Contre la ligne Lyon-Turin : tract argumentaire du collectif No Tav-Savoie
Le collectif No Tav Savoie propose une synthèse des arguments pour s’opposer à la ligne de train à grande vitesse Lyon-Turin, à partir de ce côté des Alpes, alors que continue en Val Susa, côté italien, une opposition radicale à ce projet.
Pensé depuis 1994, un projet de nouvelle liaison ferroviaire prévoit de creuser le plus long tunnel d’Europe (57 km) pour faire franchir les Alpes à 40 millions de tonnes de marchandises par an, et pour faire gagner du temps aux voyageurs entre Lyon et Turin. Annoncée pour 2023, cette autoroute ferroviaire coûtera au moins 24 milliards d’euros (7,7 pour la partie française + 6,3 en Italie + 10 pour le tunnel international). Elle implique, en plus du tunnel international, le creusement de tunnels sous les massifs de Belledonne, de Chartreuse et de l’Epine, et la construction de 200 km de voies nouvelles en France.
En Italie, le projet appelé TAV (« treno alta velocità ») se heurte à une résistance déterminée de tous les habitant.es du Val di Susa depuis plus de dix ans. Le chantier n’a pas réellement commencé sur les terrains du site de la Madalena, puisqu’ils appartiennent encore aux opposant.e.s italien.ne.s, les « No Tav ». Juste à côté, les pelleteuses sont protégées par un fortin grillagé et des centaines de policiers et soldats en permanence, pour un surcoût d’au moins 50 000 euros par jour. Le mouvement No Tav dénonce depuis toujours cette militarisation du Val di Susa au service d’intérêts mafieux, pour un projet à la fois coûteux, inutile et néfaste.
En France, certains croient que la liaison Lyon-Turin résoudra tous leurs problèmes : les habitants subissant le passage des camions pensent que le train va remplacer les poids-lourds, et les cheminots, victimes de la privatisation du fret en 2007, espèrent défendre leur métier en soutenant la LGV. On voit aussi des élus de tous bords, reniflant le prestige qu’ils pourront retirer du « chantier du siècle », en faire la promotion.
C’est ainsi que le Lyon-Turin, ce gaspillage monumental dont les seuls bénéficiaires réels seront l’industrie ferroviaire, le BTP et l’économie productiviste, est devenu comme par magie à la fois créateur d’emplois, de richesse, et de pureté écologique. Et c’est ainsi que depuis dix ans, les chantiers préparatoires au projet ont pu avancer en Maurienne sans rencontrer d’opposition efficace.
Pourtant, tous les éléments concrets indiquent que cette nouvelle liaison ferroviaire :
ne remplacera pas les poids lourds, mais va au mieux les déplacer ailleurs.
est complètement inutile étant donné la sous-utilisation des capacités de la ligne ferroviaire historique.
va affaiblir la situation économique des vallées
va provoquer quinze ans de nuisances le long de son trace : bruit, poussières, augmentation des risques d’accidents et de pollution de l’eau.
va dégrader durablement les territoires par ses déblais colossaux, la captation des eaux souterraines et le bétonnage d’espaces naturels et agricoles.
Voici la synthèse de tous ces éléments, issus de sources institutionnelles disponibles sur internet, de la presse, et d’enquêtes de terrain :
Un projet totalement inutile
D’après le département fédéral des Transports de la Confédération Suisse (*), le volume total de marchandises transitant sur route et rail au Fréjus et au Mont-Cenis est en forte régression depuis dix ans (1 541 000 camions et 25,7 millions de tonnes en 2000 – 1 205 000 camions et 17,7 Mt en 2009 ; pour le rail, on est passé de 8,4Mt à 2,4Mt). Non seulement l’augmentation de trafic qui servait à justifier la rentabilité du projet en 2000 s’avère totalement illusoire, mais les capacités de la ligne ferroviaire historique depuis sa mise au gabarit (18 Mt) sont largement suffisantes pour absorber ce trafic.
Si la part de marché du fret ferroviaire par rapport à la route est en régression partout en Europe, ce n’est pas pour rien :
Ouverte à la concurrence depuis 2007 pour le fret et depuis 2010 pour les voyageurs, la SNCF est en cours de démantèlement. La guerre économique a remplacé le service public, d’autres entreprises se partagent les rails et les parts de marché, avec à la clé : moins d’emplois, de mauvaises conditions de travail et de sécurité, et un report massif vers le transport routier de marchandises, plus concurrentiel.
Dans son organisation actuelle, l’économie ne peut pas se passer du camion, irremplaçable pour effectuer du « juste à temps » et « porte-à-porte » avec des sous-traitants éloignés. Et ce d’autant plus que se multiplient les « zones artisanales » dans chaque commune et les faveurs des élu.e.s au lobby routier.
Entre la France et l’Italie plus particulièrement, un audit des Ponts et Chaussées de 2003 (*) affirme qu’il s’agit d’un trafic essentiellement régional. Les marchandises concernées sont transportées sur moins de 1000 km, distance à partir de laquelle le transport ferroviaire devient rentable.
Dans ce contexte, le Lyon-Turin ne concurrencera pas réellement le transport routier : Mauriennais, mauriennaises, vous aurez les camions ET les wagons.
Et quand bien même le Lyon-Turin absorberait une partie des camions passant par Modane, il encouragerait globalement le transit de millions de tonnes de marchandises à travers les Alpes, donc l’augmentation du trafic et des camions, partout ailleurs. Or l’absurdité de notre économie productiviste, son gaspillage énergétique et ses dégâts humains, sont de plus en plus remis en cause : le Lyon-Turin a un siècle de retard.
Des nuisances durables
Le creusement du tunnel international produira 18 millions de m³ de déblais, dont 10 millions seront stockés côté français (*), et dont une bonne part contiendra de l’amiante et de l’uranium (poussières cancérigènes). Si l’on ajoute les 64 km des tunnels sous Chartreuse et Belledonne, on obtient au minimum 20 millions de m³ supplémentaires. Pendant le chantier, c’est donc l’équivalent de 12 pyramides de Khéops qu’il faudra déplacer et stocker en Maurienne, Belledonne et dans le Sillon alpin ! Cela représente à peu près 460 camions-benne tous les jours, pendant quinze ans. Au fait, le Lyon-Turin n’était-il pas censé diminuer le nombre de camions dans nos vallées ?
En janvier 2006, des conseillers municipaux de Lanslebourg-Montcenis interpellaient leur maire après un conseil municipal où le Lyon-Turin était à l’ordre du jour : « Les représentants de LTF confirment que de l’amiante et de l’uranium sont bien présents dans les massifs. Ils annoncent que de 4,5 à 6 millions de m³ de matériaux (2 à 3 pyramides de Khéops) seront transportés par téléphérique depuis Venaus sur le site protégé du Mont-Cenis. Ce seront 5000 m³ de marinages par jour, et ce 300 jours par an pendant 4 ans, qui seront déversés dans la carrière du Paradis. ». Ils expriment l’inquiétude des habitants de la vallée, de respirer les poussières cancérigènes issues des bennes et de cette immense butte, située sur un site balayé par des vents violents. Ils ajoutent : « Les populations ne se sont-elles pas opposées en 1983 à une demande de recherche d’uranium sur les sites du Mont-Cenis et d’Ambin ? ».(*)
A Villarodin-Bourget, le creusement de la descenderie de reconnaissance jusqu’en 2007 a déjà confisqué toutes les sources d’eau potable alimentant le village, et créé des lézardes dans les murs des maisons. Lorsque va débuter le creusement du tunnel international en 2013, l’Arc sera coincé entre une butte de déblais de 200m x 400m x 30m de hauteur (menaçant de glisser dans la rivière et de l’obstruer), une usine de béton (supprimant l’unique zone humide permettant d’amortir les crues avant Modane) et une nouvelle centrale électrique. La commune refuse ces nuisances futures, et a attaqué en justice la déclaration d’utilité publique des travaux.(*)
Le tunnel international agira comme un gigantesque drain dans le massif d’Ambin, qui modifiera les écoulements d’eau souterrains et conduira à l’assèchement de certaines sources. Les eaux d’infiltration recueillies et évacuées aux extrémités du tunnel seront à la fois chaudes (de 22°C à 30 °C, ce qui va créer un brouillard permanent si elles sont stockées en bassin) et chargées de soufre, donc très polluantes si elles atteignent les rivières. (*)
Creuser ce tunnel, c’est accepter cette pollution de nos écosystèmes de montagne, pour toujours.
Des emplois temporaires
Lyon-Turin Ferroviaire (LTF) a annoncé 10 000 emplois sur dix ans pour l’ensemble du projet, dont 3500 pour le tunnel international au maximum du chantier. Même avec ce chiffre très optimiste (les travaux du tunnel suisse du St-Gothard en 2009 n’ont employé que 1000 personnes en pointe, la plupart venues d’ailleurs), c’est un investissement de 2,4 millions d’euros par emploi créé ! A titre de comparaison, l’investissement par emploi créé dans une PME est généralement de l’ordre de quelques dizaines de milliers d’euros.
Il est très probable que les ingénieurs et techniciens qualifiés viendront de loin, le « sale boulot » étant réservé à la main d’œuvre locale. Car il s’agit de creuser à travers un massif contenant de l’uranium et de l’amiante : LTF peut promettre ce qu’elle veut, croyez-vous que les ouvriers du tunnel n’en inhaleront pas une seule fibre ? Ajoutons que seulement 13O personnes seront employées durablement pour le fonctionnement de l’infrastructure, à partir de… 2023.
Lors du chantier de l’autoroute de Maurienne, les entreprises de BTP nationales ont sous-traité à des entreprises locales à des prix dérisoires, ce qui a fragilisé ces dernières et entraîné leur rachat par de plus grosses, avec au final des suppressions d’emplois. De même après les JO d’Albertville, l’effet spéculatif sur l’interim et l’immobilier a créé une crise locale. Ce phénomène est en fait classique des grands chantiers de transports, qui à terme fragilisent plus l’économie locale qu’ils ne la dynamisent.
À qui profite le désastre ?
Alstom, Bombardier, Vinci, Vossloh Cogifer, Egis, Faiveley, Systra et quelques autres : tous sont réunis dans la Fédération des Industries Ferroviaires (la « FIF »), qui sert d’instrument de pression sur les gouvernements et les collectivités locales. Leurs objectifs :
Empêcher que l’on fasse le bilan des trente dernières années de TGV, qui mettrait en évidence le décalage entre nos besoins collectifs réels (un réseau TER efficace et bien entretenu) et leur recherche du profit privé. Surtout, éviter que l’on range le TGV dans la série des délires mégalos et néfastes, juste à côté du Concorde.
Construire de nouvelles lignes en Europe pour s’en servir de vitrine commerciale, et gagner des marchés à l’étranger. Car sans les grands chantiers TGV des pays émergents, ces mastodontes seraient voués à disparaître.
Le Lyon-Turin fait partie de ces projets « vitrines ». Il n’est pas vraiment fait pour servir, c’est plutôt une démonstration de force de l’industrie européenne, pour ce qui est de faire rouler l’acier à 300 km/h, et de détruire notre monde.
« La Transalpine », le lobby du Lyon-Turin, rassemble de nombreux groupes bancaires et industriels (Danone, BASF, EDF…), le Medef, le BTP de Savoie … mais aussi le groupe Norbert Dentressangle, l’un des plus gros transporteurs routiers. Parmi les bénéficiaires directs du projet, citons aussi le groupe Eiffage et le tunnelier Razel.
À plus long-terme, ce projet entérine l’industrialisation des espaces naturels, le gaspillage énergétique et la prédominance des marchandises sur les personnes. Il affirme la mise en concurrence des peuples et renie pour toujours la possibilité d’une économie locale et décente.
Le Lyon-Turin n’est qu’une autoroute de plus, même ferroviaire. Une autoroute qui connectera Lyon et Turin au Sillon Alpin, accélérant ainsi la transformation de nos territoires en une ville unique de Genève à Valence.
Nous pensons qu’on ne réduira pas le nombre de poids lourds en encourageant le transport de millions de tonnes de marchandises à travers les Alpes, mais plutôt en re-localisant l’économie. De même, on ne créera pas d’emplois durables dans nos vallées, à coups de grands projets aussi dévastateurs que temporaires.
Pour toutes ces raisons, nous voulons l’abandon pur et simple du Lyon-Turin.
Nous voulons un report modal effectif du camion vers le train, dès maintenant et avec les infrastructures existantes.
Mais surtout, nous voulons en finir avec les transports inutiles de marchandises sur de longues distances, et avec l’obsession de la grande vitesse.
Collectif No Tav-Savoie, décembre 2011
Pour se rencontrer, échanger, partager nos informations et envisager ensemble des perspectives de lutte côté français, nous vous invitons à une :
Réunion publique d’information contre le Lyon-Turin samedi 21 janvier à 17h30 espace Pierre Cot – quai des Allobroges – Chambéry
Pour nous contacter : notav73savoie (arobase) yahoo.com
(*) Liens vers nos sources argumentaires, charte du collectif et actualité de la lutte : http://notav-savoie.over-blog.com
Rébellyon, 11 janvier 2012