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[Le Chefresne] Un article sur la THT

NdPN : Bastamag revient sur la lutte locale contre la ligne à très haute tension (THT), destinée à transporter l’énergie produite par le futur réacteur nucléaire EPR de Flamanville. Alors même que les EPR viennent d’être rejetés aux Etats-Unis (dans le silence radio des médias français) et que le chantier EPR s’enlise, à Flamanville comme ailleurs dans le monde, l’Etat s’obstine à imposer ses autoroutes électriques nuisibles, et tombe le masque : répressions, violences physiques et menaces, procès ubuesques, « lois » bafouées, sommes colossales versées aux élus pour acheter le silence. La lutte continue.

Ligne THT : ce petit village normand qui résiste encore à l’autoroute de l’électricité

Rien n’arrête « le progrès ». Surtout pas un maire entêté, une poignée de paysans désespérés, des riverains désenchantés et quelques dizaines de militants écolos non violents. L’autoroute de l’électricité, qui reliera le réacteur nucléaire EPR de Flamanville, dans la Manche, à l’agglomération rennaise, continue sa progression, inexorablement. A coup de pressions, de répressions et de millions pour acheter l’opposition. Reportage à Chefresne, en Normandie, dernier bastion de la résistance à la ligne THT.

Une autoroute de l’électricité. Deux fois 400.000 volts. 420 pylônes sur 163 kilomètres. La ligne doit acheminer l’électricité produite par le futur réacteur nucléaire de Flamanville, dans la Manche, jusqu’à l’agglomération rennaise. Parmi les 64 communes concernées par le tracé prévu par RTE, la filiale d’EDF chargée du transport d’électricité, la commune de Chefresne dans la Manche résiste à cette ligne Très Haute Tension (THT), empêchant la poursuite des travaux.

Ce dimanche matin, les opposants à la construction de la ligne THT ont rendez-vous dans ce petit village de 310 habitants, au milieu des collines, des haies et des prés. Les opposants au projet occupent depuis mars le bois de la Bévinière, situé sur le tracé. Des plateformes, posées à une dizaine de mètres de hauteur, entourent deux arbres. Au sol, des bâches, des panneaux, une toile de tente, une cabane. Et un escabeau sur lequel on grimpe pour apercevoir, à travers les feuillages et les ronces, les trois pylônes électriques qui se dressent à l’horizon.

Au menu de l’assemblée générale, des nouvelles des « copains », blessés lors d’affrontements avec les forces de l’ordre, à la fin du mois de juin, dans la commune voisine de Montabot. Lors d’un week-end de « résistance », en réaction à des provocations de certains opposants, des grenades explosives « assourdissantes » ont été utilisées par les forces de l’ordre. « Normalement, ces grenades sont lancées au sol, pour disperser la manifestation, explique un jeune. Là, elles étaient lancées en tir tendu, vers nos têtes. »

Marquer les corps et les esprits

Bilan de l’affrontement : 25 blessés, dont deux graves. La plupart ont reçu des éclats de plastiques ou de métaux provenant des grenades. Et les blessés auraient attendu les secours pendant une heure : le véhicule médicalisé était bloqué par les gendarmes à une dizaine de mètres du camp [1]. Une force disproportionnée, pour marquer les corps et les esprits. Car depuis six ans, des riverains luttent pour éviter la construction de la ligne THT. A coup de procédures judiciaires, de recours devant le Conseil d’État et d’arrêtés municipaux.

Jean-Claude Bossard était, jusqu’au mois de mai, maire du Chefresne. En 2008, il a rédigé, avec son conseil municipal, un arrêté de police afin de prévenir des risques sur la santé de ses habitants. « En tant que maire, nous avons l’obligation de protéger nos habitants », explique-t-il. Le Maire du Chefresne a notamment invoqué la Charte de l’environnement, à valeur constitutionnelle, pour interdire la construction de la ligne à moins de 500 mètres des habitations et 300 mètres des stabulations. Dans la foulée, 45 communes (sur les 64 impactées par le tracé de la THT) suivent cet exemple. Réponse des tribunaux administratifs : c’est l’État et non le maire qui est compétent dans ce domaine. Tous les arrêtés municipaux sont cassés.

Rondes d’hélicoptères et contrôles policiers

Tous, sauf un. Celui du Chefresne. « Le délai de deux mois était dépassé quand la préfecture s’en est rendu compte », raconte Jean-Claude Bossard. Le maire peut alors invoquer son arrêté municipal, quand les travaux sont entamés, début juin. Écharpe autour du cou, le maire se fait alors arrêter pour obstruction de la voie publique. Il est placé en garde à vue et subit 12 heures d’interrogatoire. « Ce qu’on voulait, c’était me mettre la pression. » Il est aussi considéré comme le chef de fil des opposants au projet. C’est lui le propriétaire du bois de la Bévinière, que la ligne doit traverser et qui est occupé par les opposants (voir la vidéo de l’arrestation).

Anti-THT : le maire du Chefresne (50) en garde à… par france3bassenormandie_845

Jean-Claude Bossard et sa famille subissent une pression policière de plus en plus pesante. Au bout de son chemin, les gendarmes stationnent et les contrôlent presque à chaque passage, de jour comme de nuit. Dans le ciel, un hélicoptère effectue régulièrement des rondes. « Lors d’une fête de famille, les gendarmes sont venus contrôler tout le monde, à cinq estafettes, et un hélicoptère au-dessus de nous », raconte-t-il. Il a également reçu des menaces de mort : « On m’a dit qu’on allait s’occuper de mon cas. »

100 millions d’euros pour acheter l’opposition

Suite à son arrestation, le maire de Chefresne a décidé de démissionner. Par solidarité, son conseil municipal l’a suivi, excepté un conseiller. De nouvelles élections municipales se sont déroulées le 9 septembre. Les nouveaux élus pourront décider de continuer l’opposition à la ligne THT. Ou accepter la grosse subvention allouée par RTE, en contrepartie des « dommages » esthétiques et matériels provoqués par la ligne. Dans le cadre du Plan d’accompagnement au projet (PAP), le Chefresne s’est vu proposer près de 200.000 euros contre l’acceptation de la ligne. Une somme énorme pour une commune dont le budget annuel avoisine les 150 000 euros. « Nous avons réuni la population, lors d’une de nos réunions de démocratie participative qui précèdent les conseils municipaux », relate Jean-Claude Bossard. La somme a été refusée.

Le Chefresne décide alors de monter un projet alternatif, et d’installer des panneaux photovoltaïques sur l’église du village. Une garantie de vente d’électricité de 200 000 euros, répartie sur 20 ans. Sur les 45 communes qui étaient opposées au lancement du projet, seules cinq ont refusé les subventions PAP. « On la surnomme la ligne T’es acheté », souligne Jean-Claude Bossard. Au total, 100 millions d’euros sont distribués par RTE, pour faire accepter le projet. Soit environ 50% du coût de construction de la ligne [2]. Dans le langage de l’entreprise, ce sont des « mesures de réduction ou de compensation des impacts du projet sur l’environnement ». Mais l’environnement ne signifie pas la santé de l’homme. Pas question, pour RTE, d’évoquer ou de reconnaître le moindre souci sur la santé des humains.

Des champs magnétiques dangereux pour la santé ?

« Pourquoi dépenser autant d’argent s’il n’y a pas de dangers sanitaires ?, s’interroge Jean-Claude Bossard. Depuis le début, nous réclamons une étude épidémiologique sur les effets de la THT. » En France, une telle étude n’a jamais été réalisée. Les conclusions de l’enquête publique, en 2006, appelaient à la réalisation d’une étude épidémiologique. Mais le projet a ensuite été déclaré d’utilité publique. Et les conséquences sanitaires de la THT sont devenues secondaires…

RTE tente de rassurer : « Après plus de trente ans de recherche, la position de la communauté scientifique est claire, les champs électromagnétiques générés par les lignes à haute tension n’ont pas d’impact prouvé sur la santé humaine », affirment Philippe Rémy, directeur du Projet Cotentin-Maine et Jean-Michel Ehlinger, directeur d’aménagement [3]. RTE entreprend d’ailleurs de casser les « idées reçues » dans de petits clips vidéos, sur son site internet La Clef des Champs.

clefdeschamps.info : tout sur les champs… by rte_france

Des informations contredites par des spécialistes des ondes électromagnétiques. Les appareils électroménagers émettent des champs semblables à ceux de la ligne ? « Contrairement aux lignes électriques, nous ne passons pas 24h sur 24 à proximité du rasoir, de la cafetière ou du grille-pain, explique Catherine Gouhier, secrétaire du Centre de recherche et d’information indépendantes sur les rayonnements électromagnétiques  (Criirem). L’OMS déclare que « les champs magnétiques induits d’extrêmement basse fréquence [sont] potentiellement cancérigènes », note Catherine Gouhier. Et « l’exposition aux lignes électriques est passive et sur une longue durée. »

Des agriculteurs soumis à une clause de confidentialité

En 2008, le Criirem a réalisé une enquête sur les effets de la THT, en étudiant les conditions de vie de riverains d’une ligne. 2000 foyers répartis sur 160 communes ont été interrogés. Irritabilité, état dépressif, vertiges, maux de tête, sommeil perturbé… La santé de ceux qui vivent à proximité des lignes est impactée. Les exploitations agricoles sont elles aussi touchées : « Quatre fois plus de nervosité et trois fois plus d’hésitation chez les bovins, comportements de fuite, deux fois plus d’irrégularité de production laitière » à proximité des lignes que dans une zone non exposée (lire l’enquête).

Thierry Charuel est un agriculteur spécialisé dans la production de lait, au Mesnil Thébault, dans le sud de la Manche. Son enclos de vaches laitières est situé à 60 mètres d’une ligne THT de 400.000 volts, construite au début des années 80. Défaillance de son robot de traite, inflammations mammaires, cellules dans le lait rendant sa consommation impossible, problèmes de reproduction : l’agriculteur estime être touché de plein fouet par les courants électriques qui partent de la ligne THT. Il évalue ses pertes à 50 000 euros par an.

En 2004,  dans le cadre du Groupe permanent sur la sécurité électrique (GPSE [4]), mis en place par le ministère de l’Agriculture pour accompagner les éleveurs, il fait appel à RTE pour adapter son bâtiment. L’entreprise lui conseille des aménagements, comme l’isolation des sols pour éviter les remontées de courant ou l’installation d’une cage de Faraday, une enceinte qui protège des nuisances électriques. Il reçoit plusieurs centaines de milliers d’euros, entre 2004 et 2010, pour les travaux d’aménagement. Mais en signant cette convention avec RTE, l’agriculteur est contraint d’accepter une clause de confidentialité. Laquelle l’empêchait de  communiquer l’existence des problèmes sanitaires sur les animaux… sans autorisation de RTE. L’argent contre le silence.

Suicides, liquidations judiciaires, pressions

A partir de 2010, le GPSE a progressivement disparu. Et les aides se sont évanouies, constate Thierry Charuel, qui a décidé d’attaquer RTE en justice. « Si RTE m’avait dit, en 2003, que l’ensemble des problèmes ne serait pas réglé, on aurait construit ailleurs, et pas à cet endroit, » assure l’agriculteur. « Tout est fait pour nous faire craquer, ajoute-t-il. RTE trouve sans cesse une nouvelle faille pour nous faire porter la responsabilité des pertes d’exploitation. »

Si tous n’osent pas aller sur le terrain judiciaire, de nombreux agriculteurs sont dans le même cas que Thierry Charuel. Certains sont placés en liquidation judiciaire, d’autres sont contraints d’arrêter. Quelques-uns mettent fin à leurs jours, explique François Dufour, exploitant agricole et vice-président (EELV) de la Région Basse-Normandie [5]. « D’autres n’ont pas établi le lien direct entre la proximité de la ligne THT et les différents problèmes qu’ils rencontrent sur leur troupeau », écrit-il. Beaucoup, aussi, n’osent pas faire part de leurs difficultés.

« On se sent méprisés »

« Si les animaux sont malades, pourquoi les hommes n’auraient-ils aucun problème ? », s’interroge Marie-Laure Primois, dont la maison et la ferme seront entourées de huit futurs pylônes. Elle a toujours refusé de donner son accord à RTE. « On se sent méprisés, pas écoutés. Nous avons rempli deux cahiers pour l’enquête publique qui précédait la mise en servitude (la possibilité pour RTE d’intervenir sur des terrains privés). Nous n’avons jamais eu les conclusions de l’enquête publique. » La veille de la manifestation de Montabot, des hélicoptères n’ont pas cessé de survoler leur maison.

La pression policière, Stéphane Godreuil la subit depuis plusieurs mois déjà. Il habite à quelques encablures du bois de la Bévinière. Et à 110 mètres d’un pylône. L’armature de métal se dresse en surplomb de sa maison. Un autre pylône devrait bientôt sortir de terre à une centaine de mètres. La future ligne traversera son terrain. Les arbres ont dû être abattus. Son épouse souffre d’un cancer. Le professeur qui la suit lui a simplement conseillé de partir, « de se trouver un petit coin tranquille », afin d’éviter l’impact moral et physique de la ligne.

« Les gendarmes nous épient avec des jumelles »

Le couple a donc décidé de mettre en vente leur maison. A moins de 100 mètres, RTE leur aurait racheté leur bien, revendu ensuite en dessous des prix du marché, à de nouveaux propriétaires s’engageant à ne pas poursuivre l’entreprise pour d’éventuels problèmes sanitaires. Mais le tracé de la ligne a été pensé pour racheter un minimum de maisons. A 110 mètres, donc, le couple doit se débrouiller. « Du fait de la présence de la ligne, le prix de vente est déjà inférieur de 30% à la valeur de la maison », indique Stéphane Godreuil. Les acheteurs potentiels sont prévenus par l’agent immobilier. Quand ceux qui sont tout de même intéressés découvrent le pylône, la plupart repartent sans visiter.

Quand Stéphane Godreuil s’approche du pylône pour entretenir son terrain, les gendarmes débarquent illico. Ils sont alertés par les sociétés de surveillance, embauchés par RTE pour protéger les pylônes. « On est étroitement surveillés, raconte-t-il. Au début, on rigolait des contrôles des gendarmes. Puis c’est devenu gênant quand on s’est aperçu qu’on nous épiait avec des jumelles. On nous met la pression. » La veille de la manifestation, les gendarmes sont venus le voir pour essayer de lui soutirer des informations. « Ils m’ont déconseillé d’y aller, me disant qu’ils allaient procéder à des arrestations, que les sanctions seraient lourdes », raconte-t-il.

Déboulonner ou scier les pylônes

De semaine en semaine, la répression s’intensifie. Une liste de 16 supposés « leaders » de la contestation circulerait parmi les forces de l’ordre. De plus en plus d’opposants sont déférés en justice. Trois personnes, citées dans un article de journal, ont été perquisitionnées. Et une ordonnance punit tout rassemblement auprès d’un pylône d’une astreinte de 2000 euros par heure et par personne. Les actions symboliques sont donc rendues très difficiles.

A la place, les sabotages se multiplient. Déboulonner les pylônes – quand RTE ne les a pas soudés. Ou scier les bras de fer. Des moyens de faire perdre de l’argent à la filiale d’EDF pour espérer être entendus. « Les coûts aujourd’hui constatés restent marginaux par rapport au coût global du projet, assure RTE. Ils ne sont pas de nature à déséquilibrer l’économie du projet. » Mais pour que la construction continue, il faudra traverser le bois, déloger les opposants du haut des plateformes. Une dernière bataille, pour l’honneur, avant que l’autoroute de l’électricité ne poursuive son chemin. Sauf contre-ordre de l’État. Craignant des affrontements avec les forces de l’ordre, les opposants ont décidé, début septembre, de ne plus occuper le bois que de façon symbolique, mais d’arrêter d’y vivre.

Notes

[1] Lors du procès d’un militant accusé d’avoir blessé un gendarme mobile, l’urgentiste régulateur du Samu qui est intervenu ce jour-là a également décrit les demandes répétées d’identités des victimes par la préfecture.

[2] Le coût total du projet est de 343 millions d’euros, comprenant 200 millions d’euros pour la construction de la ligne, 47 millions d’euros pour la construction des deux postes électriques, 96 millions d’euros de mesures de réduction ou de compensation des impacts du projet sur l’environnement (aménagements paysagers, plantations complémentaires, mises en souterrain de lignes électriques de tensions inférieures… .

[3] RTE a accepté de répondre à nos questions, mais par courriel, faute de temps…

[4] Créé en 1999, le GPSE a permis de compenser les pertes des agriculteurs touchés par la ligne THT. Cette initiative permet de financer les travaux d’aménagement, d’assurer un suivi sanitaire et de compenser les pertes d’exploitations

[5] Lettre adressée à plusieurs ministres, le 18 juin 2012

Simon Gouin, Bastamag, 10 septembre 2012

Les capitalistes semenciers contre Kokopelli

Les semences et les plantes, propriété exclusive de l’agro-industrie ?

Rien ne va plus pour les agriculteurs, les jardiniers et les artisans semenciers. Vendre ou échanger des semences de variétés anciennes, libres de droit de propriété et reproductibles est devenu quasi mission impossible. L’association Kokopelli en fait aujourd’hui les frais. Un récent arrêt de la Cour de justice européenne consacre le monopole de l’industrie semencière sur les plantes. La réforme en cours de la réglementation des semences n’augure rien de bon pour l’autonomie des paysans et la liberté de planter.

Elle a commis plus de 3 400 infractions. Et a été condamnée à payer une amende de 17 130 euros. Le nom de cette dangereuse contrevenante ? Kokopelli. Une association, dont le siège est à Alès (Gard), qui commercialise 1700 variétés de plantes potagères, céréalières, médicinales, condimentaires et ornementales. Toutes les semences de Kokopelli sont libres de droit de propriété et reproductibles. Ce qui donne la possibilité de conserver une partie des semences de sa récolte pour les ressemer l’année suivante. L’association contribue à faire vivre la biodiversité agricole. Elle est pourtant considérée aujourd’hui comme hors-la-loi par les juridictions française et européenne. Son délit ? Vendre des semences de variétés non inscrites au catalogue officiel. Et ne pas avoir indiqué clairement leur destination exclusivement non commerciale (usage amateur, conservation ou recherche).

Depuis 1949, pour pouvoir être commercialisées, toutes les espèces ou variétés végétales doivent obligatoirement être inscrites au « catalogue officiel des espèces ou variétés ». Pour y figurer, elles doivent remplir plusieurs critères, évalués par un comité composé de représentants du ministère de l’Agriculture, de l’Institut national de recherche agronomique (Inra) et de représentants des semenciers. Pour les espèces potagères, les conditions d’inscription sont au nombre de trois : la « distinction », l’« homogénéité », et la « stabilité ». La variété proposée au catalogue doit être distincte des variétés existantes, donc nouvelle. Elle doit être « homogène », c’est-à-dire que les plantes d’une même variété doivent toutes être identiques. Enfin, la variété doit être stable génétiquement, ne pas évoluer au gré de ses reproductions ou multiplications.

Des semences standardisées pour l’industrie

Pourquoi les variétés commercialisées par Kokopelli ne sont-elles pas inscrites au catalogue officiel ? Selon l’avocate de l’association Blanche Magarinos-Rey, « ce catalogue pose des conditions incompatibles avec les caractéristiques mêmes des variétés vendues par l’association ». C’est l’homogénéité qui pose le plus de problèmes à l’association. « La base génétique de ces variétés est très large, car elles sont le fruit de nombreux croisements entre individus, explique-t-elle. Cela leur confère une capacité d’adaptation et d’évolution au fil du temps et selon les terroirs. Cela signifie également que ces variétés ne sont pas définitivement « fixées ». » Leur stabilité, au sens de la réglementation, n’est donc pas assurée. Les plants et les fruits issus des reproductions et multiplications ne sont pas tous exactement les mêmes. Les tarifs d’inscription au catalogue sont également prohibitifs. « 500 euros en moyenne pour chaque variété, précise l’avocate de Kokopelli, sans compter les droits annuels à payer pour les différents types d’examens obligatoires. »

Alors que la diversité biologique est fondamentale pour affronter la crise alimentaire, le catalogue officiel se révèle être un facteur de réduction de la biodiversité. Entre 1954 et 2002, 80 % des variétés potagères auraient été radiées du catalogue selon le Réseau semences paysannes. Des 876 variétés inscrites en 1954, il n’en restait plus que 182 au catalogue officiel français en 2002. La raison de ces radiations ? Le poids de l’industrie semencière, qui, depuis cinquante ans, cherche « à standardiser les semences pour les adapter partout aux mêmes engrais et pesticides chimiques, estime le Réseau semences paysannes. « Il n’y a que dans les lois dictées par les lobbies industriels qu’on peut prétendre les rendre homogènes et stables ; dans la vraie vie, cela revient à les interdire. »

Rude bataille judiciaire

En 2005, Kokopelli est assignée devant les tribunaux par la société Graines Baumaux, près de Nancy, pour « concurrence déloyale ». L’entreprise prétend que l’activité de Kokopelli, dont les semences ne sont pas inscrites au catalogue officiel à la différence des siennes, lui causerait un préjudice. Le procès, favorable en première instance à Baumaux (janvier 2008), est actuellement en appel au tribunal de Nancy. En février 2011, Kokopelli obtient de la cour d’appel une saisine de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

La Cour de justice européenne doit répondre à une question : les directives européennes sur le commerce des semences potagères sont-elles bien compatibles avec les principes fondamentaux qui régissent le droit européen comme la préservation de la biodiversité, le libre-échange ou la liberté d’entreprise ? Le 19 janvier dernier, l’avocate générale, Juliane Kokott, rend publiques ses conclusions. Elle donne raison à Kokopelli (lire notre article). La disposition qui interdit de commercialiser des semences d’une variété dont il n’est pas établi qu’elle est distincte, stable et suffisamment homogène, est jugée invalide. « Pour bon nombre de « variétés anciennes », ces preuves ne peuvent pas être apportées », constate l’avocate générale. Elle demande donc aux juges européens de se positionner pour déterminer si cette restriction aux échanges de semences sont vraiment justifiés.

La biodiversité sacrifiée sur l’autel de la productivité

Malheureusement pour Kokopelli, le 12 juillet 2012, les juges européens décident de ne pas suivre les conclusions de l’avocate générale. Pour la Cour de justice, l’établissement de règles unifiées est la garantie « d’assurer une productivité accrue (…) conformément aux objectifs de la politique agricole commune ». [1]

Extrait de l’arrêt page 14

Par cet arrêt, la cour consacre « le paradigme productiviste », dénonce Kokopelli, au détriment de la commercialisation des semences de variétés anciennes. « Ces semences [standardisées] sont incapables de s’adapter à l’amplification des changements climatiques, pointe le Réseau semences paysannes dans un communiqué. Elles imposent toujours plus d’engrais et de pesticides chimiques qui nous empoisonnent, détruisent l’environnement et la biodiversité sauvage et font apparaître des pathogènes toujours plus virulents. »

Une cour de justice sous influence des lobbies semenciers ?

Dans les 20 pages de son arrêt, la cour qualifie à deux reprises les semences anciennes de « potentiellement nuisibles ». Rien n’est dit en revanche sur les semences enrobées de pesticides Cruiser ou Gaucho, inscrites au catalogue. Faut-il y voir le résultat des pressions de certains lobbies semenciers ? Ceux-ci ont pris soin, durant la procédure, de faire connaître à la cour leur désaccord avec l’avis de l’avocate générale.

C’est le cas notamment d’European Seed Association (ESA), très active dans les couloirs de Bruxelles pour affaiblir la directive européenne sur l’étiquetage des semences OGM. Elle a fait parvenir un courrier aux juges en février 2012 pour exprimer « ses préoccupations socio-économiques » [2]. L’ESA s’est également empressée de publier un communiqué suite à l’arrêt pour marquer sa totale convergence de vues avec la Cour européenne de justice…

Un autre catalogue pour les variétés anciennes ?

Autre possibilité, expliquent les juges européens dans l’arrêt : Kokopelli pourrait inscrire ses semences anciennes dans un catalogue annexe, pour les variétés dites « de conservation ». Une proposition qui n’est pas jugée satisfaisante : ce registre reste limité aux variétés anciennes produites à de très faibles volumes et obéissant là encore aux critères d’homogénéité et de stabilité. « Il faut également faire la démonstration que la variété est menacée d’érosion génétique, ce qui n’est pas une mince affaire », ajoute l’avocate de Kokopelli. « En deux ans et demi d’existence de ce nouveau catalogue, moins de dix variétés françaises y ont été enregistrées : n’est-ce pas la preuve de son échec ? », interroge le Réseau semences paysannes.

Le dossier revient maintenant devant la cour d’appel de Nancy. L’appréciation des juges européens n’augure rien de bon pour Kokopelli. La société Graines Baumaux demande à ce que l’association soit condamnée à lui payer 100 000 euros de dommages-intérêts, ainsi que la cessation de toutes ses activités. « L’étau se resserre, s’inquiète l’avocate de Kokopelli. Cette jurisprudence européenne qui vous dit que l’objectif d’une productivité accrue justifie tout y compris la dégradation de la biodiversité, est un mauvais signe pour les développements futurs de la législation. »

« Celui qui détient les graines contrôle les peuples »

Bruxelles travaille actuellement sur une réforme générale de la législation sur le commerce des semences. Un cycle de consultation des opérateurs concernés est ouvert, mais les associations de sauvegarde de la biodiversité n’ont pas été invitées à la table des négociations. « Dans la nouvelle proposition de la Commission, c’est l’Office européen des brevets qui sera chargé d’inscrire les variétés. Avant, cela relevait des organismes nationaux rattachés au ministère de l’Agriculture, pointe l’avocate de Kokopelli. En clair, la législation organise le monopole des variétés protégées par des droits de propriété. » La concentration des pouvoirs entre les mains de la commission européenne et de l’Office européen des brevets confirme la perte de compétence des États et la disparition de toute gestion locale des semences au profit des détenteurs de titres de propriété industrielle. « Celui qui détient les graines contrôle les peuples », dénonce Dominique Guillet, président de Kokopelli.

Aujourd’hui, dix firmes contrôlent les deux tiers du marché mondial de la semence [3]. Face à une industrie semencière toute-puissante, la résistance s’organise aux côtés de Kokopelli. Des associations comme les Croqueurs de carottes promettent de continuer de vendre des semences de variétés traditionnelles refusées ou non inscrites au catalogue. « D’abord parce qu’elles donnent entière satisfaction aux jardiniers, aux maraîchers et à leurs clients, précisent les Croqueurs. En outre, parce que les directives européennes autorisent encore cette commercialisation tant qu’elle ne vise « qu’une exploitation non commerciale » comme le jardinage pour l’autoconsommation. » Mais les projets de réforme en cours menacent de supprimer ce dernier espace de liberté. Au sein du collectif Semons la biodiversité, plusieurs associations mènent campagne pour une loi de reconnaissance des droits des paysans, des jardiniers et des artisans semenciers à utiliser, échanger, vendre et protéger leurs semences. L’autonomie des paysans et le maintien de la biodiversité sont en jeu.

Sophie Chapelle, Bastamag, 4 septembre 2012

Que deviennent les Roms expulsés ?

Que deviennent les Roms expulsés ?

L’évacuation de trois campements de Roms début août près de Lyon a lancé une polémique politique sur le sort de ces populations. Et a inauguré une longue série d’autres expulsions.

Que deviennent-ils ? Début août, trois campements de l’agglomération lyonnaise regroupant quelque 270 Roms sont évacués. L’un à Vaulx-en-Velin, lundi 6 août et deux à Villeurbanne, mardi 7 août. Quelques jours plus tard, face à un début de polémique, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls affiche sa fermeté et justifie ces évacuations dans une tribune publiée par Libération. Les évacuations n’ont cessé depuis, au rythme des décisions de justice.

Pour les Roms de ces premières évacuations de l’été, la situation demeure incertaine. Aucune solution de relogement, même temporaire, n’a pu être trouvée que ce soit dans des hôtels ou dans des centres d’hébergement d’urgence. «Nous avions beau appeler le 115, ils n’avaient plus de place et nous répondaient d’attendre le mois d’octobre et le début du plan froid pour pouvoir espérer placer des familles», raconte Gilberte Renard, militante du collectif Classes (Collectif lyonnais pour l’accès à la scolarisation des enfants des squats).

Installés sur d’autres terrains

Faute de mieux, une grande partie de ces populations s’est donc installée sur d’autres terrains. C’est le cas des Roms évacués le 6 août du camp de La Rize à Vaulx-en-Velin. Selon le collectif Roms, sur les quelque 114 personnes qui vivaient sur cet emplacement, une majorité est aujourd’hui dispersée sur des terrains jusque là inoccupés dans le huitième arrondissement de Lyon, à Villeurbanne et à Saint-Fons (sud de Lyon).

Sur ce dernier terrain, on trouve également les populations expulsées mardi 7 août de l’avenue Léon Blum à Villeurbanne. Sur les soixante personnes évacuées ce jour-là, une quarantaine aurait rejoint le terrain de Saint-Fons, selon les estimations de l’association. «Les terrains rejoints sont également le lieu d’une grande précarité», constate Aurélie Neveu, coordinatrice de Médecins du monde à Lyon. «Le fait de bouger sans cesse les fragilise. Beaucoup ont perdu leurs affaires lors du démantèlement du camp et, bien souvent, ils n’en sont pas à leur première évacuation», explique-t-elle. Maisons délabrées, terrains non occupés, les Roms se rendent alors où ils peuvent.

Les nouvelles installations sont pourtant rendues difficiles. «Après les évacuations, ils errent mais la police les suit et les évacue de nouveau dès qu’ils tentent de s’installer», a pu observer Gilberte Renard. Car lorsqu’un terrain n’est squatté que depuis moins de 48 heures, son occupation est illicite.

A la rue

Du coup, «les Roms se cachent de plus en plus», remarque Aurélie Neveu, ce qui ne facilite pas la tâche des associations. Certains se réfugient ainsi dans des endroits isolés, comme ces trois familles retrouvées cachées dans les buissons par le collectif de Gilberte Renard. Il est difficile de chiffrer le nombre de Roms vivant à la rue mais la militante a déjà croisé plusieurs familles dont les visages lui étaient familiers : «le jour ils font la manche, la nuit, ils dorment dans les jardins publics avec presque rien», relate-t-elle.

Parmi les trois camps de Roms évacués début août dans l’agglomération lyonnaise, la centaine d’occupants du terrain de la rue Roger Salengro, à Villeurbanne, n’a pas été retrouvée par les associations. «Le plus inquiétant, c’est que leur situation était des plus déplorables. Eux n’avaient même pas construit d’abri de fortune. Les enfants marchaient pieds nus», raconte Gilberte Renard.

Dans des charters

Le 9 août, le collectif Roms estime que 240 personnes ont quitté le territoire français pour la Roumanie dans un vol charter. Ces Roms roumains avaient été pris en charge dans quatre bus, trois à Lyon et un à Saint-Etienne. Un retour qualifié alors d’«expulsions déguisée» par les associations.

Difficile de savoir précisément si une partie des Roms des trois camps évacués les 6 et 7 août étaient dans cet avion. Toujours est-il qu’en six mois au moins dix personnes du site de Vaulx-en-Velin ont reçu une OQTF (Obligation de quitter le territoire français), selon Gilberte Renard du collectif de soutien aux Roms.

Une population qui revient ensuite rapidement sur le territoire français. Gilberte Renard le constate : «nous retrouvons sur l’agglomération des personnes parties quelques jours plus tôt pour la Roumanie ou la Bulgarie. Cela concerne surtout les femmes avec enfants».

Mercredi, des experts des Nations unies ont mis en garde le gouvernement français, rappelant que les évacuation collectives sont interdites dans le droit international et appelant à la mise en place d’alternatives en matière de relogement.

Marlène Quintard, Libération, 31 août 2012

NdPN : voir aussi sur Rue 89 les directives données dans ce petit manuel administratif pour une expulsion réussie

Après l’ingérence humanitaire, le PS invente l’expulsion humanitaire

Après l’ingérence humanitaire, la France invente l’expulsion humanitaire

Partout en France des consignes sont données aux préfets pour démanteler les camps de Roms, pourchasser les familles et les empêcher de s’installer quelque part. A Lyon, le préfet applique parfaitement les consignes. Mais parfois, lui et son ami le maire socialiste font mine d’être bienveillants à l’égard des Roms… A leur manière… Faut pas rêver quand même !

Rue de la Claire, Vaise. Une quarantaine de personnes vit dans un immeuble squatté depuis plus d’un an. Mardi 21 août, lorsqu’un court-circuit se déclenche sur le tableau électrique du rez-de-chaussée, personne ne se doute que les heures du squat sont comptées. Les pompiers interviennent, éteignent le début d’incendie et appellent un agent EDF qui vient couper le courant. Tout semble rentrer dans l’ordre.

C’est sans compter sur le maire de Lyon, Gérard Collomb, connu pour son empathie légendaire à l’égard des sans-abri en général et des Roms en particulier. (1)

Le 17 décembre 2010, déjà, il avait pris un arrêté de péril fantaisiste pour un bâtiment qui se situe à quelques dizaines de mètres de là. Histoire de se moquer un peu plus de ses occupants, il avait fait évacuer l’immeuble le jour même où les familles Roms allaient se rendre au tribunal pour être fixées sur leur sort. Qu’est ce qu’il avait dû rigoler… 80 personnes avaient donc été jetées à la rue, sous une tempête de neige. A l’époque, la police était arrivée avec un plan de la ville et l’adresse d’un gymnase en disant à qui voulait l’entendre que tout avait été préparé par la mairie. Selon eux, des places avaient été réservées dans un gymnase ouvert dans le cadre du plan grand froid. Tu parles… Même le 115 n’était pas au courant…

Ce mardi 21 août, donc, notre Gérard, toujours pas national, saute sur l’occasion. Probablement encore vexé de ne pas avoir été nommé ministre, il décide de s’inviter à sa façon à la réunion inter-ministérielle qui doit avoir lieu le lendemain et qui officialisera la chasse aux Roms. (2) Vers 14 heures, la police intervient et met tout le monde dehors en expliquant que c’est devenu trop dangereux. Incompréhension des familles. Voilà un an qu’elles occupent le bâtiment dans les mêmes conditions et il est devenu subitement dangereux suite à un court-circuit. Le problème, c’est qu’il manque une base juridique à cette expulsion qui ne veut pas dire son nom. Qu’à cela ne tienne. En fin d’après-midi, un arrête municipal de péril tombe. Il dit en substance qu’en raison de nombreux branchements électriques, le bâtiment est devenu trop dangereux et qu’il est interdit bien que les branchements ne concernent qu’une petite partie de l’édifice.

Dangereux pour tout le monde ? Non, juste pour les Roms.

Le commerce qui occupe le bas de l’immeuble, lui ne craint rien, il n’est pas interdit. C’est écrit noir sur blanc sur l’arrêté municipal.

C’est du jamais vu. Gérard Collomb et la police viennent de sauver des Roms d’une mort certaine par électrocution. Les bons français, eux, peuvent cramer, le maire et le préfet s’en foutent.

Le soir, les familles vont devoir affronter un orage d’une violence terrible avec leurs enfants dans les bras. Après plusieurs nuits dehors, elles vont retrouver un immeuble vide. Malheureusement pour elles, dimanche 26 août après-midi, les forces-de-l’ordre-qui-protègent-les-Roms viennent à nouveau pour les expulser, sans leur dire cette fois sur quelle base juridique elles interviennent.

Des bases juridiques pour expulser, la police s’en passe volontiers lorsqu’il s’agit de «protéger » des familles Roms. Nouvel exemple, toujours ce dimanche 26 août, rue Saint Jérôme, à Lyon où une soixantaine de personnes a été expulsée par la police, là encore, pour son plus grand bien. Selon la préfecture elle-même : « la police leur a dit que c’était dangereux car l’immeuble était insalubre. Ils ont compris et sont sortis d’eux-mêmes »

On croit rêver.

Dans la France socialiste de Hollande et Valls, l’insalubrité est un danger vital, au point qu’il serait moins dangereux de passer la nuit dehors avec femme et enfants sur le trottoir que dans un immeuble inoccupé.

Avec quoi on mesure-t-on l’insalubrité chez la police ? Au flair d’un chien policier ? Au doigt mouillé ? Ou bien au nombre de Roms présents sur place ?

Drôle de conception du danger et de l’humanité. Après les arrêtés anti-mendicité, les socialistes vont nous inventer les arrêtés anti-saleté. Cachez ces pauvres que je ne saurais voir ou alors nettoyez moi tout ça au kärcher.

La police, elle, applique ses méthodes habituelles pour contourner la loi. Ne disposant d’aucun argument juridique, elle invite les gens à sortir. Oh surprise, ils sortent d’eux mêmes. Comme ils sont bien élevés ces roumains, comme ils sont dociles avec la police. A se demander si ce sont les mêmes qui seraient responsables de la délinquance en France. Etonnant, non ?

Les familles avaient déjà été expulsées le 14 août d’un immeuble parfaitement salubre lui, rue Montesquieu. Elles occupaient les lieux depuis plus d’un an et leurs enfants étaient scolarisés.  Les Roms avaient su s’intégrer parfaitement dans le quartier au point que les voisins avaient lancé une pétition pour demander qu’ils restent. (3) Ils ne sont pas restés. Rue Saint Jérôme non plus ils n’ont pas pu rester. En revanche, à la rue, ils resteront. Telle est la décision de Hollande, Valls, Collomb et Carenco.

Ce tableau lyonnais serait incomplet si on ne citait pas les demandeurs d’asile de la place Carnot que le préfet a installés lui-même dans un camping sauvage. Il est bien le préfet de Lyon. Lui au moins, il trouve des solutions de relogement quand il veut.

Expulsées de la gare de Perrache lundi 9 juillet, environ 100 personnes soutenues par de nombreuses associations ont été placées par la préfecture à quelques mètres de là, place Carnot. Chaque soir, les familles montent leurs tentes et chaque matin, elles sont réveillées par les services municipaux qui viennent consciencieusement nettoyer et arroser la pelouse afin que la place ne devienne pas un « campement insalubre ». Vous imaginez, le préfet obligé de démanteler un campement qu’il a lui même créé… Ca friserait la schizophrénie. Ce cinéma dure depuis bientôt 2 mois.

Bilan de la semaine dernière à Lyon, 4 expulsions, pas loin de 200 personnes… Oui, ça fait beaucoup, mais ce n’est pas de ma faute s’ils s’amusent à expulser les mêmes personnes plusieurs fois de suite. C’est comme les charters et l’aide au retour. Si on ne peut plus comptabiliser plusieurs fois les mêmes, ce n’est plus drôle. Comment on ferait pour atteindre les quotas sinon.

Les expulsions de Roms, ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, en revanche, ce sont les méthodes employées. Plutôt que de s’embêter avec des procédures judiciaires longues et coûteuses, on invite les personnes à quitter les lieux sous prétexte de les protéger du danger ou de l’insalubrité. Le maire Collomb pond des arrêtés municipaux, le préfet Carenco envoie police-secours et hop, le tour est joué. Encore plus fort que les méthodes archaïques de Guéant et Sarkozy.

La méthode lyonnaise plait beaucoup aux élus socialistes. Elle vient d’être appliquée à Evry, où le maire découvre que des familles Roms sont subitement en danger sur un terrain qu’elles occupent pourtant depuis plusieurs mois. Un petit arrêté municipal, un coup de fil au préfet et le tour est joué. 70 personnes de plus à la rue alors que le juge devait se prononcer le lendemain. Yesssss… Ca s’appelle une gestion sociale et socialiste des problèmes…

En attendant, toujours pas de propositions de relogements contrairement à la promesse du candidat Hollande. Toutes ces familles dont de très nombreux enfants vont rejoindre la cohorte des sans-abri qui, malgré leurs appels répétés au 115, ne se voient offrir aucune solution d’hébergement en violation de la loi et d’une ordonnance du Conseil d’Etat. (4)

Protéger le droit de propriété, même pour des immeubles ou des terrains vides, oui, appliquer le droit au logement, même pour des nourrissons, certainement pas. Nos rues sont plus propres que vos squats, vous y serez bien mieux pour y dormir. On vous expulse, c’est pour pour votre bien. C’est ça le socialisme à la française qui donne des leçons d’humanité à la terre entière.

Il paraît que le traitement que la France inflige aux Roms sur son territoire viole les conventions internationales. Après l’Union Européenne, c’est l’ONU qui s’en inquiète et met en garde la France. (5) Non … C’est pas possible… Nous, la patrie des Droits de l’Homme ? Décidément, tout fout le camp.

(1) http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-alain/071011/monsieur-hollande-dimanche-cest-lheure-des-choix-nest-ce-pas

(2) http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-alain/250812/reunion-inter-ministerielle-sur-les-roms-un-seul-mot-d-ordre-degage

(3) http://www.rue89lyon.fr/2012/08/03/ces-habitants-qui-veulent-garder-les-roms-pres-de-chez-eux/

(4) http://www.conseil-etat.fr/fr/communiques-de-presse/hebergement-d-urgence.html

(5) http://www.20minutes.fr/ledirect/992761/roms-onu-inquiete-politique-menee-france

Philippe Alain, Mediapart, 30 août 2012

[Notre histoire] La véritable histoire de la libération de Paris

NdPN : Hier nous relations un communiqué FA sur l’arrestation d’anarchistes dans la manifestation célébrant la commémoration de la libération de Paris. Les compagnons voulaient rappeler l’implication des anarchistes espagnols, occultée par les manuels d’histoire officiels. Leur arrestation, suivie d’une libération rapide au bout de trois heures, démontre la volonté claire des autorités (préfecture, présidence…), avec la lâche passivité de certains « socialistes » et « communistes » qui défilaient, d’enterrer la mémoire de ces combattants anarchistes. Ce témoignage nous rapporte ainsi l’attitude de certains manifestants « communistes » durant la manif.

Voici aujourd’hui un article de Paco qui s’inspire du travail d’Evelyn Mesquida sur la Nueve, pour remettre les points sur les i, sur l’implication des Espagnols (notamment anarchistes) dans la libération de Paris.

Non, les anarchistes espagnols ne seront pas enterrés deux fois !

La véritable histoire de la libération de Paris

Longtemps, les manuels d’histoire ont prétendu que la libération de Paris a commencé le 25 août 1944. Après avoir lu le livre de la journaliste Evelyn Mesquida paru au Cherche-Midi, ils vont devoir corriger leur « erreur ». C’est en effet le 24 août 1944 que la 9e compagnie de la 2e division blindée du général Leclerc est entrée dans Paris par la porte d’Italie. Le capitaine Raymond Dronne était à la tête de la Nueve, un régiment composé de républicains espagnols, dont pas mal d’anarchistes, qui espéraient finir leur lutte antifasciste à Madrid. Un espoir déçu, pour ne pas dire trahi.

Impossible de parler de la Nueve sans remonter à la guerre d’Espagne, guerre civile et révolutionnaire où tout un peuple osa rêver d’un autre futur. A partir du 17 juillet 1936, date du soulèvement franquiste au Maroc, les Espagnols durent lutter pendant trente-trois mois contre le fascisme international (Hitler, Mussolini et Salazar prêtaient main-forte au général Franco) et contre quelques faux amis avant d’affronter l’insoutenable « Retirada », une retraite infernale qui les conduisait vers la mort (ce fut le cas notamment pour le poète Antonio Machado à Collioure) ou dans des camps de concentration français. Après la victoire des troupes franquistes, fin janvier 1939, une effroyable fourmilière se rua vers la France. Une marée humaine qui échoua, sous la pluie ou la neige, sur des plages aujourd’hui recherchées par les estivants. Peu de vacanciers savent que les sites où ils lézardent furent d’ignobles lieux de souffrances et même les cimetières de milliers d’Espagnols victimes du froid, de la faim, de la gangrène, de la dysenterie, du désespoir. Désarmés, humiliés, parqués comme des bêtes, couverts de poux et de gale, maltraités par les tirailleurs sénégalais, les « rouges » échappaient aux balles fascistes pour connaître une nouvelle barbarie à la française dans une vingtaine de camps situés dans le Sud-Ouest (Argelès, Saint-Cyprien, Le Vernet, Gurs, Agde, Bram, Septfonds…). Dans son livre La Lie de la terre, Arthur Koestler écrit que le camp du Vernet où il a été emprisonné se situe « au plus haut degré de l’infamie ». Parmi les vaincus, on comptait des nuées d’« extrémistes dangereux », c’est-à-dire des militants très politisés, des combattants aguerris et des dynamiteurs redoutables. Le camp du Vernet regroupait à lui seul 10 200 internés dont la quasi-totalité des anarchistes de la 26e division qui a succédé à la célèbre colonne Durruti. Que faire de ce gibier de potence ? Les autorités françaises en envoyèrent bon nombre, plus de 30 000, dans une cinquantaine de camps de travail disciplinaires situés en Afrique du Nord (Relizane, Bou-Arfa, Camp Morand, Setat, Oued-Akrouch, Kenadsa, Tandara, Meridja, Djelfa…). Véritables esclaves, victimes de tortures et d’assassinats, les Espagnols construisirent des pistes d’aviation, participèrent à la construction de la voie ferrée transsaharienne qui devait relier l’Algérie au Niger. Les anarchistes espagnols avaient été convertis en « pionniers de cette grande œuvre humaine » comme l’annonça le journal Aujourd’hui. L’engagement dans la Légion fut une curieuse alternative offerte aux combattants espagnols. Entre la Légion et la menace d’un retour en Espagne (où une mort certaine les attendait), le choix n’était pas simple, mais néanmoins rapide. Ceux qui furent incorporés dans le 11e régiment se retrouvèrent ainsi sur la ligne Maginot… D’autres iront dans le 11e bataillon de marche d’outre-mer qui participa à la formation de la 13e demi-brigade de la Légion étrangère qui combattit contre les Allemands dans les neiges norvégiennes avant de batailler en Libye, en Syrie, en Egypte, en Tunisie… Engagés parfois juste pour survivre ou recevoir des soins vitaux, ballottés entre les revers militaires de la France et les rivalités au sein des forces alliées, les Espagnols étaient comme des bouchons dans une mer déchaînée. Si de nombreux Espagnols évadés des camps avaient rejoignirent la Résistance en France, c’est en Afrique que d’autres allaient contribuer à écrire un chapitre de l’histoire de la 2e DB. Début 1943, après le débarquement allié en Afrique du Nord, des Espagnols libérés des camps de concentration du Sahara (majoritairement des anarcho-syndicalistes de la CNT) composèrent un bataillon de corps francs. Une autre compagnie commandée par Joseph Putz, officier français héros de 14-18 et de la guerre d’Espagne, intégra aussi d’anciens prisonniers espagnols. Ce genre d’unités de combat déplaisaient fortement à certains officiers français formatés par Vichy et fraîchement gaullistes. Après la reprise de Bizerte, où les Espagnols pénétrèrent les premiers, la presse d’Alger et les généraux américains saluaient cependant « l’habileté de ces guerriers primitifs »

Photo officielle de la Nueve, prise à Dalton Hall, en Angleterre, au printemps 1944 (photo DR)

La 2e DB vit le jour au Maroc, dans la région de Skira-Temara, au sud de Rabat, le 24 août 1943. Un an après, jour pour jour, l’une de ses compagnies, la Nueve, allait libérer Paris. Si Leclerc était el patron pour les Espagnols, Raymond Dronne en était el capitàn. La Nueve fut l’une des unités blindées du 3e bataillon du régiment de marche du Tchad appelé aussi le « bataillon espagnol ». Cent quarante-six hommes de la Nueve, sur cent soixante étaient espagnols ou d’origine hispanique. On y parlait le castillan. Les ordres étaient donnés en espagnol et même le clairon sonnait à la mode espagnole. Les anarchistes y étaient nombreux. Des hommes « difficiles et faciles » selon le capitaine Dronne. Difficiles parce qu’ils ne respectaient que les officiers respectables. Faciles parce leur engagement était total quand ils respectaient leurs officiers. Antimilitaristes, les anars étaient des guerriers expérimentés et courageux. Plus guérilleros que soldats, ils menaient une guerre très personnelle. « On avait tous l’expérience de notre guerre et on savait ce qu’il fallait faire, se souvient German Arrue, ancien des Jeunesses libertaires. On se commandait nous-mêmes. On était une compagnie de choc et on avait tous l’expérience d’une guerre dure. Les Allemands le savaient… » Autre originalité, les Espagnols ont baptisé leurs half-tracks avec les noms de batailles de la guerre d’Espagne : Guadalajara, Brunete, Teruel, Ebro, Santander, Guernica. Pour éviter les querelles, les noms de personnalités avaient été interdits. Par dépit et dérision, des anarchistes qui souhaitaient honorer Buenaventura Durruti, grande figure de la CNT et de la FAI, avaient alors baptisé leur blindé « Les Pingouins ». D’autres encore s’appelaient « Don Quichotte » ou « España cañi » (Espagne gitane). Raymond Dronne ne fut pas en reste quand il fit peindre sur sa jeep un joli « Mort aux cons ». « A la playa ! A la playa ! » Avec un humour noir datant des camps de concentration de 1939, les Espagnols plaisantaient en mer avant de débarquer dans la nuit du 31 juillet au 1er août près de Sainte-Mère-Eglise. La division Leclerc était la première troupe française a mettre les pieds en France depuis quatre ans. Zigzaguant entre les positions nazies, la 2e DB avala les kilomètres d’Avranches au Mans. Avançant cachée dans des chemins discrets et des sentiers touffus, la Nueve roulait vers Alençon en combattant et capturant de nombreux Allemands (qu’ils donnaient aux Américains contre de l’essence, des bottes, des mitrailleuses ou des motos, selon le nombre et le grade des ennemis). La bataille de Normandie passa par Ecouché. Les Espagnols fonçaient « comme des diables » sur les soldats des 2e et 9e Panzerdivisions. Plus drôle, le capitaine Dronne mentionne une anecdote amusante dans ses Mémoires. Les anarchistes et autres anticléricaux se cotisèrent pour que le prêtre du coin puisse se racheter une statue du Sacré-Cœur. La sienne n’avait pas survécu aux combats. La statue achetée avec l’argent des bouffeurs de curés est restée en place jusqu’en 1985. Contrariant les plans américains, Leclerc décida, le 21 août, de lancer ses troupes sur Paris. De Gaulle approuva immédiatement. Le 23 à l’aube, la division se mettait en route avec le régiment du Tchad en tête et la Nueve en première ligne. Le 24 au matin, sous la pluie, les défenses extérieures de Paris étaient atteintes. Les combats contre les canons allemands furent apocalyptiques. Parallèlement, Dronne mettait le cap sur le cœur de la capitale par la porte d’Italie. La Nueve arrivera place de l’Hôtel-de-Ville vers 20 heures. Le lieutenant Amado Granell, ex-capitaine de la Colonne de Fer, fut le premier officier « français » reçu par le Conseil national de la résistance. Georges Bidault, président du Conseil, posa avec lui pour la seule photo que l’on connaisse de ce moment historique. Le journal Libération la publia le 25 août. « C’est les Français ! » criaient les Parisiens. Quand la rumeur annonça qu’il s’agissait en fait d’Espagnols, de nombreux compatriotes accoururent. Plus de 4 000 Espagnols engagés dans la résistance intérieure participèrent à l’insurrection parisienne. La nuit fut gaie. Dronne s’endormit bercé par les hymnes républicains. « Quelle joie pour ces Espagnols combattants de la liberté ! »,écrivit-il plus tard. Plus de 20 000 Allemands bien armés occupaient encore Paris. Leclerc et son état-major entrèrent par la porte d’Orléans où l’accueillit une délégation des Forces françaises de l’intérieur. Le général de Gaulle l’attendait gare Montparnasse. Le nettoyage n’était pas terminé. Une colonne de la Nueve fut chargée de déloger les Allemands d’un central téléphonique. Appuyée par la Résistance, la 2e DB partit combattre autour de l’Opéra, de l’hôtel Meurice, des jardins du Luxembourg, de l’Ecole militaire… Le 25 août au matin, un résistant espagnol, Julio Hernandez, déployait le drapeau républicain, rouge, jaune et violet, sur le consulat d’Espagne. Il fut moins facile d’abattre les forces d’élite allemandes qui défendaient l’hôtel Meurice. Ce sont encore des Espagnols, Antonio Gutiérrez, Antonio Navarro et Francisco Sanchez, qui partirent à l’assaut des lieux avec grenades et mitraillettes. Il désarmèrent le général Dietrich von Choltitz, gouverneur militaire de Paris, et son état-major.

Vidéo

Le 26 août, la Nueve fut salué par de Gaulle et reçut les honneurs militaires. Au risque de déplaire à de nombreux soldats français, de Gaulle chargea la Nueve de le couvrir jusqu’à Notre-Dame. Précaution utile pour éliminer les miliciens qui tiraient lâchement sur la foule en liesse. De Gaulle et Leclerc furent également protégés par la Nueve dans la cathédrale même. Des tireurs isolés y sévissaient. Amado Granell ouvrait la marche dans une grosse cylindrée prise à un général allemand. Curieuse escorte que ces half-tracks nommés Guernica, Teruel, Résistance et Guadalajara qui arboraient côte à côte drapeaux français et drapeaux républicains espagnols… Un autre drapeau républicain, de plus de vingt mètres de long celui-là, fut déployé à leur passage par des Espagnols, hommes, femmes et enfants, survoltés. Après un temps de repos dans le bois de Boulogne où les combattants reçurent la visite de Federica Montseny (militante CNT et ancienne ministre de la Santé du gouvernement républicain), de camarades anarcho-syndicalistes, mais aussi d’admiratrices… le moment de repartir vint le 8 septembre. De nouveaux volontaires, dont des Espagnols de la Résistance, s’étaient engagés dans les troupes de Leclerc pour continuer le combat, mais une page se tournait. Les Espagnols reçurent l’ordre d’enlever leurs drapeaux des half-tracks désormais légendaires. Avant d’arriver au QG de Hitler, à Berchtesgaden, la Nueve traversa des batailles épiques dans des conditions souvent extrêmes à Andelot, Dompaire, Châtel, Xaffévillers, Vacqueville, Strasbourg, Châteauroux… Les Allemands subirent de gros revers, mais les pertes humaines étaient aussi importantes chez les Espagnols. « On a toujours été de la chair à canon, un bataillon de choc, soutient Rafael Gomez. On était toujours en première ligne de feu, tâchant de ne pas reculer, de nous cramponner au maximum. C’était une question d’honneur. » Question de revanche aussi contre les nazis qui ont martyrisé le peuple espagnol et déporté des milliers de républicains à Buchenwald et à Mauthausen. Vainqueurs d’une course contre les Américains, les Français, dont des combattants de la Nueve, investirent les premiers le « nid d’aigle » de Hitler le 5 mai. Après avoir mis hors d’état de nuire les derniers très jeunes nazis qui défendaient la place jusqu’à la mort, officiers et soldats burent du champagne dans des coupes gravées « A H ». Les soldats glanèrent quelques souvenirs (jeu d’échecs, livres anciens, cristallerie, argenterie…) qui améliorèrent ensuite un ordinaire parfois difficile. Les médailles pleuvaient pour les Espagnols rescapés, mais la victoire était amère. Les projets de ces révolutionnaires internationalistes ne se limitaient pas à la libération de la France. « La guerre s’est arrêtée malheureusement, regrettait encore, en 1998, Manuel Lozano, ancien des Jeunesses libertaires. Nous, on attendait de l’aide pour continuer le combat et libérer l’Espagne. »

Le half-track “Guadalajara”, premier véhicule a être entré sur la place de l’Hôtel-de-Ville de Paris, le 24 août 1944 (photo DR)

Le livre d’Evelyn Mesquida, enfin traduit en français par le chanteur libertaire Serge Utge-Royo, est étayé par de nombreuses références historiques, mais aussi par les témoignages des derniers héros de la Nueve recueillis entre 1998 et 2006. Ce qui donne un relief et un souffle extraordinaires. Evadés des camps de concentration, déserteurs de la Légion, anciens des corps francs… chacun avait un parcours singulier. Antifascistes viscéraux, tous étaient pressés d’aller régler son compte à Franco. « Il y a eu des Espagnols si désespérés de voir que l’aide ne venait pas qu’ils en ont perdu la tête et sont partis vers la frontière, sans vouloir en écouter davantage… Ils sont tous morts », explique Fermin Pujol, ancien de la colonne Durruti et de la 26e division. Amado Granell, le premier soldat français reçu à Paris, retourna clandestinement en Espagne en 1952. Il mourut à 71 ans dans un accident de la route près de Valence. Dans son journal, le capitaine Dronne écrit qu’on aurait trouvé des traces de balles sur la voiture… Les manuels scolaires ont gommé la présence des Espagnols dans la Résistance ou dans les forces alliées et de nombreuses personnes s’étonnent d’apprendre que des républicains espagnols, dont nombre d’anarchistes, ont joué un rôle important dans la lutte contre les nazis et la libération de Paris. Comment s’est opérée cette amnésie générale sur fond de patriotisme véreux ? Dans la préface de l’ouvrage, Jorge Semprun, ancien résistant communiste déporté et ancien ministre de la Culture espagnol, l’explique. « Dans les discours de la Libération, entre 1944 et 1945, des centaines de références furent publiées sur l’importance de la participation espagnole. Mais peu après, à la suite de la défaite allemande et la libération de la France, apparut tout de suite la volonté de franciser – ou nationaliser – le combat de ces hommes, de ceux qui luttèrent au sein des armées alliées comme au sein de la Résistance. Ce fut une opération politique consciente et volontaire de la part des autorités gaullistes et, dans le même temps, des dirigeants du Parti communiste français. Quand arriva le moment de réécrire l’histoire française de la guerre, l’alliance communistes-gaullistes fonctionna de façon impeccable. » Aussi incroyable que cela puisse paraître, Luis Royo est le seul membre de la Nueve a avoir reçu un hommage officiel de la mairie de Paris et du gouvernement espagnol en 2004 à l’occasion de la pause d’une plaque sur le quai Henri-IV près de l’Hôtel-de-Ville. En 2011, surveillés de près par la police, une poignée d’ami-e-s de la République espagnole, dont Evelyn Mesquida, s’est regroupée dans l’indifférence quasi générale lors de la commémoration de la libération de Paris. « Avec l’histoire de la Nueve, on possède un thème de grand film »,affirme Jorge Semprun. Assurément. Le plus bel hommage que l’on pourrait rendre aux milliers d’Espagnols combattants de la liberté serait surtout de poursuivre leur lutte pour un autre futur.

Evelyn Mesquida, « La Nueve, 24 août 1944 Ces républicains espagnols qui ont libéré Paris ». Traduction de Serge Utge-Royo. 16 pages de photos. Collection Documents, éditions du Cherche-Midi, 384 pages. 18 €.

La vidéo placée dans cet article a été tournée lors de la présentation du livre « La Nueve » le 10 décembre 2008, à la Librairie espagnole de Paris.

Paco, blog de Floréal, 25 août 2012