A propos de la commémoration de la libération de Poitiers et de la visite du ministre de l’intérieur
La libération de Poitiers du 5 septembre 1944 a été le fait de maquisards, en lutte totale contre l’Etat français. Un Etat qui avait obtenu les pleins pouvoirs de la république, de la part de députés de gauche comme de droite. Un Etat oppresseur, pronazi, raciste et antisémite, avec ses policiers et préfets aux ordres pour traquer juifs, tziganes, homos, et militants syndicaux et politiques. A Poitiers même, un camp de concentration de sinistre mémoire a d’abord enfermé les républicains, communistes et anarchistes espagnols qui avaient résisté au fascisme de Franco, puis les tziganes, les juifs, et des résistants, dans des conditions épouvantables, avant leur départ pour les camps d’extermination. A Poitiers aussi, la Section spéciale créée par Vichy siège au cour d’appel du palais de justice de Poitiers pour réprimer « l’activité communiste et anarchiste ».
C’est par leur désobéissance à la machine d’Etat et leur action résolue, au péril de leur vie, traqués comme des bêtes par l’Etat français et les nazis, que les maquisards de la Vienne et d’ailleurs ont pris part à l’écrasement du fascisme en France. En ce soixante-dixième anniversaire, prétexte à toutes les récupérations puantes de leur courage, nous n’oublions pas. Au passage rappelons donc que parmi les maquisards, un peu partout en France, les anarchistes espagnols en exil (abandonnés par la gauche française pendant la lutte contre Franco, puis parqués comme des bêtes dans des camps de concentration par la république française du Front populaire finissant) ont joué un rôle important, apportant aux combattants leur expérience de la résistance organisée et armée contre le fascisme d’Etat. Qui se souvient que Paris a été libérée d’abord par la Nueve, compagnie de blindés composée essentiellement d’anarchistes espagnols ? Qui se souvient que les SS bourreaux d’Oradour-sur-Glane ont été éliminés par des maquisards anarchistes ?
Et c’est Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur d’un gouvernement PS d’austérité et de soutien massif au patronat, invité par Claeys (député-maire de Poitiers), Cazeneuve l’expulseur en chef d’étrangers, Cazeneuve le premier flic de France (qui s’est récemment illustré par l’interdiction et la répression de manifs de soutien à la Palestine, par le démantèlement brutal des squats de Calais, par les violentes attaques policières contre les camarades de la ZAD du Testet…), qui joue l’invité d’honneur pour célébrer l’événement de la libération de Poitiers ! Quand l’Etat français d’aujourd’hui célèbre la résistance contre l’Etat français d’hier, il y a de quoi rire jaune. Voyons un peu le palmarès politique de cet homme, qui se dit inspiré au quotidien de l’histoire de la résistance, mais joue le rôle de haut fonctionnaire zélé du bras armé de l’Etat.
Ce politicien est déjà bien connu des antinucléaires : il a appuyé l’EPR de Flamanville et défendu le retraitement des déchets à La Hague. Il est aussi connu des défenseurs de la taxation des opérations financières (il a fait enterrer un amendement sur la taxation du trading à haute fréquence). Il est aussi connu des militants des droits de l’homme et antiracistes : c’est lui qui avait appuyé il y a quelques mois les propos hallucinants de Valls à propos des Roms n’ayant pas vocation à s’intégrer ; lui qui a dirigé nombre d’expulsions de campements roms, suscitant le malaise au sein même du PS. C’est aussi lui qui a osé affirmer, à l’occasion des récentes élections européennes, que Leonarda (une jeune fille expulsée par l’Etat) et Marine Le Pen avaient « la même outrance, la même manipulation, […] le même art consommé du mensonge ». C’est encore lui, chantre comme Sarkozy d’une immigration choisie, qui, en tournée européenne ces derniers jours, vient de dire que « la France ne peut pas accueillir tout le monde » et d’annoncer un nouveau « plan de lutte contre l’immigration illégale » au niveau européen… tout en rejetant toute forme d’immigration qui ne relèverait pas du droit d’asile (qu’il compte par ailleurs limiter encore davantage) : «La France doit rester ce qu’elle est, une terre d’asile politique […] mais pas plus».
Hier comme aujourd’hui, le vocabulaire bureaucratique d’Etat fait froid dans le dos : il s’agit de «faire le job sérieusement et non de surfer sur l’émotion». Il y a de quoi être consterné quand le ministre affirme croire « aux enseignements de l’histoire ».
Cazeneuve, les antifascistes poitevins ne vous saluent pas.
Quant à nous, nous avons choisi notre camp, celui de la résistance, hier, aujourd’hui et toujours, contre les politiques d’Etat discriminatoires, autoritaires et inégalitaires.
Salut à tou.te.s les maquisard.e.s.
Pavillon Noir, 5 septembre 2014