Un cahier central dans Libé sur les rencontres anarchistes de Saint-Imier

NdPN : un cahier central dans le Libé de samedi, sur les rencontres internationales de l’anarchisme ayant eu lieu à Saint-Imier (Suisse) :

Libertaires, égalitaires, fraternitaires

En 1872, Saint-Imier accueillait les premiers sympathisants anarchistes.  Pour les 140 ans, le bourg suisse appelait à une remise en ordre des idéaux.  De débats féministes en reprises de Léo Ferré, immersion pour quatre jours  au camping autogéré. 

Saint-Imier, on s’inquiétait un peu : «Y aura-t-il des appels au chaos durant les concerts? » C’est l’une des questions auxquelles les délégués anarchistes ont dû répondre, un brin amusés, lors d’une réunion de préparation à la mairie. Du 8 au 12 août, cette bourgade de 4 800 habitants, située dans le Jura bernois, a vu sa population quasiment doubler en accueillant la Rencontre internationale de l’anarchisme. Tee-shirts griffés du chat hérissé ou du «A» cerclé, drapeaux noirs et rouges arrimés aux bâtiments municipaux, quelques punks à crêtes et à clous, et pas seulement : cet événement inédit pour la grande famille libertaire proposait, ouverts à tous, des débats, des conférences, des ateliers, des spectacles et une éphémère expérience de vie communautaire.

Pour beaucoup assimilé au désordre total, l’anarchisme est avant tout une philosophie politique née au XIXe siècle, qui s’appuie sur des théories et des pratiques antiautoritaires. A la décharge du pékin, cette mouvance se fonde sur la liberté d’association de chaque individu : pas si facile, alors, de s’y retrouver entre les courants de pensée, appartenances et fédérations. Revue des troupes au beau milieu des pâturages helvétiques.

«Pour moi, c’est un système sociétal qui tend vers la perfection, c’est comme une ligne d’horizon sans cesse repoussée», explique Ramón Pino en désignant les cimes des sapins qui dessinent la crête montagneuse au-dessus de Saint-Imier. «Pour y arriver, je suis obligé de me changer : la recherche d’une société égalitaire demande des efforts.» Un idéal, donc, qui rejette les rapports de domination découlant du capitalisme et qui encourage l’autogestion : «L’égalité salariale est difficile à faire admettre à tout le monde, mais un plombier est aussi utile qu’un chirurgien.»

A 65 ans, Ramón Pino fait partie de la vieille garde de la Fédération anarchiste française (FA). «Jeune, j’ai été vacciné par le discours : t’es anar, ça va te passer un jour. Je suis bien content que ça ne soit jamais passé !» Fils de réfugiés politiques espagnols, il est un enfant de l’exil, né à Saint-Denis, en banlieue parisienne, bien loin des Pyrénées. De l’autre côté de cette frontière que son père, Jesus, volontaire dans la colonne Durruti (1), passa à dos d’homme, au tout début de 1939, incapable de marcher à cause des éclats de mortier qui avaient grêlé ses jambes. Petit, Ramón accompagnait le vétéran dans des meetings de soutien aux réfugiés, «où parlait Camus» : «J’ai été étonné, un peu plus tard, en découvrant que tout le monde n’était pas anar en France. Je me suis dit que ça devait être un truc typiquement espagnol.»

Puis, à 16 ou 17 ans, il tombe sur un bouquin de citations de Bakounine. Mikhaïl de son prénom (1814-1876), révolutionnaire d’origine russe et l’un des pères, après le Français Pierre-Joseph Proudhon, du socialisme libertaire. Bakounine est un incontournable de la bibliothèque de l’apprenti anar.

Exclusion de Bakounine

En 1872, la Première Internationale ouvrière – qui porte les idéaux démocratiques et pacifistes nés des Printemps des peuples de 1848 – prend sérieusement l’eau. Début septembre, au congrès de La Haye, Marx fait voter l’exclusion de Bakounine. La rupture entre «autoritaires» et «libertaires» (favorables à l’autonomie des fédérations au sein de l’organisation et qui, par extension, récusent tout rôle de l’Etat, y compris celui d’un Etat ouvrier) est consommée. Bakounine et les siens viennent célébrer leur dissidence dans le Jura suisse, où leurs idées jouissent d’une certaine popularité auprès des petites mains de l’horlogerie. Et c’est à Saint-Imier, les 15 et 16 septembre 1872, que la Première Internationale antiautoritaire tient congrès. Affluent des Espagnols, des Italiens, des Français, des Belges et même des Américains.

Cent quarante ans plus tard, pour fêter cette date clé de «l’institution» anarchiste, les pays d’origine sont plus nombreux encore : Afrique du Sud, Japon, Russie et ex-pays soviétiques, Balkans, UE, Scandinavie, Québec, Etats-Unis et Amérique latine. Ramón Pino fait partie des dizaines de traducteurs bénévoles. Il vient de passer plus d’une heure et demie, casque sur les oreilles, à relayer en français une conférence donnée en espagnol. A peine sorti de son box, Ramón est sollicité pour remettre ça à 20 heures précises, sur Radio Libertaire, la station de la FA, qui retransmet en direct de Saint-Imier. Trois «compañeros» mexicains, la trentaine, vont raconter leur lutte. Durant la pause musicale, Monica précise qu’ils passent à la radio pour la première fois. Impensable, chez eux, que des anars soient interviewés. Le live reprend : l’un des invités dénonce l’appareil répressif, la violence étatique, complice de celle des narcos. Et rappelle que plus de 50% des 112 millions de Mexicains vivent sous le seuil de pauvreté. Le studio a élu domicile à l’Espace noir, lieu alternatif de Saint-Imier, l’un des relais des libertaires suisses et pilier de la rencontre. Au sol gît une encyclopédie de la sexualité, à côté des mallettes de câbles.

Solidarité du poil dressé

Si les différentes organisations anars ont réquisitionné (comprendre «loué», l’abolition effective de la propriété n’étant pas à l’ordre du jour) tous les gîtes de la région pour leurs militants, quoi de mieux qu’un coup de maillet et un toit de toile pour refaire le monde à la cloche de bois. Le bois, justement, premier souci du camping autogéré, planté dans les champs de Mont-Soleil, le hameau qui surplombe Saint-Imier. Ramón a eu vent d’une anicroche : une vieille dame a enguirlandé des jeunes coiffés à l’iroquoise qui passaient, car le fagot devant sa maison avait disparu et il s’agissait du refuge d’un hérisson. Surprise, elle a vu débarquer les présumés coupables branches au bras, pour reconstruire une cabane à la bestiole. Touchante solidarité du poil dressé.

A côté du bar, des tables avec des bancs sont alignées. Il est 11 heures, une poignée de campeurs émergent d’un sommeil pâteux. Beaucoup ont déjà rallié Saint-Imier, entassés dans le funiculaire. Plus de trois cents tentes s’étalent dans l’herbe, encadrées d’allées tracées à la rue-balise pour permettre le passage des pompiers. Des toilettes chimiques ont été posées sur le bitume, et pour les douches, il faut faire fi de sa pudeur : sous des barnums – hommes et femmes séparés -, des pommeaux déversent de l’eau tirée d’une citerne. Du savon biodégradable est proposé en quantité. Pour évacuer les eaux sales, une rigole et un bassin d’épandage ont été creusés à l’arrière. Au bar, un écriteau rappelle, dans un «espanish» tout internationaliste : «Y un poco más de autogestion to manage trash, WC paper and sanitory [Et un peu plus d’autogestion pour s’occuper des poubelles, du papier toilette et des WC].»

Ramón a passé la fin de la matinée à guider les visiteurs dans l’exposition tirée d’un ouvrage paru en 2007, Espagne 1936-1939, les affiches des combattant(e)s de la liberté, qu’il a coordonné avec Wally Rosell, compère de toujours, aussi fils de réfugiés politiques. Dans le petit musée d’histoire de Saint-Imier s’étale un condensé de l’iconographie de la propagande libertaire. Pour beaucoup d’anars, la guerre civile espagnole reste un modèle, telle une racine de l’espoir. «Pendant trois ans, nos idées ont pu être mises en œuvre. Dans certains villages, un système de bons avait été instauré pour supprimer la monnaie capitalisable et gérer en commun le matériel agraire, dit Ramón. Dans plusieurs zones industrielles, ils avaient réussi à limiter l’échelle des salaires à un rapport de trois. Cette réorganisation de la production a parfois été conservée lors de la reprise en main franquiste, car ça fonctionnait mieux qu’avant.»

Y a-t-il une filiation entre ce patrimoine révolutionnaire et le 15-M, le mouvement des Indignés espagnols, l’un des plus vigoureux d’Europe ? «En mai 2011, j’étais en vacances là-bas, j’ai pu discuter avec ces Indignés, à Cadix, Séville et Barcelone. Ils m’ont dit ne pas s’appuyer sur leur passé historique. Soit parce qu’ils l’ignorent, soit parce qu’ils désirent « ratisser large » pour leur mouvement. La plupart sont jeunes – 25-35 ans -, des étudiants ou des demandeurs d’emploi surdiplômés qui auraient dû composer la classe moyenne. Ce mouvement est né alors que le Parti socialiste était au pouvoir, ils ne se font plus d’illusions sur la capacité de la gauche à améliorer leur sort, et affirment haut et fort ne pas être représentés par les centrales syndicales institutionnelles. Mais ils ne vont pas encore jusqu’à vouloir remplacer le système capitaliste par un autre fondé sur l’autogestion, qu’ils pratiquent pourtant volontiers dans leurs structures. D’où les critiques et l’impatience de nombreux libertaires espagnols : le 15-M existe depuis plus d’un an, ça discute, la situation économique va de mal en pis et… ça discute toujours !»

Ateliers cabane en carton  et cocktail Molotov

Si les libertaires sont aussi experts des palabres sans fin, c’est en chantant qu’ils aiment tout particulièrement porter la révolte. Dans le programme de Saint-Imier, entre un atelier de chants anarchistes italiens, un récital Léo Ferré et les classiques concerts amplifiés (du rock et du punk à toutes les sauces), on trouve un spectacle de flûte à bec, proposé par Christian Chandellier, militant et musicien pro : «Parfois, j’ai l’impression de ramer à contre-courant. La place donnée à la musique chez les anars n’est pas claire. L’idée de la concevoir comme un métier, un vrai travail, n’est pas évidente. Il y a souvent un malentendu, peut-être sur le côté élitiste qu’aurait l’artiste.»

Il faut de l’organisation – et du souffle – pour profiter du planning chargé de la rencontre, dont les différents pôles sont disséminés à travers la ville à flanc de montagne. Pour libérer les parents, une garderie recueille les graines de canailles, de 4 à 10 ans et dans cinq langues, chaque après-midi. Les enfants préparent eux-mêmes leur goûter – gâteaux et salades de fruits. Xavier, 9 ans et demi, s’en fiche un peu de l’anarchisme : «On en a parlé hier, mais je ne me rappelle plus trop.» Vendredi, ils étaient une vingtaine, encadrés par des volontaires et quelques parents. Hugues s’est inscrit pour donner un coup de main dimanche, «car les hommes sont plus rares sur ces tâches». Qu’a-t-il prévu ? «Ben, un atelier cocktail Molotov !» Ce sont les petits qui choisissent leurs activités. L’espace «cabane en carton autogérée» marche plutôt bien. «Quand un enfant pose une question, dit Hugues, il faut l’inciter à trouver lui-même la réponse. S’il se trompe, on va le pousser à questionner son apprentissage. On encourage la pédagogie de la découverte, de l’expérience.»

Athéisme et abstentionnisme

En devenant militant, Ramón s’est mis à lire. En France, l’abondante prose anarchiste est facile à trouver. Ce n’est pas le cas dans beaucoup de pays. Le salon du livre de la rencontre a établi ses quartiers à la patinoire de Saint-Imier. Des dizaines de stands alignent ouvrages, tracts et feuilles de choux variés. Celui des éditions Libertaires est tenu par Jean-Marc et Dominique. Depuis dix ans, leur catalogue propose 150 titres. Leurs perles : les Egorgeurs, de Benoist Rey, Ouvrière d’usine, de Sylviane Rosière, Avec le temps, de Suzanne Weber, l’Eloge de la passe, unouvrage collectif. Chez les libertaires, la culture lettrée est traditionnellement autodidacte. Quid des jeunes générations ? Quatre punks suisses, croisés lors d’un concert, sont venus de Lausanne «profiter de ce rassemblement d’idées communes» : «Et c’est l’occasion de changer de la librairie typique.» Ils ont entre 16 et 19 ans, sont étudiants ou apprentis. L’un d’eux est reparti avec Mort aux cons.

«Ni Dieu, ni maître». Quasiment une marque déposée du mouvement anarchiste, qui défend avec autant de ferveur l’athéisme que l’abstentionnisme électoral. Dans les mots d’ordre de Saint-Imier, cette maxime a été remplacée par une élégante variante : «Ni chiens, ni maîtres» – les organisateurs considérant «la présence des animaux à quatre pattes difficilement conciliable avec l’événement». Il a aussi été diffusé, dans les réseaux de sympathisants, un message de dissuasion à destination des potentiels trublions. «On n’est pas dans une logique de contre-sommet», explique Fred, membre du groupe de Besançon à l’initiative de la rencontre. Pas de service d’ordre officiel, mais des «référents sérénité» chargés de garder à l’œil, le soir, les fêtards les plus expansifs.

Les premiers jours, ils auraient raccompagné à la gare, billet offert, des participants dont l’état d’esprit ne semblait pas coller avec celui des réjouissances. Pas question de compromettre une occasion de donner au mouvement un nouveau souffle. «C’est un temps et un espace ouverts à l’anarchisme international», dit Fred, ravi des 4 000 participants venus du monde entier. «La période actuelle est propice, nos idées sont en phase avec l’actualité sociale, internationale.»

Après la visite guidée du musée, Ramón rejoint pour le déjeuner des amis à La Marmite, l’une des cantines végétariennes installées à Saint-Imier. Pour 3 euros, on y sert une copieuse assiette : salade verte, curry de légumes, pois chiches, une lichette de fromage, un bout de pain et une pomme. Depuis quand les anars ont-ils laissé tomber le saucisson ? «Ce sont les punks qui ont introduit le végétarisme, voire le végétalisme, dans le mouvement», estimait plus tôt un campeur.

Certains «crêteux», comme on dit parfois ici, défendent l’antispécisme, qui s’oppose à la domination et à l’exploitation de l’animal par l’homme – donc à son conditionnement en biftecks ou en filets. Bien étrangère au «Mort aux vaches» originel, cette tendance qui fleurit depuis une dizaine d’années laisse sceptiques nombre d’anciens.

Dans certains pays, le revival punk des années 90 a popularisé, en musique, le message libertaire auprès de jeunes ignorant la répression subie par la vieille garde anarchiste. Au Chili, il a accompagné la revendication mapuche et lancé les premiers squats. Au Japon, il a donné naissance à une nouvelle génération de militants : Taku, 29 ans, fait partie des quelques centaines d’anarchistes ouvertement déclarés dans son pays. Il est venu pour donner une conférence : «Radiation et révolution, les manifestations antinucléaires dans le Japon post-Fukushima». Il arrive, raconte-t-il, que des flics en civil fassent le pied de grue devant son immeuble, lorsqu’il rentre de l’infoshop libertaire dont il s’occupe.

Pendant près de quatre ans, Ramón a élevé seul ses deux enfants. Il ne se dit pas féministe – «ça aurait peu de sens» -, mais lorsqu’il entend des mères célibataires témoigner de leurs galères, «ça, oui, je comprends». L’un des temps forts de cette rencontre : les tables rondes anarcha-féministes. «Ni ménagères ni courtisanes !» dit le programme.

Hommes refoulés

Jeudi, il a été décidé que la séance serait non-mixte, car des participantes ne se sont pas senties à l’aise les jours précédents. Emmanuelle, 25 ans, fait partie des «copines» présentes : «De rares brebis égarées [des hommes] ont tenté de franchir la porte et se sont fait jeter. Puis, une copine est venue discuter avec les animatrices : elle est de sexe féminin mais elle s’identifie plutôt au genre masculin. A-t-elle sa place ? Les copains éconduits n’ont malheureusement pas eu le temps d’évoquer leur genre. J’ai été surprise que la pensée libertaire accepte ce type de discrimination. Comment les copains vont-ils pouvoir changer leur comportement s’ils ne peuvent assister aux réflexions ?»

Ce féminisme old school parle peu à Elsa, Elise, Hiyem et Claudia. Elsa «n’a pas théorisé la question» car elle ne s’est jamais sentie victime d’une stigmatisation. Idem pour Claudia, qui se méfie de l’option «antimasculin». Elise, fille de soixante-huitarde, parle d’un «héritage normalisé», qu’elle dépasse en s’attaquant aux problématiques queer. Hiyem se sent un peu larguée : «J’ai conscience d’un fossé culturel. Ma mère est encore une victime consentante du patriarcat. Pour ma sœur et moi, l’émancipation reste une lutte quotidienne. Je mène une double vie sur la manière dont je veux vivre, avoir une sexualité.» A ce sujet, les filles sont unanimes sur l’intérêt d’un documentaire projeté au cinéma de la Dionyversité, dont elles sont responsables pour la rencontre : Vade Retro Spermato, où il est question d’une méthode de contraception masculine non-hormonale à l’intitulé fleuri, le«remonte-couilles toulousain».

«A l’heure du 2.0, je pleure»

Avant d’adhérer à un groupe de la Fédération anarchiste, Hiyem, Elsa, Claudia et Elise se sont rencontrées à l’Amap de Saint-Denis, l’une de ces coopératives étiquetées écolos. Elles incarnent une nouvelle forme de politisation, beaucoup plus immédiate et effective, qui passe par la pratique avant de s’encombrer d’idéologies. Du côté des anarcha-féministes, le pas ne semble pas avoir été franchi : «La réunion a tourné autour de : qu’allons-nous tirer de ces rencontres ? raconte Emmanuelle. Les animatrices ont soutenu l’idée d’une charte et proposé, pour la mise en réseau, de faire passer une feuille pour noter nos adresses mail. A l’heure du 2.0, je pleure.»

Samedi, atelier de résistance non-violente. Réunies dans la salle du dojo de Saint-Imier, une quarantaine de personnes se livrent à des mises en situation. «Je le ferai», «je ne le ferai pas», «violent», «non-violent» : autant de points cardinaux placardés aux quatre coins de la pièce, qui aident à visualiser vite et bien les opinions du groupe. Après les états d’âme, les bleus au corps. L’animateur montre comment la technique du «poids mort pas tout à fait mort» fera perdre du temps aux CRS chargés de l’évacuation de manifestants lors d’une occupation (de champs OGM, du passage d’un convoi de déchets nucléaires, de places boursières).  La tortue, variante collective, consiste à s’arrimer à trois autres personnes et à faire le dos rond quand la charge est donnée. En espérant que les cognes ne viseront pas les yeux ni la bouche, une perfidie fréquente lors des sit-ins.

Malgré les râleurs (les Français étaient nombreux), les antiques chiennes de garde, les mecs qui n’ont jamais aligné deux mots mais ont la solution pour révolutionner les médias (les interdire), les concerts trop chers, les flatulences (pois chiches) et les paranos de la photo… malgré tout, on a le cœur un peu pincé de voir la rencontre tirer à sa fin. Il va falloir quitter l’îlot, revenir au réel. «Je ne me pensais pas anarchiste, dit Emmanuelle. J’ai constaté que des sociétés, des écoles, des commerces fonctionnent selon les idées libertaires, et oui ça va bien, merci.» Pour Ramón, «c’est le genre d’événement qu’on ne voit qu’une fois dans une vie». Ce n’est pas l’avis de certains habitants de Saint-Imier, qui ont demandé à leurs édiles si la manifestation aurait lieu l’an prochain (un 140e anniversaire bis ?), car elle a su apporter une animation positive dans ce coin de montagne. L’utopie pourrait bien devenir contagieuse.

(1) Colonne de combattants anarchistes en Espagne en juillet 1936.

Libération, 15 septembre 2012