Archives de catégorie : Le travail tue

[Poitiers] Hôpital Laborit : une « dégradation constante » des conditions de travail

 » Nous travaillons sous contrainte budgétaire « 

Les représentants de la CGT santé du Centre hospitalier Henri-Laborit  de Poitiers dénonce une “ dégradation constante ” des conditions de travail.

La direction du CHU vient de profiter de la loi de finances de 2012 sur l’instauration d’un jour de carence en cas d’arrêt maladie pour nous supprimer deux journées «  d’autorisation d’absence exceptionnelle. Éric Plat, secrétaire CGT au centre hospitalier Henri-Laborit et Gérard Baillargeaux, secrétaire-adjoint sortent de deux réunions avec leur direction et les représentants des syndicats FO et CFDT. Ils considèrent que cet acquis qu’on vient de leur supprimer est révélateur d’une volonté de restriction budgétaire à tous crins.

«  Il n’y a plus de dialogue social  »

Les deux syndicalistes résument une situation qui semble se dégrader d’année en année. « Ici parfois, les patients peuvent être hospitalisés sous contrainte, nous nous subissons une contrainte budgétaire constante. » Pêle-mêle, ils pointent les dysfonctionnements qui remettent en cause la qualité même de l’accueil et des soins prodigués aux patients. En premier lieu, les postes d’infirmiers vacants et budgétés mais qui ne sont pas pourvus. Une trentaine selon eux pour un effectif actuel de 450 infirmiers. Aussi, la pression « descendante » d’une hiérarchie qui mise sur l’augmentation des séjours courts. « En 2010, nous avons enregistré 1.117 hospitalisations de plus par rapport à 2010. Ce qui veut dire un plus grand nombre de patients donc d’entrées aussi. Les soignants doivent remplir de plus en plus de tâches administratives. » Éric Plat et Gérard Baillargeaux égrènent d’autres chiffres. Un budget « grignoté » de 382.000 euros sur la dotation globale en psychiatrie d’environ 60 millions d’euros. Et les perspectives vont dans le même sens. « Le budget devra diminuer d’1,5 million sur 7 ans ! » Ils cachent donc difficilement leur amertume. « Il n’y a plus de dialogue social. Dans ces conditions, comment ce métier peut-il être attractif pour les futurs infirmiers qui sont de moins en moins bien formés. De plus, les deux tiers de notre personnel est féminin avec des enfants. Et là, même les places à la crèche du CHU sont en nette diminution. » Autant de régressions sociales aux yeux des syndicalistes.

Nouvelle République, Marie-Laure Aveline, 24 mai 2012

[La Rochelle] Suicide d’un chômeur suite à un recommandé de Pôle Emploi

[Mort aux pauvres !] In memoriam Marcel Dumas

Posted on 19 mai 2012 by juralib

La Rochelle : « On l’a poussé au suicide »

Accusé de fraude, Marcel Dumas, un chômeur de 56 ans, s’était donné la mort. Sa sœur dénonce.

http://pix.toile-libre.org/upload/original/1337439632.jpgDepuis le début des années 1990, Marcel Dumas vivait d’emplois aidés et de petits boulots.

C’était le 30 décembre 2010. Marcel Dumas avait punaisé un petit mot sur la porte de sa maison de Saint-Xandre, en Charente-Maritime : « Je suis mort », puis il était allé se pendre.

Un passant intrigué avait alerté les secours. Les gendarmes ont découvert le corps un peu plus tard, trop tard.

De l’avis de ses proches, Marcel n’était pas dépressif, encore moins suicidaire. Il était juste au bout du rouleau. À 56 ans, chômeur, avec 600 euros par mois pour survivre, il venait de recevoir un recommandé du Pôle emploi lui enjoignant de rembourser un trop-perçu de 8944,76 €. Aucun justificatif n’accompagnait ce courrier type à la sécheresse tout administrative. Pas de décompte des sommes dues non plus, mais un échéancier à respecter : 1789 euros par mois pendant cinq mois. « D’être considéré comme un fraudeur, il ne l’a pas supporté », résume Marie-Lise Deschamps.

Vingt ans de chômage

Marie-Lise, c’est la grande sœur de Marcel. Elle dit n’avoir découvert la détresse de son frère qu’après sa mort, en épluchant ses maigres papiers. « Il ne parlait jamais de ses problèmes. J’ai appris plus tard qu’il était obnubilé par cette affaire. Sa hantise, c’était qu’on lui prenne sa maison, qu’il se retrouve à la rue. Pour moi, il est clair qu’on l’a poussé au suicide. »

Marie-Lise décrit son cadet comme un vieux garçon « renfermé » mais « qui n’aurait jamais fait de mal à personne ». Quelqu’un de « démuni », « sans défense », avec son certificat d’études pour seul bagage. Électricien de marine, il avait été mis au chômage par la fermeture du chantier Gib Sea de Marans, au début des années 1990. « Il n’avait pas retrouvé de vrai travail depuis. Il vivait d’emplois aidés, de petits boulots à droite à gauche. »

En 2007, Marcel Dumas est recruté par la Maison des chômeurs de La Rochelle. 26 heures par mois payées 200 euros. Qu’il porte consciencieusement sur sa déclaration de revenus. Son « conseiller référent » de l’ANPE est au courant, comme en témoignent les fiches de liaison de 2008 que Marie-Lise a retrouvées.

Pourtant, à l’automne 2010, le Pôle emploi l’accuse de ne pas avoir déclaré cette activité. Le radie provisoirement, suspend ses droits et lui notifie le trop-perçu. Puis, s’agissant de l’ASS, une allocation d’État, le dossier est transmis à la préfecture. La machine est en marche.

Le 28 décembre 2010, le Pôle emploi convoque Marcel Dumas à un entretien pour le 5 janvier. Puis lui signifie sa radiation le 10 pour cause d’absence au rendez-vous. Il était mort depuis onze jours.

Pas de faute

Une bavure dans la chasse aux petits fraudeurs ? Marie-Lise Deschamps en est convaincue. Elle en veut à ce conseiller référent qui savait et n’a rien dit, qui n’a pas voulu voir la bonne foi de Marcel et sa détresse. « Curieusement, il a été remplacé juste après la mort de mon frère. »

http://pix.toile-libre.org/upload/original/1337441395.jpgDominique Morin, directeur régional de Pôle emploi (à droite)

Si elle s’est décidée à parler, c’est « pour que cela ne se reproduise pas ». C’est aussi pour combattre ce sentiment d’impuissance qui la hante depuis un an. Le procureur de la République de La Rochelle a classé sa plainte sans suite pour « absence d’infraction ». La Direction du travail et de l’emploi a reconnu, tardivement, qu’il n’y avait pas eu fraude, les bénéficiaires de l’ASS pouvant sous conditions cumuler salaire et allocation. Mais personne, sinon lui-même, ne peut être tenu pour responsable de la mort de son frère.

Au Pôle emploi, le directeur régional de Poitou-Charentes, Dominique Morin, rejette tout lien de cause à effet entre la procédure engagée contre le chômeur et son suicide. Il exclut de la même façon tout dysfonctionnement de ses services : « Le fait déclencheur, c’est la non-déclaration des salaires. Marcel Dumas l’avait reconnu. Il nous avait contactés pour demander un échelonnement. Nous ne faisons qu’appliquer par délégation de l’État la réglementation que la loi nous impose. »

Pas de faute, pas de dysfonctionnement, les procédures ont été respectées. Mais si elles aboutissent à ce résultat, c’est qu’il faut peut-être les changer.

Presse (Pierre-Marie Lemaire, SudOuest.fr, 12 mai 2012)

[Ingrandes – 86] La lutte des Fondeurs paye, sept licenciements évités

Fonderie Alu : soulagement après l’ultime négociation

Ingrandes (Vienne). Sept licenciements secs ont été évités lors d’une dernière négociation. Le nombre de licenciements s’élève donc à 53.

Il est grand, il est costaud et visiblement un peu tourneboulé. D’ailleurs, il préfère ne pas répondre aux questions des journalistes, trop ému pour le faire. Comme six autres de ses collègues, il a bien failli ne pas revenir dans son entreprise le jour même. Sept licenciements non-volontaires étaient en effet programmés jusqu’à hier à la Fonderie du Poitou aluminium au milieu des soixante prévus. Un paradoxe quand on se souvient que cent trente personnes s’étaient manifestées pour quitter l’entreprise. Mais, se défendait la direction, les sept personnes incriminées occupaient des postes dans des services peu fournis et difficilement remplaçables.

C’était le dernier écueil pour clore une page conflictuelle ouverte au mois de juillet dernier. Toute la matinée et le début d’après-midi, direction et syndicats se sont donc rencontrés pour une ultime négociation. Un dernier round qui s’est conclu par une décision du P-DG de Saint-Jean Industries lui-même, Émile Di Serio qui, par téléphone, a accepté de réintégrer ces sept salariés. Ce ne seront donc plus 60 mais 53 licenciements qui auront finalement lieu.

«  Un beau geste  »

Un réel soulagement pour le personnel et les syndicats. « Ça fait un moment que je venais en marche arrière, l’ambiance avait beaucoup changé », explique ainsi Christian Gigault, partant après 31 ans à la Fonderie et partant le jour même. « Je vais rentrer dans l’entreprise, chercher mes bleus de travail, dire au revoir aux copains, et voilà. » Il a tout de même prévu de revenir pour arroser ça. Un qui l’arrosera aussi, c’est Éric Bailly. Le secrétaire du comité d’entreprise a en effet dû batailler jusqu’à la dernière minute pour obtenir la réintégration de ces sept collègues. « Ça clôture de manière satisfaisante cet ultime combat de ces onze derniers mois particulièrement difficiles. C’est en tout cas un beau geste de Saint-Jean Industries. »

A voir en vidéo sur lanouvellerepublique.fr et centre-presse.fr

à suivre

Forcément des mécontents

C’est le paradoxe de ce conflit hors normes. Au final, beaucoup de ceux qui voulaient partir seront contraints de rester. Une situation pas évidente après de longs mois de conflit qui ont usé les plus vaillants et qui ont miné l’ambiance au sein des ateliers. D’ailleurs, certains ne le cachent pas : il faut s’attendre à d’autres départs dans les prochains mois. « Certains sont en congé sabbatique, on ne les reverra pas. » On n’a donc peut-être pas fini de parler de la Fonderie alu.

Nouvelle République, Laurent Gaudens, 17 mai 2012

[Saint-Benoît – 86] « Lean management » à l’ESAT

 » Malaise salarial  » à l’Esat de Saint-Benoît

Les choix de l’association parentale chargée de la gestion de l’Esat sont contestés par les salariés craignant pour l’avenir des résidants.

Les personnels de l’Établissement et service d’aide par le travail de Saint-Benoît (1) sont inquiets. Leurs conditions de travail – et par ricochet celles des travailleurs handicapés qui sont confrontés eux aussi à des changements au sein de l’établissement – deviennent peu à peu ubuesques. Un terme que Stéphanie Boutin (agent administratif) et Jean-Luc Soulard (moniteur en atelier) n’utilisent pas en nom propre mais qui reflète une situation qui semble s’être gangrenée depuis quelques années.

«  Ces nouvelles tâches n’ont pas d’intérêt pour les résidants  »

Et même s’ils ne s’identifient pas comme les représentants « officiels » du personnel, ils ont à cœur d’exposer le mal-être qui règne au sein de leur établissement. Dans ce registre, ils dénoncent plusieurs points. D’abord, l’évolution dans l’accueil des populations (« Nous sommes de plus en plus en contact avec des personnes en situation de handicap social et non plus handicapées. Nous ne sommes pas formés pour cela. »). Puis le taux d’encadrement des ateliers qui a baissé depuis près de trois ans (« Les départs n’ont pas été remplacés. Une dizaine de postes chez les encadrants qui ne sont plus que 24 pour 144 résidents. Certains moniteurs sont régulièrement appelés à encadrer deux ateliers en même temps dans des domaines complètement différents. »).

Du  »  Lean management  « 

Enfin, le choix des activités « rentables » (« Dès que le marché est en baisse, on ne fait plus de prospection, on laisse l’outil de travail se dégrader. ») à la suite de l’arrivée de la société Toptech (« Cette structure n’a pas seulement fait un état des lieux dans le cadre d’un audit, elle est «  fournisseur  » de conseils en orientant systématiquement la direction vers des activités sans grands investissements et rentables tout de suite. C’est ce qui s’appelle du Lean management ! ») Les deux salariés parlent du ramassage du papier ou du vidage des poubelles qui se seraient substitués peu à peu à des activités de menuiserie ou de cuisine qui généreraient trop de charges. « Ces nouvelles tâches n’ont aucun intérêt pour les résidents et ils en souffrent. » Bien que conscients des difficultés liées au contexte économique actuel, Stéphanie Boutin et Jean-Luc Soulard s’interrogent sur « le mutisme de la présidente et des cadres dirigeants face à cette situation irrespectueuse ». Tout simplement, ils ne reconnaissent plus les valeurs fondatrices de leur établissement.

(1) L’Esat est géré par l’ADAPEI (Association départementale des amis et parents d’enfants inadaptés de la Vienne) et compte une quarantaine de salariés (administratifs, moniteurs d’ateliers, agents techniques et personnels du pôle médical).

> Nous avons tenté en vain de joindre la présidente de l’ADAPEI86. Les nombreuses tentatives « téléphoniques » à la permanence de l’association et auprès d’un autre membre de l’ADAPEI sont restées sans réponse.

Nouvelle République, Marie-Laure Aveline, 12 mai 2012

[Poitiers] Sur la manif des flics

Les flics manifestent, on aura tout vu. La presse quotidienne régionale annonce que « les policiers de Poitiers doivent se rassembler devant la préfecture de la Vienne« , aujourd’hui, « à 13 h, pour protester contre la mise en examen pour homicide volontaire d’un de leur collègue parisien. De nombreuses manifestations ont eu lieu, à Paris et dans de nombreuses villes de province depuis quinze jours ». Mais pour quelles raisons au juste ?

Il serait facile d’en rire (jaune), pour nous anti-autoritaires, depuis longtemps convaincu-e-s par nos expériences diverses de répression policière, souvent cruelle, suscitant à juste titre notre colère. Nous ne reviendrons pas ici sur l’évidence de notre rejet de l’institution policière et du monde capitaliste qui l’engendre et qu’elle défend de fait. Pour nous, le règlement des conflits par des forces armées spécialisées dans la coercition, au service des puissants et aux ordres de bureaucrates à leurs bottes, est une aberration.

Nous nous pencherons plutôt sur les causes de ce mouvement chez les flics, les questions qu’il nous pose et les analyses que nous pouvons en tirer. Les flics ne sont pas une caste « à part », ils sont partie intégrante d’un système diffusant contrôle et coercition à tous les échelons de l’organisation sociale.

Un volet des revendications les plus courantes, qui a d’ailleurs fait qu’on ait pu voir çà et là quelques flics manifester dans les cortèges syndicaux, au moment de la réforme des retraites (si si !), porte sur une dénonciation de la RGPP (révision générale des politiques publiques). Avec une surcharge de travail croissante et des exigences toujours plus grandes (et des orientations parfois contestées) de la hiérarchie d’un côté, des postes et du fric en moins de l’autre, les fonctionnaires disent subir le stress au travail, un certain sentiment d’impuissance voire d’inutilité,  à quoi s’ajoute celui du mépris : à l’extérieur, d’une partie de la population face à un travail impopulaire, cristallisant pour beaucoup toute l’injustice de cette société. A l’intérieur aussi, avec une hiérarchie qui pousse à fond dans des tâches dégueulasses mais ne soutient pas en cas de « bavures » inévitables puisque érigées en mode de fonctionnement. Il en résulte parfois, aux dires de nombreux témoignages de flics dans les médias, évidemment anonymes, un sentiment d’abandon et d’isolement social. Bien des flics se sentent évidemment à des kilomètres du rôle de justicier de séries télévisées à la Starsky et Hutch qui ont pu les faire rêver quand ils étaient mômes, et ont peu d’illusions sur le rôle qu’ils jouent dans le système. Beaucoup pensent à démissionner, mais combien le font ? Avec le temps on prend le pli, on « s’endurcit », on ne met plus « d’émotionnel ». On obéit à la « loi », et on finit par se convaincre qu’on est le « rempart de la démocratie »… parce que sinon, on en crève, tout simplement.

Sur ce point de la RGPP, les flics n’échappent pas à la réorganisation structurelle du capitalisme et à ses contradictions. Si la nature de leur travail est évidemment bien particulière, puisque essentiellement coercitive, leur situation au travail est à rapprocher de celle de tou-te-s les travailleur-euse-s du secteur public, qui subissent de plus en plus durement ce que les salarié-e-s du secteur privé se prennent eux aussi dans la figure. En termes de conditions de travail (réductions de postes, restrictions budgétaires, exigences toujours croissantes, management toujours plus dur, répression et isolement de la contestation syndicale quand elle ne va pas dans le sens du plus-répressif). Ces revendications témoignent d’une souffrance au travail frappant tous les travailleur-euse-s, public comme privé, de nationalité française ou étrangère, qui pousse aujourd’hui les fonctionnaires de police à manifester une colère qui va bien au-delà d’un événement (un flic du 93 poursuivi pour homicide volontaire), qui ne fait que révéler un ras-le-bol plus général, présent dans quasiment tous les commissariats.

Et ce, de la part de salarié-e-s dont une partie du métier consiste pourtant régulièrement à obéir aux injonctions étatiques de division et de répression des travailleur-euse-s (notamment « étranger-e-s », que les flics arrêtent et expulsent), et plus généralement de répression des mouvements sociaux (par la force coercitive et-ou des poursuites judiciaires). Pour quelles obscures raisons l’Etat malmène-t-il ainsi des fonctionnaires à qui il doit pourtant son pouvoir, et qu’il devrait au contraire flatter et chouchouter ? En réalité, il n’y a rien d’étonnant à cela. Les contradictions du capitalisme s’illustrent ici parfaitement.

Le capitalisme fonde son pouvoir sur l’accaparement de la décision économique et politique, via l’exploitation de la plus-value organisée par le système du salariat. Ce vol (appelé « profit » ou encore « propriété ») est instauré, protégé et garanti par les forces armées de l’Etat : expropriations et impérialisme, répression de l’atteinte à la propriété capitaliste, répression de la contestation. De fait, la quasi-totalité des taulard-e-s en France sont des pauvres, qui en grande majorité se retrouvent engeôlé-e-s pour avoir porté atteinte, d’une façon ou d’une autre, à une « propriété privée » capitaliste, origine de tant de souffrances et d’inégalités sociales au sein desquelles tout le monde essaie de s’en sortir comme il peut.

Mais ces forces armées, indispensables au maintien du système capitaliste, subissent les mêmes contradictions du capitalisme que l’ensemble des salarié-e-s. Les esclaves du salariat sont la source de tout profit capitaliste, en même temps qu’ils sont les premières victimes des coupes budgétaires. En situation de concurrence et de surenchère technologique, pour se maintenir dans la course au profit toujours plus grand que l’on nomme croissance, le capital doit investir dans des technologies, et doit réduire du même coup la part donnée aux salaires. Dans la police, ça se traduit par plus de vidéosurveillance, de biométrie, de fichage et autres gadgets répressifs, plutôt que d’augmenter les postes. Même topo dans l’armée, où la technologie est généralement préférée au recrutement. Ce qui permet aussi aux capitalistes d’investir des marchés lucratifs par des contrats public-privé, dans l’armement, les systèmes optiques, le fichage, mais aussi dans la construction de taules.

D’où casse des droits du travail, réduction des postes, pressions manageriales pour augmenter la productivité, répression des personnels récalcitrants.

Cette situation est à terme intenable pour les salarié-e-s, voué-e-s à la précarité et à la pauvreté, mais aussi pour les capitalistes. D’une part le profit ne se réalise que si les consommateurs (donc les salarié-e-s) ont les moyens d’acheter la production, ce qui est difficile s’ils n’en ont plus les moyens. D’autre part les salarié-e-s peuvent se révolter. Et si la misère est trop grande, il arrive qu’une partie des forces armées se retourne contre la main qui les nourrit, celle toute propre et manucurée des bureaucrates étatiques, qui paye pour faire à sa place le sale boulot de la répression des pauvres. C’est certes rare, mais ça s’est déjà vu.

Depuis longtemps le capitalisme s’est montré assez inventif pour surmonter ses crises de surproduction, par une fuite en avant de sa violence, étendue à de nouveaux champs d’accaparement (impérialisme, colonialisme, destruction écologique, crédit, capitalisme vert…). Pour briser la contestation, les capitalistes ne comptent plus seulement sur les forces armées : c’est non seulement insuffisant en termes de rapports de force, mais c’est aussi dangereux de tout miser sur des forces qui peuvent se retourner. Il s’agit aussi de désamorcer et canaliser la contestation elle-même, de la détourner sur des revendications et des modes d’expression servant ses intérêts.

Ca a longtemps été (et c’est toujours) le rôle de la « démocratie » représentative, où les populations ont le sentiment d’être libres en choisissant elles-mêmes les gens qui vont perpétuer le système qui les domine et les exploite. C’est aussi, depuis fort longtemps, le rôle des modes de fonctionnement des bureaucraties syndicales.

Si l’on revient aux flics, la contestation est canalisée, détournée sur la solidarité corporatiste avec un flic du 93 poursuivi pour homicide volontaire. Il s’agit de réclamer la « présomption d’innocence » pour les fonctionnaires de police. Malin : la hiérarchie joue du sentiment d’abandon que son arrogance suscite dans les rangs de flics utilisés comme de la chair à canon, souvent en désaccord avec leur hiérarchie et ses directives toujours plus dégueulasses. Ce sentiment d’abandon et de colère est détourné contre d’autres fonctionnaires tout aussi débordé-e-s de boulot (la « justice » étant souvent chargée par des flics de tous les maux, taxée de « laxisme »), et contre les pauvres qui seraient dans « l’impunité ».

Ce tour de passe-passe, par le biais de revendications moisies, permet au pouvoir de détourner les véritables raisons de la colère non contre les vrais responsables (capitalisme et Etat), mais contre ses victimes, à savoir les pauvres, les immigrés, face auxquels il faudrait s’armer davantage. C’est le rôle historique du fascisme en temps de crise. Pas un hasard que le FN soit à l’origine de la revendication d’une « présomption d’innocence » pour les flics. L’UMP, après avoir critiqué par la voix de Guéant ce qui constituerait un « permis de tirer », reprend ainsi à son compte la proposition du Front National.

Les bureaucraties syndicales de flics elles-mêmes, toujours plus bas que tout, reprennent le mot d’ordre dans les manifs d’aujourd’hui, par la voie d’Alliance et Synergie, à droite, mais aussi chez Unité SGP (FO Police). Il s’agirait de favoriser juridiquement les flics, quand ils sont aux prises avec des plaintes contre des possibles délits et crimes qu’ils auraient perpetrés dans leur fonction. Cette différence de statut légal entre des gens est anticonstitutionnelle et bafoue les principes de justice les plus élémentaires ; mais cela ne fait visiblement pas peur à Sarkozy qui a déclaré : « dans un Etat de droit, on ne peut pas mettre sur le même plan le policier dans l’exercice de ses fonctions et les délinquants« .

Pour Me Xavier Prugnard de La Chaise, avocat spécialiste en droit pénal, « il s’agit en fait de renverser la charge de la preuve, la personne sur laquelle va reposer la responsabilité d’apporter des preuves ». « Avec la présomption de légitime défense, ça serait à la personne qui a été visée par le policier de montrer qu’elle n’a pas attaqué le policier ». « Ce serait une présomption d’irresponsabilité pénale. » Or, « prouver que quelque chose n’est pas arrivé ça s’appelle une preuve négative c’est beaucoup plus difficile à apporter qu’une preuve positive ». De plus, les policiers étant assermentés et leur parole pesant souvent bien plus lourd dans les tribunaux, « avec en plus une présomption de légitime défense, ça forgerait une sorte d’impunité statutaire pour le policier quasi indestructible ».

Pour nous anarchistes qui sommes pour un monde sans domination ni exploitation, mais où les populations prennent elles-mêmes en main leurs affaires, y compris leurs conflits, les institutions punitives sont évidemment à bannir. Quand on argumente face à un flic, qu’on le met face à sa contradiction fondamentale, à savoir qu’il pense défendre la justice, l’ordre et la paix tout en appliquant des consignes fort discutables, dont l’illégitimité morale est souvent manifeste, le flic lui-même répond souvent : « c’est pas moi, c’est les ordres, ça vient d’en haut » ou encore « j’y peux rien c’est mon boulot, faut bien que je bosse pour gagner ma vie ».

Nous y sommes : l’obéissance à ce que l’on ne cautionnerait pas en temps normal, fondement de toute domination, de tout esclavage. Même s’il s’agit de reproduire cette domination sur les autres ! C’est aussi ce que répondent, dans une moindre mesure, les ouvriers qui fabriquent des pesticides qui bousillent les sols et la biodiversité et refilent des cancers ; c’est ce que disent les aimbales diplômé-e-s d’écoles d’ingénieurs qui conçoivent des armes, « parce que c’est l’un des seuls débouchés » ; ce que répondent les profs qui hiérarchisent les élèves par des notes et leur apprennent à obéir sous peine de sanctions, parce qu’il « faut bien les évaluer » et « leur apprendre la vie en société » ; les employés de pôle emploi qui retirent leurs droits à des précaires ; etc…

A toi, dont le taf est aujourd’hui d’être flic : je ne lutterai à tes côtés que le jour où tu démissionneras.

Juanito, groupe Pavillon Noir (FA 86), 11 mai 2012

mise à jour (12/05) : un article de la NR sur la manif donne la parole aux flics