Carnage d’amphibiens pour le Center Parcs de la Vienne
Les amphibiens regroupent des espèces particulièrement menacées d’extinction. Mais à Center Parcs, dans la Vienne, le bureau « d’ingénierie écologique » Biotope en a tué un bon nombre. L’affaire agite les milieux naturalistes, alors que la construction du « village » urbanise un domaine forestier de 264 hectares.
Correspondance, Nantes
Des pièges à batraciens abandonnés, des crapauds décimés, des amphibiens desséchés, des petits cadavres d’insectes -des carabes- accumulés, enfouis dans la poussière : c’est le spectacle désolant qu’a découvert, début septembre 2013, un chasseur dans la Vienne à Trois-Moutiers. Il participait à une battue de décantonnement destinée à débusquer le gros gibier avant la pose du grillage délimitant le futur parc de loisirs Center Parcs. Les photos prises ont depuis été colportées par les naturalistes de toute la France, effarés d’un tel carnage. Le but de ces pièges est en principe de capturer vivants des animaux et espèces protégées, pour les empêcher de pénétrer sur la zone du chantier en cours de Centre Parcs.
Manifestement, les soixante seaux n’avaient pas été relevés tous les jours, comme ils auraient du l’être. Résultat : « Des milliers amphibiens morts liquéfiées ou desséchés dans les seaux », commentent les naturalistes. D’un seul de ces seaux délaissés ont été extraits soixante-onze cadavres de crapauds.
Chargé du projet pour Biotope, Aurélien Ferré avait détaillé il y a huit mois le cadre de son action : « Nous avons mis en place des bâches sur 1,5 km de longueur qui délimitent la zone protégée de la zone de construction, empêchant les amphibiens d’accéder à la zone de chantier. Ceux situés dans la zone de travaux, qui veulent aller dans la zone protégée pour se reproduire, sont recueillis dans les seaux et transférer dans la zone sanctuaire, espace du domaine laissé volontairement à l’état naturel, et qui constitue un cadre de vie favorable aux amphibiens », expliquait-il en avril au quotidien régional, La Nouvelle République.
Technicien cynégétique de la fédération départementale des chasseurs, Michel Faure, était sur place le jour de la battue : « On a retrouvé des petits pots le long de la clôture en grillage à moutons avec au pied une bande de bâche plastique censée cerner les batraciens. Un rapport a été fait par le lieutenant de louveterie à la Direction départementale des territoires [DDT, placée sous l’autorité du préfet]. Mais on n’a pas eu ce rapport ».
« Le rapport a été fait à la DDT, il n’y a rien à cacher », dit Frédéric Duval, le lieutenant de louveterie qui a mené la battue au cours de laquelle les pièges ont été découvert abandonnés, plein de cadavres de bestioles protégées. Amer, il ajoute : « Les défenseurs des petits oiseaux et des fleurs bleues ont été prévenus le lendemain. Et ça a donné quoi ? Rien. Quant au bureau d’étude, ça coûte une fortune à tout le monde pour une incompétence évidente. Il a prétendu après coup que ces pièges avaient été relevés trois jours avant que je ne passe… »
Des naturalistes gênés aux entournures
Vice-présidente de Vienne Nature, association affiliée à France Nature environnement, Marie Legrand est laconique : « On a été prévenus bien sûr. Mais les faits remontant à quatre mois, on ne va pas raconter aujourd’hui des histoires. Nous n’avons pas la moindre volonté de communiquer ».
En fait, les associations naturalistes travaillent souvent pour des aménageurs, ce qui leur permet de se financer. Vienne Nature et Ligue de protection des oiseaux (LPO) sont ainsi en concurrence avec Biotopope auprès de Center Parcs, et ne veulent pas mettre celui-ci en difficulté. Daniel Gilardot, président de la LPO en Vienne, indique ainsi que, « avec Center Parcs, on n’est pas sur l’étude de démarrage [confiée à Biotope], mais on sera dans le comité de suivi ». LPO et Vienne Nature ont aussi récupéré la gestion de l’observatoire de la biodiversité mis en place par Center Parcs, sur lequel lorgnait aussi Biotope.
Ces naturalistes auraient pu tiquer face à cette nature apprivoisée pour touristes. Ils devraient être outrés par une manière de faire bafouant la protection des espèces, leur valeurs de base. Mais ils sont dépendants de contrats… A propos des destructions d’animaux protégés, M. Gilardot joue la prudence : « On n’est pas intervenu. Mais il n’est pas exclu qu’on se porte partie civile, si une action en justice est engagée pour destruction d’espèces protégées ».
Pas plus que les associations environnementalistes, la fédération des chasseurs, qui a aussi une mission de défense de l’environnement, n’a porté plainte. Aucun chasseur n’a fait effectuer un constat d’huissier qui aurait pu être utile pour appuyer une procédure en justice.
Au titre des infractions, les naturalistes qui suivent à distance l’évolution de cette affaire épinglent au moins un non-respect des prescriptions de l’arrêté préfectoral de dérogation concernant les espèces protégées. « Nous, si on fait ça, on se retrouve en correctionnelle ! » lâche un naturaliste du département voisin. Quasiment tous les batraciens sont classés espèces protégées en France. L’article 18 de la toute récente loi du 16 juillet 2013 prévoit désormais un nouveau délit : « Destruction, tentative de destruction ou trafics d’espèces protégées en bande organisée », passible de 150 000 euros d’amende et de sept ans d’emprisonnement. Sans la qualification de « bande organisée », l’article L415-3 du Code de l’environnement prévoit une peine de six mois d’emprisonnement et neuf mille euros d’amende.
La justice est (ou sera) saisie par l’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage), indique la préfecture, qui relaie une note de la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement, et du logement) Poitou-Charentes : « Dans le cadre du dossier Center Parcs, le pétitionnaire a obtenu une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées par arrêté préfectoral en date du 21 décembre 2012. Concernant les amphibiens, le dossier prévoit des dispositions de transfert hors des emprises du chantier. Il a été constaté début septembre des écarts dans la mise en œuvre de ces dispositions. L’Etat a donc demandé à Center Parcs de prendre les mesures correctives nécessaires pour remédier à cette situation. Ces mesures sont aujourd’hui effectives. Par ailleurs, une procédure judiciaire est engagée par l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS). »
« Incident mineur »
Chez Pierre et Vacances, on ne peut nier l’évidence. Le service communication tente d’en minorer l’importance : « Sur deux mille crapauds transférés, on en a retrouvé soixante-et-onze morts. C’est une mortalité accidentelle, pas un acte volontaire. Nous travaillons toujours avec Biotope. Ça leur a servi de leçon. Ce qui s’est passé est un incident mineur, qu’on prend en considération, bien sûr, en appliquant des mesures correctives, en accord avec l’État et les associations locales, Vienne Nature et LPO, pour éviter que ça se reproduise ». Les mesures sont techniques : seaux ouverts la veille des transferts hebdomadaires d’amphibiens, fermés le lendemain, retirés après les transferts, passerelles de passage passif vers l’extérieur du chantier permettant aux amphibiens de passer vers les zones refuge.
Le bureau d’étude Biotope – déjà impliqué dans des procédures irrégulières à Notre Dame des Landes – a réagi par un communiqué à Reporterre, se félicitant de son « travail de qualité pour le transfert des amphibiens » dans le cadre de ce projet de Center Parcs, mentionnant un « incident certes regrettable mais qui ne remet absolument pas en cause l’efficacité de cette mesure mise en place en phase travaux ». Les couvercles des seaux auraient sauté pour une raison inconnue, ce qui a « conduit à piéger accidentellement quelques dizaines de crapauds, essentiellement des juvéniles, dans ces seaux ». Ce que le bureau d’étude juge « négligeable par rapport à la dynamique de population des amphibiens (…). Il ne s’agit ni d’un drame, ni du fruit d’un travail mal fait . Le professionnalisme de Biotope dans cette affaire n’a pas à être remis en cause ».
La justice tranchera, si l’instruction ne se perd pas dans les marais de l’oubli.
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Center Parcs : déforestation subventionnée
Le carnage des amphibiens intervient dans le cadre de la réalisation d’un Center Parcs – un village vacances dans une nature restructurée – lancé par la firme Pierre et Vacances. Celle-ci accuse 47,5 millions de pertes à l’exercice arrêté en septembre 2013, avec un chiffre d’affaire en recul de 9,3 %. Un « point bas » estiment les analystes financiers. L’exercice précédent, les actionnaires déploraient 27 millions d’euros de pertes pour un chiffre d’affaire d’1,4 milliard.
La structure s’installera sur un domaine forestier de 264 hectares, propriété de la Caisse des dépôts et consignations, sur les communes de Trois-Moutiers et Morton. Elle aura une capacité de 4 500 touristes, logeant dans 800 « cottages bois » autour d’un « centre village de 26 000m² au cœur du site : espace aqualudique, spa, restaurants, commerces, espaces de jeux, ferme pour les enfants, équipements sportifs, espaces de réunion » sans oublier « des parkings décentralisés pour favoriser les déplacements ’propres’ sur le site ».
Ce parc de loisirs est financé par un partenariat public privé qui annonce 300 millions d’euros d’investissement, dont 46 % financés par des subventions. Soit 138 millions d’aides publiques provenant de l’État et des collectivités, régionale et départementale, qui se portent garantes auprès des banques du complément nécessaire à la réalisation du projet. Center Parcs versera un loyer pendant vingt ans. La mise en service est prévue pour 2015.
Emplois a minima
Les raisons d’une telle manne publique pour déforester et urbaniser le domaine ? Les promesses d’emploi. Le 15 novembre, lors de la pose de la première pierre, le projet annonçait 600 emplois créés, mais un tiers à temps partiel. Et si on se réfère aux autres sites, ce sont principalement des emplois payés au minimum, dans la restauration, l’entretien du site et le gardiennage et quelques maîtres nageurs pour la piscine. Au Center Parcs Lorraine, par exemple, sur un effectif similaire de 606 salariés et 26 intérimaires, 60 % sont payés au Smic horaire, dont la moitié à 319 euros par mois, du fait de contrats de neuf heures par semaine, en tant qu’agents techniques de nettoyage par exemple.
Seuls 6 % touchent un salaire supérieur de 20 % au Smic, selon une étude de l’Insee.
Dans la Vienne, élus de droite et de gauche se sont pourtant enthousiasmés, réalisant « l’union sacrée » autour du projet, lui apportant d’importantes aides en espérant des retombées locales. Petit hic, les emplois ne seront pas spécialement dédiés à des locaux, un amendement parlementaire voté début novembre interdisant la « discrimination à l’adresse » et la préférence locale qui privilégierait une candidature en fonction de la proximité. L’emploi c’est toujours l’arbre qui cache la forêt, ici bien disciplinée pour en tirer le meilleur profit.
Source : Nicolas de La Casinière pour Reporterre.
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Vu sur Reporterre, 18 décembre 2013