[Tunisie] Témoignage d’un français emprisonné sous Ben Ali

Torturé sous Ben Ali, gracié après la révolution tunisienne, un Français raconte

Condamné pendant l’ère Ben Ali sur la base d’aveux extorqués sous la torture, le Français Fabien Neumann, gracié par le nouveau régime, vient de rentrer chez lui après trois ans de prison en Tunisie. Il doit sa liberté au combat acharné de sa mère et à la révolution tunisienne.

Photo d'archives non datée de  Fabien Neumann et de sa mère Martine

Photo d’archives non datée de Fabien Neumann et de sa mère Martine

« Je me sens redevable envers la révolution », dit à l’AFP ce brun de 30 ans, Assis aux côtés de sa mère Martine et de sa soeur au domicile familial, en Rhône-Alpes.

Début février, après le premier anniversaire de la chute de Ben Ali, le président Moncef Marzouki a ordonné par décret la libération de Fabien et de deux autres détenus français condamnés pour trafic de stupéfiants et victimes de sévices, a confirmé le Quai d’Orsay, exprimant « sa satisfaction quant à leur libération ».

« Je veux remercier le président Marzouki et l’ambassadeur (de France) Boris Boillon de m’avoir sorti de prison », insiste Fabien. « J’ai fait une bêtise, c’est clair, mais j’ai payé trop cher », déclare-t-il.

En octobre 2008, cet éducateur jeunesse au casier vierge est arrêté près de Tunis en possession d’une cargaison de haschich. Sa première expérience de « passeur » tourne au cauchemar. Il avoue, mais cela ne suffit pas.

Les douaniers le torturent pendant plusieurs jours. « Ils croyaient que j’étais Algérien », dit-il. « Le premier soir, ils m’ont frappé pendant des heures, ils me disaient +on va tout te faire+, +on va te faire disparaître+. J’ai cru qu’ils allaient me tuer », raconte-t-il. « Ils m’ont électrocuté au genou avec une batterie, ils me frappaient à coups de bâton. Dans la salle d’interrogatoire il y avait du sang sur les murs ».

« A trois heures du matin un Gars est venu les engueuler et les a mis dehors. Il m’a dit de me rhabiller, m’a offert une cigarette. Je me suis dit +c’est terminé+. Mais après dix minutes, il m’a dit: +tu vas dire la vérité+. A lui tout seul il m’a frappé plus que les cinq autres réunis ». « A six heures du matin, la femme de ménage est arrivée, elle m’a craché dessus », se rappelle-t-il.

Alerté le surlendemain, le consulat intervient: les tortures cessent. Mais à l’époque, « les autorités françaises se sont gardées de dénoncer le traitement infligé à leur ressortissant », affirme l’ONG Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat).

Fabien signe des aveux en arabe, y compris sur des faits qu’il n’a pas commis. Il est condamné à 40 ans de prison, puis à dix en appel. Il passera plus de trois années à la prison de Mornaguia, près de Tunis.

« Moi j’ai toujours été bien traité en prison grâce à ma nationalité. Et puis je me suis adapté pour éviter les ennuis ».

Mais les récits de mauvais traitement sont légion parmi les détenus.

« J’ai vu quelqu’un qui avait les genoux percés. Des gamins se font arracher les ongles pour une barrette de shit. La corruption, les tabassages dans les commissariats, c’est normal là-bas. Un détenu qui s’est fait violer, il ne s’en cache pas », assure Fabien. « J’ai failli craquer », avoue-t-il. « Parfois je n’avais pas de parloir pendant deux mois. Mon moteur, c’était ma mère », qui, jusqu’à l’épuisement, frappera à des dizaines de portes pour le faire sortir.

Libre depuis quelques jours, Fabien est pressé de tourner la page, de trouver du travail, « peut-être dans une association d’aide aux détenus ».

« J’étais content de sortir, mais malheureux aussi de laisser derrière moi des gens qui n’ont pas la chance comme moi d’être Français », dit-il. Il pense aussi à la « cinquantaine de binationaux encore derrière les barreaux » pour qui il espère une grâce.

L’avocate tunisienne de Fabien, Radhia Nasraoui, a porté plainte fin 2011 contre ses tortionnaires. « J’aimerais qu’ils fassent une longue peine. Mais même s’ils vont en prison ils n’y resteront pas longtemps, déclare Fabien. Et ces pratiques vont durer encore un moment. Les policiers sont restés les mêmes après Ben Ali ».

AFP, 17 février 2012