NdPN : petite mise au point, contre les académiciens qui critiquent ses résultats, de Gilles-Eric Seralini – le co-auteur d’une étude démontrant la nocivité de l’OGM NK603 et du roundup qui lui est associé, on en avait parlé sur le blog. Bonne nouvelle, il viendra animer une conférence sur le sujet des OGM à l’ESIP (université de Poitiers) mercredi 7 novembre prochain, à 18h.
Comment un OGM, un pesticide et un système peuvent être toxiques
Dans le domaine de la toxicologie alimentaire, Food and Chemical Toxicology est sans aucun doute la revue la plus réputée au monde. Son comité de lecture a étudié quatre mois durant notre étude et pris soin de nous demander des analyses complémentaires avant d’accepter de la publier (Tous cobayes, Flammarion, 256 p., 19,90 euros).
Nos résultats ont montré la nocivité d’une absorption sur le long terme d’un organisme génétiquement modifié (OGM) alimentaire, le maïs NK603, et de l’herbicide qui lui est associé, le Roundup. Il s’agit de la première étude toxicologique menée sur deux ans et fondée sur un tel nombre de paramètres biologiques, d’analyses anatomo-pathologiques, etc. A ce jour, plus de 160 scientifiques du monde entier nous ont apporté leur soutien ou souligné l’originalité de notre travail, dont l’unique statisticien de l’Académie des sciences.
En moins de trois semaines, différentes agences chargées de l’évaluation de ces substances ont nommé des sous-comités qui viennent de discréditer notre recherche. Ainsi peuvent-ils ne pas interdire l’OGM et le pesticide en question…
Néanmoins, il y a un premier pas : l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) appellent à tester dorénavant à long terme ces substances. Ce que quelques autres et moi-même n’avons cessé de réclamer depuis quinze ans. Les citoyens savent désormais que la science « digne » et « bonne », les autorités garantes de leur santé, n’ont jusqu’à présent pas cru bon de devoir l’exiger.
En 2003, ces mêmes comités ont accepté la mise sur le marché par Monsanto dudit maïs NK603 à partir de tests réalisés sur une durée huit fois inférieure à celle de notre étude, sur la même souche de rats (le Sprague Dawley, qui est le mammifère utilisé dans les expériences de ce type) et des groupes d’animaux analysés n’excédant pas dix individus (comme dans notre étude). Que le nombre de paramètres biologiques et d’organes analysés ait été très largement inférieur aux nôtres ne les a nullement empêchés de donner leur feu vert (je siégeais à l’époque à la commission du génie biomoléculaire). C’est du Dr Jekyll et Mr Hyde !
Ces agences reprochent à notre étude une faiblesse statistique, elles qui n’ont jamais exigé des industriels le dixième de ce qu’elles nous intiment de fournir aujourd’hui, elles qui ont même accepté, sans sourciller, des tests sanitaires de quatre-vingt-dix jours ou moins, menés sur des groupes de quatre ou cinq rats, par exemple pour la mise sur le marché de la pomme de terre Amflora (EFSA, 2006) !
Elles ont même parfois donné leur accord sans qu’il y ait eu tests sur des animaux. Elles nous réclament des détails encyclopédiques sans lesquels il leur « serait impossible de conclure à la validité de nos résultats », mais n’ont jamais exigé des industriels la simple transmission publique des analyses de sang dont elles ont pourtant confirmé qu’elles ne révélaient rien. Ce sont elles qui ont entretenu l’omerta des industriels sur les données sanitaires de leurs tests. « Secret industriel oblige », rétorquent-elles.
Surtout lorsqu’on est juge et partie et qu’aucune loi n’empêche les scientifiques ayant des conflits d’intérêt de siéger dans des commissions d’intérêt national ou international… Mais qui s’offusque de ces collusions, de cette absence de transparence préjudiciable à la santé publique, donc aux citoyens ?
La science « digne » et « bonne » ne s’arrête pas en si tordu chemin : l’ensemble des six académies scientifiques – ou plus exactement, d’après témoins, deux personnes par académie et pas en séance plénière… – a rendu un avis sur notre étude. Tout y prête à commentaire, aussi m’arrêterai-je seulement sur trois points.
1. « Il serait particulièrement dangereux d’évoquer une nécessité éventuelle d’expériences à long terme à l’occasion de cet article… ».
On croit cauchemarder en boucle. Ces académiciens qui, en leur temps, ont minimisé les dangers de l’amiante, etc., ne sont même pas capables de préconiser le minimum du minimum, des tests obligatoires de trois petits mois pour la mise sur le marché d’un OGM ; ni d’imposer qu’un pesticide soit testé dans sa formulation commerciale, tel que l’agriculteur ou le jardinier l’utilise (ce que nous avons fait dans notre étude).
Car l’industriel n’a l’obligation de tester à long terme que la molécule active (le glyphosate dans le cas du Roundup). Des adjuvants sont intégrés pour potentialiser l’effet d’un produit chimique ou d’un vaccin, mais cette synergie n’a aucune conséquence sur les organismes vivants… C’est bien connu puisque ce n’est pas testé.
2. Contrairement à ce qu’ils me reprochent, je n’ai pas employé indifféremment les mots « tumeur » et « cancer« dans notre étude : le Roundup s’avère un perturbateur endocrinien, et nous avons constaté qu’il provoquait plus de cancers chez les femelles que chez les mâles.
3. « La mobilisation médiatique savamment orchestrée autour de travaux sans conclusion solide pose un problème éthique majeur. » Vraiment ?
Mais minimiser les effets sanitaires, fermer les yeux sur les lacunes du système d’évaluation et les conflits d’intérêts, soutenir l’omerta industrielle, est-ce éthique et responsable ? Enfin, qui peut penser que nous avons organisé la médiatisation de nos résultats simultanément en Russie et en Inde, pays qui ont pris immédiatement des mesures sur les OGM agricoles, en Chine, aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, au Canada, en Afrique, et j’en passe ?
Des personnes « expertes » sont allées jusqu’à demander, avec une violence exceptionnelle dans notre milieu, à l’éditeur de Food and Chemical Toxicology de retirer notre publication. Certains comprendront pourquoi nous avons choisi de ne pas avertir à l’avance les autorités sanitaires du pays : si nous l’avions fait, c’est l’étude elle-même qui n’aurait pu être conduite jusqu’à son terme. Et il importe plus que jamais que notre étude soit examinée et prolongée, mais par des scientifiques indépendants.
On lit ici ou là que des millions d’animaux et d’Américains mangent des OGM tous les jours depuis des années, sans conséquence aucune : comment proférer une telle contre-vérité ? Outre-Atlantique, les filières ne sont pas séparées, les OGM pas étiquetés, aucune épidémiologie n’est donc possible.
La transparence des données sanitaires, les études de long terme et l’expertise contradictoire sont des nécessités absolues. Nous pouvons contribuer à les mettre en place. L’explosion des maladies chroniques depuis une soixantaine d’années devrait inciter nos responsables politiques à prendre en compte les alertes en matière de santé et d’environnement, et à ne pas cautionner la réfutation précipitée, la mise au pilori organisée.
C’est de conscience et de solidarité que notre société a besoin ; en un mot, de sagesse. Les scientifiques ont le droit de se tromper. Mais ils ont le devoir d’éviter ce qui peut être évitable : la plupart des grands scandales de santé publique le sont. La science que je pratique n’est pas faite pour nourrir l’ogre insatiable de la finance mais pour protéger les êtres humains d’aujourd’hui et de demain.
Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen, Criigen
Vu dans le Monde, 26 octobre 2012