Montebourg et le « social-patriotisme »

Montebourg et le « social-patriotisme »

Des tirades de Mélenchon à celles de Le Pen, en passant par celles du PS et de l’UMP, nous assistons depuis quelques années à une résurgence notable du discours « produire français », pour ne pas dire de la préférence nationale, cheval de bataille du FN aujourd’hui enfourché par toute la classe politique au pouvoir. Le nationalisme productif fait hélas de plus en plus d’émules à « gauche », ce qui a de quoi inquiéter. Nous sommes en effet désormais bien loin des discours traditionnels de gauche, marqués par l’internationalisme et la lutte contre le patronat.

Peu après le discours de Hollande, affichant un soutien éhonté au patronat (et salué pour cela par le MEDEF), c’est donc au tour de Montebourg (ministre du « redressement productif » et partisan de la « démondialisation ») de donner aujourd’hui une inflexion clairement droitière à la politique gouvernementale.

Reprenant les termes employés lors de sa conférence de presse hier, il a aujourd’hui répété qu’il préférait, pour désigner le parti auquel il appartient (le PS) le terme de « social-patriote » à ceux de « social-libéral » ou de « social-démocrate ». Les mots sont importants, et lourds de sens : Montebourg définit son idéal comme « patriote », les préférant explicitement aux idéaux « libéral » et « démocratique ». Il a ensuite développé sur son rêve de partenariat, d’une « alliance » entre syndicats et patronat, agrégeant « salariés », « actionnaires » et « patrons » dans un même projet. Il s’est affirmé comme un interventionniste « décomplexé », et a prôné la planification de la révolution industrielle.

Dans un autre article publié aujourd’hui, nous avons évoqué le fait que rien ne distingue, dans les postulats, le discours de l’extrême-droite fascisante de ceux des partis au pouvoir. On nous fera peut-être remarquer que c’est exagéré…

Rappelons alors que les fascismes se sont historiquement développés sur un discours commun :

– un mélange affiché de « socialisme » et de nationalisme. Or « national-socialisme », est-il un vocabulaire différent de « social-patriotisme » ?

– le rejet du libéralisme… et de la démocratie. Avec une dénonciation typique du « capitalisme financier », qui nuirait à un bon capitalisme. Or est-il innocent de préférer l’adjectif « patriote » aux adjectifs « libéral » ou « démocrate », pour compléter le mot « social » ? Est-il innocent de stigmatiser la finance au profit d’un bon capitalisme patriote ?

– la collaboration, « l’alliance » entre syndicats et patronat pour le bien de la nation. Or c’est exactement ce que veut Montebourg.

– un discours belliciste. Or Montebourg parle en boucle de ministère de « combat », et de « résistance » face à la mondialisation et aux « excès » de la finance. On se rappelle ses vitupérations pour la « démondialisation », contre les « protectionnismes » d’autres pays (Chine, Corée), contre lesquels il faudrait bien « taxer », se défendre. Une vision du monde pour le moins inquiétante, résolument à rebours des valeurs de l’internationalisme.

– un volontarisme de planification économique, affiché comme une « révolution nationale ». Que dire d’une phrase telle que « [l’Etat] doit planifier la révolution industrielle » ? Pour rappel, une citation de Montebourg candidat aux primaires socialistes, dont les accents inquiétants se confirment : « Nous assistons à l’écroulement de l’Ancien Monde et ils nous appartient d’inventer le Nouveau Monde en regardant ce qui se passe ailleurs, dans notre histoire, en piochant dans notre intelligence collective et en nous inspirant de ceux qui expriment de l’amour pour la France« 

Et Montebourg de citer Keynes avec admiration, ce « grand anglo-saxon ». Or Keynes, effectivement proche des capitalistes britanniques (qui comptaient parmi les plus brutaux de leur temps !), s’il est aujourd’hui l’économiste cité par la gauche, a aussi et avant tout été admiré à son époque par les fascistes.

Rappelons que Keynes se disait anti-communiste. Que le keynésianisme et son idéologie ont joué un rôle important dans l’émergence du corporatisme fasciste (collaboration Etat-syndicats-patronat). Que Keynes félicitait vivement la vision économique de Oswald Mosley en 1930… celui qui fondait deux ans après l’Union des fascistes britanniques. Que l’un des keynésiens les plus fervents de son époque fut Hjalmar Schacht, le banquier féru de grands travaux qui organisa une pétition d’industriels et de banquiers à Hindenbourg pour imposer Hitler comme chancelier, et devint ministre du IIIème Reich. Rappelons enfin que Keynes était un admirateur de Francis Galton, partisan du darwinisme social, inventeur de l’eugénisme et de la méthode d’identification par les empreintes digitales.

Les mots ne sont pas innocents.

Montebourg les a prononcés en se rendant aujourd’hui dans le Vaucluse, et notamment à Orange. Dans une démarche électoraliste, dans des terres électorales propices au FN. Il y a rejoint Valls, ministre de l’Intérieur, qui a annoncé par ailleurs une augmentation des zones de sécurité prioritaire (une centaine) et a parlé d’un Etat fort et « qui s’incarne ».

Tout cela dans l’indifférence consternante des syndicats et des organisations de gauche, qui il y a dix ans à peine, auraient hurlé au loup.

On me dira encore que ces remarques sont exagérées. Je répondrais que les choses s’accélèrent très vite, et qu’il est plus que temps de pointer du doigt les manipulations sémantiques, dans un tel contexte de confusion idéologique. Qui aurait pensé que le PS, il y a quelques années à peine, mènerait la politique actuelle ? Qui peut dire ce que les partis au pouvoir, de gauche ou de droite, feront dans quelques années ? La seule différence, c’est le niveau des technologies numériques, que veut encore développer Montebourg, qui servent aujourd’hui au contrôle social et font passer Big Brother pour un ringard. Ces technologies laisseraient bien peu de chance à la résistance, en cas de régime basculant dans la répression pure et dure. Si l’on observe les législations permettant répression et fichage qui se mettent en place en Europe y compris en France, il y a de quoi réagir aux mots employés par les représentants du pouvoir.

Alors oui, la vigilance et la lutte sont plus que jamais de mise.

J., Pavillon Noir, 17 janvier 2014