[Paris] Occupation du siège de l’ONF

Le siège de l’ONF à Paris occupé pour « une gestion durable de la forêt »

Il était 7 heures du matin, mardi 31 janvier, quand près de quatre-vingts gardes forestiers ont entrepris d' »emballer » le siège de l’Office nationale des forêts (ONF), dans le 12e arrondissement de Paris. Ces syndicalistes du Syndicat national unifié des personnels de la forêt et des espaces naturels (Snupfen, affilié à Solidaires) ont déroulé, du haut de la cinquantaine de mètres de la tour, d’immenses bâches agricoles noires sur lesquelles ils avaient écrit en blanc « Quelle forêt pour nos enfants ? » Alors que le thermomètre descendait en dessous de 0 °C, « une température douce » pour ces hommes venus de Franche-Comté, d’Alsace ou de Lorraine, et que le vent s’engouffrait avec force sous les toiles accrochées non sans mal, les militants ont aussi peint en vert sur le trottoir, la couleur de leurs polaires et de leurs bonnets, « – 700 emplois ». C’est le nombre des suppressions de postes prévues à l’ONF dans le contrat d’objectif 2012-2016.

Pascal Viné, directeur général de l’office, venu discuter avec les occupants, concède que ces suppressions auront des conséquences. « Les agents voient bien que les missions qui leur sont confiées sur le terrain se font avec moins d’agents », dit-il en détaillant les 563 emplois de fonctionnaires à supprimer d’ici à 2016, ainsi que les 180 postes d’ouvriers forestiers (de droit privé). « Personne n’est mis à la porte, il s’agit de non remplacements, mais l’impact est important », ajoute M. Viné.

 

Les syndicats, eux, font les comptes et rappellent « les mille emplois déjà supprimés en dix ans ». L’ONF compte aujourd’hui quelque 6 300 fonctionnaires et 3 100 ouvriers forestiers. Derrière les suppressions de postes annoncées se jouent, pour les hommes en vert, les capacités de l’office à gérer les forêts, l’avenir de la biodiversité et de l’économie de la filière bois, vantée par le chef de l’Etat à de nombreuses reprises.

25 SUICIDES EN 7 ANS

Il y a aussi un profond malaise, une forte inquiétude qui, amplifiés par des conditions d’isolement et de « management agressif », selon le Snupfen, se sont traduits par un nombre de suicides impressionnant : vingt-cinq en sept ans, six pour le seul été 2011. Peu enclin à faire de la publicité à ces gestes désespérés, dus souvent à de multiples causes, le syndicat a néanmoins décidé de se porter partie civile sur deux cas, pour accompagner les familles de ces deux victimes qui, elles, ont porté plainte contre la direction de l’ONF.

Devant la porte entravée du siège, Jean-Jacques, garde forestier en Moselle, apostrophe le directeur. « Vous ne soupçonnez pas la souffrance sur le terrain, lui dit-il. La semaine dernière, un collègue a été à deux doigts de se foutre en l’air, il avait son pistolet de service sur la table de la cuisine et il m’a dit que si son épouse n’était pas là, il se serait tiré une balle dans la tête. » Silence compréhensif mais gêné de Pascal Viné. Jean-Jacques reprend. « C’est lourd, j’ai discuté longtemps avec cet agent et j’ai été obligé d’en parler à son chef de service », poursuit-il. Selon lui, « la responsabilité de l’encadrement est directement engagée ». Lui-même a des problèmes. Pascal Viné lui suggère de lui écrire directement.

Le climat social est tellement délicat que la direction a décidé l’an dernier de réaliser une enquête interne. Elle s’est conclue, vendredi 27 janvier, par la remontée des questionnaires remplis par 40 % des fonctionnaires et 20 % des ouvriers. Résultats à venir.

Au-delà de leurs conditions de travail, les gardes forestiers veulent attirer l’attention sur l’avenir de la forêt et dénoncer « le désengagement de l’Etat qui met en péril la gestion durable de la forêt ».

Philippe Berger, secrétaire général du Snupfen, dit vouloir attendre un rendez-vous avec le ministre de l’agriculture, Bruno Le Maire. En début d’après-midi, mardi, une proposition était faite au syndicat de rencontrer le ministre le 6 février. Les militants devaient décider de lever l’occupation, sans pour autant relâcher la pression. « Nous pouvons être patients : gérer une forêt nécessite de savoir prendre son temps, explique Sylvestre Soulié, responsable syndical de Franche-Comté. Les politiques doivent comprendre que nous sommes les meilleurs experts de ce patrimoine, capables d’analyser les effets du temps et des modifications climatiques sur les écosystèmes et que, même d’un point de vue économique, la gestion ne peut se faire sans nous. »

Rémi Barroux, 31 janvier 2012