[Saint-Affrique – Aveyron] De NDDL à Saint-Affrique : non à la répression !

Appel de Saint-Affrique, le 5 décembre 2012

La lutte à Notre-Dame-des-Landes contre la construction du nouvel aéroport de Nantes est devenue depuis le 16 octobre le centre de toute les attentions. L’opération policière « César » qui prétendait faire « place nette » en expulsant et détruisant les maisons occupées de la ZAD1 s’est heurtée à un mur : la détermination de tous les habitants des environs à ne pas laisser disparaître ces 2000 ha de bocage sous des hectolitres de béton. Leur mobilisation s’est rapidement répandue dans tout l’hexagone et même au-delà.   Le 17 novembre, nous étions nombreux de l’Aveyron à nous rendre sur place pour une manifestation de réoccupation. En compagnie de  30.000 personnes, nous avons traversé la ZAD et édifié en son coeur un superbe village « gaulois » dans une clairière entourée de châtaigniers. La puissance collective qui est apparue ce jour-là entre les tracteurs aux remorques débordantes de matériel, les équipes de chantier sur le pied de guerre et les cuisines collectives pour mille personnes ne souffrait aucune contestation. Les autorités, lucides, firent d’ailleurs décamper leurs forces de police sous d’autres cieux pour plusieurs jours. A partir du refus d’un aéroport, une zone de liberté et de créativité est venue ce jour-là au monde, prête à grandir autant qu’à se défendre. Un kiste pour M. Valls, un grand espoir pour nous. Mais le répit fut de courte durée : le vendredi 23 novembre, 500 gardes mobiles lançaient l’assaut au petit matin sur les nouvelles bâtisses. Ayant pris connaissance de l’intrusion, les plus proches voisins affluèrent pour défendre la zone, et après un âpre week end de bataille2, les constructions tenaient toujours bon. Le tribunal de Saint-Nazaire s’est finalement laissé jusqu’au 11 décembre pour statuer sur le sort des maisons construites le 17 novembre. Une nouvelle tentative d’expulsion / destruction  est donc à craindre à partir de cette date.  Ici,  dès le 23 novembre à 16h, la mairie socialiste de Saint-Affrique3 est occupée. Suite à l’intervention brutale en pleine nuit de 13 fourgons de CRS, les lieux seront expulsés et deux des occupants placés en garde à vue avec comme chef d’inculpation : « violence volontaire sur agent dépositaire de la force publique », en l’occurence le capitaine Crochet, et « résistance avec violence » au gendarme adjoint volontaire Thomas. Les faits se seraient passés lors de l’expulsion menée non pas par les gendarmes locaux, mais par… les CRS de Toulouse. De plus, l’ensemble des témoignages des personnes présentes lors de cette soirée attestent de l’absence totale de violence envers les forces de l’ordre. Ces chef d’inculpation fallacieux mais néammoins extrêmement grave (3 ans de prison et 45.000 euros d’amende) nous apparaît à tous comme une manoeuvre pour le moins grossière de criminalisation du mouvement de soutien à Notre-Dame-des-Landes. Une manoeuvre qui permet au passage d’arrondir les fins de mois des deux militaires de quelques substantiels dommages et intérêts. Il est inconcevable que de telles pratiques s’installent à Saint-Affrique ! Nous exigeons l’arrêt immédiat des poursuites judiciaires à l’encontre des deux occupants de la mairie.

Nous appelons donc toutes et tous, les Saint-Affricains comme les comités Notre-Dame-des-Landes des environs, et plus largement toutes celles et ceux qui refusent le tout-bétonnage et le tout-sécuritaire, à nous rejoindre à Saint-Affrique le 15 décembre.

Avant les fêtes, montrons que nous sommes nombreux et déterminés à refuser ce projet inutile et nuisible ainsi que toutes les répressions policières qui l’accompagnent. Une manifestation régionale démarrera à 16h place de la mairie. Elle sera suivie d’une assemblée générale de coordination des différents comités de la région pour envisager des perspectives de lutte commune en 2013.  Gardarem Notre -Dame, l’aéroport ne se fera pas !

Le comité de jumelage ZAD – Saint -Affrique

1-Initialement « Zone d’Aménagement Différé », rebaptisée « Zone A Défendre » par les habitants. 2- Concernant les mutilations et autres blessures liées à  l’usage systémique de flasballs et des grenades de désencerclement sur la ZAD voir la lettre et les photos d’un docteur de garde sur la zone. ://zad.nadir.org/spip.php ?article713 3-Celles de Rodez et Millau allaient suivre dans la semaine.

Vu sur Zad.nadir.org, 7 décembre 2012

David Graeber : Qu’est-ce que la dette ?

NdPN : On avait déjà posté sur ce site une traduction d’un texte de David Graber sur la dette, réalisée par un copain.

Voici la traduction d’une interview fort intéressante de David Graeber, sur le site de l’OCL :

Qu’est-ce que la dette ?

Une approche anthropologique et historique

David Graeber, est un anthropologue états-unien. Il a participé au mouvement altermondialiste et se définit comme anarchiste. En 2011, il a publié une vaste étude sur la dette intitulée Debt : the First Five Thousand Years (‟Dette : les 5000 premières années”) dans laquelle il contredit l’un des fondements des théories économiques en soutenant, entre autres choses, la thèse selon laquelle le système du troc n’a jamais été utilisé comme moyen d’échange principal au cours de ces cinq derniers millénaires. Par contre, selon lui, le système du crédit et de la dette est très probablement antérieur à l’invention même de la monnaie et ce système suppose, fonde et instaure une relation de pouvoir, de domination, de culpabilité et d’asservissement et que c’est là qu’il faut situer son origine. Au passage, David Graeber déconstruit le discours des économistes qui, dit-il, « ignorent les relations humaines qui ne sont pas appréhendées par l’économie formelle », notamment les relations de nature politique et celles dictées par la morale. L’interview qui suit présente les grandes lignes de son travail.

La plupart des économistes affirment que la monnaie a été inventée pour remplacer le système du troc. Mais vous avez trouvé quelque chose d’assez différent. Oui, il y a une histoire standard que nous apprenons tous, un « il était une fois » qui est un véritable conte de fées. Selon cette théorie, toutes les transactions étaient d’abord réalisées par le troc : « Vous savez quoi, je vais vous donner vingt poulets pour cette vache ! » Comme cela pouvait conduire à des problèmes si votre voisin n’avait pas besoin de poulets, il a fallu inventer la monnaie. Puis, après un moment, quand vous devenez capable de transactions plus sophistiquées, vous inventez le crédit. L’histoire remonte au moins à Adam Smith, et c’est à sa manière le mythe fondateur de l’approche économique.

De mon côté, je suis un anthropologue, et nous, les anthropologues, nous savons depuis longtemps que cette histoire est un mythe, tout simplement parce que s’il y avait des endroits où les transactions quotidiennes avaient pris la forme de « Je vais vous donner vingt poulets pour cette vache », nous aurions dû en trouver un ou deux. Mais ce n’est pas le cas ! Après tout, les gens ont cherché depuis 1776, date de la première publication de La Richesse des nations. Mais si vous réfléchissez à ça, ne serait-ce qu’une seconde, il n’est guère surprenant que nous n’ayons rien trouvé. En fait, au moment où le rideau se lève sur les archives historiques de l’ancienne Mésopotamie, vers 3200 avant Jésus-Christ, il existe un système élaboré de monnaie de compte et des systèmes de crédit complexes. La monnaie comme moyen d’échange ou comme unités standardisées d’or, d’argent, de bronze ou autre ne vient que bien plus tard. Plutôt que l’histoire standard – d’abord il y a le troc, puis la monnaie, puis finalement le crédit –, cela s’est produit historiquement dans le sens inverse. Crédit et dette viennent en premier, puis la monnaie émerge des milliers d’années plus tard. Et quand vous trouvez des systèmes de troc du type « Je vais vous donner vingt poulets pour cette vache », c’est généralement qu’il y avait des échanges monétaires mais que pour certaines raisons – comme en Russie, par exemple, en 1998 – la monnaie s’est effondrée ou a disparu.

Vous dites que, dans la Mésopotamie de 3200 avant J.-C., une architecture financière complexe est déjà en place. Dans le même temps, est-ce que la société est divisée en classes de débiteurs et de créanciers ? Historiquement, il semble y avoir eu deux possibilités. L’une, que vous trouvez en Égypte, est un État fort et une administration centralisée qui font payer des impôts à tout le monde. Pendant presque toute leur histoire, les Égyptiens n’ont pas développé l’habitude de prêter de l’argent à intérêt. Vraisemblablement, ils n’en avaient pas besoin. L’autre, en Mésopotamie, était différente parce que l’État y a émergé de manière inégale et incomplète. Au début, il y avait des temples bureaucratiques gigantesques et aussi des complexes palatiaux, mais ils ne jouaient pas exactement le rôle de gouvernements et ils n’ont pas prélevé d’impôts directs – qu’on ne jugeait justifiés qu’aux dépens des populations conquises. C’étaient plutôt d’énormes complexes productifs, avec leurs propres terres, leurs troupeaux et leurs fabriques. C’est là que la monnaie est apparue comme une unité de compte, afin de pouvoir allouer les ressources au sein de ces institutions. Les emprunts portant intérêts sont probablement nés des tractations entre les administrateurs des palais et les commerçants qui prenaient par exemple les lainages produits dans les temples (dont une partie des activités consistait à l’origine en des actions de bienfaisance, servant de foyers pour les orphelins, les réfugiés ou les personnes handicapées) pour les échanger dans des contrées lointaines contre du métal, du bois ou des lapis-lazulis. Les premiers marchés se sont formés aux abords de ces palais et semblent avoir fonctionné largement sur le crédit en utilisant l’unité de compte du temple. Les marchands, les administrateurs du temple et d’autres nantis ont ainsi pu développer les prêts à la consommation aux agriculteurs qui, en cas de mauvaises récoltes, tombaient dans le piège de la dette. Ce fut le grand mal social de l’Antiquité – les familles commençaient avec la mise en gage de leurs troupeaux, de leurs champs et, avant longtemps, leurs épouses et leurs enfants seraient enlevés pour devenir des « serfs pour dette ». Souvent, les gens abandonnaient totalement les villes pour rejoindre des bandes semi-nomades, menaçant de revenir en force et de renverser l’ordre social existant.

Les gouvernants concluaient alors systématiquement que la seule façon d’éviter la rupture sociale complète était de déclarer un « lavage des tablettes », celles sur lesquelles les dettes des consommateurs étaient inscrites, annulant celles-ci pour repartir de zéro. En fait, le premier mot que nous ayons pour « liberté » dans n’importe quelle langue humaine est l’amargi sumérien, qui signifie libéré de la dette et, par extension, la liberté en général, le sens littéral étant « retour à la mère » dans la mesure où, une fois les dettes annulées, tous les esclaves de la dette pouvaient rentrer chez eux.

Vous indiquez dans votre livre que la dette fut un concept moral bien avant de devenir un concept économique. Vous remarquez également que c’est un concept moral très ambivalent dans la mesure où il peut être à la fois positif et négatif. Pouvez-vous en dire un peu plus ? Quel aspect est le plus prononcé ? Ils ont tendance à alterner. On pourrait raconter l’histoire comme ceci : finalement, les approches égyptienne (les taxes) et mésopotamienne (l’usure) fusionnent, les gens empruntant pour payer leurs impôts. La dette s’institutionnalise. Les impôts vont également jouer un
rôle essentiel dans la création des premiers marchés qui fonctionnent avec de la monnaie, puisque celle-ci semble être inventée ou tout au moins largement popularisée par le biais de l’utilisation des impôts pour payer les soldats – à peu près simultanément en Chine, en Inde et en Méditerranée où le meilleur moyen de payer les troupes s’avère de leur donner des morceaux standardisés d’or ou d’argent, puis de demander à tout le monde dans le royaume de les accepter et de rendre ces pièces pour payer les impôts. Le langage de la dette et le langage de la morale commencent alors à fusionner. En sanskrit, en hébreu, en araméen, « dette », « culpabilité » et « péché » sont en réalité le même mot. Une grande partie du vocabulaire des grands mouvements religieux – jugement dernier, rédemption, comptabilité karmique et autres – est tirée de la langue de la finance ancienne. Mais cette langue, jugée insuffisante, est toujours retravaillée pour évoluer vers des sens différents. C’est comme si les grands prophètes et les enseignants religieux n’avaient pas eu d’autre choix que de commencer par ce genre de mots puisque c’était le langage qui existait à l’époque, mais ils ne l’ont adopté que pour le transformer en son contraire : pour dire que ce ne sont pas les dettes qui sont sacrées, mais que ce qui est véritablement sacré, c’est la clémence [ou pardon] en matière de dette, la capacité à effacer la dette, et la prise de conscience que les dettes n’ont pas de réalité. Comment cela est-il arrivé ? Comme je l’ai dit précédemment, la grande question à propos de l’origine de la monnaie est : comment se transforme le sens de l’obligation, le « Je vous dois un », en quelque chose qui peut être quantifié avec précision ? La réponse semble être : quand il y a une possibilité que la situation devienne violente. Si vous donnez à quelqu’un un cochon et qu’il vous donne en échange quelques poulets, vous pouvez peut-être penser que c’est un radin et vous moquer de lui, mais il est peu probable que vous trouviez une formule mathématique qui vous dise exactement de combien ils sont au-dessous du prix. Si quelqu’un t’arrache un œil dans un combat, ou tue ton frère, alors tu commences à dire : « La compensation traditionnelle est exactement de vingt-sept génisses de la meilleure qualité et si elle ne sont pas de la meilleure qualité, c’est la guerre. » La monnaie, dans le sens d’un équivalent exact, semble émerger de ce type de situation, mais aussi de la guerre et du pillage, du contrôle des butins, de l’esclavage. Dans l’Irlande médiévale, les filles esclaves étaient la devise de la plus haute qualité. Et il était possible de spécifier la valeur exacte de tout ce qu’il y avait dans une maison, même si très peu de ces articles se retrouvaient à la vente quelque part parce que ces équivalences étaient utilisées pour payer des amendes et des dédommagements si quelqu’un les brisait. Une fois que l’on comprend que les impôts et la monnaie ont commencé avec la guerre, il est plus facile de comprendre ce qui s’est passé. N’importe quel mafioso comprend cela : si vous voulez imposer une relation violente d’extorsion, de pur pouvoir, et la transformer en quelque chose de moral, et en plus, si vous voulez faire croire que les victimes sont les coupables, il faut la convertir en une relation de dette. « Tu me dois quelque chose, mais pour l’instant je te fais grâce. » Il est probable que tout au long de l’histoire la plupart des humains se sont entendu dire ça de leurs débiteurs. Mais le point crucial est que la seule réponse possible est celle-ci : « Dis donc ! qui doit quoi à qui ? » Et, bien sûr, cela a été dit par les victimes pendant des milliers d’années, mais dans le même temps, tu utilises le langage du pouvoir, tu admets que la dette et la morale sont une seule et même chose. Telle est la situation dans laquelle les penseurs religieux ont été piégés quand ils ont commencé à utiliser le langage de la dette, alors ils ont essayé de le transformer en quelque chose d’autre.

On pourrait penser que tout cela est très nietzschéen. Dans sa Généalogie de la morale, le philosophe allemand Friedrich Nietzsche a fait valoir que toute morale était fondée sur l’extorsion de la dette sous la menace de la violence. Le sens du devoir inculqué chez le débiteur était, pour Nietzsche, l’origine de la civilisation elle-même. Vous avez étudié la façon dont la moralité et la dette s’imbriquent dans les moindres détails. Comment la théorie de Nietzsche s’en sort-elle après plus de cent ans ? Et quel élément vous paraît premier : la morale ou la dette ? Eh bien, pour être honnête, je n’ai jamais été sûr que Nietzsche était vraiment sérieux dans ce passage ou bien si toute cette argumentation n’était qu’un moyen d’agacer son auditoire bourgeois, une manière de souligner que si vous démarrez votre raisonnement avec les hypothèses bourgeoises existantes sur la nature humaine vous aboutissez logiquement à la conclusion la plus inconfortable pour cet auditoire. En fait, Nietzsche commence son argumentation exactement comme Adam Smith : les êtres humains sont rationnels. Mais rationnel signifie ici calcul, échanges et par conséquent, troc ; acheter et vendre serait alors la première expression de la pensée humaine, antérieure à toute forme de relation sociale. Mais ensuite il révèle exactement pourquoi Adam Smith a dû prétendre que les villageois néolithiques faisaient des transactions au comptant. Parce que si nous n’avons pas de relations morales antérieures les uns avec les autres, et que la morale émerge simplement de l’échange, alors la poursuite des relations sociales entre deux personnes ne peut exister que si l’échange est incomplet – si quelqu’un n’a pas payé. Mais dans ce cas, l’une des parties est un criminel, un mauvais payeur et le premier acte de la justice consisterait dans la vengeance punitive exercée sur ce mauvais payeur. Ainsi, dit-il tous ces codes législatifs où il est dit « vingt génisses pour un œil crevé » – en fait, à l’origine, c’était l’inverse. Si vous devez à quelqu’un vingt génisses et ne payez pas, on vous crève l’œil. La morale commence avec la livre de la chair de Shylock [1]. Inutile de dire qu’il n’y a nulle preuve de tout cela – Nietzsche l’a juste complètement inventé. La question est de savoir si même lui y croyait. Peut-être que je suis un optimiste, mais je préfère penser que non. Quoi qu’il en soit, cela n’a de sens que si vous prenez comme prémisses que toute interaction humaine est un échange, et par conséquent, que toute relation qui se poursuit est une dette. Cela va à l’encontre de tout ce que nous savons réellement ou expérimentons de la vie humaine. Mais si vous partez de l’idée que le marché est le modèle de tous les comportements humains, c’est à cela que vous aboutissez. Si toutefois vous laissez tomber tout le mythe du troc, et posez au départ une communauté où les gens ont d’abord des relations sur le mode éthique, pour vous demander ensuite comment ces relations morales en sont venues à être conçues comme des « dettes » – c’est à dire comme quelque chose de quantifié précisément, impersonnel et, par conséquent, transférable – eh bien, c’est une toute autre question. Dans ce cas, oui, se pose d’emblée le rôle de la violence.

Intéressant. Peut-être que c’est le bon moment pour vous demander comment vous concevez votre travail sur la dette par rapport au classique essai sur le don du grand anthropologue français Marcel Mauss. Oui, à ma façon, je pense que je travaille tout à fait dans la tradition maussienne. Mauss a été l’un des premiers anthropologues à poser la question : bien, parfait, et si ce n’est pas le troc, alors quoi ? Que font réellement les gens qui n’utilisent pas de l’argent quand les choses changent de mains ? Les anthropologues ont attesté l’existence d’une variété infinie de ces systèmes économiques, mais ils n’en n’ont pas vraiment déduit de principes communs. Ce que Mauss a remarqué, c’est que, dans presque tous les cas, les gens faisaient comme s’ils se donnaient des cadeaux les uns aux autres en niant attendre quoi que ce soit en retour. Mais, en réalité, tout le monde comprenait qu’il y avait des règles implicites et que les bénéficiaires se sentaient obligés de rendre la pareille d’une façon ou d’une autre. Ce qui fascinait Mauss, c’est que cela semblait être universellement vrai, même aujourd’hui. Si j’invite un économiste partisan du libre marché à dîner, il pensera qu’il doit me rendre la politesse et m’inviter à son tour. Il peut même penser qu’il est un crétin s’il ne le fait pas et ce, même si sa théorie lui dit qu’il vient de recevoir quelque chose pour rien et devrait en être heureux. Pourquoi ? Quelle est cette force qui me pousse à vouloir retourner un cadeau ? C’est un argument important, et cela montre qu’il y a toujours une certaine morale qui sous-tend ce que nous appelons la vie économique. Mais il me semble que si vous vous concentrez trop sur ce seul aspect de l’argumentation de Mauss vous vous retrouvez de nouveau à tout réduire en termes d’échange, à cette réserve près que certains feignent de ne pas le faire. Mauss n’a pas vraiment tout pensé en termes d’échange, cela devient évident si vous lisez ses écrits autres que son Essai sur le don. Mauss a insisté sur le fait qu’il y avait beaucoup de principes différents en jeu en plus de la réciprocité, dans quelque société que ce soit, y compris la nôtre. Par exemple, prenez la hiérarchie. Les cadeaux offerts à des inférieurs ou à des supérieurs n’ont pas à être rendus du tout. Si un professeur invite notre économiste à dîner, bien sûr, il va sentir qu’il devrait rendre l’invitation, mais si c’est un étudiant, il va probablement penser que simplement accepter l’invitation est déjà une faveur suffisante et si George Soros lui paie à dîner, tant mieux, il aura enfin obtenu quelque chose pour rien. Dans les relations explicitement inégales, si vous donnez quelque chose à quelqu’un, loin de vous rendre cette faveur, il est plus probable qu’il s’attende à ce que vous la rééditiez. Ou prenez les relations communistes – et je les définis, à la suite de Mauss en fait, comme toutes celles où les gens interagissent sur la base « de chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins ». Dans ces relations, les gens ne comptent pas sur la réciprocité, par exemple, lorsque vous essayez de résoudre un problème, même à l’intérieur d’une entreprise capitaliste. (Comme je dis toujours, si quelqu’un qui travaille pour Exxon demande « donne-moi le tournevis », l’autre gars ne dit pas « oui, et qu’est-ce tu me donnes pour ça ? ») Dans une certaine mesure, le communisme est à la base de toutes les relations sociales – dans le sens où si le besoin est suffisamment important (je me noie) ou le coût suffisamment petit (puis-je avoir du feu ?) – on s’attend à ce que tout le monde agisse de cette façon.

Quoi qu’il en soit, c’est une chose que j’ai prise à Mauss. Il y aura toujours beaucoup de différentes sortes de principes en jeu simultanément dans tout système social ou économique ; c’est pourquoi nous ne pouvons jamais vraiment ramener tous ces faits à une science. Les sciences économiques essaient, mais en mettant tout de côté, sauf l’échange.

Passons à la théorie économique donc. L’économie a des théories très précises sur ce qu’est l’argent. Il y a l’approche dominante que nous avons abordée brièvement ci-dessus ; c’est la théorie de l’argent-marchandise dans laquelle des marchandises spécifique servent de moyen d’échange pour remplacer l’économie brute du troc. Mais il y a aussi d’autres théories qui ont de plus en plus cours en ce moment. L’une est la théorie circuitiste de la monnaie dans laquelle tout l’argent est considéré comme une dette contractée par un agent économique. L’autre – qui intègre effectivement l’approche circuitiste – est la théorie chartaliste dans laquelle tout l’argent est perçu comme un moyen d’échange émis par le souverain et gagé sur le recouvrement des créances fiscales. Peut-être que vous pourriez dire quelque chose à propos de ces théories ? Une de mes sources d’inspiration pour Debt : the First Five Thousand Years [‟Dette : les cinq mille premières années”] a été l’essai de Keith Hart Two Sides of the Coin [2]. Dans cet essai, Hart souligne que non seulement ces différentes écoles ont des théories différentes sur la nature de la monnaie, mais qu’il y a aussi des raisons sérieuses de croire que les deux ont raison. La monnaie a été, la plupart du temps dans son histoire, une étrange entité hybride qui intègre à la fois les deux aspects, la marchandise (objet) et le crédit (rapport social). Ce que, à mon avis, j’ai réussi à ajouter à cela est la constatation que dans l’histoire, si la monnaie a toujours présenté ces deux aspects à la fois, elle oscille de l’un à l’autre ; il y a des périodes où le crédit prime, et tout le monde adopte plus ou moins les théories chartalistes, et d’autres périodes où le paiement comptant tend à prédominer et alors les théories de la monnaie-marchandise reviennent au premier plan. Nous avons tendance à oublier que, disons au Moyen Âge, de la France à la Chine, le chartalisme était simplement du bon sens : la monnaie était juste une convention sociale, dans la pratique, c’était tout ce que le roi voulait recevoir comme impôts.

Vous dites que l’histoire passe de périodes de monnaie-marchandise à des périodes d’argent virtuel. Ne pensez-vous pas que nous avons atteint un point dans l’histoire où, en raison de l’évolution technologique et culturelle, nous avons peut-être vu la fin de la monnaie-marchandise pour toujours ? Les cycles d’une forme à l’autre sont de plus en courts. Mais je pense que nous allons devoir encore attendre au moins quatre cents ans pour vraiment savoir ! Il est possible que l’époque de la monnaie-marchandise touche à sa fin, mais ce qui me préoccupe surtout à présent c’est la période de transition. La dernière fois que nous avons assisté sur une grande échelle au passage de la monnaie-marchandise à la monnaie de crédit, ce n’était pas très joli. Pour ne rappeler que quelques épisodes, nous avons eu la chute de l’Empire romain, celle de l’âge de Kali en Inde et la disparition de la dynastie Han en Chine… Des périodes de mort, de catastrophe et de chaos. Le résultat final a été, à bien des égards, profondément libérateur pour la majeure partie de ceux qui les ont vécues – l’esclavage pour dette, par exemple, a été largement éliminé des grandes civilisations. Cela a été un acquis historique remarquable. Le déclin des villes signifiait que la plupart des gens travaillaient beaucoup moins. Mais j’espère que le bouleversement ne sera pas d’une ampleur aussi grandiose cette fois. D’autant plus que les moyens réels de destruction sont bien plus importants aujourd’hui.

À votre avis, lequel des deux a joué le rôle plus important dans l’histoire humaine : la monnaie ou la dette ?
Eh bien, cela dépend de vos définitions. Si vous définissez la monnaie dans le sens le plus large, comme toute unité de compte par laquelle vous pouvez dire que 10 de ceci valent 7 de cela, alors vous ne pouvez pas avoir de la dette sans monnaie. La dette est simplement une promesse qui peut être quantifiée au moyen de la monnaie (et qui donc devient impersonnelle et, par conséquent, transférable). Mais si vous me demandez ce qui a été la forme la plus importante de la monnaie, le crédit ou l’argent, alors probablement je devrais dire le crédit.

Passons aux problèmes du monde actuel. Au cours de ces dernières années, dans de nombreux pays occidentaux, les ménages ont accumulé des dettes énormes, notamment par les prêts immobiliers (ces derniers ayant été la cause de la récente crise financière). Quelques économistes disent que la croissance économique depuis l’ère Clinton était fondée sur une quantité croissante d’endettement familial. Dans une perspective historique, que pensez-vous de ce phénomène ? D’un point de vue historique, c’est assez alarmant. On peut remonter plus loin que l’ère Clinton, ce que l’on peut faire valoir, c’est le fait que la crise à laquelle nous assistons est la même que celle de années 1970. Simplement, il a été possible de la retarder pendant trente ou trente-cinq ans grâce à tous les dispositifs élaborés de crédit et bien évidemment à la surexploitation du sud de la planète, à travers la crise de la dette du Tiers-Monde. L’histoire eurasiatique oscille, dans ses grandes lignes, entre des périodes dominées par la monnaie virtuelle de crédit et les périodes dominées par la monnaie matérielle (pièces, lingots d’or…). Les systèmes de crédit du Proche-Orient antique ont cédé la place aux empires esclavagistes du monde classique en Europe, en Chine et en Inde qui frappaient monnaie pour payer leurs soldats. Au Moyen Âge, les empires disparaissent ainsi que la fabrication de la monnaie – l’or et l’argent sont pour l’essentiel enfermés à double tour dans les temples et les monastères – et le monde retourne au crédit. Après 1492, les empires reviennent et avec eux les devises en or et en argent, et l’esclavage. Ce qui s’est passé depuis que Nixon a abandonné l’étalon-or en 1971 a simplement été un nouveau tour de roue, même si, bien sûr, il ne se produit jamais deux fois de la même manière. Cependant, en un sens, je pense que nous avons fait les choses à l’envers. Dans le passé, les périodes dominées par la monnaie de crédit ont également été des périodes accompagnées de protections sociales pour les débiteurs. Une fois que vous reconnaissez que la monnaie n’est qu’un artefact social, un crédit, une reconnaissance de dette, comment empêcher les gens d’en produire indéfiniment ? Comment empêcher les pauvres de tomber dans les pièges de la dette et dans la servitude des riches ? C’est pourquoi vous avez eu l’effacement des tablettes en Mésopotamie, les jubilés bibliques, les lois contre l’usure au Moyen Âge, tant chrétien que musulman, et ainsi de suite. Depuis l’Antiquité, le pire des scénarios, celui dont chacun sentait qu’il conduirait à la rupture sociale totale, c’est une crise majeure de la dette. Les gens ordinaires se retrouvent si endettés auprès des 1 % ou 2 % de la population les plus riches qu’ils commencent à vendre les membres de leur famille en esclavage, voire éventuellement eux-mêmes.

Que se passe-t-il à notre époque ? Au lieu de créer des institutions globales pour protéger les débiteurs, on a créé le Fonds monétaire international (FMI) ou Standard & Poor’s pour protéger les créanciers. Ils proclament, au mépris de toute logique économique traditionnelle, qu’un débiteur ne doit jamais être autorisé à faire défaut. Inutile de dire que le résultat est catastrophique. Nous vivons quelque chose qui, pour moi, ressemble exactement à ce dont les anciens avaient le plus peur : une population de débiteurs patinant au bord du désastre. Je dois ajouter que si Aristote se baladait par ici aujourd’hui, je doute beaucoup qu’il considère comme autre chose qu’une subtilité juridique la distinction entre le fait de te louer ou de louer des membres de ta famille à un employeur et le fait de te vendre ou de vendre des membres de ta famille comme esclaves. Il conclurait très probablement que la majorité des Américains sont à tous points de vue des esclaves.

Vous mentionnez le fait que le FMI et Standard & Poor’s sont des institutions principalement orientées vers le recouvrement des dettes pour les créanciers. Cela semble être devenu aussi le cas dans l’Union monétaire européenne. Que pensez-vous de la situation en Europe en ce moment ? Je pense que c’est un excellent exemple de la raison pour laquelle les dispositions existantes sont clairement intenables. Évidemment, la « totalité de la dette » ne peut pas être payée. Mais même si certaines banques françaises ont offert des rabais volontaires à la Grèce, les autres ont précisé qu’ils considéreraient cela comme un défaut de paiement de toute façon. Le Royaume-Uni a pris une position encore plus bizarre, disant que cela vaut même pour les dettes de l’État envers les banques qui ont été nationalisées – c’est-à-dire, techniquement, pour les dettes ce qu’elles se doivent à elles-mêmes ! Si cela signifie que les retraités impotents ne peuvent plus utiliser les transports en commun ou que les centres de jeunes doivent être fermés, eh bien c’est tout simplement la « réalité de la situation », comme ils l’ont déclaré. Ces « réalités » se révèlent de plus en plus comme étant celles du pouvoir. Il est clair que les assertions du type « les marchés s’autorégulent, les dettes doivent toujours être honorées » ont perdu tout sens en 2008. C’est l’une des raisons pour lesquelles, je pense, nous voyons le début d’une réaction très similaire à celle que nous avons connue au plus fort de la « crise de la dette du Tiers-Monde », qui fut appelé alors, plutôt bizarrement « mouvement antimondialisation ». Ce mouvement qui appelait à une véritable démocratie a réellement essayé de pratiquer des formes de démocratie directe et horizontale. En face de cela, on trouve l’alliance insidieuse entre les élites financières et les bureaucraties planétaires (que ce soit le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, aujourd’hui l’UE, ou ce que vous voulez). Lorsque des milliers de gens commencent à se rassembler sur des places en Grèce ou en Espagne en appelant à la « démocratie réelle », ce qu’ils veulent dire, c’est : « Depuis 2008, vous avez laissé le chat de la crise sortir du sac. Alors, si l’argent n’est vraiment qu’une construction sociale, une promesse, une série de reconnaissances de dettes, et même de milliers de milliards de dettes, on peut les faire disparaître si des acteurs suffisamment puissants le demandent. Si la démocratie signifie quelque chose, tout le monde doit pouvoir peser sur la manière dont ces promesses sont faites et peuvent être renégociées. » Je trouve cela extrêmement encourageant.

D’une manière générale, comment voyez-vous le dénouement de la crise de la dette, ou crise financière actuelle ? Sans vous demander de regarder dans la proverbiale boule de cristal, comment voyez-vous l’avenir se dérouler, autrement dit, comment vous situez-vous en ce moment ? Pour l’avenir à long terme, je suis assez optimiste. Nous avons peut-être fait les choses à l’envers au cours des quarante dernières années, mais en termes de cycles de cinq cents ans, eh bien, quarante ans ce n’est pas grand-chose ! Finalement, il faudra reconnaître que dans une phase d’argent virtuel, de crédit, des protections doivent être mises en place – et pas seulement celles des créanciers. Combien de catastrophes faudra-t-il pour y arriver ? Je ne puis le dire. Mais en attendant, il y a une autre question à se poser : une fois que nous aurons fait ces réformes, le résultat sera-t-il quelque chose qui pourrait encore s’appeler « capitalisme » ?

Traduction pour Courant Alternatif par nos soins (Domi, J.F., Daniel)

Notes de la traduction [1] Shylock : personnage de prêteur sur gage (usurier) dans Le Marchand de Venise de Shakespeare. Le prélèvement sur son corps d’une livre de sa chair est le gage que le marchand Antonio accepte de souscrire en échange du prêt que lui accorde le juif Shylock. Antonio, connaissant un revers de fortune, ne peut rembourser. Shylock, qui veut se venger des humiliations que lui ont fait subir les chrétiens, exige que le contrat soit appliqué à la lettre, sachant qu’il entraîne ainsi la mort d’Antonio. [2] Keith Hart, Heads or Tails ? Two sides of the coin, 1986. Ouvrage non traduit en français.

Cette interview a été publiée dans le numéro n°224 de Courant Alternatif, novembre 2012.

La version originale a été réalisée par Philip Pilkington, journaliste et écrivain basé à Dublin, Irlande, et publiée originellement sur le site nakedcapitalism.com le 26 août 2011. Une version extrêmement raccourcie a été publiée dans le mensuel Alternatives Economiques Hors-série n° 91 – décembre 2011.

David Graeber occupe actuellement le poste de maître de conférences en anthropologie sociale à l’Université Goldsmiths de Londres. Avant cela, il a été professeur agrégé d’anthropologie à l’Université de Yale qui l’a remercié pour ses engagements politiques. Il a participé activement au mouvement Occupy Wall Street de New York qui a d’ailleurs lancé récemment un appel à la « grève de la dette », à la formation d’un mouvement des endettés qui refusent de payer leurs dettes.

Un livre de David Graeber a été publié en français sous le titre, Pour une anthropologie anarchiste, 2006, éditions Lux (Canada). Voir ici

Vu sur OCL, 2 décembre 2012

[Loudun] Patrons arrosés de subventions, patrons licencieurs : le cas Center Parcs

Suppressions de postes chez Center Parcs

Le groupe Pierre&Vacances – Center Parcs qui s’apprête à engager la construction d’un nouveau village de vacances dans le Loudunais a annoncé un plan de restructuration qui prévoit 195 suppressions d’emplois après avoir enregistré une perte historique cette année. Le groupe fondé par Gérard Brémond il y a quarante-cinq ans espère a décidé de mettre en place un plan de réduction de coûts de 35 millions d’euros, dont 25 millions sur le seul exercice 2012-2013, et de supprimer 2,6% de ses effectifs mondiaux. Cela ne remet toutefois pas en cause ses projets, ni celui engagé dans la Vienne, sur les communes de Morton et des Trois-Moutiers, ni les autres. Le groupe doit en effet ouvrir les premiers cottages de son Villages Nature dès 2016 à côté de Disneyland Paris.

Nouvelle République, 6 décembre 2012

Center Parc (Vienne) : l’argent public coule à flots

Le groupe capitaliste Pierre & Vacances, qui possède entre autres les Center Parcs, ne connaît pas la crise. Bénéficiaire, il perçoit des aides publiques pour la construction d’un nouvel ensemble immobilier dans le département de la Vienne.

C’est ce même groupe qui a annoncé, le 18 octobre dernier, 195 suppressions de postes en France et en Europe, c’est-à-dire 2,6 % de ses effectifs globaux. Dans le même communiqué, il s’est félicité avec cynisme de « sa capacité de résistance dans un environnement économique fortement dégradé », capacité de résistance qui lui a permis l’an dernier d’afficher un bénéfice de plus de dix millions d’euros, en progression de 44 % par rapport à l’année précédente.

C’est dans ce contexte que le projet d’implantation d’un nouveau Center Parc dans le nord de la Vienne prend forme. Un investissement de 300 millions d’euros est en jeu. Les actionnaires de Pierre & Vacances vont-ils engager la totalité de cette somme ? Eh bien non ! Ce sont d’abord les collectivités locales et l’État qui vont mettre près de 60 millions d’euros d’argent frais sur la table, et se porter garants auprès des banques du complément nécessaire à la réalisation du projet.

Pour le département de la Vienne, subventions et participations se chiffrent déjà à 35 millions d’euros. Ce département est dirigé par la droite, mais l’ensemble des élus, quelle que soit leur couleur politique, verte ou rose, se réjouissent du soutien apporté au groupe capitaliste. Aucun ne manquait sur la photo prise dans les champs promis à la construction, aux côtés des représentants de Pierre & Vacances, ce qui faisait s’interroger un journaliste de la presse locale, le 21 octobre : « Vont-ils passer leurs vacances ensemble ? »

La région Poitou-Charentes n’est pas en reste. Pour l’heure, le montant de ses subventions s’élève à cinq millions d’euros. La construction du Center Parc commencera en 2013 et, sans nul doute, ces politiciens vont continuer à se relayer pour affirmer sur tous les tons combien cela sera bénéfique pour la population, en terme d’emplois créés. En réalité, 600 personnes seront recrutées, et il est déjà prévu qu’une sur cinq n’aura pas de CDI et que plus d’un tiers travailleront à temps partiel. Du point de vue de l’emploi, c’est la promesse faite aux futurs embauchés de salaires insuffisants, avec lesquels on ne peut pas vivre, et d’horaires extravagants.

Les patrons sont choyés, pas les salariés.

Lutte Ouvrière, 2 novembre 2012

NdPN : pour un topo sur le monde merveilleux de Center Parcs, voir aussi l’argumentaire sur le blog de lutte contre le Center Parcs d’Isère.

Le Monde Libertaire N° 1690 (du 6 au 12 Décembre 2012)

NdPN : Le Monde Libertaire N°1690 sort en kiosques aujourd’hui. Pas de diffusion ce samedi, mais il est possible de nous demander un exemplaire à prix libre en nous écrivant. Et comme d’hab, un exemplaire sera laissé en libre consultation au Biblio-Café (rue de la Cathédrale à Poitiers). Trois articles sont d’ores et déjà consultables (suivre les liens web ci-dessous dans le sommaire, renvoyant au site du Monde Libertaire). Bonne lecture !

Le Monde Libertaire N° 1690 du 6 au 12 Décembre 2012

«L’Église accepte le progrès partout où elle ne peut plus l’empêcher.» – Helge Krog

Sommaire

Actualité

Lettre ouverte au Premier ministre, par J.-P. Tertrais, page 3

Où il est question d’ArcelorMittal, par G. Goutte, page 5

Météo syndicale, par J.-P. Germain, page 6

La représentativité syndicale, de Fabrice, page 7

La Chronique néphrétique, de Rodkol, page 8

Restauration et Nouvelle Droite, par A. Etta, page 9

Chasse aux homos en Ouganda, par Pat, page 10

Arguments

Des politiciens à la façon d’Héliogabale, par N. Potkine, page 11

D’invisibles petites mains vertes, par P. Pelletier, page 12

International

Libres femmes espagnoles, par R. Pélagie, page 15

Expressions

Cipriano Mera, un militant exemplaire, par J. Roman, page 18

La Commune libre de Saint-Martin, par F. Grandebru, page 20

Un nouvel éditeur libertaire, par Rafael, page 21

La créature de Manolo Prolo, par Nicolas, page 22

Mouvement

Radio libertaire, page 22

Carnet de bal, page 23

Illustrations

Aurelio, Jhano, Kalem, Krokaga, Manolo-Prolo, Nemo, Valère

Editorial

Pendant la liquidation du site, la lutte de classe continue. La direction de l’usine PSA d’Aulnay convoque cinq ouvriers en vue de sanctions. Ennemis probables de la modernité qui profite, ces travailleurs sont accusés, à mots couverts, de saboter la production en flemmardant au lieu de gagner vaillamment leurs indemnités de licenciement. Résultat, plusieurs centaines de leurs camarades débrayent en solidarité, paralysant la production. C’est bien fait, mais ça n’est pas suffisant.
Oserons-nous suggérer au pauvre ministre Montebourg la nationalisation temporaire du groupe PSA, en vue de sa transformation en coopérative ouvrière de production? Attention: tout le groupe, y compris la banque PSA et les filiales rentables! Car, rappelons-le, le capital français n’est pas moins volage que le capital indien, et ce qui vaut pour Arcelor à Florange devrait valoir pour Peugeot à Aulnay et ailleurs. On ne doit pas laisser saucissonner les entreprises en activités « juteuses» d’une part, que les patrons garderaient pour eux, et activité nécessaires mais coûteuses, d’autre part, que la collectivité prendrait en charge, soit directement, soit par le biais de subventions répétées à des repreneurs successifs, en fait chasseurs de primes.
Et, puisque l’on parle de financement public et de bénéfices privés, comment ne pas évoquer le pharaonique projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes? Conçu dans les années soixante, époque où il était excusable d’envisager une explosion du trafic aérien, le voilà qui resurgit un demi-siècle plus tard, en pleine crise économique, alors que le pétrole se fait rare et cher et que la population se paupérise. Son utilité est résolument douteuse. Son impact sur l’environnement, catastrophique. Ses perspectives économiques, un gouffre. Alors pourquoi s’obstiner ?
Pour le petit Noël des entreprises. En l’occurrence Vinci, groupe géant du BTP et des concessions de service public, qui s’illustre notamment en monopolisant les parkings des centres urbains et en prélevant la gabelle sur des autoroutes vingt fois remboursées. Eh bien ce grand groupe national va patriotiquement encaisser les (éventuels) bénéfices pendant 55 ans, tout en laissant démocratiquement la collectivité payer les déficits. Et plus l’État sera engagé là-dedans, plus on lui demandera d’argent, sous tous les prétextes. Racket ? Oui.