Pillage des terres en Afrique

Comment l’Afrique brade ses terres

Les terres du continent noir constituent un enjeu essentiel pour l’avenir.Comment moraliser et réguler cette course effrénée à l’acquisition facile de terres dans les pays pauvres?

Un fermier sud-africain, le 15 février 2010. Reuters/Siphiwe Sibeko

Avec les très violents heurts en octobre dernier dans une commune rurale du nord du Sénégal à la suite d’un projet privé de biocarburant, ressurgit le problème controversé de la concession, de la location ou de la vente des terres à de gros investisseurs dans les pays pauvres. Retour sur un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur en Afrique.

La cession de 20.000 hectares de terres à des investisseurs privés italiens à Fanaye dans la vallée du fleuve Sénégal (région de Podor) a déchaîné la colère d’une partie des villageois et des conseillers ruraux. Partisans et adversaires de la transaction se sont très violemment affrontés à coups de bâtons, machettes, gourdins et armes à feu artisanales. Bilan de ces échauffourées, deux morts et une vingtaine de blessés. Les Italiens projetaient de produire du biocarburant.

«20.000 ha, c’est le tiers de toutes les terres cultivables de la communauté rurale», s’était insurgé sur RFI le 26 octobre Ahmadou Thiaw, du collectif de défense des terres de Fanaye.

Appuyés par des ONG, ses amis et lui ont menacé d’organiser une grande marche de protestation le 28 octobre à Dakar. Probablement encore sous le choc de l’énorme succès de la manifestation du 23 juin dernier contre la tentative de modification de la constitution par le président Abdoulaye Wade, les autorités nationales ont décidé de suspendre le projet.

Iront-elles jusqu’à remettre en cause le partenariat signé à Dakar le 13 septembre dernier entre Sen Huile et l’ISRA (institut sénégalais de recherches agricoles) pour lancer un projet de plantation et d’exploitation de tournesol, dont une partie serait utilisée dans la fabrication du biocarburant? Partenariat à l’origine du projet de Fanaye. Rien n’est moins sûr. La société Senhuile est détenue à 51% par le groupe italien Tampieri Financial Group et à 49% par des privés sénégalais.

«Des milliers d’hectares attribués»

Amadou Kanouté est le directeur exécutif du CICODEV (Institut de recherche, de formation et d’action pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement). Le constat qu’il dresse dans les media sénégalais est accablant. Selon lui, la cession des terres est en train de prendre une ampleur extraordinaire dans le pays. A l’entendre, durant les dix dernières années, des milliers et des milliers d’hectares ont été attribués sans consultation des populations locales, à des autorités politiques ou religieuses ainsi qu’à des entreprises étrangères.

Et de citer des exemples à Diokoul au centre-ouest du Sénégal où quelques 3000 hectares de terres ont été pris à 99 paysans de quatre villages par une autorité politique du pays. Même chose en Casamance, où des milliers d’hectares ont été attribués à une société pour produire du jatropha destiné à l’exportation.

Des accusations corroborées par le nouveau rapport d’Oxfam au nom évocateur «main basse sur les terres agricoles et déni des droits», rendu public le 22 septembre dernier.

«Une partie non négligeable de ces transactions sont en fait des accaparements de terres qui bafouent les droits et besoins des populations locales concernées. Sans consultation préalable, dédommagement ni voie de recours, ces dernières se voient ainsi privées de logement et de terre (…)», peut-on y lire.

Administrateur principal du Club du Sahel et de l’Afrique de l’ouest- OCDE, Jean Zoundi Sibiri tempère la situation:

«Ce qui s’est passé dans le nord du Sénégal est la conséquence d’un manque de transparence et de communication».

«Il faut se garder de diaboliser le phénomène et bien faire le distinguo entre des porteurs de projets venus uniquement en Afrique produire pour l’exportation et faire du profit et les pays africains qui ont mis au point des politiques agricoles à même de répondre à leurs demandes locales», confie-t-il à Slateafrique.

«Ne pas le diaboliser»

Pour lui, produire du biocarburant n’est pas forcément infamant.

«On peut le faire sans confisquer des terres aux paysans. Au Mali par exemple, les choses se font de façon tout à fait harmonieuse avec les populations paysannes. Certaines sont même actionnaires dans la société de production d’agro carburant».   

«En Afrique de l’ouest», poursuit l’économiste agricole burkinabé, « le Mali, le Sénégal et le Nigeria se sont fixés des objectifs ambitieux dans le domaine énergétique. Le Mali prévoit de diminuer sa consommation de gasoil et de DDO, -un combustible issu du processus de raffinage du pétrole- d’au moins 15% entre 2014 et 2018 et de les remplacer par du biocarburant».

Et de narrer «une expérience fort intéressante en cours au Nigeria» :

«Le Kassav tiré du manioc y est utilisé en agro-industrie. Une production induite et financée par des investisseurs nationaux, pour fournir de l’énergie de cuisine aux populations locales. L’initiative est couplée avec un projet de fabrication de cuisinières et de foyers susceptibles d’utiliser ce nouveau carburant vert».

«Des contrats ont même été signés avec l’association des producteurs de manioc pour augmenter la quantité de ce tubercule aussi utilisé pour fabriquer du gari, farine de manioc tant prisée en Afrique de l’ouest», précise Jean Zoundi Sibiri. Non sans reconnaître qu’en Afrique, les exemples positifs comme en cours Nigeria et au  Mali ne sont pas légion.

«Un phénomène en forte croissance»

Inquiétant d’autant que les transactions foncières à grande échelle se sont accélérées ces dernières années.

«Même s’il est difficile à quantifier vu l’absence totale de transparence qui le caractérise, il est incontestablement en forte croissance» souligne pour Slateafrique, Jean-Cyril Dagorn d’Oxfam France.

Depuis 2001 dit-il, 227 millions d’hectares ont été vendus, loués ou concédés dans le cadre de transactions foncières à grande échelle :

«Malgré le manque de transparence entourant ces transactions foncières, des recoupements ont à ce jour, permis d’établir que 1100 portent sur un total de 67 millions d’hectares, dont la moitié en Afrique, pour une superficie quasi équivalente à celle de l’Allemagne».

Pour lui, trois raisons principales expliquent cette croissance exponentielle: la concurrence effrénée pour l’acquisition des terres agricoles surtout depuis la dernière crise alimentaire mondiale qui a eu pour conséquence, une forme de financiarisation des produits agricoles; la recherche d’autres sources de profit par des investisseurs échaudés par la crise immobilière; et la volonté politique de l’Union européenne d’incorporer 10% d’agro carburant dans sa consommation énergétique.

Si le phénomène touche aussi le Honduras et le Guatemala en Amérique centrale, l’Indonésie en Asie, il est beaucoup plus répandu en Afrique pour trois raisons: le continent africain dispose encore suffisamment de terres disponibles, le prix du foncier est peu élevé et selon Jean-Cyril Dagorn, les investisseurs ont plus de marge manœuvre pour contourner le droit local, généralement peu appliqué.

«Les principaux acquéreurs, de gros investisseurs étrangers»

En Afrique de l’ouest, en plus du Sénégal, du Mali et du Nigeria, il a gagné le Burkina Faso; l’Ethiopie, le Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda et le Soudan du Sud fraîchement indépendant en Afrique de l’est; le Cameroun en Afrique centrale.

Les principaux acquéreurs sont de gros investisseurs privés étrangers, essentiellement européens comme dans le nord du Sénégal, de grandes multinationales, telle que la New Forest Company en Ouganda. Mais aussi des états très riches, notamment les pays du golfe arabique ou d’autres.

La Libye par exemple a investi au Mali dans la zone de l’office du Niger dans un projet de production de riz appelé Malibya, avec pour objectif affiché, d’assurer sa sécurité alimentaire. Les élites locales qui profitent du laxisme et des largesses que leur accordent les autorités nationales, ne sont pas en reste.

Comment moraliser et réguler cette course effrénée à l’acquisition facile de terres dans les pays pauvres? La communauté internationale doit «adopter au plus vite des standards internationaux contraignants sur la gestion des ressources naturelles» recommande Oxfam.

SlateAfrique, Valentin Hodonou, 16 novembre 2011

[Toulouse] Vague d’arrestations sur la ville rose

Vague d’arrestations sur la ville rose

 

La matinée d’hier mardi 15 novembre a commencé à l’aube pour certainEs d’entre nous. Une aube bleue gendarme qui est venue cueillir au saut du lit quelques enragéEs engagéEs. Dans 6 maisons, squattées ou non, perquisitions et plus de dix arrestations. Une famille de sans papiers qui n’avait rien demandée est raflée en passant, y’a pas de petit profit. Pour elle, fort heureusement tout s’est bien terminé. Pour 6 autres personnes, la journée et la nuit se sont poursuivies au violon.

Ce matin (mercredi 16 novembre) ilelles y sont encore.

Flics hors de nos vies !

Rassemblement à 14h devant le TGI de Toulouse, mercredi 16 novembre

Allées Jules Guesde. Métro Palais de Justice

Un article de la Dépêche du 16 novembre 2011 :

Saccage à Labège : descente de la gendarmerie dans des squats

enquête

À la surprise des riverains et passants, les militaires ont investi en nombre un squat de l'avenue Jean-Rieux, hier matin, aux alentours de 8 heures./Photo DDM Thierry Bordas
À la surprise des riverains et passants, les militaires ont investi en nombre un squat de l’avenue Jean-Rieux, hier matin, aux alentours de 8 heures./Photo DDM Thierry Bordas
 

La gendarmerie a déployé, hier matin, de gros moyens pour intervenir dans deux squats toulousains. Ces opérations seraient liées à l’enquête sur le saccage, en juillet, des locaux de la Protection judiciaire de la jeunesse à Labège.

Deux opérations coup-de-poing ont été menées, hier, à l’heure du laitier, dans des squats de Toulouse par les forces de gendarmerie. Peu après 6 heures, avenue Camille-Flammarion, derrière la gare, dans le quartier de Jolimont, des dizaines de gendarmes ont investi un immeuble. Un peu plus tard, vers 8 heures, c’est cette fois un squat de l’avenue Jean-Rieux, dans le quartier Côte Pavée, qui était la cible des forces de l’ordre.

Six interpellations

Selon nos informations, ces deux opérations conjointes, menées sur réquisition du parquet, s’inscrivent dans le cadre de l’enquête sur le saccage, le 5 juillet, à Labège, des locaux de la direction interrégionale Sud de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Ce jour-là, en fin de matinée, un commando d’une dizaine de personnes cagoulées avait fait irruption dans les lieux. Ils avaient déversé des bouteilles remplies d’excréments sur les ordinateurs et les bureaux. Des slogans, « Nique la justice », « Porcs », avaient été tagués sur les murs et une employée aspergée de gaz lacrymogène. En repartant, les membres de ce commando avaient lancé des tracts dans lesquels ils exprimaient leur profond désaccord avec les politiques menées en matière de réponses au problème de la délinquance des mineurs. À l’époque, le saccage avait suscité un véritable choc au sein des personnels de la PJJ. Hier, le Procureur de la République a refusé de commenter les opérations menées par la gendarmerie et leur objectif.

Ces deux descentes de gendarmerie ont abouti aux interpellations de six personnes. L’enquête sur le saccage a été confiée à la section de recherche de la gendarmerie de Toulouse.


Un Commando au PS

Le vandalisme de la Fédération 31 du Parti socialiste, rue Lejeune à Toulouse, le 11 octobre dernier a lui aussi marqué les esprits. C’est au projet du futur aéroport nantais de banlieu que le commando s’en est pris. Rien ne permet pour l’heure de relier ces deux affaires.

Congrès CFTC : le Futuroscope a la jaunisse !

Congrès CFTC : le Futuroscope a la jaunisse !

Jusqu’à jeudi soir, l’Union régionale CFTC Poitou-Charentes accueille le 51e congrès de son « syndicat » la CFTC (confédération française des travailleurs chrétiens) , à l’amphithéâtre du palais des congrès du Futuroscope de Poitiers.

Congrès d’entrée de jeu annoncé par un marketing publicitaire douteux : une vague bleue d’affiches où figurait la phrase : « Elle arrive le 15 ! »… On aura peut-être d’abord cru à Marine Le Pen ?… On n’en était pas très loin, dans le discours interclassiste aux relents cathos et antisocialistes primaires.

Jacques Voisin, président confédéral sortant, a prononcé le discours d’ouverture du congrès, en déclarant «assumer sans complexe, une démarche originale inspirée des valeurs sociales chrétiennes». « Originale« , cette démarche l’est en effet.

Dans ses statuts, ce pseudo- « syndicat » s’inspire de l’encyclique anti-socialiste catholique Rerum Novarum, pondue par le pape Léon XIII en 1891, au moment de la montée des organisations de classes, en réaction au « socialisme athée ». A l’époque, la combativité ouvrière frappait en effet aussi bien le patronat et l’Etat… que l’Eglise, leur sbire zélé de longue date. Or ce syndicat en appelle à la« morale sociale chrétienne » et se démarque explicitement de la lutte des classes (qualifiée d’ « antagonismes de classes« , brrrr…).

Sa stratégie clairement affichée était de mener le mouvement ouvrier à la collaboration avec l’Etat et le Capital : « associer le syndicalisme ouvrier à la politique économique du pays« …  à une époque ou le Capital craignait les discours révolutionnaires autogestionnaires contre le parasitime capitaliste, elle prône au contraire la pérennisation du capital et de son corollaire le salariat, en estimant « nécessaire de transformer ces conditions [de la production] de manière à assurer un meilleur emploi des forces productrices et une répartition plus équitable des fruits de la production entre les différents éléments qui y concourent. » (comprendre : entre capital et travail aliéné).

Briseuse d’action directe, la CFTC pousse donc à la négociation et au compromis interclassiste au détriment de toute action instauratrice de réels rapports de force (en particulier la « grève« , qui n’est vue que comme un recours extrême). De fait, la CFTC a accompagné toutes les sales réformes des gouvernements le petit doigt sur la couture du pantalon… comment parler d' »unité syndicale » avec une organisation pareille ?

Ce qui explique sans doute la désaffection croissante des travailleurs-euses aux élections professionnelles. Désaffection qui remet en cause, au grand dam de ses permanents, la représentativité du syndicat… Qui se maintient surtout dans certaines branches bien spéciales du privé (dont l’enseignement catho et le commerce…).

Fidèle à sa tradition catho, le congrès célèbre donc une messe le mardi (on y aura sans doute entendu un sermon moralisateur sur les méchants financiers et un retour souhaité à un bon capitalisme à la papa ?).

Fidèle à sa tradition de compromis dégueulasse avec les représentants du  pouvoir politique et capitaliste, le congrès CFTC reçoit aussi le ministre du travail de l’emploi et de la santé (l’inénarrable Xavier Bertrand) le jeudi matin ; la secrétaire d’Etat aux solidarités et à la cohésion sociale (Marie-Anne Montchamp) l’après-midi ; et le vendredi, toute le gotha politicard local : maire de Poitiers, président du conseil régional, présidente du conseil régional…

Com-pro-mis on vous dit ! La CFTC est tellement fan du compromis qu’en guise de « partenaires » du Congrès, on retrouve ces indéfectibles soutiens du service public que sont… les organismes privés MACIF, AG2R la mondiale, Malakoff Médéric. Pour les « exposants » idem : fonds privés de prévoyance et retraites, boîtes privées de management et de consulting… http://cftc-congres2011.fr/partenaires-exposants/nos-exposants/

Bref, la CFTC n’est ni plus ni moins qu’une caricature de jaunisme syndical (1).

Nous ne déplorons donc certainement pas sa perte d’influence chez les salariéEs, bien au contraire. Même si nous déplorons en revanche que le sale boulot de compromission (ceci explique cela) soit surtout désormais le fait… de bureaucraties à la tête de syndicats tels que CGT et CFDT, à l’origine plus combattifs et sensés suivre les principes de base du syndicalisme, comme la Charte d’Amiens (2).

C’est aux exploitéEs, au taf ou au chômedu, d’ici ou d’ailleurs, syndiquéEs ou pas, de s’organiser à la base, pour se défendre sur des bases autonomes contre leurs proprios, leurs exploiteurs, leurs soi-disants « représentants » politiques… et syndicaux.

Ni Dieu ni maître !

(1) un syndicat « jaune » est à l’origine un syndicat créé par les patrons pour briser les grèves et la contestation ouvrière. Aujourd’hui, cette expression qualifie souvent les syndicats refusant le conflit de classe et-ou entraînant les travailleurs dans la négocation avec le patronat et l’Etat.
(2) La charte d’Amiens (1906) prônait la lutte de classe, indépendante des partis, visant l’expropriation, l’abolition du salariat et du patronat, de l’Etat et du Capital, de l’exploitation et de l’oppression « tant matérielle que morale », sous toutes ses formes. Pour les remplacer par la réorganisation complète de la société en groupement de production et de répartition égalitaires. Même vidée de son contenu originel par des décennies de main-mise léniniste sur les bureaucraties syndicales et de compromissions toujours plus honteuses, cette charte demeure la référence du syndicalisme en France (sauf bien sûr pour la CFTC).

Groupe Pavillon Noir, Fédération Anarchiste 86, 16 novembre 2011

[Poitiers] Manif d’étudiantEs en orthophonie contre la réforme Bertrand

Les étudiants orthophonistes manifestent en chantant

Ils étaient 70 à protester, hier place du Maréchal-Leclerc à Poitiers, contre la réforme proposée par Xavier Bertrand, ministre de la Santé.

Soixante-dix étudiants en orthophonie ont manifesté hier.

 

Soixante-dix étudiants en orthophonie ont manifesté hier. – (dr)

Ceux qui passaient hier, en fin d’après-midi, sur la place du Maréchal-Leclerc à Poitiers se sont arrêtés et ont applaudi la prestation. Visage grimé, portant un tee-shirt rouge, soixante-dix jeunes ont donné de la voix. Non, il ne s’agit pas d’une nouvelle chorale. Non, cette ritournelle ne sera pas diffusée sur toutes les ondes. Les étudiants en orthophonie manifestaient en chantant.

La création d’un Master

« Nous protestons contre le projet avancé par le ministre de la Santé, explique Jeanne Roeltgen, présidente de l’Association pour les étudiants en orthophonie de Poitiers. Ce projet prévoit une orthophonie à deux vitesses. » Actuellement, les étudiants en orthophonie sont admis au centre de formation, rattaché à la faculté de médecine, sur concours. Leur cursus se déroule sur 4 ans. « Mais seul un niveau bac + 2 nous est reconnu, précise Jeanne. Nous réclamons depuis longtemps au gouvernement de créer un Master 2. Nous voulons approfondir nos connaissances et accéder à la recherche afin de permettre l’évolution de nos pratiques. »
Et Xavier Bertrand accède à leur demande. Pourtant les étudiants sont en colère. Ils n’imaginaient pas une proposition conditionnée : « Il veut scinder notre profession, s’exclame Jeanne. Il nous faudra passer une nouvelle sélection au bout de nos quatre années d’études pour entrer en Master 2. Notre concours d’entrée au centre de formation est déjà suffisamment exigeant. C’est inadmissible. »
Selon les étudiants, ceux qui ne pourront pas atteindre cette cinquième année d’étude ne pourront plus soigner toutes les pathologies. Ceux qui l’intégreront seront obligés de choisir une spécialité. « Ce système provoquerait une baisse de l’offre de soin de qualité et de proximité », s’emporte Jeanne. L’attente est déjà longue pour les personnes souhaitant un rendez-vous : de 6 à 18 mois.
Pendant 16 jours, les étudiants des 16 villes accueillant un centre de formation en orthophonie vont se mobiliser. « Et s’il le faut nous irons tous manifester à Paris. » Une pétition est à signer sur www.mesopinions.com. Il faut taper « Pour un master en orthophonie » dans la barre de recherche.

Nouvelle République, Magalie Lépinoux, 16 novembre 2011

Une anthropologie de la police des quartiers

Anthropologie d’une bande armée de criminels

 

« La force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers », de Didier Fassin : mais que fait la police ?

Il y a plusieurs polices. Peut-être y en a-t-il même autant que de policiers. Les uns attirent parfois le regard, comme les flics « ripoux » et les serviteurs trop zélés du pouvoir exécutif qui défraient la chronique ces jours-ci. D’autres restent le plus souvent dans l’ombre.

Les policiers de terrain, auxquels incombe le maintien de l’ordre, sont de ceux-là. Leur travail, fait de patrouilles et d’interpellations, paraît souvent trop banal pour mériter que l’on s’y arrête. Le jeu du chat policier et de la souris délinquante n’est-il pas, après tout, l’un des plus vieux au monde ? Il est malheureusement aussi un des plus protégés du regard des chercheurs. « Circulez, y’a rien à voir ! » : depuis plusieurs années, la police a fait de ce mot d’ordre sa politique à l’égard des sciences sociales. Elle oppose dorénavant un refus systématique aux demandes d’enquêtes sur son travail.

L’anthropologue Didier Fassin a pourtant réussi à surmonter les réticences des policiers et à se faire accepter dans un commissariat de la banlieue parisienne. Entre 2005 et 2007, il a pu suivre le quotidien des équipages de la brigade anticriminalité (BAC). Créée en 1971 pour faire du « flagrant délit », cette police en civil est devenue, depuis les années 1990, l’instrument principal de la « police des quartiers » et le bras armé de la politique sécuritaire qui associe immigration, banlieue et délinquance.

S’inscrivant dans une longue lignée de travaux anglo-saxons visant à prendre au sérieux l’autonomie politique et morale dont jouit le policier du coin de la rue, et à la suite de Dominique Monjardet, qui fut en France le pionnier de cette approche de la police « par le bas », Didier Fassin décrit patiemment le travail des policiers de la BAC.

Loin des clichés, celui-ci est essentiellement marqué par l’inaction et la frustration. « Les policiers, note-t-il, attendent de rares appels qui s’avèrent presque toujours vains, soit parce qu’il s’agit d’erreurs ou de plaisanteries, soit parce que les équipages arrivent trop tard ou font échouer leur affaire par leur maladresse, soit enfin parce qu’il n’y a pas matière à interpellation. »

L’anthropologue s’attache dès lors à décrire le fonctionnement du groupe des « baqueux », cet « État dans l’État policier » fonctionnant par cooptation et doté d’une large autonomie par rapport à la hiérarchie policière. Les brigadiers qui le composent, souvent des « immigrés de l’intérieur » — enfants de paysans ou de commerçants des petites agglomérations —, sont formés dans la crainte de la « jungle » dans laquelle ils sont appelés à travailler, des « zones urbaines sensibles » pour l’essentiel. Ils n’y habitent pas et les insignes brodés sur leurs blousons la représentent comme des alignements de barres d’immeubles saisis dans le viseur d’une arme…

Ces policiers, plus inspirés par l’idéologie du Front national et les faits d’armes de Vick Mackey, le flic corrompu de la série « The Shield », que par le service d’une communauté et le respect de la loi, se sont fabriqué, en guise d’idéal, une morale de substitution : « Faire régner l’ordre en rappelant qu’ils peuvent user de leur pouvoir à leur gré, telle est la mission que se donnent, par défaut, les membres de la BAC, dès lors qu’ils se rendent bien compte qu’ils n’arrêtent pas, comme ils l’avaient imaginé en choisissant leur unité, “des voleurs et des voyous”. »

Puisqu’il faut bien donner un sens à ces inutiles courses-poursuites contre les jeunes des quartiers, aux interpellations sans gloire d’étrangers et de « shiteux » pour satisfaire le besoin de chiffres de la hiérarchie, les policiers de la BAC se sont bricolé une morale faite avant tout de discriminations raciales, de vengeances organisées et du recours systématique à la violence psychologique contre ceux qu’ils interpellent. Une morale qu’un brigadier résume ainsi face à Didier Fassin : « Y nous aiment pas, les bâtards. Nous on les aime pas non plus. »

Au final, c’est un théâtre absurde et tragique qui émerge des notes prises par le chercheur dans ces véhicules banalisés lancés à la poursuite d’on ne sait finalement trop qui ou quoi. La police est par excellence le lieu de ce que les sciences sociales appellent les « prophéties auto-réalisatrices ». Il suffit en effet d’augmenter le nombre de policiers dans les quartiers pour y multiplier les interpellations, donc les faits de délinquance enregistrés. La police est, en somme, elle-même sa propre justification.

Mais l’anthropologue comme le citoyen peuvent-ils se satisfaire d’un tel vide de sens ? Un jour, un policier confie à Didier Fassin qu’il ne comprend pas pourquoi les jeunes des quartiers se mettent toujours à courir quand ils le voient arriver. Le chercheur, lui, a appris de ces mêmes jeunes la façon dont un corps peut mémoriser les humiliations passées et instinctivement s’en protéger. Aussi a-t-il la charité de ne pas rétorquer ceci : le fait que le policier, à son tour, se mette à courir, voilà un mystère encore bien plus épais à percer…

LA FORCE DE L’ORDRE. UNE ANTHROPOLOGIE DE LA POLICE DES QUARTIERS de Didier Fassin. Seuil, 393 p., 21 €.

Leur presse (Gilles Bastin, Le Monde des livres), 27 octobre 2011.


La charge contre la police d’un anthropologue immergé dans une brigade anticriminalité

L’anthropologue Didier Fassin a passé quinze mois en immersion dans une brigade anticriminalité (Bac), spécialiste du « saute-dessus » dans les banlieues sensibles : il en a fait un livre à charge contre la police mais lui parle d’un « travail d’obervation avec le souci de faire bouger les choses ».

« Discours racistes », « pratiques discriminatoires », « scènes d’humiliation », « contrôles d’identité abusifs » et au faciès, « culture du chiffre » : dans La Force de l’ordre (Éd. Seuil, parution cette semaine), se voulant une « anthropologie de la police des quartiers », il n’y va pas par quatre chemins pour décrire le quotidien d’une « Bac » qui œuvre apparemment en grande banlieue parisienne mais que l’auteur ne situe jamais.

On y croise des policiers roulant à près de 200 km/h quasiment pour le plaisir, des « blacks » contrôlés pour rien ou des peccadilles — le fils de l’auteur en ayant fait l’expérience, ce qu’il raconte — mais rarement comme auteurs d’infractions. Y sont décrits des comportements de « cow-boys », tutoiement de rigueur et insultes racistes, avec les jeunes des cités HLM.

Fassin, professeur de sciences sociales à Princeton (États-Unis) et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), se défend d’avoir livré une « charge » contre la police.

« C’est un travail d’observation », plaide-t-il. « Après avoir enquêté auprès des jeunes, j’ai voulu comprendre ce qui se passe du côté des institutions » et « ai eu la chance d’obtenir une autorisation pour suivre 15 mois une Bac » entre 2005, au moment des émeutes auxquelles il n’a pas assisté, et 2007.

« La loi vient après l’ordre »

Son récit confirme la césure police/population, singulièrement avec la jeunesse. Il montre, exemples à l’appui, « l’inefficacité » des Bac, selon lui, et de leur travail souvent effectué dans « l’illégalité » notamment pour ce qui est des contrôles.

Les dialogues, sous anonymat, sont saisissants : « C’est vrai que ces contrôles sont abusifs », raconte à l’auteur un commissaire « et je comprends qu’aux jeunes, ça leur pèse ». « Mais c’est une espèce de jeu. Moi, je suis le flic, je vais te contrôler. Toi tu es le présumé coupable, tu te fais contrôler. »

« Il faut bien admettre que ça ne sert à rien », admet encore le policier, selon des propos rapportés par Fassin, « sauf à perpétuer le climat malsain entre les policiers et les jeunes ».

Ces pratiques, selon lui, sont à mettre au crédit des lois et discours sécuritaires depuis les années 1990, ceux de Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy notamment. Mais aussi, « depuis un demi-siècle, des concentrations de populations et d’immigrés ».

« La loi vient après l’ordre », résume le chercheur. « On a demandé aux policiers d’être interventionnistes » et les Bac ont été créées « rien que pour cela ». Pour du « saute-dessus » comme disent les « baqueux » — ainsi qu’ils se nomment entre eux — dans le livre.

Quand on lui dit que le livre risque de choquer les policiers et ceux dont il a partagé le quotidien, Didier Fassin rétorque « espérer ouvrir le débat » pour que « tous s’y reconnaissent », policiers et citoyens. Pour « faire bouger les choses, au nom de la démocratie ».

La partie n’est pas gagnée à en croire ce qu’il dit des jeunes policiers des Bac : « La plupart ont (une) image de la banlieue comme dangereuse, des habitants comme leurs ennemis et de la situation dans laquelle ils se trouvent comme un état de guerre ».

« Et ce avant même d’être affectés dans ces circonscriptions où ils n’ont pas voulu aller et qu’ils cherchent à quitter au plus vite », écrit l’auteur.

Leur presse (Rémy Bellon, Agence Faut Payer), 24 octobre 2011.


Des policiers dans la « jungle urbaine »

Dans une étude sans précédent, Didier Fassin, professeur de sciences sociales, raconte les tensions entre forces de l’ordre et populations. Interview par Elsa Vigoureux.

Vous affirmez qu’il existe une police qui s’exerce de manière spécifique dans les quartiers ?

Depuis plusieurs décennies, une police des quartiers est née, dont le fer de lance est la BAC, brigade anti-criminalité. Son mode d’action dans ces territoires et à l’égard de leurs populations serait impensable ailleurs. La plupart des polices du monde ont évolué vers une répression ciblée sur les populations les plus vulnérables, les immigrés et les minorités, en développant des méthodes d’intervention spécifiques, de type paramilitaire, en marge de la légalité, créant ainsi de petits états d’exception. La France a ceci de particulier que la Police nationale n’est pas au service de la population, mais de l’État, en principe garant de neutralité. Or l’évolution récente tend plutôt à en faire le bras armé du gouvernement.

Vous dites que « la police des quartiers ne ressemble pas à ses habitants ». C’est-à-dire ?

Ces policiers sont des jeunes qui sortent de l’école. Issus de zones rurales et de petites villes, ils n’ont pas d’expérience personnelle des zones urbaines sensibles (ZUS), qu’on leur présente comme une « jungle » hostile. S’ils sont aussi d’origine modeste, ils ont en général passé leur jeunesse dans des milieux très différents. Les rares membres de la BAC qui ne considèrent pas les jeunes des cités comme des ennemis et ne les traitent pas de « bâtards » ont eux-mêmes vécu dans des cités.

Comment conçoivent-ils leur mission ?

Ils disent avoir choisi ce métier pour « attraper des voleurs et des voyous ». La réalité est tout autre : la criminalité a baissé ; les auteurs des délits les plus fréquents, comme les atteintes aux biens, sont difficiles à confondre, à moins de les prendre la main dans le sac. La profession est sous pression, les policiers doivent « faire du chiffre ». Et ils se rabattent sur des « délits faciles à faire » : arrêter ceux qu’ils appellent les « shiteux », et les sans-papiers. Ils sont loin de l’idée qu’ils se faisaient de leur métier.

Vous dites que les policiers, déçus par les magistrats, règlent des comptes dans la rue.

Bien que les faits prouvent le contraire, les policiers croient que les juges sont laxistes. Et ils ont tendance à faire justice eux-mêmes. En pratiquant sur des jeunes des contrôles d’identité illégaux, dans des conditions humiliantes. Ou en réalisant des interpellations arbitraires au sein d’un groupe. Le but, comme ils disent, est de leur « pourrir la vie ». Les publics les plus habituels des forces de l’ordre sont donc exposés à une double peine, judiciaire et policière.

Les études sur la police sont rares. Pourquoi ?

C’est devenu un interdit. Il existe une censure qui rend impossible l’obtention d’autorisations pour étudier l’activité policière. Je suis reconnaissant au commissaire de la circonscription où j’ai réalisé mon enquête, entre 2005 et 2007, de m’avoir laissé toute liberté alors que la pression du ministère était forte.

Pourquoi évoquez-vous l’expérience de votre fils et de ses amis, enfants français d’origine africaine, maltraités par des policiers de la BAC ?

Il faut y voir une implication personnelle, pas un témoignage. Ces faits correspondent à ce qui est vécu par une partie de la population, et totalement ignoré par le reste. C’est cette invisibilité que je tente de dépasser : cela se produit près de chez vous, et vous ne le savez pas. Pourtant, il s’agit de nous, parce que ce sont nos enfants, leurs amis et les parents de ces amis. Méconnaître cette réalité, c’est taire les injustices.

Pensez-vous qu’une guerre sourde est à l’œuvre entre la police et cette population ?

Il y a du côté des forces de l’ordre et des responsables politiques un imaginaire de la guerre : un vocabulaire pour désigner les ennemis de l’intérieur, des expéditions punitives pour sanctionner l’acte d’un individu, la mobilisation de technologies militaires lors de confrontations, des références à la guerre d’Algérie comme matrice des tensions actuelles. Une oppression que ressentent fortement les habitants des quartiers en tant que victimes. Lorsqu’un jeune meurt, renversé par un véhicule de police ou abattu dans un commissariat, un sentiment de révolte peut les submerger. C’est ainsi que des émeutes surviennent. Imaginaire de la guerre des uns et sentiment de révolte des autres me paraissent donc profondément distincts.

Interview de Didier Fassin, professeur de sciences sociales, auteur de « La Force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers » (Éd. Seuil), par Elsa Vigoureux.

Leur presse (Le Nouvel Observateur), 20 octobre 2011.