Archives de catégorie : Le travail tue

[Village-Monde] Des nouvelles du rapport profit-salaires

Des salariés plus productifs, mais moins payés

Voilà une information qui devrait déplaire aux tenants de la « compétitivité » : entre 1999 et 2011, la productivité des salariés dans le monde a progressé trois fois plus vite que les salaires moyens. « Pour le dire simplement, davantage du gâteau national est allé aux profits, et moins aux salariés », résume l’Organisation internationale du travail (OIT), suite à la publication de son rapport mondial sur les salaires, ce 7 décembre.

« La part des salariés dans le revenu national s’est rétrécie dans la plupart des pays, provoquant un mécontentement populaire et augmentant le risque de troubles sociaux », souligne l’OIT. Dans les économies développées, la part de la rétribution du travail est passée de 75% du revenu national, à 65%. A l’échelle de la France, cela signifie qu’aujourd’hui environ 200 milliards d’euros [1] ont été transférés de la rémunération du travail vers la rémunération du capital et les marchés financiers. En trente ans, la part des dividendes dans les revenus distribués a été multipliée par trois , passant de 4% à 13%. Vous avez dit compétitivité ?

Pire : désormais, au prétexte de l’austérité, les salaires au sein des économies développées commencent à baisser. En Grèce, le revenu minimum a ainsi été amputé de 22%. Résultat : « Les travailleurs pauvres représentent plus de 7% de l’ensemble des travailleurs aux États-Unis et 8% en Europe », ajoute l’OIT. Au sein des pays émergents, si les salaires continuent de croître, ils subissent la même pression de la part de la finance. « Même en Chine, où les salaires ont triplé au cours de la décennie écoulée, la part du revenu national qui revient aux salariés a baissé », pointe l’organisation. Les disparités entre salariés restent très fortes : un ouvrier grec du secteur manufacturier (13 dollars de l’heure) gagne dix fois plus que son homologue philippin (1,40 dollar), mais presque trois fois moins que son camarade danois (35 dollars).

Notes

[1] 10% du revenu national brut de 2011.

Ivan du Roy, Bastamag, 10 décembre 2012

[Ingrandes – 86] « Eux, ils s’en vont les poches pleines, et nous les poches vides »

Coop Atlantique d’Ingrandes :  » On a été pris pour des pigeons « 

Joël Bessonnet a baissé son salaire pour rester à la Coop : « C’est très dur. » – (Photos Patrick Lavaud)

Après l’annonce de la fermeture du site, les 150 salariés de la Coop Atlantique d’Ingrandes ont repris le travail hier. Comme d’habitude ou presque.

A l’entrée des livraisons, le ballet des camions n’a pas changé. Pour la Coop atlantique, qui prépare les commandes des magasins de la région du réseau Système U, le mois de décembre est le plus important.

De l’autre côté de l’entrepôt situé derrière Aigle sur la zone de Saint-Ustre, les salariés suivent les horaires de sortie, comme d’habitude. Ou presque.

«  Ce n’est pas normal car il y a du boulot  »

Certains s’arrêtent pour commenter la décision prononcée la veille, à Saintes, lors du comité central d’entreprise. « C’est fini, lâche l’un d’entre eux. Après 36 ans de boîte, des heures sup sans compter, le big bang pour tout faire quand il le fallait, c’est fini. Eux, ils s’en vont les poches pleines, et nous les poches vides. » En sortant, chacun commente l’ambiance tendue et la crainte de devoir connaître ça pendant encore dix-huit mois, l’entrepôt ne devant fermer qu’en juin 2014. « J’ai déjà connu un PSE il y a trois ans et demi quand le laboratoire de charcuterie a fermé, raconte Joël Bessonnet. J’ai accepté de baisser mon salaire, j’ai perdu 650 €. Après 31 ans d’entreprise, c’est très dur. » Personne ne veut croire aux promesses faites par la direction la veille : aucun licenciement, des reclassements dans les entrepôts – qui vont eux aussi connaître des plans de sauvegarde de l’emploi – de Limoges et Saintes. D’ailleurs, expliquent-ils, l’après-midi, le document remis aux représentants du personnel fait état de 144 propositions de postes, uniquement en magasins et dans les cafétérias du groupe. « A Jarnac, La Rochelle, ou Bordeaux, tout ça au Smic, et à temps partiel pour 80 % d’entre eux », explique Christian Triphose, délégué syndical CGT du site. « Je vais retrouver mon agence d’intérim », ironise Aurélien, 28 ans, depuis un an et demi à la Coop Atlantique. « Dans le contexte actuel, ça va être sympa. Tout ça, c’est un peu écœurant. Ce n’est pas normal, car il y a du boulot. Ce n’est pas logique. » « Les gens sont amers, explique Eric Peronnet, représentant du personnel. On a le sentiment d’avoir été pris pour des pigeons. On nous a tenu des propos dévalorisants, disant qu’on n’était pas bons, tout ça pour permettre la fermeture. On a méprisé les individus, c’est ce qui me révolte le plus. »

A voir en vidéo sur lanouvellerepublique.fr et centre-presse.fr.

réactions

Jean-Pierre Abelin en  » totale opposition « 

« Je suis en totale opposition avec ce projet », a réagi Jean-Pierre Abelin. « J’apporte mon soutien aux salariés et je vais me rapprocher des syndicats pour voir quelle est la meilleure façon de les aider. Il faut absolument limiter la casse. »

Claude Bertaud : «  C’est gravissime  »

« Alors que la Vienne se distingue avec des chiffres du chômage rassurants par rapport aux départements voisins, souligne le président du conseil général Claude Bertaud, on apprend cette décision de fermeture. C’est gravissime pour le Châtelleraudais, qui subit depuis plusieurs années les conséquences de la crise. » Il demande aux responsables du site de tout mettre en œuvre pour permettre aux salariés concernés, « un reclassement dans des conditions les moins pénalisantes possibles pour chacun d’entre eux. Au moment où un travail important est mené sur ce territoire pour accueillir Délipapier, cette décision de fermeture nous inquiète et je demande à l’État de rester vigilant pour que les engagements pris par les responsables du site, soient tenus. »

Laurent Gaudens, Nouvelle République, 5 décembre 2012

 » On se demande quand ça va s’arrêter « 

Au café central d’Ingrandes, sur l’ex-N 10, on installe le sapin de Noël. Mais depuis la veille et l’annonce de la fermeture de la Coop Atlantique, le cœur n’est guère à la fête. « Ce sont nos clients, explique Brigitte Moron, co-gérante du café. Il y aura des retombées chez tous les commerçants. » Et en terme de conséquences, Brigitte Moron en connaît un rayon elle qui tient le café que ses parents ont créé, alors sur la place du village, en 1951. « Ils ont vu la Coop ouvrir ses portes, comme la plupart des usines. » Forcément, après la menace qui a pesé sur la Fonderie alu, cette première fermeture fait craindre le pire. « C’est une catastrophe, résume Edwige Cybard, propriétaire de la supérette Cali. Surtout pour les jeunes qui y travaillent en couple. On connaît ça, on travaillait autrefois pour la Coop qui nous a virés. Ils n’aiment ni les petits commerces, ni les petites gens. » Chacun fait état d’une baisse continue de chiffre d’affaires ces dernières années. A la boulangerie, les premiers comptes sont vite faits : ce sera 250 à 300 € par mois en moins. « On livre la Coop pour leur restauration, 30 baguettes par jour, témoigne Nadine Michel. Ce sera sans compter tous les salariés qui viennent ici pour prendre leur pain. » Un « trou dans le budget de l’économie locale » dont l’effet se ressent donc déjà. « On a l’impression qu’on est un point noir où tout ferme », s’attriste la coiffeuse Liliane Mauduit. « Il y avait déjà eu Fabris, on se demande quand ça va s’arrêter. »

Nouvelle République, 5 décembre 2012

[Poitiers] Les salarié-e-s des finances publiques en grève

L’intersyndicale des finances publiques (ex impôts – trésor public) appelle ce mardi matin les agents à la grève «contre les suppressions d’emplois, contre les restrictions budgétaires et contre les fusions et fermetures de services». Dans un communiqué, elle indique que la direction générale des finances publiques a perdu 25.000 emplois en dix ans et «c’est encore plus de 2.000 qui sont annoncés au budget 2013. Cela a des conséquences sur l’accomplissement des missions, la présence du service public en zone rurale et les conditions de travail». Un rassemblement est prévu à 10 h devant la direction des finances publiques, rue Riffault, à Poitiers.

Ils sont une trentaine d’agents devant le bâtiment des Finances publiques à Poitiers pour manifester contre les restrictions budgétaires et les suppressions de postes prévues pour l’année 2013.

Brèves de la Nouvelle République, 27 novembre 2012

Mise à jour 28 novembre : un article aujourd’hui dans la NR.

[86] Le Parkinson de Gérard Marquois vient d’être reconnu maladie professionnelle au titre de l’exposition aux pesticides

Parkinson et pesticides : sa maladie est reconnue

Le Parkinson de Gérard Marquois vient d’être reconnu maladie professionnelle au titre de l’exposition aux pesticides. Une maladie qui le ronge au quotidien.

En mai dernier, un tableau de maladie professionnelle consacrant le lien entre la maladie de Parkinson et l’exposition aux pesticides était créé. Gérard Marquois, agriculteur à Moncontour dans la Vienne, est le premier à obtenir reconnaissance de sa maladie à ce titre. Le résultat d’un combat qu’il mène depuis plusieurs années, accompagné par la FNATH (lire ci-dessous).

Chez lui, les premiers signes sont apparus en 2005. « Des douleurs à l’épaule, puis dans le bras gauche. Je conduisais difficilement et j’ai eu du mal à appuyer sur l’embrayage. » Gérard Marquois soupçonne des rhumatismes et rend visite à une spécialiste. « Elle nous a très vite orientés vers un neurologue. Pour elle c’était évident, c’était les premiers signes de Parkinson », raconte Jocelyne, son épouse. Fin 2006, Parkinson est confirmé.

«  Ça a été comme un éclair  »

La famille encaisse le coup. « Jusqu’en 2009, quand j’ai ouvert La Nouvelle République et que j’ai lu l’histoire de Pascal Choisy, cet agriculteur qui venait de gagner son procès. Sa maladie de Parkinson était déclarée maladie professionnelle, suite à l’utilisation de certains produits phytosanitaires. Les mêmes que ceux que j’avais utilisés dans les années 80. Ça a été comme un éclair. J’ai contacté la FNATH qui ne nous a pas lâchés depuis. »

Depuis, deux tentatives de reconnaissance de maladie professionnelle ont échoué. « J’avais le moral à zéro. D’autant que, j’étais mis en invalidité à 100 %. A partir de là, je ne touchais plus que 356 € par mois et je ne pouvais plus travailler. » Heureusement la solidarité familiale a joué à plein. « Ma fille a repris l’activité d’élevage à la ferme et mon fils a pris la relève pour l’exploitation céréalière. Sans eux, je n’aurais pas tenu. »

En mai 2012, les règles changent et Gérard Marquois retrouve l’espoir. Par décret, un tableau de maladies professionnelles est créé, facilitant les démarches des agriculteurs concernés. « La Fnath nous a recontactés pour monter un dossier. On a remis toute la procédure en route. Et le 4 octobre, on apprenait que la victoire était enfin là ». Reste le rendez-vous avec un médecin-conseil, qui permettra de fixer le montant de l’indemnisation, pouvant aller jusqu’à 1.200 € par mois.

Aujourd’hui, Gérard Marquois est un peu en colère, mais préfère consacrer son énergie à rester le plus en forme possible. « Je sais que ma maladie va s’accentuer, alors je continue d’aller à la pêche et de me rendre un peu utile à la ferme. Je m’obstine à faire du sport car je sais que mes muscles vont se détériorer. » Et quand une crise survient, Gérard serre les dents. Sa volonté est touchante mais se heurte aux difficultés à tenir un stylo pour faire des jeux d’écriture tôt le matin. Il faut attendre que la première des sept prises de médicaments quotidiennes fasse effet pour que ses doigts gagnent en agilité. L’insomnie gagne et les nuits sont de plus en plus courtes. Les déplacements en voiture se font désormais sur un périmètre restreint. Parfois, Gérard se perd et se sent incapable de retrouver son chemin. « La dernière fois que je suis allé à la pêche, j’ai eu un trou de mémoire, incapable de savoir comment rentrer chez moi. Dans ces cas-là, je m’énerve et je perds encore plus mes moyens. C’est ma chienne qui m’a ramené à ma voiture»

Gérard dit avoir pensé à attaquer en justice les industriels qui ont mis ces produits sur le marché. « Mais j’ai bien d’autres choses à faire que de m’épuiser dans cette voie. »

en savoir plus

Arnaud De Broca :  » Ils ne font pas toujours le lien « 

Arnaud De Broca est secrétaire général de la FNATH (association des accidentés de la vie), qui était à l’origine de la démarche.

Le cas de Gérard Marquois a-t-il ouvert la voie ?

« Forcément, son cas va susciter de nouvelles demandes de reconnaissance de Parkinson en tant que maladie professionnelle. Potentiellement, de nombreux agriculteurs sont concernés, car ils ont largement utilisé des pesticides, et parallèlement Parkinson continue de progresser. Mais beaucoup de gens concernés ne font pas le lien entre leur maladie et leur activité professionnelle. Ça nécessite d’en parler. »

Quelles actions menez-vous ?

« Nous avons publié une brochure sur les risques dans le monde agricole, et nous organisons des réunions d’information. Les agriculteurs sont souvent isolés, et pas à l’affût de ces informations. Nous leur conseillons de réduire leur utilisation de pesticides, et de porter une tenue couvrante adaptée. Et bien sûr nous les accompagnons dans leurs démarches. »

Delphine Noyon, Nouvelle République, 15 novembre 2012

Pesticides : « On ne savait pas que ce n’était pas bon-bon d’utiliser ces produits »

« On savait que ce n’était pas bon-bon, mais on ne savait pas que c’était aussi mauvais d’utiliser ces produits-là, se souvient Gérard Marquois. Jamais on ne nous a dit que la manipulation des fongicides, herbicides et autres insecticides pouvait nous donner la maladie de Parkinson ».

Avant d’être malade, l’agriculteur travaillait « avec un tracteur sans cabine. Quand j’arrosais les champs, je respirais tout ! Je fermais et j’ouvrais manuellement les rampes. A l’époque, on ne se posait pas la question des quantités. Les industriels ne nous ont jamais sensibilisés. Et forcément, quand j’ai agrandi mon exploitation, j’ai utilisé encore plus de produits ». Certains des produits phytosanitaires qu’il utilisait ont depuis été retirés de la vente, comme le Corvet Flo.

« J’ai fait mon métier par amour, je n’ai pas de regrets, assure-t-il pourtant. Je veux juste que ce qui m’arrive soit utile aux autres. Le tracteur de mon fils a une cabine, il met un masque quand il manipule les produits. Je peux vous dire que j’y veille. »

D. N., Nouvelle République, 15 novembre 2012

Cancer du bitume : Vinci condamné

Cancer du bitume : Vinci condamné

La Cour d’appel de Lyon vient de confirmer la condamnation du géant de la construction pour faute inexcusable à la suite de la mort d’un salarié, ce mardi après-midi. La décision fait jurisprudence : 20 000 ouvriers de la route sont exposés aux vapeurs toxiques du bitume.

Voilà la famille Andrade Serrano enfin soulagée. La filiale de Vinci, Eurovia, vient d’être condamnée en appel pour “faute inexcusable” pour la mort de José-Francisco Andrade Serrano, décédé d’un “cancer du bitume”, en 2008, à l’âge de 56 ans.

“C’est une décision exemplaire, pas seulement franco-française mais également internationale. Elle montre qu’Eurovia connaissait les risques qu’encouraient ses salariés à travailler dans les vapeurs du bitume et qu’elle a refusé de communiquer dessus, a réagi Jean-Jacques Rinck, avocat de la famille. Elle permet de dénoncer publiquement un crime sanitaire et jusqu’alors impuni.”

Eurovia “prend acte” et “va examiner attentivement les détails de la décision en vue d’un pourvoi”. “La décision fait en tout cas jurisprudence et devrait accélérer l’inscription du bitume dans les tableaux de maladies professionnelles, comme l’est l’amiante”, affirme Me Rinck, également satisfait des 200 000 euros d’indemnités obtenus pour la famille des victimes.

Chez les Serrano Andrade, on travaille chez Vinci depuis trois générations. José-Francisco Serrano en est mort “après avoir bossé toute sa vie comme un chien”, enrage Paulo, son fils aîné. Le dermatologue est formel, l’origine du cancer de la peau est liée aux vapeurs toxiques de bitume, dérivé du pétrole. Comme son père, Paulo Andrade a recouvert les chaussées pour le compte d’Eurovia (filiale de Vinci). Il se souvient que lui et les autres ouvriers de la route se nettoyaient la peau avec du gazole pour enlever les trainées gluantes et noirâtres, sans savoir que cela faisait pénétrer davantage les produits chimiques. On leur disait même de boire du lait pour évacuer la toxicité du bitume de leur corps…

Les syndicats en sont persuadés, les risques seraient connus et tus depuis des années.

“En 1999, après le naufrage de l’Erika, on s’est mis à équiper le moindre touriste bénévole de combinaison, de masque, de gants. Tant mieux, mais c’est le même produit que l’on épand sur les routes à longueur de journée à haute température, donc avec les vapeurs toxiques, et sans protection ! Les ouvriers sont pris pour des cobayes !”, déplore Laurent Orlish, responsable de la santé au travail à la CGT.

“On dispose de suffisamment d’éléments scientifiques pour dire qu’il y a des cancérigènes dans le bitume”, renchérit Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche à l’Inserm. Celle-là même, qui, 40 ans plus tôt, a tiré la sonnette d’alarme à Jussieu, pour dénoncer un autre scandale, celui de l’amiante.

Avant de mourir, il demande à sa famille d’attaquer son employeur en justice

Quand José-Francisco Serrano Andrade est tombé malade après 22 ans de boîte, “son employeur ne lui a prêté aucune attention, alors que le cancer l’a mutilé en l’espace de deux ans”, ne décolère pas le fils cadet, Luis, portrait craché de son père avant qu’il ne soit défiguré. Au cours de sa maladie, le regard noir et la mâchoire droite de José-Francisco Serrano Andrade sont devenus méconnaissables tant son visage s’est cabossé. Avant de mourir, il demande à sa famille “de ne pas se laisser faire” et d’attaquer son employeur en justice. Le 10 mai 2010, c’est chose faite. Le tribunal des affaires sociales de Bourg-en-Bresse condamne Eurovia pour “faute inexcusable”. Vinci fait appel, épaulé par l’Usirf, le puissant lobby de l’industrie routière, qui représente aussi les autres mastodontes du BTP comme Bouygues ou Eiffage. L’enjeu est trop important. La décision en appel, rendue ce mardi 13 novembre, fait donc jurisprudence et devrait en emmener d’autres dans son sillon.

“C’est David contre Goliath ! Les pétroliers revendent leurs fonds de cuve à l’industrie routière, qui en fait des produits bitumeux en ajoutant du gravier et des fluidifiants. Ces fluxants contiennent du benzopyrène, classé cancérigène avéré. S’il y a une tête de mort sur la bouteille, ce n’est pas pour rien !”, fulmine Jean-Jacques Rinck, avocat de la famille.

Eurovia ne nie pas l’utilisation de ce composé, mais rappelle qu’elle reste dans les clous fixés par l’assurance maladie. Et “à son poste, José-Francisco Andrade Serrano n’a jamais été en contact avec les fluxants”, assure Me Franck Dremaux, qui plaide la cause d’Eurovia. Pour la filiale de Vinci, son cancer de la peau a été provoqué par les UV solaires, un point c’est tout.

“C’est ce que je reproche à Eurovia : n’avoir pas assez informé ses salariés”

“Mon père travaillait à l’arrière d’un camion gravillonneur. D’ailleurs, après sa mort, son poste à l’unité de Bourg-en-Bresse a été supprimé. A écouter son employeur, il n’épandait pas le bitume, mais conduisait des poids lourds… Il n’a même pas le permis nécessaire !”, s’insurge Luis Andrade. Quand Eurovia convoque sa mère, qui, rongée par la dépression, ne pèse plus que 40 kg, il l’accompagne.

“C’était soi-disant pour lui présenter ses condoléances et les formalités administratives de circonstances. Ils voulaient surtout savoir quelles suites judiciaires nous allions donner à l’affaire”, se souvient-il, amer.

Luis travaille dans une station d’épuration. “Au début, j’enchaînais les gastroentérites, à cause des bactéries. Mon père me disait de changer de poste, qu’il ne fallait pas laisser le boulot pourrir ma santé, témoigne Luis Andrade. Il ne se doutait pas que c’était le sien qui allait l’emporter. C’est ce que je reproche à Eurovia : n’avoir pas assez informé et protégé ses salariés.”

La famille a tenu bon, pour que les conditions de travail s’améliorent. Placés sous le feu des projecteurs à leur insu depuis le début du procès, les leaders de l’industrie routière ont redoublé d’efforts en prévention. Mais tout ne dépend pas d’eux. Car pour l’heure, la meilleure solution pour réduire les fumées de bitume reste les enrobés tièdes. Au lieu d’être coulés à 160 degrés, ils le sont à 110. Résultat, quatre à huit fois moins de vapeurs s’échappent. La peau et les poumons des ouvriers qui étalent le produit fumant sont moins attaqués. En prime, des économies d’énergie sont réalisées. Mais le client, en l’occurrence l’Etat, qui porte 60% du marché, est roi. Et il reste frileux. Les enrobés tièdes coûtent entre 5 et 10% plus cher que les classiques.

Rozenn Le Saint, Les Inrocks, 13 novembre 2012

le 13 novembre 2012 à 14h08