Le temps des cerises
Nous en sommes encore loin du temps des cerises et, pour l’instant, nous subissons toujours le temps des escrocs et, désormais, des « empactés ». Je ne sais pas, à l’heure où ces lignes sont écrites, ce qu’aura donné la mobilisation du 18 mars, mais il est à espérer que les prémices d’un printemps frondeur seront apparues. Le « pacte de responsabilité » des tristes compères Hollande-Gattaz est un pacte de voleurs, au sens strict du terme. En 1945, alors que le pays est en ruine et que de Gaulle, peu soupçonnable de gauchisme, est au pouvoir, la Sécurité sociale est mise en place sur un principe simple : chacun paye en fonction de ses moyens et reçoit en fonction de ses besoins pour faire face aux aléas de la vie (maladie, vieillesse, naissance). Dans ce système solidaire, ou les patrons ne sont que les collecteurs de l’argent de cette caisse mutuelle, il n’y a donc pas de « charges », mais des éléments constitutifs du salaire, éléments différés quand le salarié en aura besoin. En clair, aujourd’hui, pour un salarié ou un fonctionnaire qui touche 2 000 euros de salaire net, le salaire différé qui lui revient est de 755 euros dont 113 euros pour la branche famille. Son salaire total est, donc, de 2 755 euros. Bref, quand Hollande promet d’exonérer les patrons de la part familiale dans son pacte avec son pote Gattaz, il vole 113 euros mensuellement à ce salarié ou ce fonctionnaire. Et, bien évidemment, comme il faudra tout de même payer des allocations aux familles, on demandera aux salariés, fonctionnaires, chômeurs, retraités de payer la facture en tant que contribuables. C’est pas beau ça ! La bagatelle de 37 milliards ! Joli hold-up, et légal en plus, pour ces truands bien propres sur eux. Et, bien évidemment, la branche maladie est la prochaine sur la liste. Le patronat se pavane, provoque (assurance chômage), impose ses volontés à ses subsidiaires politiques de tous poils. Pourquoi se gêner si les travailleurs ne distribuent pas les coups de pied aux fesses, voire les boulons dans la tronche que ces empactés méritent ? Le Medef ne prend même plus la peine de laisser croire qu’il fait des concessions. Le texte que la CGC, la CFTC et la CFDT ont signé est, de ce point de vue, un monument d’arrogance patronale et de servilité syndicale. En 1986, Gattaz senior avait promis que, si l’on supprimait l’autorisation administrative de licenciement qui était à l’époque obligatoire, il créerait 700 000 emplois. On lui a donné satisfaction, et non seulement il n’y a pas eu le début de l’ombre d’un soupçon d’emploi créé, mais les licenciements ont explosé. Aujourd’hui, Gattaz junior ne s’engage strictement à rien de concret, si ce n’est, bien sûr, de prendre les 37 milliards. Et comme son arrogance n’a pas de limite, il se permet même des commentaires sur les « pierres et les ronces » que les pauvres patrons subissent, en l’occurrence les « charges » et les réglementations du travail. Un seul chiffre : en 2013, les entreprises auront payé 65 milliards d’impôts et reçu, au total, presque 200 milliards d’aides publiques. Assistés ? Qui sont les assistés ? C’est sur ce terreau de régression sociale, d’appauvrissement, de liquidation des services publics que fleurissent les idées xénophobes, racistes nationalistes et corporatistes (type Bonnets rouges). C’est cette politique d’austérité qu’il faut combattre avec lucidité et détermination. Avec lucidité, car trop souvent des militants, y compris anarchistes, passent plus de temps sur des terrains sociétaux que sur le terrain de la lutte des classes. Avec détermination aussi et opiniâtreté, car l’heure n’est ni aux états d’âme ni au nombrilisme, mais à la double besogne décrite par la charte d’Amiens de 1906. Nous devons, nous militants anarchistes, pousser dans les syndicats pour faire émerger les revendications et les imposer aux appareils. Il n’y a rien à discuter avec les patrons, le gouvernement ou la direction de la CFDT, dont la capacité de nuisance n’est plus à démontrer. Il faut les stopper, un point c’est tout. À la CGT, les tensions sont vives d’ailleurs entre nombre de militants ou de syndicats qui veulent en découdre et une direction toujours tentée par la fumisterie du syndicalisme rassemblé avec la CFDT, ce qui est diamétralement opposé à l’unité d’action. Même au bureau confédéral de la CGT, cela tangue. Ainsi, Valérie Lesage a écrit à Thierry Lepaon, pour pointer « l’illisibilité » de la position CGT, notamment sur le fameux pacte : entre l’action le 18 mars avec FO contre le pacte ou la compromission avec la CFDT pour « des contreparties patronales », il faut choisir. À FO aussi, même si la position du secrétariat général est clairement hostile au pacte, il va falloir savoir claquer la porte des discussions, groupes de travail, tables rondes, conférences sociales et autres gadgets du dialogue social. Celui qui s’autoproclame numéro 2 de l’organisation, Stéphane Lardy, souvent prompt a sortir son stylo (accord calamiteux sur la formation professionnelle ou, en son temps, sur la rupture conventionnelle) n’offre pas, de ce point de vue, une grande fiabilité pour les militants sincères de luttes de classe de l’organisation. Vivement le temps des cerises, du gai rossignol, du merle moqueur.