La fête de l’amer

La fête des mères tire son origine de la célébration locale de mères… de familles nombreuses. Les femmes ne sont ainsi valorisées que lorsqu’elles sont moulées dans une relation de soumission, en l’occurrence celle de la famille patriarcale. Elles ne sont célébrées que lorsqu’elles enfantent pour l’Eglise, puis pour la patrie et enfin, pour la reproduction de la force de travail.

Cette fête est reprise de façon institutionnelle en 1941 pour célébrer toutes les mères, par le régime fascisant de Pétain, dans le but déclaré de refonder la France sur la valeur patriarcale de la famille catholique. Il s’agit explicitement de promouvoir, globalement, le repeuplement de la France, en imposant à toutes les femmes de se mouler dans un rôle imposé de gestation et d’éducation des enfants. Le secrétaire d’État à la famille et à la santé de Pétain, Jacques Chevalier, présente « la mère » comme « pilier » de la famille. Il associe aussi « la femme » au sacrifice et au monde des émotions (et non à celui de la domination et de l’intellect, réservé aux hommes). Elles sont assignées à s’occuper de toutes les tâches domestiques de la sphère privée, non valorisées par le capitalisme. Les hommes sont quant à eux voués à la sphère publique, c’est-à-dire au monde du travail salarié.

On mesure ici bien, à travers cet exemple, l’intrication du système patriarcal et du système capitaliste, et aussi combien l’Etat a pu jouer un rôle important dans la perpétuation du système patriarcal, en attribuant aux femmes des caractéristiques bien particulières et un rôle bien précis. Diffusant ainsi dans toute la société la normalisation de la division entre dominées et dominateurs, et donc celle de la domination et de la soumission. Nous pourrions aussi citer la régression terrible du Code Civil napoléonien en la matière, ou encore le maintien de lois discriminatoires (jusqu’en 1966, les femmes doivent avoir l’autorisation de leur époux pour travailler). Si le patriarcat est sans aucun doute la domination sociale la plus ancienne de l’histoire de l’humanité, le capitalisme et l’Etat ont eu intérêt à la perpétuer.

Bien loin de supprimer cette fête après le retour de la république, les gouvernements suivants la reprennent. En 1950, son organisation est confiée au ministère de la Santé, ce qui n’est pas un hasard eu égard à l’évolution des formes du biopouvoir, c’est-à-dire le contrôle des corps sous les prétextes de la sécurité et de l’hygiène. Le fait que la norme de « la mère » soit encore implicitement imposée aux femmes à travers cette fête, aujourd’hui en 2013, et que sa célébration soit encore martelée à tou-te-s, jusqu’aux enfants dès l’âge de la maternelle par les traditionnels cadeaux bien sexistes (objets de beauté ou domestiques), à fabriquer en classe, montre amplement – si besoin était encore – combien le patriarcat demeure au fondement, aussi bien historique que structurel, de toutes les autres dominations sociales.

Or ce jour de fête instituée par un fascisant notoire est le jour qu’ont choisi pour manifester les homophobes contre l’égalité des droits. Rassemblant dans leurs rangs tou-te-s les partisan-e-s des idéologies les plus liberticides (droite, extrême-droite, groupes fascistes, catholiques intégristes…). Ce n’est pas un hasard : de la même façon que ces manifestant-e-s considèrent que l’homosexualité n’est pas « naturelle », ils (en bleu) et elles (en rose) prônent une vision discriminatoire, sexiste et genrée, avec des rôles prétendument « naturels » qui seraient attribués aux femmes et aux hommes… promouvant les valeurs patriarcales de la famille nucléaire homme-femme-enfants. Alors même qu’on sait bien aujourd’hui que les notions de sexe et de genre, de même que les jugements de valeur sur la sexualité, ou encore l’éducation, sont des constructions éminemment sociales.

Ces manifestant-e-s ne sont que les idiots utiles d’un système global de domination sociale.

Une pub de l'Oréal
Une pub de l’Oréal

Juanito, Pavillon Noir, 26 mai 2013

Mise à jour (28/05) : à l’occasion de cette journée, le maire de Poitiers a remis des « médailles de la famille française » à quatre mères, ainsi qu’un bouquet de fleurs. Ces femmes ont respectivement cinq, cinq, sept et onze enfants… le choix des mères a été fait par la préfecture et l’une d’elles devrait être félicitée par François Hollande à l’Elysée. Le patriarcat a encore de beaux jours devant lui…