Les Cordeliers font leur fête aux Poitevines

  Les Cordeliers font leur fête aux Poitevines

 Au coeur du « coeur d’agglo », le centre commercial des Cordeliers célèbre ses dix ans. Le président de l’association des commerçants des Cordeliers, aussi directeur du lucratif et néanmoins philanthropique Monoprix, a une envolée lyrique dans un article de Centre-Presse : « Les Cordeliers sont une réussite commerciale, mais aussi un lieu qui a une âme, un lieu de vie où les gens se rencontrent en plein centre ».

 Le règlement intérieur, affiché près du local des vigiles, non loin des toilettes (entretenues par une femme), nous en dit plus long sur cet Eden de la convivialité : « Pour assurer votre sécurité, cet espace est sous vidéosurveillance. (…) la mendicité, les spectacles de rue, le démarchage, la distribution de tracts (…) sont interdits. (…) Nos amis les animaux et notamment les chiens ne sont pas autorisés (…) La vie en société oblige chacun à adapter son comportement pour qu’il soit acceptable par tous (…) Pour cette raison, nous interdisons de courir, de chahuter, de s’invectiver, (…) d’occuper durablement un espace commun. (…) Le centre n’est pas accessible aux personnes en état d’ivresse ou sous l’emprise de la drogue ».

 Le modèle de vie sociale que nous propose la galerie des Cordeliers, c’est un espace marchand, où tout est sous surveillance constante. Où les vigiles préviennent régulièrement les policiers armés pour arrêter les sans-le-sou ayant l’audace de vouloir emporter avec eux de la bouffe du Monop’. Une vie d’où sont banni-e-s les joggers, les clodos, les drogué-e-s, les animaux, les artistes, les militant-e-s, les contestataires de cette société de merde, celles et ceux qui revendiquent un espace commun.

 Aux Cordeliers, c’est la «FÊTE», du 12 au 22 octobre. Cette galerie marchande fête ses dix ans d’idéal consumériste. A cette occasion, le centre fait une petite obole promotionnelle aux consommateurs-trices, en «offrant» 50.000 euros en pochettes-cadeaux. Prise sur les profits issus du travail salarié et du porte-monnaie des Poitevin-e-s, mais c’est ce que le canard local (Centre-Presse) appelle « célébrer dignement » les dix ans de la galerie. On n’a pas la même idée de la dignité.

 Rien ne manque à ce microcosme de monde pourri, le sexisme est omniprésent. Pas seulement par la pub sexiste. La « Fête des Cordeliers » est aussi associée à l’expression « Fête des Poitevines », ce que rappelle avec élégance une voix d’homme, au micro. Fête qui doit se célébrer comme il se doit : le directeur du centre et le directeur de l’association des commerçants du centre (deux hommes) ont une conception toute particulière de voir et de traiter la «  Poitevine ».

 De grands dessins cartonnés sont suspendus un peu partout dans le centre. Comme d’habitude, uniquement des dessins de femmes. Là, elles sont toutes rousses, en habits dûment genrés : robes, rubans, fanfreluches, maquillage, boucles d’oreille, sacs-à-main-cabas (c’est bien connu, la femme n’est qu’une dépensière). Une affiche sordide présente un dessin de cinq fillettes dans un landau, dont les deux plus petites tiennent elles aussi des sacs à main : sans doute les enfants des autres femmes dessinées, « dix ans » après ?… les titres de ces affiches ne laissent aucun doute : « Génération Cordeliers, Génération Poitevines ». Porter son petit cabat à mains, ça doit s’apprendre dès l’enfance, quand on est une femme comme il se doit.

 La direction a aussi embauché, à l’occasion de cette fête des Poitevines, des salariées coiffées de perruques rousses. Sourires figés aux lèvres, elles tractent des bulletins pour participer au jeu merveilleux des pochettes-cadeaux, où se presse les badauds. J’interpelle l’une s’elles et lui demande la signification de ces perruques ridicules. « C’est pour faire comme sur les dessins », répond-elle. Je lui dis que je trouve ça sexiste, elle me répond d’un laconique «Eh oui… ». Puis ajoute, troquant son sourire pour une moue de dépit : «On a pas le choix, on est obligées ».

 Elles ne sont pas les seules. D’autres femmes, elles aussi le sourire aux lèvres, diffusent juste après les portes du centre un prospectus. Pas de perruques, mais toutes sont coiffées avec attention. Le prospectus est une pub pour un salon de coiffure. Je dis à l’une d’entre elles que le démarchage publicitaire est interdit par l’article 4 du règlement édicté par la direction. « Je savais pas, répond-elle, mais bon c’est la direction qui nous embauche, alors elle fait ce qu’elle veut »…

 Lorsque nous avions diffusé à la sortie du centre commercial, voilà un an et demi, un tract antipatriarcal à l’occasion de la « journée de la femme », deux vigiles (des hommes) nous avaient repoussé-e-s au-delà des bittes métalliques sur le trottoir, à plusieurs mètres des portes. En nous disant « Jusque là, c’est la galerie. A partir de là les tracts sont interdits, si vous continuez on appelle la police».

 Les luttes contre contre le patriarcat, le capitalisme et l’Etat, sont décidément indissociables.

 Jeanine, groupe Pavillon Noir,  13 10 2011