Archives de catégorie : Ni patrie ni frontière

Au sujet des statistiques commandées par Guéant sur la délinquance des immigrés.

Il ne se passe plus une semaine sans une sortie répugnante du sinistre de l’Intérieur. Cet article AFP mentionne cette fois-ci une « étude » sur la criminalité spécifique des immigré-e-s, commandée par l’ignoble Guéant. Même si sa conclusion vient tempérer le discours nauséabond relaté, nous ne le diffusons que pour montrer le discours xénophobe sous-jacent qui prolifère actuellement en France, comme ailleurs hélas.

Selon cette étude, 17,3% des vols seraient donc commis par des immigrés, ce qui serait une « confirmation » d’une « surreprésentation » des étrangers dans la délinquance, selon Eric Ciotti, toujours aussi prompt à soutenir la politique migratoire dudit Guéant.

Les données statistiques de la délinquance me font vomir, en particulier lorsqu’elles évoquent un rapport avec l’immigration… mais puisqu’il faut à mon sens reléguer ce genre de statistiques bien « ciblées » à ce qu’elles sont, soit de la bonne grosse propagande xénophobe préélectorale, regardons les chiffres avec plus de précision.

Les « immigré-e-s » représentent entre 8,3% et 11,1% de la population totale, selon qu’on se rapporte à la définition de l’INSEE ou de l’ONU. Il y aurait donc un rapport de un à deux, pour les délits de vol commis, entre les « nationaux » et les « immigrés » ?

Sauf qu’on oublie une évidence, et un autre chiffre qui va avec.

Le vol concerne en effet surtout les pauvres (du moins le vol condamné par la « justice » française, qui n’inclut pas le vol capitaliste de la plus-value par la bourgeoisie, qui représente des chiffres autrement plus conséquents, mais dont ne parlera évidemment jamais Guéant).

Ainsi, les prisons enferment très majoritairement des personnes pour délits et crimes relevant de l’atteinte aux biens d’autrui et sans surprise, l’immense majorité des personnes incarcérées est pauvre. Le « vol » ne trouve pas ses origines dans les… « origines ethniques », mais dans la pauvreté, qui se renforce au sein d’une société violemment inégalitaire. Cela peut paraître évident pour n’importe quel sociologue, mais il fallait le rappeler.

Or la population dite immigrée connaît, selon l’INSEE, un taux de pauvreté d’environ 36 %, soit un taux supérieur de 25 points à celui de la population des ménages non immigrés. A cela s’ajoutent des conditions de vie, pour bien des immigrés, plus déplorables encore ; notamment en termes de logement (concentré dans des zones urbaines d’exclusion sociale). Si l’on suit ce rapport entre vol et pauvreté, sociologiquement bien plus pertinent que celui entre vol et « origine » comme on va le voir, les immigrés pauvres sont environ 3% de la population totale, et les nationaux pauvres 10%.

C’est-à-dire que près d’un pauvre sur trois est immigré en France.

Or les immigrés ne sont pas à l’origine d’un tiers des vols commis, mais de 17%, selon l’étude. C’est-à-dire qu’il y a mathématiquement plus de vols commis par des nationaux pauvres que par des immigrés pauvres.

Voilà une analyse à mes yeux inintéressante au possible, tant le vol est à mon sens compréhensible, et même légitime dans une société aussi inégalitaire que la nôtre, et tant je me fous de « l’origine » dans une analyse de classe de la société. Mais qui a au moins le mérite de remettre à leur place les promoteurs de la xénophobie à la sauce républicaine.

On ne s’en étonnera pas : les politicards flirtant avec la haine xénophobe sont les mêmes qui mènent une politique de guerre aux pauvres et de défense des privilèges des riches. Face à la colère populaire contre les inégalités croissantes, ces bureaucrates de la gestion de la misère préfèrent diviser les pauvres et évoquer des raisons « ethniques » ou encore « religieuses » pour faire diversion, et justifier leur ordre sécuritaire. Façon odieuse de masquer leurs propres responsabilités dans la fabrique de la misère et de l’injustice modernes.

On ne le dira jamais assez : ce sont l’Etat et le capitalisme qui engendrent la misère, pas les « immigrés » qui ne sont, pour leur immense majorité, que des exploités comme les autres. Que les imbéciles et les lâches se rallient aux discours mensongers de leurs exploiteurs pour déchaîner leurs frustrations sur les franges les plus précarisées de la population, c’est une triste ritournelle historique. Quant à nous, nous appelons à lutter contre l’exploitation capitaliste et ses sbires étatistes.

Pas de guerre entre les peuples, pas de paix entre les classes !

Juanito, groupe Pavillon Noir (Fédération Anarchiste 86), 15 février 2012

Délinquance: les étrangers mis en cause dans une étude, à 2 mois de la présidentielle

Des étrangers ont été mis en cause dans près d’un vol sur six en 2011 (17,3%, contre 12,8% en 2006), selon un rapport publié mercredi, jour de l’annonce de la candidature à la présidentielle de Nicolas Sarkozy, dont l’immigration devrait être un axe de campagne.

Selon cette étude de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), commandée par le ministre de l’Intérieur Claude Guéant, sur près de 306.000 « mis en cause » par la police et la gendarmerie en France, pour des vols ou dégradations, 17,3% sont des étrangers.

Ce chiffre est rendu public au lendemain de l’annonce de l’examen le 1er mars à l’Assemblée nationale d’un projet de loi UMP inspiré par la place Beauvau et tendant à augmenter les expulsions d’étrangers condamnés. Depuis fin décembre, Claude Guéant pointe du doigt « une délinquance étrangère supérieure à la moyenne enregistrée dans notre pays ».

Aux yeux du Monsieur Sécurité du candidat socialiste François Hollande, François Rebsamen, pour qui « il n’y a pas de hasard en politique », la publication de cette étude, à deux mois de la présidentielle, « imprime l’entrée en campagne de Nicolas Sarkozy d’un parfum nauséabond ».

Si l’Intérieur, contacté par l’AFP, n’a pas immédiatement réagi, le député UMP Eric Ciotti a salué la « confirmation » d’une « surreprésentation » des étrangers, notamment des Roumains, dans la délinquance. A ses yeux, ce travail « balaie la polémique un peu ridicule après le discours de Grenoble », prononcé à l’été 2010 par Nicolas Sarkozy. Le chef de l’Etat y établissait pour la première fois un lien entre délinquance et immigration.

Louis Aliot, vice-président du FN, a salué le fait que, pour « la première fois », « un organisme officiel pointe la corrélation » entre « immigration et insécurité » et « ouvre les yeux de tous nos compatriotes sur les méfaits d’une immigration massive et incontrôlée ».

L’étude détaille la « part des étrangers » dans plusieurs catégories d’infractions, à partir des statistiques officielles.

Pour les violences aux personnes par exemple, point noir depuis quelques années, elle est de 12,4%, un chiffre en baisse par rapport à 2006 (14,2%). Pour les atteintes aux biens, elle est en revanche en hausse (12,8% à 17,3%).

Sur la base de deux fichiers de police et de gendarmerie, le Stic et la BNSD, l’ONDRP a également tenté de définir l’âge, le sexe et la nationalité des étrangers « mis en cause » entre 2008 et 2010.

D’après le Stic -un fichier contesté, notamment par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil)-, le nombre de Roumains a « plus que doublé » pour cette période. Il a augmenté « de près de 95% », selon la BNSD.

« Le nombre de personnes de nationalités de l’ex-Yougoslavie mises en cause pour vols s’est accru de plus de 65% » pour la police, « de plus de 90% » pour les gendarmes.

Selon le Stic, il y a une augmentation globale d’environ 40% du nombre d’étrangers « mis en cause » par la police sur cette période. Cette « tendance à la hausse » concerne aussi « les mis en cause pour vols d’autres nationalités », affirme l’ONDRP, citant les Algériens ou les Tunisiens.

En 2010, selon la Chancellerie, 79.829 des 628.039 condamnations ont été prononcées contre des étrangers (y compris de l’UE), soit une part de 12,7%. Dans son recensement de 2008, l’Insee estime que les étrangers en situation régulière représentent un peu moins de 6% de la population française totale.

Le criminologue Alain Bauer, président de l’ONDRP, comme d’autres sociologues tel Sébastian Roché (CNRS), mettent en garde contre « l’interprétation » des chiffres. Pour Sébastian Roché, ils peuvent conduire à comparer « deux populations qui ne sont pas comparables », les étrangers étant « plus pauvres », « plus urbains » et dotés d' »un niveau scolaire plus faible ».

AFP, 15 février 2012

[Palestine] Manifestations pour Khader Adnane

ndPN : Nous évoquions il y a deux jours le rejet par la « justice » militaire israëlienne de la demande d’appel du prisonnier Khader Adnane, en grève de la faim depuis maintenant 60 jours (contrairement aux 30 jours mentionnés dans la légende de la photo de l’AFP dans l’article ci-dessous). Adnane, très affaibli, est détenu dans des conditions ignobles, attaché à son lit. Les Palestiniens sont descendus dans la rue aujourd’hui et se sont frottés aux forces de répression israêliennes. Les grèves de la faim solidaires se multiplient. Libération de Khader Adnane !

Pavillon Noir, 15 février 2012

Manifestations pour un détenu palestinien en grève de la faim

Des manifestations se déroulaient mercredi en Cisjordanie et à Gaza en solidarité avec un membre du mouvement radical palestinien emprisonné en Israël, en danger de mort après 60 jours de grève de la faim.

Des Palestiniens manifestent en solidarité avec Khader Adnane, en grève de la fin depuis 30 jours, en Cisjordanie, le 15 février 2012

Des Palestiniens manifestent en solidarité avec Khader Adnane, en grève de la fin depuis 30 jours, en Cisjordanie, le 15 février 2012

Khader Adnane, 34 ans, a été autorisé à recevoir mercredi la visite de sa famille dans un hôpital de Safed, dans le Nord d’Israël, où il est en détention administrative, a-t-on appris auprès de son épouse et de l’administration pénitentiaire.

Détenu sans inculpation, il a été arrêté en décembre par l’armée israélienne près de Jénine dans le Nord de la Cisjordanie occupée, où il était porte-parole du Jihad islamique. Il est en grève de la faim depuis le 18 décembre.

Des rassemblements de solidarité sont organisés devant la prison militaire israélienne d’Ofer en Cisjordanie et les sièges du Croissant-Rouge dans toutes les villes palestiniennes, ainsi que des grèves de la faim ponctuelles, selon le président de la commission pour la défense des prisonniers, Amine Chomane.

Près d’un millier de personnes, essentiellement des jeunes, se sont rassemblées devant la prison d’Ofer, près de Ramallah. Des heurts ont éclaté, les manifestants lançant des pierres et les forces israéliennes tirant des gaz lacrymogènes et des balles caoutchoutées, selon un photographe de l’AFP et des témoins.

A Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, des centaines de personnes observaient un sit-in en présence de responsables, dont le ministre palestinien des Prisonniers, Issa Qaraqaë.

Les manifestants brandissaient des photos du détenu et des banderoles sur lesquelles on pouvait lire « Non à la détention administrative arbitraire ».

« Khader Adnane est devenu un symbole national, arabe et international, de défense de la dignité des hommes libres dans Le Monde entier », a déclaré le ministre à l’AFP.

« Le Monde doit forcer Israël à rendre leurs droits aux prisonniers palestiniens et à les traiter comme des prisonniers de guerre et non pas comme des criminels », a-t-il ajouté.

Des rassemblements similaires se tenaient dans l’ensemble des Territoires palestiniens, notamment à Gaza, où un appel à une grève de la faim en solidarité avec le détenu de 08H00 à 18H00 locales a été lancé.

L’avocat de Khader Adnane, Jawad Boulos, a annoncé à l’AFP son intention de saisir la Cour suprême israélienne en raison de la dégradation de l’état de santé du détenu, dont la demande de remise en liberté a été rejetée lundi par un tribunal militaire.

L’avocat, qui lui a rendu visite mardi, a affirmé que le détenu avait les mains et les pieds menottés à son lit d’hôpital dans des « conditions inhumaines ».

L’association Médecins pour les droits de l’Homme-Israël (PHR-Israel) a souligné dans un communiqué que « ces derniers jours, M. Adnane avait été examiné par un médecin indépendant, un bénévole de PHR-Israel, qui a affirmé: ‘L’heure tourne' ».

« M. Adnane est toujours enchaîné à son lit d’hôpital, en violation de l’éthique médicale, des réglementations du ministère de la Santé et même de celles de l’administration pénitentiaire israélienne », selon le texte.

Selon la loi israélienne, héritée du mandat britannique, un suspect peut être maintenu jusqu’à six mois sans inculpation en détention administrative, renouvelable indéfiniment.

AFP, 15 février 2012

[Dakar] Wade dégage : la manif repoussée par les flics à coups de lacrymos

Sénégal: la police des opposants à coups de gaz lacrymogènes (sic)

Des policiers ont dispersé mercredi à Dakar des opposants qui allaient participer à une manifestation interdite pour protester contre la candidature du président Wade à la présidentielle du 26 février, en utilisant des gaz lacrymogènes, a constaté un journaliste de l’AFP.

Des policiers ont dispersé mercredi à l’aide de gaz lacrymogènes quelques centaines d’opposants qui tentaient de participer à une manifestation interdite à Dakar pour protester contre la candidature du président Abdoulaye Wade à la présidentielle du 26 février, a constaté un journaliste de l’AFP. ( © AFP Seyllou)

Les premiers incidents ont débuté non loin du centre-ville, sur l’esplanade faisant face aux locaux de la Radio-télévision sénégalaise (RTS, publique), où devait commencer La marche du Mouvement du 23 juin (M23), coalition qui regroupe opposition et société civile.

A peine quelques dizaines de militants étaient présents, entourés d’une nuée de Journalistes. Les gendarmes, très nombreux, ont repoussé à plusieurs reprises et dans le calme les attroupements vers les trottoirs aux abords de la place, où la circulation automobile n’a même pas été interrompue.

L’un des candidats d’opposition à la présidentielle, Ibrahima Fall, accompagné de ses gardes du corps et d’une poignée de partisans, a fait mine de franchir l’esplanade et d’avancer pour rejoindre la Place de l’Indépendance, destination finale de la manifestation du M23, distante de 5 kilomètres.

Des cordons de gendarmes se sont immédiatement déployés sur la route, matraque et bouclier en main, et quelques grenades lacrymogènes ont été lancées.

Une fois la petite foule dispersée et ces incidents terminés, des groupes d’opposants, toujours accompagnés de nombreux Journalistes, sont parvenus à rejoindre à pied la Place de l’Indépendance, où un autre candidat d’opposition, Cheikh Bamba Dièye, haranguait quelques centaines de personnes, sous l’oeil des nombreux curieux et badauds.

La police était déployée en force, barrant l’avenue menant au palais présidentiel situé à proximité, alors que la foule grossissait et scandait des slogans hostiles au président Wade.

Juchés sur le toit d’un véhicule 4X4, M. Dièye et Ibrahima Fall qui venait de le rejoindre, ont dénoncé la « violation de leurs droits constitutionnels », appelant cependant à « rester vigilants » et à « ne pas céder aux provocations ».

Plusieurs militants se sont Assis sur la chaussée. Un officier de police a subitement dégoupillé au sol une Grenade lacrymogène en plein milieu des manifestants, a constaté un journaliste de l’AFP, entraînant le début des affrontements.

Les policiers ont alors lancé de nombreuses grenades lacrymogènes et tiré des balles en caoutchouc, provoquant la débandade immédiate de la foule, qui répondait par quelques jets de pierres.

Un canon à eau a brièvement été utilisé pour chasser les manifestants aux alentours de la Place de l’Indépendance où des incidents sporadiques se sont poursuivis quelques minutes.

Avec le retour au calme et la reprise de la circulation autour de la place, le chanteur populaire Yousou Ndour a fait une brève apparition dans une rue voisine sur le toit de son 4X4 aux vitres fumées, paradant sous les hourras de quelques dizaines de fans et une forêt de caméras.

« Le Sénégal a besoin de se libérer, de retrouver sa démocratie. (…) On est train de laisser la dictature s’installer chez nous », a-t-il déclaré, avant de quitter les lieux, menaçant, comme à son habitude: « la prochaine fois nous irons jusqu’au bout ».

Le M23 avait appelé à cette marche pour exiger le retrait de la candidature du président Abdoulaye Wade au scrutin du 26 février qu’il juge anti-constitutionnelle. La manifestation était interdite par les autorités.

AFP, 15 février 2012

[Australie] Aux prétendues élites, montrer ses fesses avec joie

Montrer son cul aux monarques et aux élites

Australie – Il a montré ses fesses à Elizabeth II et se dit prêt à recommencer

BRISBANE – Un Australien devra payer une amende de plus de 600 euros pour avoir montré ses fesses à la reine d’Angleterre lors de sa visite en octobre dernier, mais il a prévenu mardi qu’il recommencerait.

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Liam Warriner, 22 ans, barman à Sydney, était poursuivi pour trouble à l’ordre public, lors de la visite d’Elizabeth II en Australie à l’automne 2011. Il a comparu devant le tribunal de Brisbane et plaidé coupable.

La cour lui a infligé mardi une amende de 750 dollars australiens (609 euros).

Lorsque le cortège royal d’Elizabeth II traversait la ville de Brisbane, capitale de l’Etat du Queensland, Liam Warriner a baissé son pantalon et couru une cinquantaine de mètres à hauteur des motards de l’escorte, avec un drapeau australien fiché entre les fesses, selon l’agence Australian Associated Press.

Il a expliqué à la police que son geste était une protestation politique pour montrer son mépris envers la monarque et les élites, a-t-il été dit au juge lors du procès.

À la sortie du tribunal, le jeune homme a affirmé qu’il recommencerait lors de visites de hauts dignitaires. « À tous ceux qui se croient importants ou croient appartenir à l’élite, je montrerai mes fesses avec joie ! », a-t-il lancé.

La visite de dix jours en Australie de la reine d’Angleterre, chef d’Etat de cette ancienne colonie britannique, avait attiré les foules. Mais le débat sur l’instauration d’une République revient régulièrement dans l’actualité, les anti-monarchistes estimant que le basculement pourrait se faire après le décès d’Elizabeth.

Leur presse /Agence Faut Payer, 14 février 2012/

[Argentine] Usines autogérées, dix ans après

Usines autogérées argentines, dix ans après

Un regard sur le présent et l’avenir des usines les plus emblématiques gérées par les travailleurs et les défis qu’ils ont à relever. Qu’est-ce qui manque, qu’est-ce qui, au contraire, ne manque pas, quels sont les problèmes les plus difficiles à résoudre maintenant que le minimum vital est assuré.

Est-ce qu’on peut changer le destin ? Est-ce qu’on peut inventer quelque chose de nouveau ? Ou bien ce sont les autres qui ont raison : ceux qui défendent ces milliers de doctrines, de philosophies, d’opinions, de sciences, de religions, ces gens qui ont du mal à digérer, ces habitués des plateaux télévisés qui soutiennent que les choses sont comme elles sont.

Les questions sur ce que l’on appelle les usines récupérées par les travailleurs ou usines sans patron, sans aucun doute, ont à voir avec le secteur de l’économie, de la production, de la politique mais aussi de la culture, de la personne humaine et de sa capacité – ou pas – à transformer la réalité. Ce ne sont pas des discours de comptoir ou de barricade qui prétendent refaire le monde, mais une étape concrète qui transforme la réalité de chacun.

Formule provisoire : « Désespoir + une idée différente + une tentative pour la mettre en pratique = un espace nouveau. »

Tout peut être réinventé

La plus grande réussite c’est d’avoir mis en place une nouvelle façon de lutter et de s’organiser. Aujourd’hui, tous les travailleurs savent qu’ils peuvent faire tourner une usine, affirme Murúa de l’IMPA [1], l’une des premières usines récupérées et qui, durant ces treize dernières années est passée par toutes sortes de problèmes : des manifestations hostiles, des menaces, des problèmes internes, des crises – tout allait mal.

« Mais nous sommes toujours là. Nous sommes 56 camarades et nous gagnons 3600 pesos [623 euros] chacun par mois. Et si l’État ne nous avait pas coupé l’électricité – nous dépensons 40 000 [6926 euros] pesos par mois pour un générateur – nous en gagnerions 4400 [762 euros]. Si l’on nous mettait dans des conditions semblables à n’importe quelle entreprise capitaliste, nous serions meilleurs. Je ne le dis pas par orgueil mais parce que le système de coopérative est meilleur que celui de la concurrence capitaliste. »

Sur les 280 usines argentines sans patron, Zanon, à Neuquén [2], est également une entreprise emblématique. Dans l’effort pour la conserver, les travailleurs ont pris la tête du syndicat des céramistes mais Raúl Godoy et Alejandro López ont fait au moins deux choses inhabituelles dans le contexte argentin : ils ont renoncé à leur poste pour favoriser le renouvellement des cadres et ils sont retournés travailler à l’usine (!).

Godoy, de la branche émail : « Les usines sans patron sont une alternative à la crise, depuis 2001. C’est une grande et belle idée qui peut s’accompagner de nombreuses difficultés et qui sort des modèles imposés. Tout peut être réinventé. Nous avons croqué la pomme du Paradis et une fois qu’on y a goûté…  »

Ernesto Lalo Paret, de la coopérative « Tous ensemble pour la chaussure  » (l’ancienne Gatic, produisant pour l’allemande Adidas) : « Ce processus présente tous les problèmes que tu peux imaginer mais il a rendu viables des usines qui pour les patrons ne l’étaient plus. Et d’ailleurs, qu’est-ce que ça veut bien dire la viabilité d’une usine dans une société de merde ? Qu’un économiste vienne me dire combien vaut en cash-flow (flux d’entrées et sorties de caisse) le fait qu’un type retrouve l’estime de soi, se revalorise, se fasse confiance et prenne une usine en charge ? À combien estime-t-on le fait que cet homme soit devenu un exemple pour son gosse, en tant que travailleur ? À combien évalue-t-on la récupération d’une usine pour la communauté, pour les familles, pour la société ?  »

Écoutez le bruit

Le système distribue des biens, des services, mais surtout une identité sociale, rappelle le prologue du livre « Sin Patrón » (Sans patron) [3]. L’identité des travailleurs était très dépréciée. « Et on peut ajouter à cela la faim et le désespoir » renchérit Lalo vivement.

Comme une traînée de poudre, dans de nombreux endroits éloignés les uns des autres – comme par contagion culturelle –, les travailleurs ont pris une décision : ils ont cessé d’utiliser les canaux syndicaux pour leurs revendications (car, sauf quelques exceptions, ceux-ci ont fait le jeu des patrons). Mais les travailleurs, au lieu de quitter le navire, ont délibérément rompu leurs chaînes et ont pris les usines. Confrontés à la peur, ils ont agi au lieu de rester paralysés. C’était des gens ordinaires comme l’avaient été les Mères et les Grands-mères de la Place de mai. Comme elles, ils ont inventé quelque chose qui n’avait jamais eu lieu, nulle part. Lalo : « Quand ça a commencé, les ouvriers ne croyaient en rien. Et maintenant ils croient que tout est toujours possible… Que toute situation peut trouver une issue.  »

Murúa : « Ici, c’est tout le contraire de ce qui se passe dans les entreprises capitalistes où ceux qui accèdent à des postes importants sont des vendus, des magouilleurs qui exploitent les autres et qui travaillent le moins. Ici, les camarades essaient de porter les meilleurs à la tête de l’usine. Et celui qui a des responsabilités est aussi celui qui travaille le plus.  » Pour ce qui est de l’horizontalité : « C’est ce que l’on recherche mais cela ne fonctionne que si tout le monde en sait autant, parce que si dans une assemblée c’est toujours nous, les mêmes grandes gueules, qui parlons, ça ne sert à rien, on reste comme des papes.  »

L’horizontalité est donc un but vers lequel on tend, non une fausse illusion, ni une idée de marketing. Godoy : « Notre force, c’est l’assemblée. On discute à fond mais après, chacun garde à l’esprit l’objectif de la production et on dit : qu’est-ce qu’on peut améliorer ici ou là ? Le travailleur investit là toute son énergie  ». Ils ont repris le gouvernail d’un bateau qui était en train de couler. « Eh oui, on se met à écoper pour le maintenir à flot et on se met à ramer à contre-courant. Regarde : à côté de nous il y a l’entreprise Céramique Neuquén qui reçoit automatiquement des crédits pour la rénovation technologique. Ils ont un Mercedes et nous un Fitito. Mais nous, nous avons multiplié par deux le nombre de travailleurs et nous sommes en train de démontrer que l’on peut fonctionner sans capital et sans capitalistes. C’est pour cela que nous ne recevons aucune aide car nous représentons une menace pour eux.  »

Celia et Gustavo

Celia Martínez est une des actrices de la Coopérative 18 décembre (date à laquelle ils ont pris l’usine textile Brukman, en 2001). « Je vois tout ce qu’il y a de positif. Le ministère du travail nous a donné des subventions, presque un million de pesos. Le Développement social nous a choisis comme fournisseur des vêtements de leurs employés, la compagnie aérienne Aerolíneas argentinas, nous a commandé 14000 uniformes et c’est au tour de la compagnie Austral, maintenant. Je ne dirais pas que nous allons super bien, mais nous n’allons pas mal du tout ». En moyenne, elles reçoivent 400 à 600 pesos [entre 69 et 104 euros] par semaine. Celia ne milite plus dans un parti comme elle l’a fait brièvement pendant le conflit Brukman où les femmes étaient 50 sur 73 salariées [4]. « Ça va faire 10 ans que nous fonctionnons et personne n’aurait osé y croire. Nous avons des relations d’égal à égal. Nous avons changé sur un point : avant, nous étions obéissantes et soumises. Maintenant c’est fini ». Alors, patron ou pas ? « Même les plus anciennes d’entre nous n’arrivent plus à concevoir un patron. C’est évident que nous avons eu la chance de recevoir le soutien de l’État, ce qui n’a pas le cas pour d’autres. Ça doit être parce que nous sommes beaucoup de femmes et qu’on nous a beaucoup frappées ». Les salariées attendent que l’expropriation de l’usine soit effective.

Gustavo Ojeda de l’entreprise Gráfica Patricios : «  Plutôt que des subventions, nous voulons du travail. Il faut créer de l’emploi. Nous aussi, on ne fait pas toujours ce qu’il faudrait parce qu’on pourrait s’associer davantage entre usines pour faire des choses ensemble, sans disperser nos forces, comme par exemple faire des achats en commun ou créer des lieux collectifs. Mais, quand même, nous avons créé un précédent en Argentine : il est possible de récupérer une usine et de l’autogérer. La différence, c’est qu’avant, c’était un seul bonhomme qui empochait les bénéfices alors que maintenant, on les partage entre tous les travailleurs ». Gráfica Patricios a ouvert aussi un collège dans son usine et une radio communautaire.

Contre la Loi sur les faillites

Et que dire de la nouvelle Loi sur les faillites ?

Murúa : « Elle est faite pour l’establishment. Elle nous oblige à assumer la dette des patrons et cela va porter tort aux PME les plus faibles. Le piège, c’est que le patron peut créer une coopérative avec quelques complices de l’administration, tandis que lui s’occupe de la commercialisation. Nous, nous réclamons une Loi d’expropriation, que l’immobilier appartienne à l’État et qu’il le cède à la coopérative tout le temps où celle-ci est en activité. Et que quand elle s’arrête, tout revienne à l’État. Personne n’y perd et on génère de l’emploi  ». Godoy : « Ils ont fait cette loi pour éviter les expropriations et faire payer les pots cassés de la faillite aux travailleurs. L’État s’en lave les mains et il continue à financer les chefs d’entreprise  ». Lalo Paret : « La Loi défend le crédit et les avocats mais en aucun cas les travailleurs. Et comme aucune entreprise n’est capable de fournir un plan de redressement en trois mois, on lui impose le fameux capital national Brito, Moneta, etc… Derrière tout ça, il y a les fonds d’investissement qui cherchent à s’emparer des usines. Avec la Loi d’expropriation, par contre, l’État conserverait les murs pendant que nous, de l’intérieur, nous continuerions à générer du travail, des projets éducatifs et tout le reste ».

Production

Les usines sont un symbole à la fois de la culture et de la production. Si l’on considère les deux usines les plus complexes, IMPA et BAUEN, avec 40 millions de pesos [6 900 000 euros], on consolide 250 postes de travail et un centre populaire de préparation au baccalauréat pour 200 personnes. Alors qu’aujourd’hui, créer un poste de travail digne de ce nom, en Argentine coûte 1 200 000 pesos [208 000 euros]. Ici, on garantit 250 postes de travail avec le dixième de cette somme. Autre exemple : l’IMPA possède un centre de santé gratuit pour tout le quartier, en coordination avec l’État.

Godoy : « On peut avoir une dimension politique mais si cela ne sert pas dans la pratique, ça n’a aucun sens. On entend beaucoup de discours, de témoignages, de théories, de baratin, mais si on ne les confronte pas aux problèmes concrets, on est hors du coup. Le plus important que l’on a obtenu tous ensemble est de ne pas être esclaves de la loi. On vit dans un réseau qui nous protège comme l’oignon est protégé par le nombre de ses pelures. Bien que ça semble idiot, la façon de penser de beaucoup de gens a changé quand on a expliqué la différence entre ce qui est légal et ce qui est légitime. Ça nous a donné un regard plus libre pour nous définir et pour réfléchir à nos problèmes ». Godoy milite au PTS [Parti des travailleurs socialistes] et il a été élu avec le Front de gauche comme député de la province Neuquén, charge qu’il occupera avec les autres candidats de la liste de manière rotative. On ne va pas toucher les 17 000 pesos [2944 euros] que touchent les autres législateurs mais 4 200 [727 euros] comme on gagne chez Zanon. La différence sera versée à une caisse pour les grévistes et les camarades qui ont des problèmes ». Il annonce qu’il se rendra à l’Assemblée avec son bleu de travail. « C’est sûr qu’il va m’arriver la même chose que quand je vais dans les universités ; en me voyant, on me dit : « Monsieur, est-ce que vous pouvez nettoyer cette salle parce qu’il va y avoir une conférence sur Zanon  ».

Lalo : « Cette expérience nous a permis de croire en nous-mêmes et par suite, de croire en autrui. L’idée, c’est que si nous le voulons, c’est possible ». Lalo a un point de vue différent de Celia. « Le gouvernement a engendré un effet contreproductif. La logique est la suivante : si ceci n’est pas à moi, alors ce n’est à personne. Mais pour moi, la classe politique est de papier. Et l’État aussi sous bien des aspects. Ce n’est pas donc l’État qui va réaliser des transformations, c’est la politique. Le pouvoir, ce n’est pas de t’asseoir avec le ministre. Le pouvoir, c’est nous qui l’avons. Il ne se transfère pas, tout au plus peut-on le vendre. Mais si tu l’as vendu, il ne vaut rien. Mais je suis super optimiste. Les usines récupérées créent des emplois, des centres scolaires, l’Université des travailleurs, des centres culturels, une préfiguration de ce que pourrait être un nouveau modèle de société. Est-ce qu’une société différente est possible ? Oui. Est-ce que nous le voulons vraiment ? Là est le problème. Moi je dis qu’on est comme une femme enceinte. Le père, c’est la faim. Mais quelque chose est en gestation. Ce qui est important maintenant, c’est de voir si le bébé va naître idiot, ou heureux et en bonne santé  ».

Revista MU. Argentine, 13 septembre 2011.

Traduction de l’espagnol pour Dial de : Michelle Savarieau .

El Correo. Paris, le 13 février 2012.

Notes

[1] Industrias Metalúrgicas y Plásticas Argentina (Industries métallurgiques et plastiques d’Argentine) – note DIAL.

[2] Au centre-ouest du pays – note DIAL.

[3] Sin Patrón : fábricas y empresas recuperadas por sus trabajadores, édition actualisée, Buenos Aires, Lavaca, 2009, 302 p. – note DIAL.

[4] Nous accordons selon la règle de la majorité – note DIAL.

ndPN : on trouvera sur le même site un autre article sur ce sujet