La France construit sa politique anti-Roms sur des cadavres
Dans la nuit du 12 au 13 mai, un incendie a ravagé une usine désaffectée de Lyon, où vivaient 200 Roms. Bilan : trois morts. Pour des « raisons de sécurité », l’électricité avait été coupée quelques jours auparavant, obligeant les habitants à s’éclairer à la bougie. Face à la souffrance des familles endeuillées, Manuel Valls n’apporte aucun réconfort. Et promet de continuer sa politique de démantèlement et d’évacuation des campements.
Depuis lundi 13 mai 2013, la politique de stigmatisation menée par le gouvernement français contre les Roms ne se chiffre plus seulement en nombre de reconduites à la frontière ou en nombre de destruction de bidonvilles. Elle se chiffre désormais en nombre de cadavres. Beni, un garçon de 12 ans, ainsi que 2 femmes, Pamela et Patrina, sont morts, brûlés vifs, dans l’incendie de l’immeuble dans lequel ils vivaient à Lyon depuis 8 mois.
Il y a quelques jours, en prévision d’une expulsion à venir, la mairie de Lyon, dirigée par le très socialiste Gérard Collomb coupe l’électricité, tenez-vous bien, pour des raisons de sécurité… Les squatteurs ont osé se brancher sur un distributeur de courant et monsieur Collomb craint probablement que des enfants s’électrocutent. Bien lui en a pris, personne n’est mort électrocuté. Il oublie juste que les Roms sont comme nous, ils ont besoin de lumière. Faute de courant, ils s’éclairent donc à la bougie. Et trois d’entre eux en sont morts.
Quelques heures après l’incendie, alors que les pompiers travaillent toujours sur les lieux du sinistre et que de nombreux journalistes sont présents, les familles se regroupent sur la place voisine. C’est toute la communauté rom de Lyon qui vient présenter ses condoléances aux familles endeuillées. Un peu plus tard dans la matinée, des hommes en noir affublés d’oreillettes blanches descendent de grosses berlines. Les journalistes quittent la place et le bruit commence à courir que Manuel Valls arrive sur les lieux du drame. Dans la confusion la plus totale et en évitant soigneusement les familles, Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, Christine Taubira, ministre de la Justice, Gérard Collomb, maire de Lyon, Jean-François Carenco, préfet de la région Rhône-Alpes, vont se présenter devant le bâtiment qui fume encore.
Aucun mot, aucun regard
Pas une de ces personnalités qui représentent les plus hautes institutions de la République et élevées dans le sérail des grandes écoles françaises où on n’enseigne visiblement pas la politesse la plus élémentaire, ne va venir présenter ses condoléances aux familles qui attendent à quelques mètres. Les Roms sont-ils dangereux ? Manuel Valls aurait-il peur de femmes et d’enfants tétanisés par la douleur ? Un geste, une parole, un simple regard d’un ministre pour dire aux familles que la République française s’incline devant leur douleur ? Non, rien. Rien de rien. Roms vous êtes, Roms vous resterez.
Au contraire, Manuel Valls, oubliant la souffrance dans laquelle sont plongées les familles endeuillées va réaffirmer le leitmotiv de sa pré-campagne présidentielle, qui est également devenu le fondement de la politique du gouvernement français contre la minorité rom : « Il faut poursuivre le travail de démantèlement et d’évacuation des campements ». « Comme l’a si bien commencé Nicolas Sarkozy », aurait-il pu ajouter. Aucune pudeur, aucune retenue. Alors qu’il a sous les yeux le résultat de plusieurs années d’expulsions à répétition, il répète inlassablement les même paroles et promet la même politique, responsable de la mort de trois personnes. Manuel Valls tient absolument à continuer la chasse aux femmes, aux enfants, aux vieillards. Il tient absolument à les condamner à vivre dans des endroits de plus en plus dangereux. Quitte à ce qu’ils en meurent.
Madame Taubira, qu’on a connue plus inspirée, se contente d’approuver les propos de son « ministre de tutelle », comme si elle n’avait plus aucun rôle politique et humain à jouer après sa loi sur le mariage homosexuel.
Au moment de repartir, Manuel Valls se fait interpeller par un homme. Le ministre refuse de parler à un père et une mère qui sont submergés par la douleur d’avoir perdu un fils, mais il n’hésite pas à venir serrer la main d’un riverain qui demande l’expulsion des familles depuis des mois. Le voisin se plaint de vivre dans des « conditions épouvantables », abandonné de tous (rassurez-vous, il n’a jamais mis les pieds dans le squat, il parle seulement de la vue depuis son balcon). Manuel Valls vient le saluer et tente de répondre à ses critiques. Alors que la discussion s’engage et que les journalistes commencent à enregistrer l’échange, monsieur Carenco, préfet de région, visiblement surexcité, repousse violemment plusieurs d’entre eux afin d’éviter une médiatisation des propos le mettant en cause.
L’ambiance sur la place est lourde
Carenco. Préfet sous Sarkozy, préfet sous Hollande. Préfet pour toujours ? On garde les mêmes pour appliquer la même politique raciste de stigmatisation des étrangers. A Lyon, on gaze les enfants roms (lire ici), on les parque dans des classes ghetto, et on met en garde-à-vue des bébés [1]. En revanche on n’applique pas la circulaire inter-ministérielle censée apportée d’autres solutions que les expulsions. Carenco sera-t-il aussi préfet sous Le Pen ? « Le préfet de région a une grande part de responsabilité… sur le terrain les expulsions se poursuivent malgré la circulaire du 26 août 2012 », accuse le sénateur Guy Fischer (PCF).
Dans l’après-midi, alors que journalistes et politiques sont partis, les proches des victimes attendent que les pompiers sortent les corps du bâtiment. L’ambiance sur la place est lourde. L’odeur âcre de la fumée fait mal à la gorge. Certains espèrent toujours et demandent désespérément s’il est possible qu’il y ait encore des survivants : « Il ne sont peut-être pas morts… ». Alors que la grande échelle s’approche d’une fenêtre afin de permettre à un pompier de prendre des photos, plusieurs dizaines de personnes s’approchent du bâtiment en criant le nom de l’enfant : « Béni, Béni ». Face à ce mouvement de foule, un policier – bien formé à l’école de Manuel Valls – se fait menaçant et sort de son gilet une bouteille de gaz lacrymogène, histoire de montrer aux femmes et aux enfants de quel bois il se chauffe.
Pendant plusieurs heures, les familles sont totalement abandonnées à leur sort. Une femme perd connaissance plusieurs fois. La police municipale, à quelques mètres, reste les bras croisés. Il n’y a aucun médecin, aucun psychologue, aucun soutien.
Nouvelles expulsions
Mardi matin, alors que les corps calcinés de Beni, Pamela et Patrina viennent à peine d’être sortis des décombres fumants de l’immeuble, le préfet Carenco ordonne l’expulsion d’un nouveau squat. Une trentaine de personnes, dont 15 enfants, sont jetées à la rue, sans aucune proposition d’hébergement. Elle dormiront dans la rue, avec des enfants en bas âge, dans les conditions d’insécurité que l’on peut facilement imaginer, avant de retrouver un autre squat, probablement encore plus dangereux et insalubre. Manuel Valls nous expliquera à nouveau qu’il faut les expulser pour leur plus grand bien. Voilà une preuve de plus du discours mensonger du ministre qui, quelques heures auparavant, soulignait qu’il fallait poursuivre les expulsions tout en proposant des « solutions dignes ». Pour Manuel Valls, la rue est plus digne que le cimetière. Je n’en suis pas sûr.
L’extrême droite à de beaux jours devant elle. Après Sarkozy, elle peut compter sur François Hollande, Manuel Valls et les socialistes pour tenir le même discours de haine contre les étrangers et appliquer la même politique discriminatoire et hors la loi contre les Roms. La France profonde applaudit, l’Union Européenne par son silence est complice. Marine Le Pen se frotte les mains. Manuel Valls, lui, ne pense qu’à la présidentielle. Le fait que son chemin soit désormais parsemé de cadavres ne le perturbe pas un seul instant. « Il faut continuer le travail », ose-t-il dire.
Mardi soir, la préfecture du Rhône fait savoir que les expulsions vont s’accélérer dans les jours à venir. La chasse aux Roms est ouverte. La campagne des municipales également.
Manuel Valls prétend que les Roms n’ont pas vocation à s’intégrer en France. En les obligeant à vivre comme des chiens errants à la rue ou à prendre le risque de brûler vifs dans des squats, il est certain d’avoir raison.
Philippe Alain
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