A la SNCM, l’heure est à la répression syndicale, après la répression policière lors d’un conflit où les travailleurs sont passés à l’action directe. Un article dans le dernier Monde Libertaire, et une nouvelle qui vient de tomber (AFP)…
Depuis trois semaines, une vingtaine de marins de la SNCM, syndiqués à la CGT, bloquaient le navire Le Corse au port de Marseille, l’empêchant d’appareiller pour rejoindre Toulon. Ce blocage, appuyé par une grève, visait à dénoncer l’ouverture, par la SNCM, d’une liaison Toulon-Corse, créée par la direction pour, selon les dires d’un représentant du syndicat CGT, « faire le jeu de la Corsica Ferries en défendant le maintien des subventions qui lui sont attribuées au titre des fameuses aides dites sociales, tout en réduisant le périmètre du service public ». Les marins entendaient également s’opposer, par cette action directe, à la renégociation en cours des accords salariaux. Mardi 14 février, le tribunal de grande instance de Marseille déclarait la grève illégale et exigeait, par ordonnance, l’arrêt immédiat du blocage, sous peine de 200 euros d’amende par heure de retard prise par le navire. Il autorisait également le recours aux forces dites de l’ordre pour balayer le blocage en cas de non-respect de la décision de justice. Pour légitimer cette nouvelle atteinte au droit de grève, le juge prétendait que celui-ci « n’emporte pas celui de disposer des biens de l’employeur ». Une petite mise au point historique ne lui aurait sans doute pas fait de mal, histoire de lui rappeler ces quelques mots que le syndicaliste anarchiste Émile Pouget – à l’origine de la création de la CGT en 1895 – écrivait en 1910 : « Le syndicalisme est apte à préparer et à réaliser, sans interventions extérieures, par la grève générale, l’expropriation capitaliste et la réorganisation sociale, avec pour base le syndicat, qui de groupement de résistance se transformera en groupement de production et de répartition 1. »
Déterminés dans leur combat, les marins n’ont pas bougé d’un pouce, conscients que la lutte des classes ne se mène pas ailleurs que sur le terrain, avec l’action directe. Vers 20 heures, plus de 400 CRS ont débarqué et, dans une violence qui leur est depuis longtemps coutumière, ont brisé le blocage et la grève. La répression ne se limitant jamais à quelques coups de matraque, dix-sept salariés grévistes ont été convoqués pour « participation à un arrêt de travail jugé illicite » et deux représentants syndicaux sont poursuivis pour « fautes lourdes ». La lutte n’est pas terminée pour autant et Frédéric Alpozzo, le représentant de la CGT, promet une suite au mouvement.
Ce énième coup de force contre la grève, avec intervention policière musclée (400 flics pour 20 marins), intervient dans un climat général de remise en cause du droit de grève. Des réquisitions préfectorales de l’automne 2010 aux mobilisations de flics pour remplacer les agents de sécurité dans les aéroports, en passant par la récente loi dite « relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises du transport aérien », l’État et ses avatars – justice et police – n’en finissent plus de lécher les cuissardes du patronat. Pendant ce temps-là, l’actuel président annonce sa volonté de briguer un nouveau mandat en vue de consolider une présidence « du peuple, par le peuple et pour le peuple », et les autres guignols – de Le Pen à Mélenchon en passant par Hollande – se gargarisent avec des promesses de bien-être social et de sécurité grâce auxquelles ils espèrent gravir les marches du pouvoir. Dans les discours, le bon peuple se voit ainsi l’objet de toutes les attentions, mais dans la réalité, on le matraque et on le traîne devant les tribunaux dès qu’il se fout en grève. C’est ça la démocratie parlementaire.
1. La Confédération générale du travail, Bibliothèque du Mouvement prolétarien, Librairie des sciences politiques et sociales Marcel Rivière, Paris, 1910.
Guillaume Goutte, le Monde Libertaire, 23 février 2012
Le conseil de discipline de la compagnie maritime SNCM s’est prononcé jeudi soir pour un licenciement du secrétaire général du syndicat CGT des marins de Marseille, a-t-on appris vendredi de sources concordantes, dix jours après la fin d’un conflit social mouvementé.
Frédéric Alpozzo (G) le 24 février 2012 à Marseille
Le conseil de discipline s’est prononcé pour le licenciement « pour faute lourde » de Frédéric Alpozzo, délégué du personnel CGT, et du secrétaire du comité d’entreprise, Marcel Faure.
Selon une porte-parole de la direction, il leur est reproché d’avoir bloqué pendant trois semaines l’appareillage pour Toulon d’un navire de la compagnie, le « Corse », en dépit d’ordonnances de justice réclamant la fin de toute entrave. Le licenciement effectif de ces deux salariés, qui ont un statut « protégé » au titre de leurs mandats syndicaux, est soumis à un avis du comité d’entreprise et à une autorisation de l’inspection du travail.
« Cette décision ne repose sur aucun fondement concret », a commenté M. Alpozzo, soulignant que la légalité de la grève des salariés avait été reconnue durant le conflit autour du « Corse ».
« On ne peut pas nous licencier pour faute lourde alors que la direction elle-même ne respecte pas le code du travail en faisant libérer le navire par la force publique », a-t-il ajouté, soulignant que la dernière ordonnance de justice était toujours contestée devant les tribunaux.
Les forces de l’ordre étaient intervenues le 14 février pour déloger les grévistes à bord du Corse après que la justice eut ordonné la fin du blocage du navire, dont la CGT empêchait le départ pour Toulon d’où il devait assurer une première liaison avec l’île de Beauté.
Les marins CGT des compagnies SNCM et La Méridionale (ex-CMN) avaient appelé à la grève vendredi à l’occasion d’un conseil de surveillance de la SNCM, pour défendre leurs emplois, menacés, selon eux, par la concurrence des compagnies « low cost », notamment Corsica Ferries, qui opère depuis Toulon.
D’autres arrêts de travail étaient observés vendredi parmi les professions portuaires de Marseille, inquiètes de l’avenir industriel des bassins Est du port par rapport à ceux de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) à l’ouest.
« La situation est grave », a souligné Daniel Manca, secrétaire CGT du syndicat des dockers à Marseille, lors d’une conférence de presse organisée au pied de la tour de la CMA-CGM, l’un des leaders mondiaux du transport de conteneurs, dont le siège est dans la cité phocéenne. Son patron Jacques Saadé a estimé récemment dans le quotidien régional la Provence qu’il fallait que « les bassins de Marseille gardent la croisière et les passagers, et que les marchandises aillent à Fos », un scénario que la CGT refuse en bloc sur les bassins Est.
« La préfecture n’a toujours pas répondu à notre demande de table ronde alors que tout Le Monde s’accorde à dire que le port est le poumon économique de la ville avec 30.000 emplois », a déploré le secrétaire du syndicat CGT des agents du Grand Port Maritime de Marseille, Pascal Galeoté.
La CGT, qui appelle la gauche à se mobiliser sur l’avenir du port avant les élections, avait rendez-vous vendredi matin au conseil régional que préside le socialiste Michel Vauzelle, avant d’aller frapper à la porte de la préfecture.
AFP, 24 février 2012