Les salariés de l’usine de Chasseneuil, dont l’activité est délocalisée en Pologne et en Turquie, devraient recevoir leur lettre de licenciement jeudi 9 octobre.
Cette fois, c’est terminé. C’est dans le plus grand secret que l’accord de méthode, entérinant la fermeture de l’usine Federal Mogul, a été signé entre le syndicat majoritaire et la direction de l’entreprise, la semaine dernière. Le dossier est désormais entre les mains de la Direccte (ex-Direction du travail). Les 241 salariés, qui continuent à percevoir leur salaire, devraient recevoir leur lettre de licenciement jeudi 9 octobre, selon une source syndicale.
« On le savait »
Loin d’être une surprise, la fermeture de l’usine – la dernière en France à fabriquer des pistons pour moteurs diesel – intervient après trois mois de conflit social, durant lesquels les salariés auront battu le pavé et élaboré des coups médiatiques, comme ce voyage à Paris à vélo, en espérant infléchir la décision de la direction. En vain. La table ronde promise entre Arnaud Montebourg, les syndicats, la direction et les donneurs d’ordre n’aura jamais eu lieu. Le site va être délocalisé en Pologne et en Turquie, pays à bas coûts de production. « Je m’en doutais, on le savait », lâche, résigné, Sébastien Gallet, coquilleur, « chargé de couler le piston en alu ». Sa compagne Marie-Luce Lambert, qu’il a rencontrée sur le site en 1991, trouve cela « rageant même si cela fait longtemps que l’on sait que c’est terminé ».
Les salariés ont accepté, par vote, début septembre, la prime supra légale de 45.000 € brut que leur proposait la direction, à laquelle viendra s’ajouter la prime légale fonction du nombre d’années passées dans l’entreprise.
La signature de l’accord de méthode est le dernier chapitre de l’histoire de cette usine ouverte en 1972 à Chasseneuil, avant de rentrer dans le giron de l’américain Federal Mogul en 1998. Depuis, elle perdait peu à peu ses lignes de production jusqu’à « ne faire plus que cinq produits en fin de vie pour Renault, Peugeot et Citroën », déplorait, en février, un représentant de la CGT.
> A voir en vidéo, le témoignage d’un couple licencié
Nouvelle République, 3 octobre 2014
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Mise à jour 8 octobre 2014 : le témoignage se précise dans un nouvel article de la NR, avec une attaque directe contre les syndicats :
« On aurait dû mettre le feu à l’usine. Mais on ne l’a pas fait. On ne s’est pas assez battus. » Pour lui, les salariés n’étaient « pas assez soudés, ont trop écouté les syndicats ».
La vie après Federal Mogul
Sébastien Gallet et Marie-Luce Lambert forment l’un des cinq couples licenciés de l’usine. Ils peinent à tourner la page après trois mois de conflit social.
L’histoire de leur couple est indissociable de celle de leur usine. C’est là, au milieu des lignes de production, qu’ils se sont rencontrés un jour de 1991. La période qu’ils viennent de traverser semble les avoir soudés à jamais.
Pendant trois mois, ils ont battu le pavé, brocardé des slogans aux côtés de leurs camarades de Federal Mogul. Mais tout cela n’aura servi à rien. Leur usine – la dernière en France à fabriquer des pistons pour moteurs diesel – a fermé ses portes et eux sont partis, avec en poche 130.000 €, primes supra légale et légale comprises. Point final d’une histoire qui avait pourtant bien commencé.
C’était une période rose
En 1991, Marie-Luce, pour qui Federal Mogul est une histoire de famille – ses parents « ont travaillé trente-cinq ans à Chasseneuil dès l’ouverture du site en 1972 » – venait tout juste d’être embauchée « au poste de contrôle des pièces finies : nous étions plus de 400 salariés, se souvient-elle. On faisait des pistons de voitures mais aussi de bateaux. »
Vingt-trois ans séparent cette période rose où le couple envisage l’avenir sereinement – il fait construire une maison à Saint-Georges-lès-Baillargeaux, près de Poitiers –, et cette semaine qui débute, lors de laquelle ils recevront sans doute leur lettre de licenciement.
« On aurait dû mettre le feu »
La somme d’argent qu’ils vont toucher n’effacera en rien leur colère et achètera encore moins leur silence. « Ils nous ont bernés », lâche, amer, Sébastien. « Je suis écœurée. Pour moi, c’est fini l’entreprise », tempête Marie-Luce, 46 ans. Pour elle, entrée dans l’usine à l’âge de 20 ans, c’est tout un pan de sa vie qui s’écroule : « Je suis toujours une Federal Mogul, dit-elle. Avant de décrocher, il va me falloir du temps. »
Il est encore bien trop tôt pour évoquer avec eux la question de la reconversion. Sébastien Gallet n’a pas la tête à ça, préfère « faire son jardin ». Sans doute verront-ils les choses « différemment » lorsqu’à la fin de l’année ils « ne toucheront plus leur salaire ».
La dernière fois que nous les avions rencontrés, en mai dernier, Sébastien Gallet et Marie-Luce Lambert venaient de mener une action coup-de-poing au rond-point de Leroy Merlin, à Poitiers, tentant de sensibiliser les automobilistes de passage à leur situation.
« Ils ont divisé pour mieux régner »
Avec le recul, Sébastien Gallet pense que « les pistonniers » auraient dû « aller plus loin » dans leurs actions pour se faire entendre. Un peu comme les Continental ou les New Fabris : « On aurait dû mettre le feu à l’usine. Mais on ne l’a pas fait. On ne s’est pas assez battus. » Pour lui, les salariés n’étaient « pas assez soudés, ont trop écouté les syndicats ».
Et puis tout s’est accéléré au cœur de l’été : « Le 25 août, nous avons été mis en dispense d’activité, se rappelle Marie-Luce. La direction a soudé les portes des bâtiments pour que l’on ne puisse pas rentrer dedans. Elle nous a divisé pour mieux régner. » Aujourd’hui, « les bruits de couloirs » d’une reprise partielle du site de Chasseneuil ne leur font pas esquisser le moindre sourire.
Le couple cherchera activement du travail en janvier. Pour leurs deux filles. Pour qu’elles ne rentrent plus jamais de l’école en demandant : « Papa, maman, j’écris quoi en face de profession ? » « Jusque-là, explique Sébastien, on leur disait d’écrire « pistonniers chez Federal Mogul ». »
Adrien Planchon, Nouvelle République, 8 octobre 2014