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Tordères : commune autogérée, mode d’emploi

Tordères : commune autogérée, mode d’emploi

Avec 180 habitants, le petit village de Tordères dans les Pyrénées Orientales s’est fait connaître pour son fonctionnement municipal inhabituel : le pouvoir y est aux villageois, et la démocratie, participative. Une expérience d’auto-gestion discrète mais bien rodée. Interview de la mairesse porte-voix, Maya Lesné.

Tordères est connu pour sa démocratie participative. Comment le projet et l’équipe municipale se sont-ils constitués ?

Aux dernières élections, le maire sortant en avait ras la casquette, et le précédent (qui était resté 14 ans à la mairie), plutôt procédurier et bétonneur, voulait y retourner. On a alors organisé une grande réunion publique, ouverte à tous, même aux enfants et aux ados. On n’a pas réfléchi à qui était de droite, qui était de gauche, même s’il faut bien avouer que la majorité du village vote à gauche. Nous voulions d’abord décider ensemble de ce que nous souhaitions défendre et ensuite déterminer qui serait candidat, disposé à défendre le bien commun et pas ses propres intérêts.

Très vite, des idées essentielles se sont imposées, quant à la constitution de la liste et au fonctionnement de l’équipe municipale : 1. Que la population soit toujours impliquée dans les décisions du conseil municipal. 2. Que la liste ne soit pas exclusivement composée de notables ni de retraités (qui ont souvent soit le temps, soit l’argent – voire les deux), mais de « gens normaux » : hommes et femmes à parts égales, de tous âges, sans exclure les chômeurs, les précaires ni les personnes arrivant de l’étranger.

Comment se sont déroulées les élections ?

Des 20 personnes retenues, seules 11 se sont finalement présentées, afin de pouvoir faire face à la liste adverse malgré le panachage électoral. Nous avons obtenu 86 voix contre 20. Au final, la moyenne d’âge se situe autour de la quarantaine, ce qui n’est pas sans poser problème : beaucoup ont des activités, une famille, alors que la participation au Conseil prend du temps et de l’énergie. J’ai été désignée comme mairesse, tout simplement parce que j’étais au chômage à l’époque et que j’avais donc plus de temps. Il faut aussi dire que je suis assez grande gueule… L’important étant que ça aurait pu être n’importe lequel d’entre nous.

Quelles priorités pour le village ?

« On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste… » C’est l’esprit de notre programme. Plus concrètement, nous avons défini quatre axes primordiaux : 1. Maintenir l’école coûte que coûte. C’est la condition sine qua non pour que le village vive (le quart de la population a moins de 18 ans !), même si ça représente la moitié du budget. 2. Maintenir les emplois municipaux, également coûte que coûte (secrétaire de mairie et employé polyvalent). 3. Entreprendre une grande réflexion sur l’urbanisme, pour réagir à la forte pression foncière venant de Perpignan. En incluant la protection des zones agricoles et naturelles. 4. Continuer à bien vivre ensemble.

Comment les habitants participent-ils à la prise de décision ?

Pour le premier conseil municipal, nous avons envoyé une lettre aux habitants : tous pouvaient s’inscrire dans les commissions municipales et extra-municipales de leur choix. Finalement, parce que c’était trop restrictif et figé, nous avons encore plus ouvert : tous les habitants du village, enfants et adultes confondus, peuvent à tout moment participer à n’importe quelle commission.

Il existe 5 commissions municipales : Travaux, Environnement et Agriculture, Finances, Affaires sociales, Urbanisme. Certaines d’entre elles sont extra-municipales, dont « Tordères en fête », tout à fait intergénérationnelle : de 4 à 90 ans…

Les commissions ont-elles un rôle réel ?

Oui, les trois quarts des décisions fondamentales se prennent là, dans les commissions, qui se tiennent plus ou moins fréquemment. Les décisions ne sont pas actées si la participation est trop faible (en deçà de 5). Dans ce cas, elles sont mises en attente. « Ça ne vous intéresse plus, alors on en reparlera quand nous serons à nouveau mobilisés. » Il n’est pas question de décider à la place de tous. Si l’on nous dit : « C’est aux élus de faire le boulot ! », je réponds : « C’est mieux qu’on s’y mette tous ! » Il est plus sain de prendre une décision à plusieurs, même si c’est plus long, même si le préfet nous engueule à cause des délais. Et puis, il faut bien avouer que cette façon de faire heurte les habitudes des habitants !

Comment s’articulent commissions et conseil municipal ?

Prenons l’exemple de la Commission Travaux, qui remporte un franc succès. Les habitants se réunissent par rue, ou par « quartier ». C’est à eux de lister les problèmes qu’ils rencontrent et d’envisager les solutions (par exemple, mettre du goudron ou de la terre battue…).

Nous, au conseil municipal, on se contente de chercher le pognon et de voir si c’est jouable, en faisant faire des devis, en recueillant des avis d’experts. Ensuite, on présente ce dossier aux habitants, et c’est eux qui décident. Après tout, c’est leurs impôts, c’est à eux de trancher, et tous sont bien conscients des limites financières.

Il est souvent difficile de comprendre le fonctionnement d’un budget municipal…

Il faut reconnaître que la Commission Finances n’a aucun succès. Les gens ne se sentent pas compétents. Pourtant, comprendre le budget de la commune, et son fonctionnement, est primordial. Cette transmission de la gestion administrative et comptable de la commune à la nouvelle équipe est assurée à 80% par le ou la secrétaire de mairie, bien plus que par l’ancien maire. Sans leur compétence, nous serions démunis.

Trop souvent, à l’échelle de la commune, de la ComCom, du département, les budgets et les questions « délicates » font l’objet de réunions officieuses, où l’on débat, questionne, se met d’accord. Puis, au conseil, dans les réunions ouvertes au public, les décisions sont votées en deux minutes. Elles demeurent incompréhensibles pour les non-initiés, ce qui est à mon sens dramatique.

Il n’y a pas d’essoufflement de la participation, sur la longueur ?

Le problème de ce système est lié à l’usure de l’engagement. Une fois passée l’euphorie des débuts, la participation baisse. Il faut aller tous les jours chercher les habitants pour qu’ils participent, ce qui est plus fatigant que flatteur (même si cela témoigne aussi de la confiance faite aux membres du conseil).

Au début, certains ont également redouté « l’attaque des balançoires », c’est-à-dire la participation des plus jeunes aux décisions municipales. Ce qui a poussé ces adultes à s’engager davantage… Et c’est un sacré exercice de transmettre l’information à la fois aux adultes et aux jeunes. Mais cette transmission nous semble primordiale : il faut que les mômes s’emparent de l’histoire de leur village. Même s’ils sont, par nature, un peu conservateurs…

Est-ce compliqué d’être mairesse dans ces conditions ?

En fait, ce fonctionnement est trois fois plus fastoche pour le maire, et gratifiant. C’est vrai que tu es parfois amené à soutenir le projet des autres. Mais tu peux démissionner si ces derniers vont vraiment à l’encontre de ta façon de voir. C’est ce que je ferais si j’étais confrontée à cette situation. Un maire peut se sentir un peu seul ; il doit (ré)apprendre la discussion, la confiance, la discrétion, parce qu’il y a des moments que tu ne partages ni avec le conseil ni avec les commissions, des moments qui te plongent dans l’intimité des familles. Le premier à être appelé, en cas d’événements graves, ce n’est plus le curé, c’est le maire. On pénètre parfois un espace secret, qui doit le rester. Mais cet isolement n’est pas problématique si l’on aime le dialogue et son village.

Votre village fonctionne de façon très collective. Ce qui n’est pas d’usage à l’extérieur…

C’est là que les choses se corsent, à la préfecture, à la ComCom, dans des réunions qui prennent beaucoup de temps et d’énergie. Tu es alors vraiment seul : le fonctionnement n’est plus collectif, comme au village, mais individuel, fait de rapports de force. Quand, en plus, tu es une nana, et jeune, tu t’en ramasses plein la tronche. Dans ce cas, savoir que le village est derrière toi, que tu défends ses décisions, ça donne des forces.

Peux-tu nous donner un exemple d’un combat mené par Tordères ?

Nous avons eu un sacré bras de fer avec le préfet quant au plan de prévention des risques incendies. Tordères est en zone rouge : les assurances sont très élevées (ce qui entraîne une injuste « sélection » sociale) et, si ta maison brûle, tu ne peux pas la reconstruire ! Sans compter que la commune était censée réaliser des travaux délirants vu son budget. À un moment, si l’État prescrit, l’État paye – ou devrait le faire ! Le préfet pensait nous mettre la pression village par village. Mais nous avons monté un collectif, d’abord au sein de la Comcom des Aspres, qui a hérité avec la Résistance d’une forte solidarité. Le collectif compte maintenant 50 mairies et fait tache d’huile dans tout le Midi. Face à ce plan décidé par un technocrate à deux balles, nous demandons une réflexion nationale.

Et qu’en est-il du projet d’éoliennes sur votre territoire ?

C’était un projet de la ComCom. Les grosses communes étaient pour… mais lorsqu’il a été question des petites communes, ça a été une autre histoire ! Nous ne sommes pas contre l’éolien ou le solaire, au contraire. Nous aurions même pu faire abstraction de la dégradation visuelle. Mais nous ne voulions pas d’un projet qui nous était imposé, en toute opacité, avec en lice des grosses boîtes comme Suez et Areva, où l’énergie produite n’était pas réinjectée dans la commune. Le bras de fer a duré deux ans, mais nous avons fini par gagner : le projet a été abandonné.

Un dernier mot ?

Il est fondamental de se donner d’autres idées, d’autres envies, d’autres manières de faire, en regardant notamment ce qui se passe à Marinaleda, un village d’Andalousie1.

1Site du village, en castillan /Page Wikipedia, en français.

Article 11, 14 septembre 2012

Lire aussi cet article de CQFD

[86] Grogne contre la rectrice

NdPN : Grève des personnels du lycée Branly à Châtellerault pour récupérer un poste administratif supprimé ; indignation de syndicats, de parents d’élèves et d’élus suite aux déclarations et aux propositions de la Rectrice sur les collèges ruraux… les « économies » poursuivies par le gouvernement n’ont pas apaisé la grogne à l’Education nationale.

Pendant ce temps, le ministre Peillon, nouveau préposé à l’usine à gaz, parle de « refonder » l’école sur la base de timides mesurettes. Et des milliers de postes continuent d’être supprimés, poursuivant la logique du « mieux faire avec moins » ; base élèves, socle commun et livret de compétences n’ont pas été abrogés, poursuivant ainsi la logique du contrôle social ; le service minimum au primaire est maintenu… Même dans l’Education, l’une des prétendues « priorités » de Hollande, le changement, c’est décidément pas pour maintenant !

Grève à Branly après la suppression d’un poste

Une grande partie des personnels du lycée Branly ont fait grève hier pour obtenir le rétablissement d’un poste administratif supprimé à la rentrée.

La rentrée s’est déroulée sans accroc à la Cité technique Edouard-Branly la semaine dernière. Mais le feu couvait…

Dès le mois de mai dernier, l’intersyndicale de l’établissement avait fait circuler une pétition contre la suppression d’un poste de secrétariat administratif cette année. En vain. Du coup, elle avait déposé un préavis de grève pour le 6 septembre. Malgré la création d’un demi-poste d’assistant d’éducation entre-temps, elle a fini par le mettre à exécution hier. Le mouvement a été suivi par l’ensemble des personnels administratifs et 40 % des personnels enseignants.

La mise en réseau de Branly et du Verger pointée du doigt

Aux yeux des grévistes, le demi-poste d’assistant d’éducation créé ne suffira pas à compenser le poste supprimé : « C’est un poste précaire et la qualification n’est évidemment pas au rendez-vous puisque l’essentiel de la mission à remplir est la gestion des examens : inscription, organisation et suivi des épreuves, traitement des copies, suivi du contrôle continu… ». Ils demandent que le poste de secrétariat administratif « soit rétabli de façon pérenne et occupé par un agent qualifié », d’autant, selon eux, que « l’équipe de direction est déjà incomplète compte tenu de la structure complexe du lycée (vaste offre de formations, direction conjointe lycée général et lycée professionnel, à laquelle vient de s’ajouter celle du lycée professionnel du Verger) ». D’après eux, cette suppression serait d’ailleurs « une des conséquences de la mise en réseau des lycées professionnels de Branly et du Verger ». Et ils craignent qu’il y en ait d’autres… Dans la matinée, ils ont été reçus par le proviseur Christian Alaphilippe (que nous n’avons pu joindre hier), auprès duquel ils ont sollicité une entrevue avec la rectrice Martine Daoust. Une entrevue finalement obtenue pour cet après-midi. Dans cette perspective, ils devaient reprendre le travail ce matin. Mais ils préviennent : « Si le Rectorat n’accède pas à notre juste demande, nous envisagerons d’autres actions ».

Alain Grimperelle, Nouvelle République, 14 septembre 2012

Le handicap de nos petits collèges de campagne

Les élèves issus des établissements ruraux ont deux fois moins de chance de faire des études supérieures. L’explication de la rectrice fait débat.

La polémique est née d’un constat dressé par la rectrice de l’académie de Poitiers et d’une phrase prononcée le jour de la rentrée des classes : « On a deux fois moins de chances de poursuivre ses études dans l’enseignement supérieur quand on est issu d’un petit collège de moins de 200 élèves que lorsqu’on est scolarisé dans un collège plus important », s’est désolée Martine Daoust en faisant référence aux statistiques sans appel de son administration (lire notre édition du dimanche 9 septembre).

Dans le public, deux collèges de la Vienne sont concernés – ceux de Charroux et de Saint-Savin -, et la tendance vaudrait aussi pour deux autres comptant moins de 250 élèves – à L’Isle-Jourdain et Saint-Jean-de-Sauves. « Le caractère convivial et familial, c’est bien. Mais on câline tellement les élèves dans ce type d’établissements qu’ils sont perdus quand ils se retrouvent au lycée », estime la représentante de l’Education nationale qui juge ce constat « absolument anormal ».

«  Les enfants d’ouvriers ont trois fois moins de chances de faire des études supérieures  »

Que faire pour corriger ce déséquilibre dans la mesure où le conseil général ne souhaite pas fermer les collèges ruraux concernés ? « Ces établissements ont longtemps été protégés, mis sous cloche ; il faut à présent les faire travailler en réseau avec un lycée comme nous l’avons déjà fait à Civray et à Loudun », ajoute Martine Daoust. Les représentants des enseignants et des parents d’élèves se rejoignent pour condamner cette interprétation des statistiques. « Ce n’est pas la structure qui crée le handicap », souligne Laurent Cardona, le secrétaire départemental du syndicat UNSA-Education. « La pauvreté des transports et les origines sociales ne sont-elles pas aussi des sources de frein aux études supérieures ? », interroge Isabelle Siroy, porte-parole de la Fédération des conseils de parents d’élèves de la Vienne. « Nier la difficulté sociale, c’est nier les statistiques de l’Education nationale qui montrent que les enfants d’ouvriers ont trois fois moins de chances de faire des études supérieures que les enfants d’enseignants ou de cadres supérieurs, et les enfants d’inactifs cinq fois moins ! » La FCPE dénonce au passage la suppression d’un poste d’assistante sociale dans le secteur de Civray. Elle rappelle aussi que « les parents souhaitant scolariser leurs enfants au collège de Charroux, soulageant ainsi celui de Gençay, n’obtiennent pas de transports scolaires ». Pour l’UNSA, la « bonne réponse est de donner aux établissements ruraux les mêmes moyens que dans les zones prioritaires des banlieues ». Pas simplement de les faire travailler en réseau, donc. Et encore moins de les fermer.

en savoir plus

 » Une provocation de plus « 

Le secrétaire départemental du syndicat UNSA-Education s’est dit « très choqué » par les propos de la rectrice au sujet des contraintes de la politique d’aménagement du territoire : « Il faut faire vivre le bar-tabac du coin où les profs vont boire leur café le matin. On ne peut pas dire qu’on veut revitaliser les campagnes et fermer les petits collèges… C’est difficile. » Pour Laurent Cardonna, c’est « une provocation de plus de la part de cette rectrice » : « Son raisonnement est trop grossier et trop simpliste pour ne pas être une provocation Depuis deux ans qu’elle est en poste ici, elle en a après les petits collèges mais rien n’est fait pour l’école rurale. »

réactions

> Henri Colin, vice-président du conseil général en charge de l’Education : « Supprimer les cinq collèges de moins de 250 élèves à la périphérie du département reviendrait à créer des zones peuplées d’Indiens. Nous n’avons pas cédé du tout sur ce terrain quand nous avons rencontré la rectrice… Il faut aussi penser aux catégories socio-professionnelles des familles dont les enfants vont dans ces collèges. » > Yves Gargouil, conseiller général de Charroux (majorité) : « Je suis révolté, très énervé à la lecture des propos de la représentante de l’Education nationale dans la Vienne. Je l’invite à venir découvrir la qualité de l’accueil des élèves au collège Romain -Rolland à Charroux, où en juin dernier, tous les élèves ont eu leur brevet, avec de très bons résultats. » > Xavier Moinier, conseiller général de Saint-Julien-l’Ars (opposition) : « Il serait intéressant de connaître la réussite des enfants dans les collèges où les effectifs explosent mais il me semble bien plus urgent de remettre à plat la carte des collèges dans la Vienne. Une répartition plus équilibrée des effectifs pourrait être une première piste évitant leur fermeture définitive à terme. Une seconde piste serait d’envisager des fermetures là où un autre collège existe à proximité en mettant en place des transports collectifs. »

la phrase

 » Les collèges de proximité sont une nécessité pour que nos enfants ne subissent pas plus de deux heures de trajet par jour. « 

« Nous demandons depuis plusieurs années que soient revus les secteurs des collèges pour équilibrer les établissements et en finir ainsi avec les gros et les petits collèges », rappelle la porte-parole de la FCPE de la Vienne, Isabelle Siroy. « Dans notre département rural, les collèges de proximité sont une nécessité pour que nos enfants ne subissent pas plus de deux heures de trajet par jour et puissent donc conserver encore un peu d’énergie pour les devoirs du soir à la maison. »

Baptiste Bize, Nouvelle République, 14 septembre 2012

C’est la rentrée du Monde Libertaire !

NdPN : Le Monde Libertaire (hebdo, 24 pages) de la rentrée sort ce jeudi, après deux mois de vacances bien mérités et un hors-série sur le Mexique. Il est disponible dans tous les bons kiosques, auprès de nous à prix libre, et en consultation au biblio-café. Trois articles sont lisibles sur le site du monde libertaire (liens directs ci-dessous).

Le Monde Libertaire gratos 8 pages (bihebdo), nouvelle formule (avec des articles propres au gratos et non plus des reprises du ML 24 pages), sera par ailleurs diffusé dans les rues de Poitiers et déposé au biblio-café, dans le courant de la semaine prochaine.

Bonne lecture !

Le Monde Libertaire # 1680 du 13 au 19 Septembre 2012

«Pour être un membre irréprochable parmi une communauté de moutons, il faut avant toute chose être soi-même un mouton.» Albert Einstein

Sommaire du Monde Libertaire # 1680 du 13 au 19 Septembre 2012

Actualité Patronat et social démocratie, par G. Goutte, page 3

Des fachos dans le Gard, page 4

La bêtise n’a point de cesse, par P. Schindler, page 5

Une météo syndicale de rappel de J.-P. Germain, page 6

Un expert sarkozyste de moins, par M. Silberstein, page 7

La chronique néphrétique de Rodkol, page 8

Spéculation alimentaire en vue, par P. Sommermeyer, page 9

La crise est une carotte, par R. Pino, page 10

International Saint-Imier, atmosphère, atmosphère, par H. Lenoir, page 12

Communiqué de soutien aux Biélorusses, page 14

Mujeres libres, par R. Pélagie, page 15

Arguments Chronique obscurantiste du Furet, page 16

Homme Vs Nature, par J.-P. Tertrais, page 17

Expressions À la conquête du pain, par André, page 19

Mouvement Un repas citoyen, par Tristan, page 21

Le Chiendent orléanais, par L’éléphant sage, page 22

Radio libertaire, page 22

Agenda, page 23

Illustrations Aurelio, Jokoko, Krokaga, Slo, Riri, Némo

Editorial du Monde Libertaire # 1680 du 13 au 19 Septembre 2012

Sans psalmodier comme la droite, en de piteux titatas, que Hollande n’a rien fait pendant ses «100 jours », sans évoquer, sournoisement comme Canal +, un gouvernement «canard» qui multiplie les couacs, force est de constater que l’équipe aux manettes depuis peu n’a guère brillé pendant cet été. Elle se prend, dirait-on, les pieds dans la moquette des promesses électorales. Pourtant le nombre de pauvres en augmentation, le salaire moyen par ménage en baisse, les trois officiels millions de chômeurs, tous ces chiffres attestent des forfaits d’une droite décomplexée et virée de justesse. La relève jusqu’à présent ne vaut guère mieux. La chasse aux pauvres, les constats amers et les pas de clercs devant Patrons, Fric et Finance, s’accumulent : Émeutes urbaines d’Amiens, ces «résistances à la dépossession» réduites au flashball, saccage du CREA appuyées par les lourdes sanctions des juges aux ordres, déportations des Roms comme au bon vieux temps de Guéant, impasse dans les conflits sociaux dont PSA malgré les tartarinades de Montebourg, prises de position d’un Chérèque, réducteur en grande forme des salaires à la CFDT, impôts sur les riches et les spéculateurs revus à la baisse etc. Comme le Canard enchaîné le rappelle, Peillon enfourche le bidet de la morale à l’école, on reprend allègrement les forages pétroliers en Guyane, Ayrault remet en question les limitations à l’exploitation des gaz de schiste, Batho appuie le futur aéroport de Notre-dame-des-Landes, Montebourg, encore lui, fait la nique aux écolos en déclarant que le nucléaire est «une filière d’avenir»… Y’a pas à dire le Pouvoir les rend pragmatiques, ces rosâtres réformistes. Eux aussi se cachent derrière La Crise. Un peu de sérieux : cette fameuse crise, c’est l’appétit des marchés, les conneries des banques qui l’ont instaurée et ce ne sont pas de vagues promesses de «croissance» qui vont y changer quelque chose. Le capitalisme comme fin de l’Histoire, l’économie de marché, l’égoïsme érigé en religion, le réformisme tremblotant, la croâssance, cette ultime utopie condamnée par la surpopulation et des ressources en épuisement, c’est râpé ces trucs et manigances… le vrai changement est ce que les anarchistes proposent dans le désert depuis longtemps, autogestion, communalisme, fédération, et c’est eux qu’on traite d’utopistes !

Sons des rencontres internationales de St-Imier : interviews, micro-trottoirs… (1ère partie)

Sons des rencontres internationales de St-Imier : interviews, micro-trottoirs… (1ère partie)

Autour de 3000 personnes se sont réunies à St-Imier (Jura bernois – Suisse) pour les Rencontres    internationales de l’anarchisme à l’occasion des 140 ans de l’Internationale dite « anti-autoritaire ».

Voici une série d’interviews de militantes et militants de tous pays et de micro-trottoirs qui ont été effectués par Radio libertaire sur place !

En cliquant sur les liens proposés, vous pouvez écouter en direct ces enregistrements (sans téléchargement). Et hop, un bon moyen de se balader sur    une grande partie de la planète en très bonne compagnie !

Quelques textes et citations bien sentis sont proposés auprès de chaque émission en guise de mise en bouche. Rien que leur lecture est stimulante    !

« Les anarchistes savent qu’il est difficile d’appliquer leurs principes libertaires dans une société qu’ils estiment autoritaire. Pour les uns,    l’issue est de se retirer le plus possible de la masse, individuellement ou entre égaux choisis de façon affinitaire. Pour les autres, la plongée dans le combat social est inévitable, et passe    par différentes formes de modulations ou de compromis, jugés différemment selon les circonstances, les individus et les organisations. La cohérence des idées semble tenir davantage à un respect    de l’éthique qu’à un choix de l’absolu. » Philippe Pelletier

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Présentation : http://is.gd/fcLATY (29 minutes)
L’internationale des fédérations anarchistes (IFA) : http://is.gd/xBfsEG (30 min)
140 ans d’anarchie : http://is.gd/fnmwYG (37 min)
Anarchie au Mexique : http://is.gd/e5Emhl (41 min)
Anarchie en Grèce : http://is.gd/61qxFO (33 min)
Anarchie en Roumanie : http://is.gd/ehCPJM (34 min)
Anarchie en Tunisie : http://is.gd/aMPfrB (24 min)
Esperanto ou tard : http://is.gd/PbLwfQ (82 min)
Anarchie au Japon : http://is.gd/Y64txd (46 min)
Anarchie en Argentine : http://is.gd/Flic6K (41 min)
Anarchie au Brésil (saison 1) : http://is.gd/EBO7Mf (39 min)
Anarchie au Brésil (saison 2) : http://is.gd/iVZ7w1 (33 min)
Anarchie en Croatie : http://is.gd/YIC7Go (39 min)
Anarchie au Chili : http://is.gd/AwLs7d (32 min)
Congrès de l’internationale des fédérations anarchistes : http://is.gd/ehCWOv (53 min)
En guise de synthèse : http://is.gd/pafJ3K (65 min)
Melting-pot et tutti frutti (avec des chansons !) : http://is.gd/nRjYVq (51 min)

« Il ne faut pas former une masse, inutile de reproduire les préjugés, les préoccupations, les erreurs et les coutumes qui caractérisent les    foules aveugles. La masse est fermement convaincue qu’il lui faut un chef ou un guide pour la mener à son destin. Vers la liberté ou vers la tyrannie, peu importe : elle veut être guidée, avec la    carotte ou avec le bâton.
Cette habitude si tenace est source de nombreux maux nuisibles à l’émancipation de l’être humain : elle place sa vie, son honneur,    son bien-être, son avenir, sa liberté entre les mains de celui qu’elle fait chef. C’est lui qui doit penser pour tous, c’est lui qui est chargé du    bien-être et de la liberté du peuple en général comme de chaque individu en particulier.
C’est ainsi que des milliers de cerveaux ne pensent pas puisque c’est le chef qui est chargé de le faire. Les masses deviennent donc passives,    ne prennent aucune initiative et se traînent dans une existence de troupeau. Ce troupeau, les politiques et tous ceux qui aspirent à des postes publics le flattent au moment des élections pour    ensuite mieux le tromper une fois qu’elles sont passées. Les ambitieux le trompent à coups de promesses au cours des périodes révolutionnaires pour récompenser ensuite ses sacrifices à coups de    pieds une fois la victoire obtenue.
Il ne faut pas former une masse. Il faut former un ensemble d’individus pensants, unis pour atteindre des fins communes à tous    mais où chacun, homme ou femme, pense avec sa propre tête et s’efforce de donner son opinion sur ce qu’il convient de faire pour réaliser nos aspirations communes, qui ne sont autres que la liberté et le bien-être de tous fondés sur la liberté et le bien-être de chacun. Pour parvenir à cela, il est nécessaire de détruire ce qui s’y oppose :    l’inégalité. Il faut faire en sorte que la terre, les outils, les machines, les provisions, les maisons et tout ce qui existe, qu’il s’agisse du produit de la nature ou de l’intelligence humaine,    passent du peu de mains qui les détiennent actuellement aux mains de tous, femmes ou hommes, pour produire en commun, chacun selon ses forces et ses aptitudes, et consommer selon ses    besoins.
Pour y parvenir, nul besoin de chefs. Bien au contraire, ils constituent un obstacle puisque le chef veut dominer, il veut qu’on lui obéisse, il    veut être au-dessus de tout le monde. Jamais aucun chef ne pourra voir d’un bon œil la volonté des pauvres d’instaurer un système social basé sur l’égalité économique, politique et sociale. Un    tel système ne garantit pas aux chefs la vie oisive et facile, pleine d’honneur et de gloire, qu’ils souhaitent mener aux dépends des sacrifices des humbles. »
Ricardo Flores Magon

Blog des groupes Lochu-Ferrer (FA 56), 31 août 2012

[Notre histoire] La véritable histoire de la libération de Paris

NdPN : Hier nous relations un communiqué FA sur l’arrestation d’anarchistes dans la manifestation célébrant la commémoration de la libération de Paris. Les compagnons voulaient rappeler l’implication des anarchistes espagnols, occultée par les manuels d’histoire officiels. Leur arrestation, suivie d’une libération rapide au bout de trois heures, démontre la volonté claire des autorités (préfecture, présidence…), avec la lâche passivité de certains « socialistes » et « communistes » qui défilaient, d’enterrer la mémoire de ces combattants anarchistes. Ce témoignage nous rapporte ainsi l’attitude de certains manifestants « communistes » durant la manif.

Voici aujourd’hui un article de Paco qui s’inspire du travail d’Evelyn Mesquida sur la Nueve, pour remettre les points sur les i, sur l’implication des Espagnols (notamment anarchistes) dans la libération de Paris.

Non, les anarchistes espagnols ne seront pas enterrés deux fois !

La véritable histoire de la libération de Paris

Longtemps, les manuels d’histoire ont prétendu que la libération de Paris a commencé le 25 août 1944. Après avoir lu le livre de la journaliste Evelyn Mesquida paru au Cherche-Midi, ils vont devoir corriger leur « erreur ». C’est en effet le 24 août 1944 que la 9e compagnie de la 2e division blindée du général Leclerc est entrée dans Paris par la porte d’Italie. Le capitaine Raymond Dronne était à la tête de la Nueve, un régiment composé de républicains espagnols, dont pas mal d’anarchistes, qui espéraient finir leur lutte antifasciste à Madrid. Un espoir déçu, pour ne pas dire trahi.

Impossible de parler de la Nueve sans remonter à la guerre d’Espagne, guerre civile et révolutionnaire où tout un peuple osa rêver d’un autre futur. A partir du 17 juillet 1936, date du soulèvement franquiste au Maroc, les Espagnols durent lutter pendant trente-trois mois contre le fascisme international (Hitler, Mussolini et Salazar prêtaient main-forte au général Franco) et contre quelques faux amis avant d’affronter l’insoutenable « Retirada », une retraite infernale qui les conduisait vers la mort (ce fut le cas notamment pour le poète Antonio Machado à Collioure) ou dans des camps de concentration français. Après la victoire des troupes franquistes, fin janvier 1939, une effroyable fourmilière se rua vers la France. Une marée humaine qui échoua, sous la pluie ou la neige, sur des plages aujourd’hui recherchées par les estivants. Peu de vacanciers savent que les sites où ils lézardent furent d’ignobles lieux de souffrances et même les cimetières de milliers d’Espagnols victimes du froid, de la faim, de la gangrène, de la dysenterie, du désespoir. Désarmés, humiliés, parqués comme des bêtes, couverts de poux et de gale, maltraités par les tirailleurs sénégalais, les « rouges » échappaient aux balles fascistes pour connaître une nouvelle barbarie à la française dans une vingtaine de camps situés dans le Sud-Ouest (Argelès, Saint-Cyprien, Le Vernet, Gurs, Agde, Bram, Septfonds…). Dans son livre La Lie de la terre, Arthur Koestler écrit que le camp du Vernet où il a été emprisonné se situe « au plus haut degré de l’infamie ». Parmi les vaincus, on comptait des nuées d’« extrémistes dangereux », c’est-à-dire des militants très politisés, des combattants aguerris et des dynamiteurs redoutables. Le camp du Vernet regroupait à lui seul 10 200 internés dont la quasi-totalité des anarchistes de la 26e division qui a succédé à la célèbre colonne Durruti. Que faire de ce gibier de potence ? Les autorités françaises en envoyèrent bon nombre, plus de 30 000, dans une cinquantaine de camps de travail disciplinaires situés en Afrique du Nord (Relizane, Bou-Arfa, Camp Morand, Setat, Oued-Akrouch, Kenadsa, Tandara, Meridja, Djelfa…). Véritables esclaves, victimes de tortures et d’assassinats, les Espagnols construisirent des pistes d’aviation, participèrent à la construction de la voie ferrée transsaharienne qui devait relier l’Algérie au Niger. Les anarchistes espagnols avaient été convertis en « pionniers de cette grande œuvre humaine » comme l’annonça le journal Aujourd’hui. L’engagement dans la Légion fut une curieuse alternative offerte aux combattants espagnols. Entre la Légion et la menace d’un retour en Espagne (où une mort certaine les attendait), le choix n’était pas simple, mais néanmoins rapide. Ceux qui furent incorporés dans le 11e régiment se retrouvèrent ainsi sur la ligne Maginot… D’autres iront dans le 11e bataillon de marche d’outre-mer qui participa à la formation de la 13e demi-brigade de la Légion étrangère qui combattit contre les Allemands dans les neiges norvégiennes avant de batailler en Libye, en Syrie, en Egypte, en Tunisie… Engagés parfois juste pour survivre ou recevoir des soins vitaux, ballottés entre les revers militaires de la France et les rivalités au sein des forces alliées, les Espagnols étaient comme des bouchons dans une mer déchaînée. Si de nombreux Espagnols évadés des camps avaient rejoignirent la Résistance en France, c’est en Afrique que d’autres allaient contribuer à écrire un chapitre de l’histoire de la 2e DB. Début 1943, après le débarquement allié en Afrique du Nord, des Espagnols libérés des camps de concentration du Sahara (majoritairement des anarcho-syndicalistes de la CNT) composèrent un bataillon de corps francs. Une autre compagnie commandée par Joseph Putz, officier français héros de 14-18 et de la guerre d’Espagne, intégra aussi d’anciens prisonniers espagnols. Ce genre d’unités de combat déplaisaient fortement à certains officiers français formatés par Vichy et fraîchement gaullistes. Après la reprise de Bizerte, où les Espagnols pénétrèrent les premiers, la presse d’Alger et les généraux américains saluaient cependant « l’habileté de ces guerriers primitifs »

Photo officielle de la Nueve, prise à Dalton Hall, en Angleterre, au printemps 1944 (photo DR)

La 2e DB vit le jour au Maroc, dans la région de Skira-Temara, au sud de Rabat, le 24 août 1943. Un an après, jour pour jour, l’une de ses compagnies, la Nueve, allait libérer Paris. Si Leclerc était el patron pour les Espagnols, Raymond Dronne en était el capitàn. La Nueve fut l’une des unités blindées du 3e bataillon du régiment de marche du Tchad appelé aussi le « bataillon espagnol ». Cent quarante-six hommes de la Nueve, sur cent soixante étaient espagnols ou d’origine hispanique. On y parlait le castillan. Les ordres étaient donnés en espagnol et même le clairon sonnait à la mode espagnole. Les anarchistes y étaient nombreux. Des hommes « difficiles et faciles » selon le capitaine Dronne. Difficiles parce qu’ils ne respectaient que les officiers respectables. Faciles parce leur engagement était total quand ils respectaient leurs officiers. Antimilitaristes, les anars étaient des guerriers expérimentés et courageux. Plus guérilleros que soldats, ils menaient une guerre très personnelle. « On avait tous l’expérience de notre guerre et on savait ce qu’il fallait faire, se souvient German Arrue, ancien des Jeunesses libertaires. On se commandait nous-mêmes. On était une compagnie de choc et on avait tous l’expérience d’une guerre dure. Les Allemands le savaient… » Autre originalité, les Espagnols ont baptisé leurs half-tracks avec les noms de batailles de la guerre d’Espagne : Guadalajara, Brunete, Teruel, Ebro, Santander, Guernica. Pour éviter les querelles, les noms de personnalités avaient été interdits. Par dépit et dérision, des anarchistes qui souhaitaient honorer Buenaventura Durruti, grande figure de la CNT et de la FAI, avaient alors baptisé leur blindé « Les Pingouins ». D’autres encore s’appelaient « Don Quichotte » ou « España cañi » (Espagne gitane). Raymond Dronne ne fut pas en reste quand il fit peindre sur sa jeep un joli « Mort aux cons ». « A la playa ! A la playa ! » Avec un humour noir datant des camps de concentration de 1939, les Espagnols plaisantaient en mer avant de débarquer dans la nuit du 31 juillet au 1er août près de Sainte-Mère-Eglise. La division Leclerc était la première troupe française a mettre les pieds en France depuis quatre ans. Zigzaguant entre les positions nazies, la 2e DB avala les kilomètres d’Avranches au Mans. Avançant cachée dans des chemins discrets et des sentiers touffus, la Nueve roulait vers Alençon en combattant et capturant de nombreux Allemands (qu’ils donnaient aux Américains contre de l’essence, des bottes, des mitrailleuses ou des motos, selon le nombre et le grade des ennemis). La bataille de Normandie passa par Ecouché. Les Espagnols fonçaient « comme des diables » sur les soldats des 2e et 9e Panzerdivisions. Plus drôle, le capitaine Dronne mentionne une anecdote amusante dans ses Mémoires. Les anarchistes et autres anticléricaux se cotisèrent pour que le prêtre du coin puisse se racheter une statue du Sacré-Cœur. La sienne n’avait pas survécu aux combats. La statue achetée avec l’argent des bouffeurs de curés est restée en place jusqu’en 1985. Contrariant les plans américains, Leclerc décida, le 21 août, de lancer ses troupes sur Paris. De Gaulle approuva immédiatement. Le 23 à l’aube, la division se mettait en route avec le régiment du Tchad en tête et la Nueve en première ligne. Le 24 au matin, sous la pluie, les défenses extérieures de Paris étaient atteintes. Les combats contre les canons allemands furent apocalyptiques. Parallèlement, Dronne mettait le cap sur le cœur de la capitale par la porte d’Italie. La Nueve arrivera place de l’Hôtel-de-Ville vers 20 heures. Le lieutenant Amado Granell, ex-capitaine de la Colonne de Fer, fut le premier officier « français » reçu par le Conseil national de la résistance. Georges Bidault, président du Conseil, posa avec lui pour la seule photo que l’on connaisse de ce moment historique. Le journal Libération la publia le 25 août. « C’est les Français ! » criaient les Parisiens. Quand la rumeur annonça qu’il s’agissait en fait d’Espagnols, de nombreux compatriotes accoururent. Plus de 4 000 Espagnols engagés dans la résistance intérieure participèrent à l’insurrection parisienne. La nuit fut gaie. Dronne s’endormit bercé par les hymnes républicains. « Quelle joie pour ces Espagnols combattants de la liberté ! »,écrivit-il plus tard. Plus de 20 000 Allemands bien armés occupaient encore Paris. Leclerc et son état-major entrèrent par la porte d’Orléans où l’accueillit une délégation des Forces françaises de l’intérieur. Le général de Gaulle l’attendait gare Montparnasse. Le nettoyage n’était pas terminé. Une colonne de la Nueve fut chargée de déloger les Allemands d’un central téléphonique. Appuyée par la Résistance, la 2e DB partit combattre autour de l’Opéra, de l’hôtel Meurice, des jardins du Luxembourg, de l’Ecole militaire… Le 25 août au matin, un résistant espagnol, Julio Hernandez, déployait le drapeau républicain, rouge, jaune et violet, sur le consulat d’Espagne. Il fut moins facile d’abattre les forces d’élite allemandes qui défendaient l’hôtel Meurice. Ce sont encore des Espagnols, Antonio Gutiérrez, Antonio Navarro et Francisco Sanchez, qui partirent à l’assaut des lieux avec grenades et mitraillettes. Il désarmèrent le général Dietrich von Choltitz, gouverneur militaire de Paris, et son état-major.

Vidéo

Le 26 août, la Nueve fut salué par de Gaulle et reçut les honneurs militaires. Au risque de déplaire à de nombreux soldats français, de Gaulle chargea la Nueve de le couvrir jusqu’à Notre-Dame. Précaution utile pour éliminer les miliciens qui tiraient lâchement sur la foule en liesse. De Gaulle et Leclerc furent également protégés par la Nueve dans la cathédrale même. Des tireurs isolés y sévissaient. Amado Granell ouvrait la marche dans une grosse cylindrée prise à un général allemand. Curieuse escorte que ces half-tracks nommés Guernica, Teruel, Résistance et Guadalajara qui arboraient côte à côte drapeaux français et drapeaux républicains espagnols… Un autre drapeau républicain, de plus de vingt mètres de long celui-là, fut déployé à leur passage par des Espagnols, hommes, femmes et enfants, survoltés. Après un temps de repos dans le bois de Boulogne où les combattants reçurent la visite de Federica Montseny (militante CNT et ancienne ministre de la Santé du gouvernement républicain), de camarades anarcho-syndicalistes, mais aussi d’admiratrices… le moment de repartir vint le 8 septembre. De nouveaux volontaires, dont des Espagnols de la Résistance, s’étaient engagés dans les troupes de Leclerc pour continuer le combat, mais une page se tournait. Les Espagnols reçurent l’ordre d’enlever leurs drapeaux des half-tracks désormais légendaires. Avant d’arriver au QG de Hitler, à Berchtesgaden, la Nueve traversa des batailles épiques dans des conditions souvent extrêmes à Andelot, Dompaire, Châtel, Xaffévillers, Vacqueville, Strasbourg, Châteauroux… Les Allemands subirent de gros revers, mais les pertes humaines étaient aussi importantes chez les Espagnols. « On a toujours été de la chair à canon, un bataillon de choc, soutient Rafael Gomez. On était toujours en première ligne de feu, tâchant de ne pas reculer, de nous cramponner au maximum. C’était une question d’honneur. » Question de revanche aussi contre les nazis qui ont martyrisé le peuple espagnol et déporté des milliers de républicains à Buchenwald et à Mauthausen. Vainqueurs d’une course contre les Américains, les Français, dont des combattants de la Nueve, investirent les premiers le « nid d’aigle » de Hitler le 5 mai. Après avoir mis hors d’état de nuire les derniers très jeunes nazis qui défendaient la place jusqu’à la mort, officiers et soldats burent du champagne dans des coupes gravées « A H ». Les soldats glanèrent quelques souvenirs (jeu d’échecs, livres anciens, cristallerie, argenterie…) qui améliorèrent ensuite un ordinaire parfois difficile. Les médailles pleuvaient pour les Espagnols rescapés, mais la victoire était amère. Les projets de ces révolutionnaires internationalistes ne se limitaient pas à la libération de la France. « La guerre s’est arrêtée malheureusement, regrettait encore, en 1998, Manuel Lozano, ancien des Jeunesses libertaires. Nous, on attendait de l’aide pour continuer le combat et libérer l’Espagne. »

Le half-track “Guadalajara”, premier véhicule a être entré sur la place de l’Hôtel-de-Ville de Paris, le 24 août 1944 (photo DR)

Le livre d’Evelyn Mesquida, enfin traduit en français par le chanteur libertaire Serge Utge-Royo, est étayé par de nombreuses références historiques, mais aussi par les témoignages des derniers héros de la Nueve recueillis entre 1998 et 2006. Ce qui donne un relief et un souffle extraordinaires. Evadés des camps de concentration, déserteurs de la Légion, anciens des corps francs… chacun avait un parcours singulier. Antifascistes viscéraux, tous étaient pressés d’aller régler son compte à Franco. « Il y a eu des Espagnols si désespérés de voir que l’aide ne venait pas qu’ils en ont perdu la tête et sont partis vers la frontière, sans vouloir en écouter davantage… Ils sont tous morts », explique Fermin Pujol, ancien de la colonne Durruti et de la 26e division. Amado Granell, le premier soldat français reçu à Paris, retourna clandestinement en Espagne en 1952. Il mourut à 71 ans dans un accident de la route près de Valence. Dans son journal, le capitaine Dronne écrit qu’on aurait trouvé des traces de balles sur la voiture… Les manuels scolaires ont gommé la présence des Espagnols dans la Résistance ou dans les forces alliées et de nombreuses personnes s’étonnent d’apprendre que des républicains espagnols, dont nombre d’anarchistes, ont joué un rôle important dans la lutte contre les nazis et la libération de Paris. Comment s’est opérée cette amnésie générale sur fond de patriotisme véreux ? Dans la préface de l’ouvrage, Jorge Semprun, ancien résistant communiste déporté et ancien ministre de la Culture espagnol, l’explique. « Dans les discours de la Libération, entre 1944 et 1945, des centaines de références furent publiées sur l’importance de la participation espagnole. Mais peu après, à la suite de la défaite allemande et la libération de la France, apparut tout de suite la volonté de franciser – ou nationaliser – le combat de ces hommes, de ceux qui luttèrent au sein des armées alliées comme au sein de la Résistance. Ce fut une opération politique consciente et volontaire de la part des autorités gaullistes et, dans le même temps, des dirigeants du Parti communiste français. Quand arriva le moment de réécrire l’histoire française de la guerre, l’alliance communistes-gaullistes fonctionna de façon impeccable. » Aussi incroyable que cela puisse paraître, Luis Royo est le seul membre de la Nueve a avoir reçu un hommage officiel de la mairie de Paris et du gouvernement espagnol en 2004 à l’occasion de la pause d’une plaque sur le quai Henri-IV près de l’Hôtel-de-Ville. En 2011, surveillés de près par la police, une poignée d’ami-e-s de la République espagnole, dont Evelyn Mesquida, s’est regroupée dans l’indifférence quasi générale lors de la commémoration de la libération de Paris. « Avec l’histoire de la Nueve, on possède un thème de grand film »,affirme Jorge Semprun. Assurément. Le plus bel hommage que l’on pourrait rendre aux milliers d’Espagnols combattants de la liberté serait surtout de poursuivre leur lutte pour un autre futur.

Evelyn Mesquida, « La Nueve, 24 août 1944 Ces républicains espagnols qui ont libéré Paris ». Traduction de Serge Utge-Royo. 16 pages de photos. Collection Documents, éditions du Cherche-Midi, 384 pages. 18 €.

La vidéo placée dans cet article a été tournée lors de la présentation du livre « La Nueve » le 10 décembre 2008, à la Librairie espagnole de Paris.

Paco, blog de Floréal, 25 août 2012