La répression menace les personnes qui campent à l’année

Une retraitée qui vit depuis 15 ans dans un camping municipal près de Toulouse, pénètre à l'intérieur de son mobil-home, le 19 janvier 2012.

Une retraitée qui vit depuis 15 ans dans un camping municipal près de Toulouse, pénètre à l’intérieur de son mobil-home, le 19 janvier 2012.
 

Audrey Dupuis (*), une retraitée de 74 ans à la situation précaire, vit depuis 13 ans au camping municipal Le Rupé, à Toulouse, mais depuis peu l’angoisse la ronge: elle craint de devoir quitter son mobil-home si est voté une proposition de loi visant à interdire la résidence au camping à l’année.

Droit au logement (DAL) et Habitants de logements éphémères ou mobiles (Halem) tirent la sonnette d’alarme, avançant que de 70 à 120.000 personnes en France (étudiants, chômeurs, travailleurs pauvres) ont comme résidence principale un emplacement de camping.

Le texte présenté par le député UMP de Charente-Maritime Jean-Louis Léonard, adopté mi-novembre à l’Assemblée nationale, obligera à fournir un justificatif de domicile principal pour les séjours au camping de plus de trois mois.

« C’est scandaleux. L’Etat attaque ceux qui n’ont pas d’autres recours que d’habiter dans ce type de logement », s’étrangle Clément David, un porte-parole d’Halem. Le camping « est soit l’ultime recours, dit-il, soit un choix provisoire. Une conséquence de la pression foncière ».

La proposition de loi doit encore passer au Sénat, mais son examen n’a pas encore été programmé.

« Si je peux plus vivre au camping, je sais pas où aller. Je vais me retrouver sous les ponts. Comment je vais faire avec ma retraite de 595 euros ? », s’interroge Audrey Dupuis, une ancienne monitrice d’auto-école, qui était arrivée dans le camping en pensent n’y séjourner que quelques semaines.

« Je veux rester ici. Cette loi, c’est une catastrophe, on a toute notre vie ici », confie cette dame coquette, qui habite un grand mobil-home avec terrasse, jardinet et chambre d’amis, où elle peut accueillir enfants ou petits-enfants.

Tous les jours, elle prend le café avec sa fidèle voisine et amie, Christine Malois (*), 69 ans. Elle-aussi est inquiète. « Ici, je suis heureuse, je ne suis pas à la rue. Si on me met à la porte, on me retrouvera morte huit jours plus tard », redoute cette Marseillaise qui vit avec 700 euros, dont 325 versés chaque mois au camping.

Une trentaine de personnes, essentiellement des retraités, vivent à l’année dans ce camping situé près du Canal du Midi, d’un parc, d’une zone industrielle et d’un camp de roms. C’est un camping modeste avec une atmosphère de village. Les pensionnaires se connaissent, s’entraident et ont pris goût à ce style de vie. « C’est comme une famille », disent en choeur les deux retraitées.

Contacté par l’AFP, le député UMP Jean-Louis Léonard affirme que l’objectif de sa proposition de loi est d’éviter qu’apparaissent des bidonvilles, et diverses dérives, comme les « marchands de sommeil ». « Les campings n’ont pas été conçus pour l’habitat permanent », relève le député, tout en assurant que l’objectif du texte « n’est pas d’empêcher les gens d’habiter au camping ».

Face aux critiques, M. Léonard envisage de reformuler l’amendement incriminé par les associations de défense des mal logés.

« Le camping, note Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du DAL, ce n’est pas la bonne solution, c’est sûr, mais c’est une solution pour beaucoup. (La loi Léonard) est une disposition brutale au niveau social, qui traduit l’état d’esprit de ceux qui nous gouvernent. Ils n’ont pas d’égard pour les plus vulnérables ».

Dans son vieux mobil-home défraîchi, mais bien chauffé, équipé d’un téléviseur dernier cri et d’un ordinateur portable connecté au réseau Wi-Fi du camping, Jacques Susset, pilier du Rupé depuis 12 ans, « ne partirait pour rien au monde ».

« Moi, si vous me mettez dans un studio, dans un HLM, je meurs », dit en sirotant un vieux whisky ce Parisien de 65 ans, commercial à la retraite, un des mieux lotis du Rupé avec plus de 1.000 euros par mois. Lui vit par choix au camping et si la loi Léonard passe, il « trichera ». « Qu’on ne me mette pas au 5e étage d’une cage à lapin. Vivre en appartement, affirme-t-il, c’est la dépression nerveuse assurée ».

(*) Les noms des deux retraitées, attachées à leur anonymat, ont été modifiés à leur demande.

AFP, 23 janvier 2012