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Liberté pour les inculpé-e-s de Toulouse !

Liberté pour les inculpé-e-s de Toulouse !

Depuis huit semaines, quatre jeunes sont en détention préventive à la prison de Seysses près de Toulouse. Ils et elles sont soupçonné-e-s d’avoir participé, en juillet 2011, à une action de solidarité avec les mineurs enfermés, menée dans les locaux de la direction interrégionale sud de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Le soutien s’organise.

Les EPM (établissements pénitentiaires pour mineurs) sont de véritables prisons pour enfants, enfermant des mineurs de 13 à 18 ans, souvent issus des classes les plus défavorisées. Créés par la loi « Perben I », ils sont dénoncés par de nombreuses organisations politiques et syndicales (FSU, LDH, Syndicat de la Magistrature, PCF…). Il y a en effet de quoi s’interroger sur les 700 euros par jour dépensés pour chacun des 360 détenus mineurs enfermés dans les EPM, sur les 800 mineurs détenus… quand on compare, par exemple, avec l’hémorragie des budgets consacrés à l’éducation nationale. Ces EPM imposent une gestion schizophrène des mineurs « délinquants », en associant des éducateurs, sensés développer l’autonomie et l’apprentissage, et des matons – dont la fonction est éminemment coercitive. Les organisations syndicales travaillant dans ces EPM en dénoncent régulièrement la gabegie (la FSU, mais aussi la CGT-PJJ qui parle de « cocottes-minutes »). Même un rapport du Sénat se montre accablant. Résultat de cette politique consternante : suicides de mineurs à l’EPM de Meyzieux en 2008, et à l’EPM d’Orvaux en 2010 ; mutineries à Meyzieux en 2007, à Lavaur en 2007 et en 2011 ; tentatives d’évasion… Face à ce constat déplorable, la PJJ surenchérit dans la provocation et la répression les plus abjectes, en qualifiant d’ « irrécupérables » des jeunes détenu-e-s, en réclamant « plus de sécurité » ainsi qu’un « profilage des détenus ». Quant au Parlement, il s’apprêtait l’été dernier à refondre l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs, avec la création d’un tribunal correctionnel pour récidivistes de plus de 16 ans !

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’action du 5 juillet dernier. Des personnes solidaires des détenu-e-s mineur-e-s s’introduisent dans des locaux de la PJJ de Labège, elles répandent un liquide puant (de la merde semble-t-il) sur des bureaux et ordinateurs, font quelques tags et laissent des tracts non siglés, solidaires contre la répression croissante qui s’exerce sur les mineurs et dénonçant les EPM. « Pas de violence physique » et « peu de dégâts », dixit le procureur de Toulouse Michel Valet lui-même (Dépêche du Midi, 6 juillet 2011), à peine un accrochage : quand un membre de la PJJ a arraché le sac à dos de l’une des personnes, il s’est pris un petit jet de lacrymo… qui n’a d’ailleurs donné lieu à aucune ITT (interruption temporaire de travail) ni à aucune plainte. Cette « affaire » n’était donc tout au plus qu’une modeste mais claire action de solidarité avec les mineurs frappés par la répression étatique. Qu’est-ce donc, face à la gravité de la situation des jeunes enfermé-e-s en EPM ?

Pourtant plus de quatre mois après les faits, c’est une véritable opération commando qui est lancée par l’Etat : des forces de l’ordre surarmées déboulent dans 7 lieux d’habitation de Toulouse – dont des squats d’habitation. Quinze personnes sont interpellées, dont une famille de sans-papiers. Six sont placées en garde à vue. Quatre sont ensuite placées en détention préventive, une reste inculpée et sous contrôle judiciaire, un dernier est libéré mais comme « témoin assisté ». Leur procès est prévu en mai 2012. Les trois chefs d’inculpation sont très lourds, disproportionnés par rapport aux faits reprochés : « violence commise en réunion sans incapacité », « dégradation ou détérioration du bien d’autrui commise en réunion », et bien sûr la fameuse « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destruction ou de dégradations de biens », l’arme estrosique absolue contre les militant-e-s, décidément ressortie à tous les procès. L’ADN des inculpé-e-s, alors qu’ils et elles avaient refusé leur prélèvement, a été pris sur leurs gobelets et couverts pendant la garde à vue. Rappelons que le prélèvement d’ADN (dont sont expressément exemptés les délinquants financiers) est devenu quasi-systématique en garde à vue. Que son refus est considéré comme un délit par l’Etat, pouvant donner lieu, même en cas de relaxe pour l’affaire corollaire, à d’ubuesques convocations ultérieures, voire des condamnations – le « délit » est toujours passible d’un an de prison et 15.000 euros d’amende.

Les inculpé-e-s de Toulouse nient toute participation à l’action du 5 juillet. Pour autant, ils et elles revendiquent et assument leurs convictions politiques et leur engagement militant. Certain-e-s sont des militant-e-s depuis le lycée, qui se sont mobilisé-e-s lors du CPE. Les inculpé-e-s ne font partie d’aucune organisation. Pourtant, la justice et la presse ont ressorti leur épouvantail, en prétendant qu’ils et elles appartiendraient à « l’ultra-gauche ». Cet étiquetage, de même que celui d’ « anarcho-autonome » (qu’on se souvienne de « l’affaire » de Tarnac ou celle de Vincennes) cache mal la volonté manifeste du pouvoir d’instaurer un véritable délit d’opinion, tout en coupant court à la critique nécessaire de leurs institutions.

Quatre d’entre eux-elles sont donc en « détention provisoire », qui s’éternise depuis huit semaines à la maison d’arrêt de Seysses. Sans aucune date annoncée de remise en liberté… Le juge attendrait le résultats des tests ADN – sans doute déjà à sa disposition. Si ces résultats ne correspondent pas, peut-être espère-t-il que les inculpé-e-s coopèrent pour donner des infos sur le milieu militant ? Que les flics puissent ficher d’autres militant-e-s exprimant leur soutien par des actions de solidarité avec les inculpé-e-s ? La détention provisoire bafoue la présomption d’innocence, puisqu’elle applique de fait une peine de détention avant tout jugement, sans compter qu’elle peut être prolongée au bon vouloir du juge. Ce qui prive les détenu-e-s de toute possibilité de relaxe, puisque pour se couvrir, le tribunal condamne toujours les détenu-e-s à une peine de rétention… qui couvre au moins le temps déjà passé derrière les barreaux (faute de quoi le tribunal pourrait être attaqué pour détention arbritraire). La CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) a critiqué la France à ce sujet : il y a de quoi. La moitié de la population carcérale en France correspond à des prévenu-e-s dans l’attente d’un procès, qui peut en certains cas avoir lieu deux ou trois ans plus tard. Là aussi, l’affaire de Labège rappelle celle de Tarnac (avec plus de six mois de détention préventive pour Julien Coupat), ou celle de Vincennes (entre 7 et 13 mois pour 6 Parisien-ne-s demeurant depuis sous contrôle judiciaire).

Les motifs qu’invoque le tribunal pour rejeter les demandes de libération émises par des inculpé-e-s de Toulouse frisent le grotesque : il s’agit d’ « empêcher une concertation frauduleuse avec des complices »… alors que les inculpées sont dans la même cellule et que les inculpés se sont côtoyés en promenade les premiers jours. D’ « empêcher une pression sur des témoins ou des victimes »… alors même qu’il n’y a aucune victime, et qu’aucun témoin n’a pu identifier personne. De « prévenir le renouvellement de l’infraction »… alors que les inculpé-e-s ne seraient pas des « récidivistes » mais des « primo-délinquants », s’ils et elles se retrouvaient finalement jugé-e-s coupables. Le tribunal a aussi refusé une demande de remise en liberté s’appuyant sur une promesse d’embauche pour 6 mois à partir de début janvier, jugeant celle-ci non crédible ; pourtant ce détenu a un casier judiciaire vierge, paye un loyer pour son logements et a des revenus. L’appel de l’autre détenu (rejeté) s’est même tenu récemment… sans le concerné.

Lorsque leur pouvoir s’est trouvé contesté, les Etats ont toujours eu recours à la stigmatisation et à l’agression contre une partie de la population : aujourd’hui les sans-papiers et plus généralement les étrangers, les Rroms, les jeunes des quartiers, les jeunes politisé-e-s, les militant-e-s (Conti, etc…), les anarchistes, etc. Ce qui leur permet de semer la peur en espérant détourner le mécontentement populaire contre des boucs-émissaires, si possible choisis de façon à briser les mouvements sociaux. Face à cette volonté de marginalisation et d’atomisation sociale, il y a une réponse claire et déterminée à apporter : la solidarité concrète avec toutes les personnes confrontées à la répression pour avoir contesté l’organisation (anti)sociale actuelle.

De nombreuses actions de solidarité avec les inculpé-e-s de Toulouse ont eu lieu et se poursuivent dans plusieurs villes de France, emmenées par des organisations et collectifs divers : banderoles, tractages, rassemblements, concerts et soirées débats (comme le 14 janvier aux Pavillons sauvages à Toulouse)… Le soutien matériel continue, notamment grâce à la solidarité du CAJ Toulouse (1), pour fournir aux détenus du fric pour cantiner, des bouquins, des vêtements et du courrier, malgré l’obstruction de l’administration pénitentiaire. Les affaires ont mis plusieurs semaines à arriver aux détenu-e-s, dont un n’a pu recevoir ses cours, pourtant envoyés à deux reprises par son Université, que très récemment soit quelques jours à peine avant ses partiels – ce qui compromet l’obtention de ses examens et son année universitaire.

Ici sur Poitiers, le comité poitevin contre la répression des mouvements sociaux (« antirep 86 ») a réagi très vite, en organisant notamment un rassemblement de soutien et en produisant deux communiqués. Personnellement, je connais un peu deux des détenu-e-s et je pense tous les jours à eux avec le mal au bide. J’ai partagé leur lutte à Poitiers lors de mouvements dans l’éducation. Ils m’ont soutenu lorsque j’étais en grève. Ils dorment aujourd’hui en taule. Mais je sais aussi qu’ils tiennent bon, et qu’ils se savent soutenus. La solidarité est notre seule arme. Elle ira jusqu’au bout, avec toutes les personnes qui se sentent concernées et révoltées.

Liberté pour les inculpé-e-s, abolition des EPM, abolition de toutes les prisons.

John Rackham, groupe Pavillon Noir (Fédération Anarchiste 86), 13 janvier 2012

(1) Soutien financier pour les frais de justice et la cantine en prison : envoyez vos chèques à l’ordre de « Maria », CAJ c/o Canal Sud, 40 rue Alfred Duméril, 31400 Toulouse

[Poitiers] Procès des faucheurs volontaires : entre 300 et 600 euros d’amende et des jours-amendes requis par le parquet

Faucheurs volontaires : un procès agité

Des témoignages d’un haut intérêt scientifique mais aussi les malheurs d’une avocate ont émaillé un procès qui s’annonçait plutôt technique.

Le président de la cour d’appel, Francis Lapeyre vient tout juste d’annoncer qu’il refuse de visionner le « témoignage » enregistré par Stéphane Hessel en faveur des huit faucheurs volontaires qui sont jugés ce jour-là. Un cri de femme s’élève des bancs de la défense. L’espace d’une seconde, on s’imagine que la bouillante Me Marie-Christine Etelin, défenseur depuis dix ans des opposants aux OGM à travers la France, exprime ainsi son indignation.

Il n’en est rien. L’avocate vient de s’effondrer, victime d’un douloureux déplacement de sa prothèse de hanche. Audience suspendue, pompiers, SAMU… Me Etelin est conduite au CHU où elle est opérée dans l’après-midi. Me Simone Brunet la remplace à la barre aux côtés de l’autre avocat des faucheurs, Me Nicolas Gallon.

Condamnationou relaxe ? Une affairede droit délicate

Cet incident aussi douloureux qu’inattendu vient rompre le déroulé d’une audience où les exposés scientifiques venaient jusqu’alors contrebalancer la sécheresse des débats purement juridiques.
En juin dernier, le tribunal correctionnel avait relaxé les huit prévenus, parmi lesquels deux « vedettes » : François Dufour, vice-président vert du conseil régional de Basse-Normandie, et surtout José Bové, le leader paysan devenu député européen d’Europe Écologie les Verts.
Relaxés, non qu’il existe le moindre doute sur la réalité des faits qui leur sont reprochés : le 15 août 2008, quelque 200 militants anti-OGM (dont les huit prévenus, qui le revendiquent) s’en prennent à deux champs de maïs transgéniques appartenant à la société Idémaïs, que gère Jean-François Charles, agriculteur à Valdivienne. Il s’agit de deux expérimentations menées pour le compte de la multinationale Monsanto. Ces expérimentations ont été dûment autorisées en 2006. Ce n’est qu’au mois d’octobre 2008, soit bien après le fauchage, que le Conseil d’État va dire que cette autorisation était illégale. Sur le papier, les faucheurs sont donc coupables : depuis 2002, tous les cas similaires se sont traduits au final par une sanction des contrevenants.
Mais le parquet commet une bévue dans les poursuites en visant l’article qui poursuit les destructions de cultures destinées à la mise sur le marché et non celui qui sanctionne les destructions d’essais scientifiques. Le tribunal prend acte de cette erreur et relaxe les prévenus au grand dam du parquet, qui fait appel. Suivant ou non des directives données par le Ministère, selon qu’on s’en tient à la version officielle (défendue hier par l’avocat général) ou à l’officieuse.
Le débat juridique a donc essentiellement porté sur ce point de droit délicat. La cour s’est donné jusqu’au 16 février pour le trancher.

Des peines d’amende requises

Après avoir affirmé avec force que l’appel du parquet ne devait rien à une quelconque intervention du Ministère, l’avocat général Frédéric Chevalier a demandé à la cour de requalifier les faits poursuivis, ce que le tribunal avait refusé de faire. Il a requis des peines d’amende de 300 à 600 € contre la plupart des prévenus, à l’exception des récidivistes multiples, menacés de jours-amendes, plus sévères. José Bové, s’il est condamné, pourrait ainsi avoir à régler, sous peine de prison, 200 jours- amendes à 10 euros.

Nouvelle République, Vincent Buche, 14 janvier 2012

Des scientifiques à la barre

Ce procès, largement moins médiatisé que le précédent devant le tribunal correctionnel, a donné l’occasion à deux grands scientifiques, le professeur Jacques Testart, « père » du premier bébé-éprouvette français, et le professeur Pierre-Henri Gouyon, d’amener le débat sur le terrain de l’éthique.
Jacques Testart est revenu trente ans en arrière, quand ses travaux sur la fécondation in vitro suscitaient eux-mêmes interrogations et oppositions. Le Pr Testart n’en est pas moins aujourd’hui un farouche opposant aux OGM. « Il y a toujours un risque quand on mène une expérimentation ». Ce risque, lui et son équipe l’ont assumé parce qu’en face d’eux, il y avait des centaines de parents désespérés de ne pas avoir d’enfants qui leur demandaient une solution.
« Là, poursuit le Pr Testart, je n’ai vu personne réclamer de manger du maïs transgénique. Il n’y a donc aucune raison de prendre ce risque ». Un risque totalement contesté par les avocats de Monsanto et, qui, c’est vrai, n’est pas plus démontré que l’innocuité des OGM. « Les connaissances sont insuffisantes, estime cependant Jacques Testart, pour qu’on passe à l’expérimentation dans les champs. »

Nouvelle République, 14 janvier 2012

Bon enfant

Jean-François Charles (à gauche), à José Bové : « Je ne vous en veux pas ! »

 

Jean-François Charles (à gauche), à José Bové : « Je ne vous en veux pas ! »

En dépit des rodomontades rigolardes d’un José Bové au mieux de sa forme, ce procès s’est déroulé dans une excellente ambiance comme en témoigne cette photo où l’on voit Jean-François Charles, propriétaire des champs ravagés à Civaux et Valdivienne, plaisanter avec José Bové, le meneur des faucheurs volontaires.

Nouvelle République, 14 janvier 2012

Le Vieux Lyon offert aux fascistes par la préfecture

Le Vieux Lyon offert aux fascistes par la préfecture

La préfecture du Rhône, par la voie de son préfet délégué à la sécurité, Jean-Pierre Cazenave-Lacrouts, a décidé d’offrir Saint-Jean sur un plateau à l’extrême droite. En effet il a choisi d’interdire à la manifestation du Collectif Vigilance 69 (rassemblant grosso-modo du PS aux anarchistes en passant par la LDH et les écolos) l’accès au Vieux Lyon, et d’y faire passer la manifestation des Jeunesses Nationalistes, groupuscule de l’Œuvre Françaises et rempli des exclus du FN adeptes du salut nazi.

Ni le fait que les rues du Vieux Lyon aient à subir régulièrement la violence de l’extrême droite, ni les violences engendrés sur place par la dernière manifestation de ce type le 14 mai dernier à l’initiative des Identitaires, ne sont semble-t-il rentrées en ligne de compte dans les choix du préfet.

Pire, il a choisi de fermer à tout passage les ponts de la Saône, bloquant ainsi dans le même quartier que les fascistes les passants qui auraient la malchance de croiser leur chemin. La manifestation fasciste suivra donc le parcours suivant sur lequel nous vous invitons à être vigilants : Place Carnot, pont Kitchener-Marchand, Saint-Jean.

Dans son habituelle communication renvoyant dos-à-dos fascistes et antifascistes, reprise en chœur par son Progrès malgré les preuves accablantes s’accumulant dans la presse tant locale que nationale, notre préfet Daladier opère un partage de la ville laissant les habitant-e-s du Vieux Lyon sous occupation permanente des militants d’extrême droite les plus radicaux.

Rebellyon, 13 janvier 2012

Incendie du Centre de rétention de Vincennes: peines légèrement allégées en appel

Incendie du Centre de rétention de Vincennes: peines légèrement allégées en appel

La cour d’appel de Paris a condamné vendredi six étrangers en situation irrégulière à des peines de prison ferme, légèrement moins lourdes que celles prononcées en première instance, pour l’incendie en 2008 du Centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes.

Un des prévenus accusés d'avoir participé à l'incendie qui avait dévasté le 21 juin 2008 le Centre de rétention de Vincennes, au tribunal correctionnel de Paris, le 25 janvier 2010

Un des prévenus accusés d’avoir participé à l’incendie qui avait dévasté le 21 juin 2008 le Centre de rétention de Vincennes, au tribunal correctionnel de Paris, le 25 janvier 2010
 

Les condamnations des six hommes – trois Maliens, deux Marocains et un Palestinien, âgés de 21 à 38 ans – vont de 6 mois à deux ans et demi ferme. En 2010, le tribunal correctionnel les avait condamnés à des peines de 1 à 3 ans.

Les prévenus, dont la plupart avaient assisté au procès en octobre, étaient absents à la lecture du délibéré, auquel assistaient en revanche leurs avocats et des militants pour la défense des sans-papiers.

Cette décision « n’est pas satisfaisante », parce que ces hommes « restent les victimes d’une politique de l’immigration absolument inacceptable, du fait notamment de l’état dans lequel étaient et sont encore aujourd’hui les centres de rétention », a déclaré à la presse Me Irène Terrel.

L’avocate s’est néanmoins réjouie que la cour ait relevé dans ses motivations que certains équipements du CRA avaient aggravé le sinistre.

Le président, Gérard Lorho, a évoqué en particulier les matelas « combustibles », ainsi que la « structure légère » des bâtiments qui avait favorisé une propagation très rapide de l’incendie.

Le CRA de Vincennes avait brûlé le 22 juin 2008, lors d’émeutes ayant éclaté au lendemain de la mort d’un ressortissant tunisien de 41 ans qui y était retenu, décédé selon les autorités d’une crise cardiaque.

« Dignité et sécurité »

L’incendie n’avait pas fait de blessés graves mais avait dévasté les deux bâtiments du centre qui, avec 249 occupants, pour une capacité de 280, était à l’époque le plus grand de France.

La cour a d’ailleurs évoqué également la « concentration de personnes » de nature à favoriser les « incidents ».

Selon Me Terrel, « les autorités vont être bien inspirées d’écouter ce que dit la cour dans cet arrêt (…) et de prendre un certain nombre de dispositions pour que notre pays accueille les étrangers avec des garanties minimales de dignité et de sécurité ».

La cour d’appel n’en a pas moins considéré que les prévenus n’étaient « en aucun cas que des lampistes ou des boucs émissaires comme le soutient la défense ».

Les incendiaires, selon elle, ont été clairement identifiés au moyen notamment des enregistrements du système de vidéosurveillance du centre, visionnés durant le procès.

Dans leurs plaidoiries, les avocats de la défense avaient mis en cause les conditions d’accueil et de sécurité dans ce CRA.

Un rapport remis au gouvernement 15 jours avant le sinistre avait tiré la sonnette d’alarme, soulignant le « climat de tension et de violence » dans les CRA, en particulier celui de Vincennes. « Le risque était majeur, connu et on n’a rien fait », avait ainsi déploré Me Terrel.

L’avocat général avait quant à lui requis la confirmation du jugement de première instance.

Selon la Cimade, une organisation intervenant dans les CRA, il existe 27 de ces centres en France, d’une capacité totale de près de 2.000 places, destinés à accueillir des étrangers en situation irrégulière avant leur éventuelle reconduite dans leur pays.

 AFP, 13 janvier 2012

Immigration : le prix de la xénophobie d’État

Immigration : le prix de la xénophobie d’État

Claude Guéant annonçait fièrement le 10 janvier une nette hausse des expulsions d’étrangers, assortie d’une baisse des titres de séjour délivrés et des naturalisations accordées. Outre le fait que la politique migratoire du gouvernement est indigne et coûteuse, elle est également construite sur des manipulations de chiffres. Parce qu’elle est avant tout une politique d’affichage servant un objectif électoraliste.

Un ensemble de pratiques très douteuses visent à gonfler le nombre d’expulsions d’étrangers en situation irrégulière. Les cas entrevus au centre de rétention administrative d’Hendaye et de Perpignan, à proximité de la frontière franco-espagnole, sont édifiants. Les Pyrénées sont traversées par de nombreux citoyens latino-américains en quête d’un billet retour vers l’Amérique du Sud. « Ici, depuis plus de trois ans, on arrête des gens qui rentrent chez eux, explique Laurence Hardouin, avocate au barreau de Bayonne. En transit, certains présentent même un billet de transport de retour, mais ils viendront quand même grossir le chiffre des reconduites ! »

À Hendaye, la dernière victime du phénomène est une Capverdienne qui se rendait avec un bus de la compagnie Eurolines à l’aéroport de Lisbonne. Son visa français ayant expiré depuis quelques jours, elle rentre au Cap-Vert quand elle est interpellée par la Police aux frontières. Placée en rétention à Hendaye, elle a été expulsée la semaine dernière par la préfecture des Pyrénées-Atlantiques. « Si cette ressortissante du Cap-Vert rentrait chez elle à ses frais, au final c’est le contribuable français qui a payé pour son retour », ironise Laurence Hardouin.

Une xénophobie hors de prix

Ces opérations coûtent cher : au bas mot, 12 000 euros par reconduite à la frontière, selon Éric Besson, lorsqu’il était ministre de l’Immigration en 2009. La commission des Finances du Sénat l’estime, elle, « à environ 20 970 euros par personne reconduite ». L’ensemble du dispositif rétention et expulsion totaliserait 415,2 millions d’euros selon la commission des Finances du Sénat. Voire plus de 2 milliards par an selon les calculs de l’association Cette France-là, qui a compilé les différents coûts relatifs aux interpellations, à la rétention et aux éloignements. Le prix d’une statistique destinée à séduire l’électorat xénophobe.

« La réalité n’a aucune importance, il n’y a que la perception qui compte » [1], confiait en 2007 Laurent Solly, directeur adjoint de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Ce 10 janvier, lorsque Claude Guéant balance ses chiffres aux médias, à quelques mois de la prochaine échéance présidentielle, c’est bien de la fabrique de la perception dont il s’agit. Qu’importe la complexe réalité de l’immigration, il s’agit de faire croire que l’on peut rendre la France inaccessible. Dans le sillage du Front national, Brice Hortefeux, prédécesseur de Claude Guéant, avait déjà pris l’habitude des décomptes très larges. Car, en matière de données sur l’immigration, il n’existe pas, en France, d’organe indépendant. La plupart des statistiques proviennent de l’administration, via le Rapport annuel au Parlement sur la politique migratoire.

Harceler les Roms : un « succès »

Claude Guéant a cependant devancé sa publication. Outre les pratiques constatées dans les zones frontalières, on peut donc s’interroger sur les manipulations dont font l’objet les chiffres fièrement annoncés par le ministre. En plus des 32 912 étrangers reconduits à la frontière, la baisse des premiers titres de séjour, des naturalisations et des titres de séjours pour liens familiaux.

Qu’intègre ce (triste) record ? Le ministre doit notamment son « succès » au harcèlement envers les Roms et à l’arrivée de migrants tunisiens après la chute du régime Ben Ali. Selon les chiffres de 2009, (les plus récents publiés), un tiers des expulsions sont en fait des « retours aidés », c’est-à-dire accompagnés d’une somme d’argent (entre 300 euros et 2 000 euros). Celle-ci est principalement proposée à des Roms de nationalité roumaine ou bulgare. Or ces citoyens européens peuvent revenir facilement sur le territoire français dans le cadre de la libre circulation. Certaines personnes ont ainsi été éloignées plusieurs fois.

Précariser les étrangers : un « réel progrès »

Dans les chiffres mentionnés par le ministre de l’Intérieur, on compte également environ un tiers de « réadmissions vers un État membre ». Il s’agit d’une reconduite vers un pays de l’Union européenne, dans lequel l’étranger a séjourné légalement. En 2011, le taux de réadmission pourrait être bien supérieur aux années précédentes car le gouvernement italien a délivré en avril dernier 20 000 titres de séjour temporaires, valables pendant trois mois, à des Tunisiens débarqués sur l’île de Lampedusa. Certains ont donc fait le voyage jusque dans l’Hexagone. Trois mois plus tard, la France s’est donc empressée d’en renvoyer vers l’Italie, pour « absence de ressources suffisantes » (62 €/ jour).

L’autre « réel progrès » est une baisse 3,6 % dans l’attribution des premiers titres de séjour. À la place, le gouvernement a préféré précariser les étrangers nouvellement arrivés. « En 2009, le gouvernement a voulu simplifier les formalités pour la première année de séjour en France, avec des visas valant pour un titre de séjour », explique Serge Slama, maître de conférences en droit public à l’université Évry-Val-d’Essonne et contributeur du blog Combat pour les droits de l’homme. Ces visas consulaires très précaires ne sont donc plus comptabilisés comme titres de séjour alors que toujours plus d’étrangers en bénéficient – conjoints de Français, travailleurs salariés, étudiants… Et permettent de faire baisser le nombre officiel d’entrées sur le territoire.

Comptabilité absurde et calculs électoralistes

Enfin, la diminution du nombre de naturalisations et de titres de « séjour pour liens familiaux » pourrait s’expliquer simplement par un « effet retard » ou « décalé », selon Serge Slama, lié notamment à la durée accrue des procédures d’obtention. Quant au nombre d’étudiants étrangers encore séduits par la France ou d’exilés syriens y trouvant protection et asile, nous n’en saurons rien. Cela ne fait pas partie des aspects positifs. Seuls ceux que l’on jette dehors comptent.

Le ministère de l’Intérieur attribue ses glorieux résultats à l’ « efficacité » de la loi Besson/Guéant/Hortefeux, adoptée en mai 2011. Pour les défenseurs des droits fondamentaux, cette loi constitue une grave régression démocratique puisqu’elle retarde, voire empêche le passage d’un sans-papiers devant le juge des libertés et de la détention, limite l’accès à l’aide juridictionnelle et réduit le délai de recours face à une « obligation de quitter le territoire français » (OQTF) d’un mois à 48 heures. Discrimination par les contrôles policiers, atteinte toujours plus généralisée aux droits fondamentaux, dévoiement de l’action de l’aide au développement, marginalisation sociale des migrants, réduction de l’être humain à un chiffre à traiter et gaspillage d’argent public… Telle est la réalité d’une logique purement comptable et de calculs électoralistes en matière d’immigration.

Jean Sébastien Mora

Photo : David Delaporte/Cimade

Notes

[1] Yasmina Reza, L’Aube le soir ou la nuit, p. 44. Flammarion.

Basta Mag, Jean Sébastien Mora, 13 janvier 2012