NdPN : cet article est paru dans le Monde Libertaire de cette semaine. Rédigé par le compagnon Juanito qui a rencontré Bruno Loth aux rencontres du neuvième type, un salon de BD qui a eu lieu à Poitiers (aux salons de Blossac) il y a tout juste un mois.
Ermo, une bande dessinée sur la révolution Espagnole de 1936
Parmi les lecteurs et lectrices du Monde Libertaire fans du neuvième art, certain-e-s auront sans doute déjà croisé Bruno Loth lors d’un festival de BD… et connaissent peut-être Ermo, qui en est aujourd’hui à son 6ème épisode intitulé Mort à Madrid. Depuis six ans et chaque année, Bruno Loth réalise un tome de cette BD évoquant la guerre d’Espagne. Elle circule de festival en festival, très peu dans les rayons des libraires et pour cause : c’est sa propre« maisonnette d’édition » qui la produit sans distributeur ni diffuseur, un abri de jardin d’édition au nom évocateur de « Libre d’images ». Pour ma part, j’ai récemment rencontré Bruno à Poitiers, où j’ai découvert son oeuvre.
Avec le tome 1, nous découvrons les personnages, dont Ermo, un jeune garçon qui part du sud de l’Espagne avec un petit cirque et le magicien Sidi. L’histoire débute quelques jours avant le déclenchement de la guerre civile : la phalange et les militaires s’organisent pour se débarrasser des syndicalistes du port… A partir du tome 2, Ermo se retrouve dans le sillage de la colonne Durruti, de Barcelone à Saragosse. Le lecteur vit avec lui le quotidien des anarchistes catalans et aragonais de 1936. La libération du joug de l’Eglise et de l’armée, la collectivisation des usines et des terres et le communisme libertaire sont abordés, ainsi que l’émancipation des femmes à travers le mouvement « Mujeres Libres ». On voit aussi les Staliniens tirer les ficelles pour anéantir les réalisations libertaires en Espagne ; les communistes ibériques sont eux-mêmes manipulés par les services secrets soviétiques. C’est enfin le départ de Buenaventura Durruti et sa colonne pour Madrid, où il trouvera la mort le 20 novembre 1936.
Si la part d’histoire est scrupuleusement retranscrite, ce n’est pas tant une BD historique que le roman touchant de la vie quotidienne d’une troupe de cirque et peu à peu, de l’engagement personnel des protagonistes. On s’identifie très vite à Ermo, cet enfant naïf et plein d’espoir, perdu dans la guerre, qui selon l’auteur lui-même pourrait bien « symboliser le peuple espagnol de l’époque ».Le dernier tome montre son errance mentale, son désarroi face à la folie incompréhensible des adultes. C’est aussi une BD de fort caractère graphique, aux couleurs noires et rouges comme le drapeau communiste libertaire. Au style particulier et attachant, tour à tour tendre et triste. Elle commence comme une simple fable pour enfants et tourne au polar politique très documenté. On ressent tome après tome la volonté de l’auteur de rétablir et d’honorer la mémoire oubliée des anarchistes en Espagne. Sans flonflons ni trompettes, juste avec délicatesse et humanité (1).
Sur la révolution libertaire espagnole
Elle fut largement inspirée par la pensée de Bakounine, au sein de la CNT-FAI qui en 1936 était le syndicat qui regroupait le plus de militants, un million et demi. Ce sont donc les anarchistes, les plus nombreux dans la rue, qui s’opposent aux militaires et font capoter le coup d’état fasciste. L’élan du peuple et la révolution sociale seront stoppés par la militarisation fin 1936 début 1937, et par l’acharnement de Staline contre les avancées des anarchistes. Le parti communiste ibérique, assez petit au début de la guerre, grossit rapidement. Lister, commandant communiste, sera envoyé en Aragon pour détruire les collectivités paysannes et rendre les terres aux anciens propriétaires. Cette contre-révolution signera la mort du camp républicain qui, à partir de ce moment, n’ira que de défaite en défaite. Pour être juste, il faut aussi attribuer une part de responsabilité aux dirigeants anarchistes qui ont accepté quatre postes de ministres au sein du gouvernement de Madrid, ce qui divisa leur base. Contre les communistes (et les ministres CNT), et comme d’autres militants anarchistes, Durruti avait la certitude que le peuple en lutte aurait pu venir à bout d’une armée de mercenaires. Mais sa colonne souffre du manque d’armes et de munitions, dont le gouvernement républicain prive les combattants anarchistes, malgré leurs premiers succès. Durruti pensait que la libération de Saragosse aurait coupé l’armée franquiste en deux et souhaitait y concentrer toutes ses forces. Un conseiller militaire l’en empêcha. Il avait également envisagé un soulèvement au Portugal des masses ouvrières, qui aurait privé les fascistes d’une base arrière. Enfin, il était pour retourner les forces des Marocains engagés dans la croisade catholique par Franco, en proclamant l’indépendance du Maroc. Mais le gouvernement républicain veut l’éloigner du front d’Aragon, et l’envoie dans Madrid assiégée par les franquistes. Sa mort mystérieuse à Madrid est un acte de plus dans la tragédie espagnole.
Juanito, Pavillon Noir (FA 86)
(1) Du même auteur, on découvrira avec émotion l’histoire de son père Jacques, à travers les albums Apprenti(2010) et sa suite, Ouvrier(2012). Pour plus de renseignement , voir le site de l’auteur,www.libredimages.fr