À Exarhia, les anarchistes perpétuent la tradition contestataire de leur quartier

Les médias bourgeois n’ont pas l’habitude de relayer des interviews d’anarchistes, les anarchistes évitant d’ailleurs le plus souvent de leur adresser la parole. C’est pourquoi nous relayons cet article qui pour une fois, n’est pas à charge :

À Exarhia, les anarchistes perpétuent la tradition contestataire de leur quartier

Pointés du doigt au lendemain des violences qui ont éclaté le 12 février à Athènes, les anarchistes grecs se défendent de n’être « que des casseurs ». Rencontre avec un jeune militant au cœur d’Exarhia, quartier d’Athènes réputé frondeur.

À Exarhia, les anarchistes perpétuent la tradition contestataire de leur quartier
 

« Que cela soit clair, je ne représente aucun mouvement. Ce que je vais vous dire n’est que mon opinion personnelle, je ne suis leader ou porte-parole de personne », prévient d’emblée Nikólaos, ses yeux noirs plantés dans ceux de son interlocuteur. Une introduction dans la droite lignée des idées qu’il défend, « Ni dieu, ni maître ». Ce militant anarchiste de 36 ans accepte difficilement de parler à un journaliste. S’il le fait, c’est pour, dit-il, que les gens à l’étranger comprennent que les anarchistes grecs « ne sont pas que des casseurs ». Le rendez-vous a été fixé à Radio-Bubble dans le quartier d’Exarhia, à Athènes. Un lieu hors du commun : mi-café mi-studio d’une radio citoyenne. « Nous ne sommes plus uniquement dans une guerre sociale, soutient l’homme. Nous sommes aussi dans une guerre médiatique. »

 
Radio-Bubble, mi-café, mi-studio de radio.

Au lendemain du 12 février, où de violentes émeutes ont éclaté dans le centre de la capitale grecque, les médias et le monde politique s’étaient empressés de pointer du doigt les militants anarchistes et d’extrême gauche. Le même scénario s’était produit en 2008, lorsque jeunes et forces de l’ordre s’étaient affrontés plusieurs jours de suite après la mort d’un adolescent, tué par la police dans une rue d’Athènes. « La différence majeure avec 2008, c’est que dimanche [12 février], sur la place Syntagma, les gens nous ont applaudis, affirme Nikólaos. Les travailleurs, les gens de la classe moyenne, jeunes, vieux, étudiants… Nous étions tous au même endroit pour lutter contre les mêmes choses. » Si, selon lui, la protestation a dégénéré, c’est parce qu’en face les forces de l’ordre ont dégainé matraques et gaz lacrymogènes sans raison contre des manifestants pacifiques.

« Face à la violence de l’État, il faut savoir se défendre »

Nombreux sont les témoignages d’Athéniens, de tous les bords politiques, qui corroborent les dires du militant. « Beaucoup de Grecs prennent en ce moment conscience des manipulations policières et médiatiques : le but de la manœuvre était de vider la place Syntagma. Ce soir du 12 février, des images très calmes du Parlement ont été diffusées au journal télévisé, alors que des dizaines de milliers de personnes manifestaient juste à côté et suffoquaient sous les gaz lacrymogènes », poursuit Nikólaos en touillant rageusement son café.

« Face à la violence de l’État, il faut savoir se défendre », lâche-t-il. Si les théories anarchistes rejettent toute idée de violence, dans les faits, les choses se passent autrement. « Quand on n’a plus le choix face à un État violent, il faut réagir, insiste le jeune homme. La violence, pour moi, commence quand on a les poches vides et qu’on n’a plus rien à manger. Le capitalisme est une violence quotidienne. » Lors des affrontements du 12 février, les militants ont essentiellement pris pour cible des banques, des multinationales et des magasins de luxe. « Mais on ne souhaite pas le chaos, la violence n’est pas une fin en soi, précise le militant. C’est un outil. La seule réponse à tout cela, c’est l’auto-gestion et la démocratie directe. » En résumé, pas d’État, pas de gouvernement, toutes les décisions concernant la communauté devraient être prises collectivement, en assemblée.

Exarhia, vitrine de l’anarchisme grec

 
 

 De l’idéologie à la pratique, il n’y a qu’un pas, que le quartier d’Exarhia a allègrement franchi il y a près de 40 ans. On n’y compte plus le nombre de soupes populaires organisées, d’immeubles et de lieux publics occupés, de squats, de lieux de débats… Impossible de dissocier l’anarchisme grec de ce quartier, et inversement. C’est là, dans les années 1970, que se sont concentrées les révoltes étudiantes contre la dictature des colonels. Depuis, la tradition contestataire d’Exarhia ne s’est jamais démentie. C’est toujours dans ces petites rues aux murs couverts de graffitis et d’affiches anarchistes que prennent aujourd’hui racine les contestations contre le gouvernement grec.

« Je pense que ce qu’on voit dans ce quartier est un phénomène unique sur la planète, estime Nikólaos. À un kilomètre du Parlement et des institutions financières du pays, on y cible toutes les défaillances du système et on y expérimente des alternatives. » Avec un succès populaire grandissant. L’année dernière, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont afflué au festival anti-autoritaire organisé dans le Nosotros, un immense squat à la fois café, centre culturel et assemblée populaire. Des anarchistes arrivent régulièrement de toute l’Europe pour s’imprégner de l’expérience grecque et tenter d’exporter dans leur pays le modèle d’Exarhia. Ypopto Mousi, animateur d’un journal-citoyen à OmniaTV, télévision en ligne, alter ego de Radio-Bubble, et observateur averti du milieu libertaire estime à plus de 10 000 le nombre de militants anarchistes à Athènes. Ces dernières années, il a vu affluer vers ces mouvements des gens d’horizons bien plus divers qu’auparavant. « Dans la société, assure-t-il, beaucoup de gens sont des anarchistes qui s’ignorent. » 

 
Dans le quartier d’Exarhia, les anarchistes ont investi un parking et l’ont transformé en square. (Crédit : Gaëlle Le Roux/FRANCE 24)
 
France 24, Gaëlle Le Roux, 20 février 2012

 

[Yémen] Répression électorale

Yémen: Saleh appelle à voter pour son successeur, 2 morts dans des violences

Le président yéménite Ali Abdallah Saleh a appelé lundi ses concitoyens à aller voter mardi pour son successeur désigné, le vice-président, alors que des heurts entre forces de l’ordre et manifestants lors de rassemblements contre la consultation ont fait deux morts.

« Je vous appelle à participer à ce rendez-vous démocratique et à voter pour Abd Rabbo Mansour Hadi (…) pour mettre en oeuvre l’accord sur une transition Pacifique à la tête de l’Etat et sortir notre pays et notre peuple d’une crise grave qui dure depuis un an », a-t-il déclaré, cité par l’agence officielle Saba.

M. Saleh se trouve aux Etats-Unis pour des soins médicaux après avoir accepté un accord élaboré par les monarchies arabes du Golfe, prévoyant son départ contre l’immunité pour sa personne et pour ses proches.

Dans son adresse publiée par Saba, M. Saleh, qui a passé 33 ans au pouvoir, a aussi invité les Yéménites à la « concorde qui suppose d’oublier le passé et de rebâtir ce qui a été détruit par la crise provoquée par les forces rétrogrades, terroristes et séparatistes ».

M. Hadi est le seul candidat à la présidentielle, en vertu de l’accord signé en novembre par M. Saleh après dix mois de manifestations populaires et sous une intense pression internationale.

Si le résultat du scrutin est connu d’avance, le taux de participation donnera une idée de l’appui populaire au successeur de M. Saleh.

Le futur président a tendu la main aux autonomistes sudistes et à la rébellion nordiste qui boycottent son élection sur fond de violences.

Il a promis dimanche d’accorder la priorité au Nord et au Sud et de tenter de résoudre ces conflits « sans préjugés ». Il s’est également engagé à réunifier l’armée et à combattre Al-Qaïda qui n’a cessé de se renforcer dans l’Est et le Sud.

Malgré une forte mobilisation des forces de sécurité pour assurer le bon déroulement du scrutin, un soldat et un civil ont étés tués lors de manifestations hostiles à la présidentielle.

A Seyoun, dans l’Est, un manifestant a été tué par les tirs de soldats gardant un bureau de vote lors d’une marche organisée à l’appel du Mouvement sudiste qui a appelé au boycottage du scrutin, a indiqué une source de sécurité.

Près de Daleh (sud), fief du Mouvement sudiste, des affrontements entre l’armée et manifestants ont fait un mort, un militaire, selon une source militaire.

L’aile dure du Mouvement sudiste de l’ancien vice-président Ali Salem al-Baid, qui vit en exil, a appelé à perturber le scrutin et à « la désobéissance civile » mardi dans le Sud, un Etat indépendant jusqu’en 1990.

A Aden, principale ville du Sud, un accrochage a opposé les forces de l’ordre à des hommes armés, et la police a procédé à des arrestations parmi les militants sudistes armés qui « cherchent à empêcher, par la force, les électeurs d’aller voter », selon un responsable des services de sécurité.

Ailleurs dans le Sud, des manifestants ont attaqué des bureaux de vote et il a fallu parfois acheminer par avion du matériel électoral.

Selon le président de la Commission électorale, Yahya Mohammad al-Iriani, 103.000 militaires ont été mobilisés pour assurer la sécurité du scrutin.

Plus de 12 millions de Yéménites devraient se rendre aux urnes, a-t-il indiqué.

Outre l’activisme des autonomistes sudistes, les violences liées à Al-Qaïda pèsent sur la déroulement du scrutin dans le Sud et l’Est.

A Zinjibar, capitale de la province sudiste d’Abyane, une attaque de membres présumés d’Al-Qaïda a fait deux morts parmi les soldats qui tentent depuis des mois de les déloger de la ville, ont indiqué des sources militaire et médicale.

A Loder, deux frères appartenant à des milices tribales hostiles à Al-Qaïda ont été tués dans une embuscade tendue par des éléments présumés du réseau.

AFP, 20 février 2012

Mise à jour : et quatre morts ce mardi 21 février 2012…

[Espagne] Répression butale d’une manifestation étudiante à Valence

Espagne: incidents lors d’une manifestation de jeunes à Valence

Des incidents ont éclaté lundi à Valence, dans l’est de l’Espagne, où la police est intervenue à coups de matraques lors d’une manifestation de jeunes qui protestaient contre les restrictions budgétaires dans l’éducation, selon des Journalistes sur place.

Plusieurs personnes ont été interpellées lorsque les policiers en tenue anti-émeutes, casqués, ont repoussé les manifestants, parfois très brutalement, les poursuivant dans les rues voisines.

Plusieurs centaines de jeunes, répondant à des appels lancés sur des réseaux sociaux, s’étaient rassemblés devant l’institut Lluis Vives, un collège de la ville, pour protester contre les problèmes de liquidités qui ont privé de chauffage ces dernières semaines plusieurs écoles de la région, le gouvernement régional n’ayant pas réglé les factures auprès des fournisseurs.

Les premiers incidents ont éclaté dans l’après-midi entre les manifestants et les policiers qui protégeaient les lieux.

Puis les heurts se sont propagés aux rues alentour, les policiers faisant usage de leurs matraques, certains manifestants étant plaqués ou traînés au sol.

Selon le quotidien El Pais, la police a fait usage de balles en caoutchouc. Des photos montraient des manifestants le visage en sang. Les heurts se sont poursuivis une partie de la soirée dans les rues du centre de Valence, où étaient positionnées des dizaines de fourgons de police.

Le chef de la police régionale, Antonio Moreno, a affirmé que la police avait eu recours à une « force physique proportionnée ». « Une agressivité accrue exige une réponse proportionnée », a-t-il ajouté à la radio nationale.

Un porte-parole de la police a expliqué que les forces de l’ordre étaient intervenues parce que des manifestants « ont eu une attitude agressive ».

« Il y a eu des arrestations, nous ne savons pas encore combien », a-t-il ajouté tandis que les médias chiffraient le nombre de personnes arrêtées entre 14 et 21.

De fréquentes manifestations sont organisées depuis quelques semaines à Valence, la région la plus endettée d’Espagne, où les autorités ont annoncé début janvier un plan de rigueur incluant des augmentations d’impôts et des coupes dans les dépenses de santé et dans le secteur de l’éducation pour un montant de plus d’un milliard d’euros.

Des incidents ont déjà opposé policiers et jeunes manifestants la semaine dernière dans la ville.

Lundi, l’opposition socialiste a demandé au ministre espagnol de l’Intérieur, Jorge Fernandez Diaz, et au chef de la police de s’expliquer devant le Parlement sur ce qu’elle a qualifié de « répression brutale » de ces manifestations.

AFP, 20 février 2012

Des photos chopées sur le site d’El Pais :

 

Sur le « mécanisme européen de stabilité »

Pourquoi le « mécanisme européen de stabilité » est une aberration

Extrêmement risqué du point de vue financier, destructeur sur le plan social, et antidémocratique, le mécanisme européen de stabilité symbolisera-t-il le suicide de l’Europe et la fin d’un demi-siècle de patiente construction et de progrès social ? Explications.

Le 21 février, l’Assemblée nationale se prononcera sur le « Mécanisme européen de stabilité » (MES). Voulu par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, ce complexe traité instaure une sorte de FMI européen. Il aura « pour but de mobiliser des ressources financières et de fournir, sous une stricte conditionnalité (…), un soutien à la stabilité à ses membres qui connaissent ou risquent de connaître de graves problèmes de financement ». En clair, le MES devrait être en mesure d’avancer des fonds aux États de la zone euro qui rencontreraient des difficultés pour emprunter directement auprès des marchés financiers. Les 17 États membres l’ont signé le 2 février. Reste à le ratifier… Cela se fera-t-il dans l’indifférence générale ? Si le traité est combattu par le Front de gauche, le PS hésite à s’y opposer vraiment. Europe écologie-Les Verts (EELV) demeure pour le moment discret sur le sujet mais semble s’apprêter à voter contre [1].

Le MES en tant que tel n’est pas un traité, mais une société financière, basée au Luxembourg, dont les actionnaires sont les 17 États de la zone euro. Le capital est fixé à 700 milliards d’euros. Plus un pays est fort économiquement, plus il est obligé de souscrire un nombre important d’actions [2]. Les deux plus gros « actionnaires » sont ainsi l’Allemagne (à 27 %) et la France (20,5 %), suivis par l’Italie (18 %), l’Espagne (12 %) puis les Pays-Bas (5,5 %). Les 12 autres actionnaires possèdent entre 3,5 % (Belgique) et 0,07 % (Malte) du capital. Question préalable : la France devra-t-elle donc débourser 142,7 milliards d’euros pour honorer ses engagements auprès du MES ? Pas en un seul chèque. Le capital de chaque pays doit être mis à disposition dans les cinq ans, par tranche de 20 % par an (soit 28,5 milliards par an dans le cas français, 38 milliards dans le cas allemand). Cependant, en cas de difficultés, les dirigeants du MES peuvent accélérer le versement de ce capital [3]. Dans ce cas, les pays membres devront s’acquitter de la somme demandée dans les sept jours.

Un mécanisme fragilisé par la pression des marchés

Disposant donc de 700 milliards garantis par les États membres, le MES pourra racheter une partie de la dette d’un État en difficulté – des obligations grecques, par exemple – sur les marchés. Mais au rythme où vont les choses, les 700 milliards risquent vite de s’épuiser. Comme avec son éphémère prédécesseur, le Fonds européen de stabilité financière (FESF), les concepteurs du MES espèrent donc jouer sur l’effet levier pour augmenter sa « force de frappe » : lever des fonds auprès des marchés financiers pour accroître ses propres capacités de prêt. Le MES est ainsi « habilité à emprunter sur les marchés de capitaux auprès des banques, des institutions financières ou d’autres personnes ou institutions afin de réaliser son but » (article 21).

Leur pari : que le MES soit en mesure d’emprunter à des taux assez bas (entre 2 % et 3,5 % sur trente ans s’il dispose du triple A) pour en faire bénéficier, moyennant une commission, des États qui, s’ils s’adressaient directement aux marchés, seraient soumis à des taux très élevés à cause de leur note dégradée (23 % pour la Grèce, mi-février, 10 % pour le Portugal, 6 % pour l’Espagne et l’Italie…). En recourant à cet effet levier, le MES pourrait ainsi emprunter trois à quatre fois son capital, soit entre 2 000 et 3 000 milliards d’euros. En théorie.

Une dépendance totale à l’égard des agences de notation

Car cette belle mécanique néolibérale risque de se détraquer. Emprunter à des taux bas implique que le MES soit bien noté par les agences de notation. Or, parmi ses principales garanties, seuls l’Allemagne et les Pays-Bas conservent, pour l’instant, leur triple A auprès des trois agences de notation. Ces deux pays ne représentent que 32,5 % du capital du MES. Les trois pays actuellement en grande difficulté – Grèce, Portugal, Irlande – pèsent à peine 7 %. Que se passera-t-il si cet équilibre se rompt ? Si des pays plus importants, déjà dégradés par les agences de notation, continuent d’être déstabilisés ? « Les véritables garants sont ceux qui peuvent y mettre de l’argent. Si les agences de notation dégradent tout le monde, la situation devient impossible », prévient l’économiste Michel Aglietta, du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii).

L’Espagne et l’Italie, qui risquent de perdre leur A, constituent 30 % du capital du MES. La France, elle, est à la croisée des chemins. Ne demandez pas à un investisseur de prêter à une entreprise dont la majorité des actionnaires sont considérés comme étant en difficulté ! Le MES, déjà engagé pour renflouer la Grèce, le Portugal et l’Irlande [4], sera-t-il en mesure de se porter au secours de l’Espagne puis de l’Italie, voire de la France si ces pays sont attaqués ? Les besoins de financement dépasseront largement ses capacités. Et ne pouvant faire appel à la contribution des pays déstabilisés, ne reposant que sur les garanties de l’Allemagne et d’une France fragilisée, les taux d’intérêt des titres financiers émis par le MES risqueront de grimper, et sa dette de gonfler. C’est tout ce château de liquidités qui menacera de s’effondrer.

La généralisation de la potion grecque

Mais revenons au mécanisme lui-même : qui prend les décisions ? Le MES est doté d’un « conseil des gouverneurs », composé par les ministres des Finances de chaque pays membre, François Baroin aujourd’hui, dans le cas de la France. Ce sont les gouverneurs qui décident notamment de répondre ou non à la demande de soutien d’un État membre et de lever des fonds pour le faire. Ils nomment le directeur général, qui assure la plupart des affaires courantes en lien avec le conseil d’administration, composé de 17 administrateurs nommés par chaque gouverneur. La plupart des décisions se prennent soit à la majorité simple, soit à la majorité qualifiée (80 % des voix). Mais attention, nous sommes dans une entreprise et non en démocratie : chaque gouverneur dispose d’un nombre de voix équivalent au nombre d’actions que son pays possède. L’Allemagne détient ainsi 27 % des voix et la France 20,5 %. Soit, à eux deux, 47,5 % des votes. À aucun moment l’avis du Parlement européen ou des parlements nationaux n’intervient. Ce qui fait du MES une superstructure encore moins démocratique que la Banque européenne d’investissement (BEI), dont une éventuelle modification de statuts nécessite la consultation du Parlement européen [5].

Autre point très sensible : les « strictes » conditions auxquelles sera octroyée « l’assistance financière » à un État en difficulté. Sur ce point, ce n’est même plus le MES qui s’en charge, mais la « troïka », c’est-à-dire la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) mandaté par le conseil des gouverneurs [6]. Trois organes sur lesquels les élus et les citoyens n’ont aucun contrôle ! Ce qui se passe en Grèce ou au Portugal nous livre un petit aperçu du type de conditions qui seront fixées : privatisations massives, réduction de salaires du public comme du privé, diminution du Smic, remise en cause profonde du droit du travail et des systèmes de protection sociale, augmentation de la TVA… [7]

Une structure antidémocratique

La troïka sera chargée de « veiller au respect » de ces plans d’austérité. Ils ne pourront en aucun cas être contestés ou amendés, comme le montre là encore le laboratoire grec. Face à la révolte sociale qui s’y exprime et à la perspective d’un passage à gauche de la Grèce (les trois partis de gauche qui ont refusé le plan d’austérité totalisent désormais 42 % des intentions de vote), « il ne peut y avoir d’amendement au programme et il n’y en aura pas », a déclaré Angela Merckel, le 13 février. Voter ne servirait donc plus à rien ? L’aide financière à un État sera également soumise au Traité sur le fonctionnement de l’UE, qui prévoit notamment de graver dans le marbre la « règle d’or » : l’interdiction de tout endettement, donc la fin de tout investissement public sur le long terme. En ces temps de nécessaire transition énergétique et écologique, l’Europe se coupe un bras.

Impossible donc d’interroger l’efficacité des « protocoles d’accord » (les plans d’austérité) mis en œuvre depuis deux ans et de les modifier. Pourtant, ils se révèlent totalement inefficaces. « Les plans d’austérité sont faits pour payer les intérêts de la dette qui montent. Mais austérité signifie moins de croissance, donc moins de recettes et une hausse des dépenses liées au chômage. À mesure que les États renouvellent leurs obligations sur les marchés pour se financer, les taux d’intérêts continuent de s’alourdir. Au lieu de le baisser, la Grèce a accru son déficit à cause de la charge de la dette », explique l’économiste Michel Aglietta. Au Portugal, le chômage explose : 35,4 % des moins de 24 ans sont sans emploi.

Progrès nulle part, austérité partout

En dix ans, l’Espagne a remboursé trois fois ce qu’elle avait emprunté en 2000 (voir notre article ici). Et doit encore près du double ! En France, 60 % du déficit budgétaire (78,7 milliards prévus en 2012) correspondent au remboursement des intérêts de la dette (46,8 milliards d’euros). « À chaque fois que l’on durcit un plan d’austérité, on amplifie la récession », commente Michel Fried, économiste du Laboratoire social d’action, d’innovation, de réflexion et d’échanges (Lasaire). « 50 % à 60 % des exportations des économies européennes sont destinées à l’exportation au sein de la zone euro. Si tous ces pays appliquent l’austérité en même temps… » Qu’importe ! Continuons de sombrer dans ce cercle vicieux en interdisant même aux démocraties de corriger leurs erreurs, si tant est qu’elles s’en aperçoivent.

Last but not least : le MES et ses dirigeants agiront dans l’impunité totale : « Le président du conseil des gouverneurs, les gouverneurs, les gouverneurs suppléants, les administrateurs, les administrateurs suppléants ainsi que le directeur général et les autres agents du MES ne peuvent faire l’objet de poursuites à raison des actes accomplis dans l’exercice officiel de leurs fonctions et bénéficient de l’inviolabilité de leurs papiers et documents officiels », stipule l’article 35 (immunité des personnes) [8]. Seul le directeur général peut lever l’immunité d’un employé du MES. Et seul le conseil des gouverneurs peut faire de même pour les gouverneurs et les administrateurs. En clair : le linge sale sera lavé en famille et en toute discrétion. En cas de litige entre le MES et l’un de ses États membres, ce sera la Cour de justice européenne qui tranchera. C’est la seule occasion où une institution extérieure peut intervenir sur ce qui s’y déroule.

Antidémocratique, jouant le jeu des marchés et de la spéculation financière, portant en germes la destruction du modèle social européen, le « Mécanisme européen de stabilité » trahit définitivement l’idéal sur lequel s’est bâtie l’Union. Les prêts accordés sous la pression de marchés dérégulés ne serviront donc plus à construire ou solidifier socialement et économiquement un pays, mais à détruire tout ce qui a été accompli. Les députés français choisiront-ils cette voie suicidaire ?

Ivan du Roy

Photos : CC en une (source) et dans l’article (source)

Voir les statuts du MES (en français)

Notes

[1] Lire la précision d’une militante dans le forum ci-dessous. Le positionnement semble faire débat chez EELV.

[2] Chaque pays y participe en proportion de son revenu national et de son poids au sein de la Banque centrale européenne (article 42).

[3] Les fonds directement à disposition du MES ne doivent jamais passer sous la barre des 80 milliards d’euros (Article 8.2).

[4] Via le FESF, intégré au sein du MES.

[5] « En vertu de l’article 308, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le Conseil, statuant à l’unanimité conformément à une procédure législative spéciale, à la demande de la Banque européenne d’investissement et après consultation du Parlement européen et de la Commission, ou sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et de la Banque européenne d’investissement, peut modifier les statuts de la Banque. »

[6] Article 13.3 : « Le conseil des gouverneurs charge la Commission européenne – en liaison avec la BCE et, lorsque cela est possible, conjointement avec le FMI – de négocier avec le membre du MES concerné un protocole d’accord définissant précisément la conditionnalité dont est assortie cette facilité d’assistance financière.

[7] Tout ce que prévoit d’ailleurs, au nom de la « compétitivité », le Pacte euro plus, adopté en mars par les pays de la zone euro.

[8] Voir aussi l’article 32 : « Statut juridique, privilèges et immunités. »

Basta Mag, Ivan Du Roy, 20 février 2012

Cancérogènes : dans l’éolien aussi

Cancérogènes : dans l’éolien aussi

Le leader mondial de la production de pales d’éoliennes, l’entreprise danoise LM Wind Power (730 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010), est pointée du doigt par ses ouvriers. Plusieurs témoignages dénoncent des problèmes respiratoires ou des maux de tête qui seraient liés à une exposition au styrène, un « cancérogène possible », selon l’OMS, présent dans les résines de polyester utilisées pour la production de pales.

L’inspection du travail danoise a ainsi recueilli en dix ans 786 plaintes relatives à des maladies professionnelles ou à des accidents du travail liés à des expositions aux substances chimiques au sein des usines de LM Wind Power. En ces temps de transition énergétique, développer les énergies renouvelables c’est bien, se préoccuper de la santé de ceux qui y travaillent, c’est mieux !

Source : European Trade Union Institute (Etui)

Ivan Du Roy, Basta Mag, 20 février 2012