétées par les pouvoirs patriarcal, étatiste et économiciste sont le tissu même de la politique ; morale et Etat sont indissociables des intérêts des dominants. Certains disent : tout est politique… nous disons : tout est social. Dynamitons la morale et sa morbidité abstraite, imposée de l’extérieur pour nous ronger de l’intérieur ; élaborons une éthique du vécu. Refusons la politique, construisons du politique. Méprisons l’intéressement ridicule, pauvre et stérile, et mutualisons nos désirs et nos expériences, pour un épanouissement social.
« Le travail permet-il de prendre conscience de soi ? »
Le travail signifie torture dans l’antiquité, souffrance au moyen-âge, et salariat aujourd’hui, avec son vieux fond d’effort, de souffrance, de sacrifice et de mérite. Le salariat est une soumission historique de populations entières, une dépossession globale orchestrée par la force des armes. Dépossession de nos énergies, du temps de nos vies, des choix sur ce que nous voudrions produire, des richesses que l’on nous fait produire. La seule conscience lucide qui puisse émerger du travail est celle du suicide. Le désir de vivre pleinement, de nous épanouir mutuellement dans des activités individuelles et collectives, passe par la destruction radicale du travail aliéné.
« Etre libre, est-ce n’obéir à aucune loi ? »
Nous sommes anarchistes et considérons que le pouvoir imposé n’engendre pas de l’ordre, mais du désordre. S’il est utile, pour nous rendre plus libres, de nous régler les uns sur les autres, et donc de tisser les repères communs qui nous permettent de nous épanouir, repères qu’il est souhaitable de remettre en question en fonction de l’évolution des situations réelles, il est absolument illégitime de nous faire obéir à des lois que nous n’avons pas choisies, à l’élaboration desquelles nous n’avons ni participé ni consenti. « La liberté ne peut et ne doit se défendre que par la liberté ; et c’est un contresens dangereux que de vouloir y porter atteinte sous le prétexte spécieux de la protéger ». « La liberté, c’est le droit absolu de chaque être humain de ne point chercher d’autre sanction à ses actes que sa propre conscience, de ne les déterminer que par sa volonté propre et de n’en être, par conséquent, responsable que vis-à-vis de lui-même d’abord » (Bakounine).
« La diversité des cultures sépare-t-elle les hommes ? »
La culture n’est pas ce qui fait divergence, ce qui enferme, calcifie et stérilise, mais ce qui rassemble, ce qui évolue, ce qui vit. Il est typique de notre époque de considérer précisément comme « culturel » tout ce qui est mort, tout ce qui nous sépare de nous et des autres, tout ce qui glorifie l’ignorance et le déni des situations réelles. Contre une culture prônant le « respect » des « différences », qui n’est en fait que la mise en respect, à distance, de ce que l’on nous affirme « étranger », rappelons que la culture ne vit que dans l’attention et la présence aux autres, dans l’invention collective permanente d’un commun, à l’opposé des pitoyables prétentions totalitaires de tous les sinistres de la culture et de l’éducation.
« Une société sans conflit est-elle souhaitable ? »
La « société » actuelle se fonde sur le conflit, parce qu’elle érige en lois les principes de la guerre, ceux de hiérarchie, d’exploitation et de pillage, de discrimination et de viol. Tout en parlant sans cesse d’unité et de paix, elle fait la guerre aux administré-e-s, aux pauvres, aux étrangers, aux femmes et aux minorités sexuelles, à tout ce qui vit à la surface de la terre. Sa pacification consiste en une neutralisation de toute révolte. Nous assumons résolument le conflit avec ce modèle imposé, pour en finir avec la division des sexes, des classes et des grades.
« L’homme n’est-il qu’un vivant parmi les autres ? »
Bien évidemment oui, à moins de défendre ce modèle religieux dévastateur, de l’homme ayant droit de vie ou de mort sur tous les êtres vivants, qu’un cruel démiurge aurait placés sous sa domination. Toute la masse des légitimations ignobles des dominations (les hommes sur les femmes, les anciens sur les jeunes, les possédants sur les possédé-e-s, les chefs sur les assujetti-e-s, les civilisations « supérieures » sur les civilisations « inférieures »…), va avec cette idée délirante de la domination de l’être humain sur une « nature » dont il serait séparé, et qu’il serait en droit de réifier, de contrôler, d’utiliser et de détruire.
NB : si jamais ces tergiversations tombaient sous l’oeil d’un correcteur de l’Education nationale, nous revendiquons d’ores et déjà le zéro pointé.
Juanito, Pavillon Noir (FA 86)