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Réforme pénale : la carotte des socialos

Réforme pénale : la carotte des socialos

C’est en octobre 2013 que Christiane Taubira a présenté en Conseil des ministre un projet de loi “relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines”. Si la Garde des sceaux bénéficie dans l’opinion d’une image plutôt « progressiste », le journal L’Envolée tient à mettre les points sur les i : « Sa réforme n’a d’autre but que d’ajouter une peine supplémentaire à l’arsenal punitif existant. » Décryptage.

Cet article a été publié dans le numéro 371 de L’Envolée (novembre 2013), journal réalisé par des prisonniers ou des proches de prisonniers et annonçant clairement la couleur : à bas toutes les prisons !

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Contrairement à ce que balbutient timidement les associations, syndicats et autres organisations de gauche - Syndicat de la magistrature, LDH, Front de gauche et consorts -, le président Hollande ne fait que tenir ses promesses électorales en matière judiciaire. Rappelons en quelques points les grandes lignes de son «  programme  »  : créer 5 000 postes en cinq ans pour la justice, la police et la gendarmerie ; permettre à un policier mis en examen de continuer à travailler – avec maintien de son salaire et de ses primes – en vertu de la présomption d’innocence ; poursuivre la refonte des services de renseignement initiée par Sarko en Direction centrale du Renseignement intérieur (DCRI) et SDIG (Information générale) ; supprimer les peines plancher appliquées depuis 2007 aux récidivistes et étendues en 2011 aux auteurs de certains délits de violences aggravées ; et enfin, exécution de toutes les peines prononcées, y compris par le biais d’alternatives à l’incarcération comme le bracelet électronique pour les courtes peines. Comme son prédécesseur, il avait prévenu avant sa victoire qu’il n’y aurait d’amnistie ni pour les prisonniers ni pour les délits routiers. Il avait aussi annoncé le doublement du nombre des centres éducatifs fermés pour les mineurs délinquants et promis le maintien de la rétention de sûreté – même si elle pose un problème juridique – pour «  ne pas relâcher dans la nature sans surveillance des gens considérés comme des malades   ». Le projet de construction de 24 000 places de prison supplémentaires ­montre bien que le gouvernement socialiste se tient à l’objectif de Sarkozy  : 80 000 places de prison en 2017. Un point de son programme est tout de même passé à la trappe  : celui qui prévoyait l’abrogation des dernières réformes sur la justice des mineurs, le retour aux tribunaux pour mineurs, l’atténuation de leur responsabilité et le primat de l’éducatif sur le répressif.

Droite ou gauche, il n’y a aucun changement, pas la moindre rupture avec la logique de l’enfermement, du tout-sécuritaire, du contrôle, de la surveillance et du fichage de masse. On ne peut se laisser abuser ni par les colloques consensuels sur les grands thèmes de la récidive ou du sens de la peine organisés par Taubira, ni par les cris d’orfraie de la droite et de l’extrême-droite dénonçant la politique laxiste d’un gouvernement qui voudrait vider les prisons et donner «  le feu vert aux voyous  ». Toute cette comédie ne suffit pas à masquer une continuité bien plus profonde  : la nécessité d’encadrer, de réprimer tous ceux qui sont progressivement éjectés de cette ­société fondée sur l’argent, la production. La Garde des sceaux ne s’en cache pas  : elle répond à ses détracteurs que son «  projet de loi sur la prévention de la récidive et l’individualisation des peines a pour seul but de rendre le suivi des délinquants plus efficace, et donc de mieux assurer la sécurité des Français  ». Et elle souligne «  d’emblée que la réforme pénale ne réduit ni l’arsenal de peines que les tribunaux peuvent prononcer (peines d’emprisonnement ferme, peines d’emprisonnement avec sursis ou sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt ­général, amendes, jours-amendes…), ni davantage le quantum de ces peines.  » Sa réforme n’a d’autre but que d’ajouter une peine supplémentaire à l’arsenal punitif existant. Son effet sera de continuer à remplir les prisons tout en augmentant le nombre de personnes placées sous main de justice, sous la tutelle et le contrôle de l’État.

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Dessin publié dans le numéro 37 de L’Envolée

Quant au sketch qui oppose le méchant Valls à la ­gentille-Taubira-qui-a-les-mains-liées, avec ses grands sourires, c’est un autre numéro du même show, dans la grande tradition des interrogatoires bon flic-mauvais flic. Elle endosse un autre costume – l’uniforme de sa fonction – lorsqu’en catimini, loin des caméras, elle va féliciter les matons qui ont su réprimer un mouvement de prisonniers à Blois cet été, consoler les syndicats pénitentiaires qui pleurnichent sur le manque de moyens après l’évasion de Redoine Faïd, ou encore inaugurer la prison ultrasécuritaire de Condé-sur-Sarthe…

État des lieux, quelques chiffres

Entre 2001 et 2013, la population sous écrou (prison, semi-liberté, bracelet électronique) a augmenté de 70 % (de 47 000 à 80 700). En 2000, il y avait 186 000 personnes sous main de justice, contre 252 000 en 2013. Il y avait 3 personnes sous surveillance électronique en 2001, il y en a 11 475 ­aujourd’hui. La durée moyenne du placement sous écrou a augmenté régulièrement  : de 4,4 mois en 1975 à 8,3 mois en 2007 et 10 mois en 2010. Les peines supérieures à vingt ans ont doublé, passant de 1 252 en 2000 à 2 291 en 2011. Le pourcentage de libérations conditionnelles a baissé de 17,5 % en 2001 à 13 % en 2013. Les semi-libertés sont passées de 6 481 en 2001 à 4 889 en 2011 (chiffres officiels  : pourcentage par rapport au nombre moyen de condamnés). Chaque année, la France pulvérise son record de «  surpopulation carcérale  ».

S’il y a de plus en plus de prisonniers, c’est qu’il y a de plus en plus d’actes que le droit désigne comme des délits, et qu’ils sont punis plus lourdement. Ce qui était encore récemment passible de simples contraventions vaut aujourd’hui des peines de prison  : provocation à la rébellion, outrage, conduite en état d’ivresse, intrusion dans une école, racolage sur la voie publique, mendicité agressive, occupation de halls d’immeubles… Des peines de plus de sept ans sont de plus en plus souvent prononcées pour des délits. À délit égal, aujourd’hui, les peines sont plus longues, surtout avec les circonstances ­aggravantes  : récidive, association de malfaiteurs, bande organisée… Par contre, tout ce qui pouvait réduire le temps de la peine a quasiment disparu, les confusions de condamnations sont difficiles à obtenir, les sorties conditionnelles sont distribuées au compte-gouttes, les remises de peine annulées pour un oui, pour un non.

Comme il ne remet absolument pas en cause le système de l’enfermement, le pouvoir n’a qu’un problème  : comment gérer la multiplication et l’allongement des peines au moindre coût et en évitant les remous à l’intérieur, sans renoncer à la sanction. Le tout récent projet de loi Taubira est le début de la mise en place d’un nouveau Code  : celui de l’exécution des peines. Pour rendre effectives toutes les refontes successives du Code pénal, il était nécessaire d’en prévoir les applications concrètes  : rien ne sert de condamner si la condamnation n’est pas effectuée. Il y aurait entre 80 000 et 100 000 peines en attente d’exécution, principalement des peines de moins de deux ans de prison  : des dossiers en attente de traitement, des décisions contradictoires des administrations, etc. Le programme est clair  : mettre de l’ordre dans tout ça, rendre effectives toutes les condamnations. Les 24 000 places de prison déjà prévues n’y suffiront pas, loin de là  ; d’où la nécessité de développer les nouvelles formes d’enfermement aussi efficaces que les murs  : la prison dehors.

Punir dedans et punir dehors

Taubira axe son projet de loi autour de la «  prévention de la récidive  ». Elle masque avec ses grandes déclarations lyriques les véritables causes sociales et économiques de la «  délinquance  ». En fait, comme l’écrit Hafed Benotman, «  la récidive n’existe pas, c’est un terme juridique. Quand un homme ou une femme a un problème, elle pense qu’en passant à l’acte elle va le régler. Elle se fait arrêter, elle va en prison. La prison ne règle pas le problème, donc la personne retrouve ce problème en sortant. On n’est pas dans une récidive mais dans une continuité. La prison aggrave leurs peines, donc leur problème  ». Pour la Garde des sceaux, en revanche, aucun lien entre le taux d’incarcération et celui du chômage, de la précarité. Tout est fondé sur une appréciation toute ­relative de la sécurité, et rien sur la véritable insécurité  : celle de ne pas pouvoir se loger, de ne pas pouvoir se nourrir correctement, se soigner, se cultiver, se déplacer, etc. Les délinquants sont ceux qui dérangent l’ordre social et moral établi, et surtout pas ceux – petits militaires ou grands banquiers – qui exploitent, détournent, pillent et tuent pour assurer leur petit pouvoir et leurs grands profits. Pour Taubira, la «  délinquance  » n’a rien de politique, c’est une maladie qu’il convient de dépister et de traiter  : évaluation, punition, rémission. Il a fallu forger un nouveau concept psycho-fumeux  : la désistance, définie comme «  tout ce qui amène un homme à renoncer à la délinquance  », à se repentir, à se conformer. Il est donc prévu de mettre en place des structures privées ou publiques, dont le personnel devra calculer le taux de désistance du «  délinquant  » pour adapter la sanction à chaque cas.

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Dessin publié dans le numéro 37 de L’Envolée

Ce n’est pas un hasard si Taubira remet en avant le principe d’ «  individualisation de la peine  »  : dehors comme dedans, chacun est responsable de sa propre misère. Si l’on est chômeur, c’est parce qu’on est désadapté ; si l’on est prisonnier, c’est parce qu’on est inadapté. Et pour s’en sortir, on doit avant tout compter sur soi-même, quitte à marcher sur les autres au passage  : c’est ainsi qu’on apprend à être le gestionnaire de son «  capital-vie  ». Si l’on a bien intégré les règles du jeu, on pourra espérer avoir une carrière  : un salaire, de l’avancement quand on est dehors, et des remises, des aménagements de peine quand on est dedans. Ces améliorations se calculent au mérite  : maître-mot de la logique entrepreneuriale adaptée à l’individu. Même enfermé, celui-ci doit se percevoir comme un élément valorisable. Dedans, le pouvoir d’appréciation est laissé en grande partie à l’exécution des peines, c’est-à-dire aux juges d’application des peines et à leurs staffs du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Là encore, rien de nouveau, la notion de Plan d’exécution de peine date du gouvernement Jospin. Le projet reste le même  : donner une dimension économique au temps de détention, fut-il un temps infini…

La conférence de consensus sur la prévention de la récidive

Taubira avait commencé par organiser un grand raout «  convivial, innovant  », « prêt à faire un pari sur l’intelligence collective  ». S’y sont retrouvés magistrats, membres de l’administration pénitentiaire, élus, médecins, psychiatres, avocats, universitaires, juristes, fonctionnaires de police, anciens prisonniers passés à l’ennemi comme Yazid Kherfi… Mobilisation générale de tous les aspirants VRP susceptibles de devenir les communicants de cette vaste supercherie  : «  La prison du XXIe siècle  ». Une répétition générale vide de sens, juste pour prendre la mesure des alliances que le pouvoir peut passer avec les acteurs – professionnels, concepteurs, penseurs autoproclamés… – du monde de la prison. Des prisonniers avaient été mis à contribution  : après avoir travaillé collectivement dans plusieurs établissements pénitentiaires, ils ont profité d’une permission exceptionnelle pour venir parler de leurs conditions de détention et de ce qu’il faudrait changer pour que ce soit un peu moins pire. Ils ont rappelé que la récidive commençait par la vie en détention et répété ce que les prisonniers exigent depuis le début des années 1970 sans jamais pouvoir l’obtenir durablement, soit des revendications concernant les parloirs (durée, espace, respect des familles), le rapprochement familial, la nécessité de multiplier les unités de vie familiale (UVF), la suppression des quartiers d’isolement et des quartiers disciplinaires, une réelle prise en compte de la parole des détenus, des peines moins longues… Ils ont rappelé la nécessité de respecter le Code du travail en prison, de faciliter les études et l’accès aux formations diplômantes pour ceux qui le désirent  ; et aussi, celle de donner des remises de peine, des permissions de sortie et des conditionnelles. Ils ont été applaudis, et immédiatement oubliés. Aucune de leurs paroles n’est restée dans le projet de loi. Au contraire, les derniers témoignages que nous avons reçus révèlent un durcissement de l’ensemble des conditions de détention.

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Dessin publié dans le numéro 37 de L’Envolée

Les trois axes du projet de loi

1. La césure pénale. «  Sont supprimées les peines plancher2 et les révocations de plein droit du sursis simple ou du sursis avec mise à l’épreuve. La peine encourue par les récidivistes demeurera doublée par rapport à celle encourue par les non-récidivistes, et le juge conservera la possibilité de prononcer la ­révocation des sursis antérieurs par décision motivée si la situation le justifie.  » Il instaure ensuite la césure du procès pénal  : « Le tribunal pourra, après s’être prononcé sur la culpabilité (premier moment), ajourner la décision sur la condamnation afin qu’une enquête sur la personnalité et la situation sociale du condamné soit effectuée (deuxième moment). Le tribunal pourra ainsi statuer sur les dommages et intérêts des victimes dès le prononcé de la culpabilité et obtenir les éléments nécessaires pour déterminer la sanction la plus adéquate. Dans l’attente de cette enquête, il pourra placer en détention le condamné si cela est nécessaire.  »

Commentaires. Rien ne change, si ce n’est que la décision revient aux juges, comme si ces gens-là étaient connus pour leur laxisme… Et puis, le fait que la récidive double la peine revient à appliquer une peine plancher. Enfin, à l’américaine, il s’agit maintenant de privilégier le remboursement des parties civiles. Autant dire que si tu es étranger et sans le sou, tu continues à aller en prison sans passer par la case ­départ.

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2. Il crée une nouvelle peine : la contrainte pénale. «  Cette peine pourra être prononcée lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement maximale inférieure ou égale à cinq ans. Cette nouvelle peine n’est pas définie par rapport à une durée d’emprisonnement de référence. Elle ne se substitue pas aux peines existantes mais s’y ajoute, de sorte que les juges disposeront d’un nouvel outil de répression. Cette peine vise à soumettre la personne condamnée, pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans qui est fixée par la juridiction, à des obligations ou interdictions justifiées par sa personnalité, les circonstances de l’infraction ou la nécessité de protéger les intérêts de la ou des victimes, ainsi qu’à des mesures d’assistance et de contrôle et à un suivi adapté à sa personnalité. Ces mesures, obligations et interdictions seront déterminées après évaluation de la personnalité de la personne condamnée par le service pénitentiaire d’insertion et de probation et par le juge de l’application des peines. Elles pourront être modifiées au cours de l’exécution de la peine au regard de l’évolution du condamné dont la situation sera réévaluée à intervalles réguliers et au moins une fois par an, par le service pénitentiaire d’insertion et de probation et le juge de l’application des peines. En cas d’inobservation par la personne condamnée des mesures, obligations et interdictions qui lui sont imposées ou de nouvelle condamnation pour délit, le juge de l’application des peines pourra renforcer l’intensité du suivi ou compléter les obligations ou interdictions auxquelles le condamné est astreint. Si nécessaire, le juge de l’application des peines pourra saisir un juge délégué, désigné par le président du tribunal, afin qu’il ordonne l’emprisonnement du condamné pour une durée qu’il fixera et qui ne pourra excéder la moitié de la durée de la peine de probation prononcée par le tribunal ni le maximum de la peine encourue. Cet emprisonnement pourra s’exécuter sous le régime de la semi-liberté, du placement à l’extérieur ou de la surveillance électronique. L’objectif est de prononcer une peine de milieu ouvert réellement contraignante, évolutive et adaptée à la personnalité de la personne condamnée.  »

Commentaires. La peine de tous les gens qui étaient en sursis – et n’avaient pas d’autres obligations que de ne pas commettre de nouveau délit – devait être trop clémente, puisqu’ils seront maintenant assujettis à des contraintes et des contrôles, avec toujours la prison pour horizon. La peine de probation pourra être supérieure au maximum de la peine encourue. Elle s’appliquera surtout à tous les gens qui commettent des délits tels que les délits routiers – souvent coutumiers de la récidive –, qui ont un travail et des revenus. Encore une fois, l’obligation principale, c’est de payer et de rembourser les parties civiles. Cahuzac a le profil du parfait condamné à la contrainte pénale… On voit apparaître aussi le même fonctionnement que pour l’ensemble des peines intramuros  : évaluation de la personnalité, du mode de vie, des relations, des déplacements, des remboursements, du travail… Enfin et surtout, le projet de loi insiste lourdement sur le fait que cette contrainte pénale est un nouvel outil dans la panoplie des condamnations, et qu’elle ne vient en aucun cas se substituer à une autre peine. Taubira est plus répressive que Dati qui prévoyait dans la loi pénitentiaire de 2009 que le juge pouvait aménager les peines de moins de deux ans. Sa remplaçante a durci le dispositif en réduisant cette peine à un an pour les primaires et six mois pour les récidives lorsque le juge ne choisit pas la contrainte pénale. ça va permettre aux institutions judiciaires de multiplier les condamnations et de mettre sous tutelle une partie bien plus importante de la population, modèle américain oblige. Le nouvel arsenal des mesures probatoires est en cours de développement  : obligations de soins, de travail, de suivis de stages en tout genre, interdictions de déplacements, de fréquentations, de lieux, etc.

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3. Il instaure un nouveau dispositif pour éviter les sorties de prison sans contrôle ni suivi. «  La réforme introduit le principe d’un examen systématique de la situation de tous les condamnés qui ont exécuté les 2/3 de leur peine. S’agissant des longues peines (supérieures à cinq ans), la situation des condamnés sera obligatoirement examinée par le juge ou le tribunal de l’application des peines qui statuera après débat contradictoire sur l’octroi éventuel d’une libération conditionnelle. S’agissant des courtes peines (inférieures à cinq ans), la situation des personnes condamnées sera examinée par le juge de l’application des peines en commission de l’application des peines. Il pourra prononcer une mesure de libération sous contrainte qui s’exécutera sous le régime de la semi-liberté, du placement sous surveillance électronique, du placement à l’extérieur, ou de la libération conditionnelle, ou bien refuser la mesure par une décision motivée si elle n’apparaît pas possible au regard de la personnalité du condamné.  »

Commentaires : Ce dispositif va permettre de perfectionner un fichage systématique, régulier et détaillé, basé sur les faits et gestes de l’ensemble des prisonniers pendant toute la durée de leur peine pour déterminer s’ils méritent un aménagement de peine, ou tout simplement des conditions de détention plus – ou moins – souples. Cela augmente les périodes de sûreté, puisque jusque-là les conditionnelles pour les primaires pouvaient être demandées dès la moitié de la peine  ; désormais tout le monde devra attendre les 2/3 de la peine pour solliciter un aménagement… Gros progrès  !

Oualou pour les longues peines

Digne héritière de Badinter qui avait remplacé la peine de mort par des peines jusqu’à la mort, Taubira a rapidement endossé un costume de fossoyeur. Non seulement elle ne remet pas du tout en cause la rétention de sûreté, mais elle n’imagine pas non plus changer quoi que ce soit au Code pénal pour réduire les temps de peine infligés par des tribunaux toujours plus sévères. Pourtant, lorsqu’elle était dans l’opposition, elle qualifiait de liberticides les lois qu’elle fait maintenant appliquer. Des peines infaisables  : combien de prisonniers y perdent la tête, ou la vie  ?

Tout ce qui est demandé aux prisonniers est mortifère  : accepter une peine infinie, se nier soi-même, tout subir – les violences,  le mépris, les humiliations, l’absurde, l’absence de liens, le vide pour des dizaines d’années. Cela fait maintenant un an et demi que Taubira ­occupe le poste de Garde des sceaux et la politique ministérielle d’aménagement des peines est plus que drastique. Les mêmes conclusions arrivent de toutes les centrales  : impossible de sortir, même si l’on accepte de jouer le jeu – dangereux – du calcul et de la soumission imposé par l’administration pénitentiaire. La seule solution envisagée, c’est la construction de ces foutues centrales ultrasécuritaires où ils prévoient d’enfermer tous ceux qui leur posent problème. Jusqu’à ce qu’un accident survienne… Rien sur les revendications portées par les différents mouvements de prisonniers, rien sur les QI, les QD, les transferts, les parloirs… tout ce qui fait le quotidien des prisonniers enfermés dans des mouroirs.

Taubira partisane de moins de prison ? Elle devrait se réjouir quand un prisonnier lassé du rejet répétitif de ses demandes de conditionnelle finit par se l’octroyer lui-même – au risque de sa vie – en décidant de ne pas rentrer d’une permission  ! Taubira la gentille devrait s’apitoyer sur les passages à tabac de prisonniers qui ont osé protesté contre l’absence d’aménagements de peine. Les mains liées  ? Elle pourrait au moins répondre aux courriers que lui adressent ceux qui sont condamnés à mourir à petit feu dans les prisons qu’elle a sous sa responsabilité.


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2 Une loi votée sous Dati établissait des peines minimum en cas de récidive, mais les juges conservaient leur pouvoir de décision.

Vu sur Article 11, 7 décembre 2013

Vers une surveillance généralisée d’Internet en France ?

Vers une surveillance généralisée d’Internet en France ?

Paris, 3 décembre 2013 — Aujourd’hui, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019. Ce texte marque une dérive sans précédent vers la généralisation de la surveillance sur Internet. En l’état, il permet la capture en temps réel sur simple demande administrative et sans mandat judiciaire des informations et documents traités dans les réseaux concernant tout un chacun. Il rend par ailleurs permanents des dispositifs qui n’étaient que temporaires.

Quelques mois seulement après les révélations d’Edward Snowden, comment est-il possible que le gouvernement ait soumis au Parlement un projet de loi aussi attentatoire aux droits fondamentaux ? À son article 13, ce texte organise la généralisation d’une surveillance en temps réel des « informations et documents traités et conservés dans les réseaux », concernant potentiellement tous les citoyens1, à la demande et pour le compte d’une variété de ministères (sécurité intérieure et défense, mais aussi économie et budget), dont l’implication de certains dépasse largement la protection des citoyens contre des incidents d’une exceptionnelle gravité. En effet, ce projet de loi permettrait à ces ministères d’autoriser la surveillance en temps réel de tout citoyen pour la seule « prévention […] de la criminalité » ou la particulièrement vague « sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France »2.

La collecte directe d’information se fera non seulement auprès des fournisseurs d’accès (FAI et opérateurs de télécommunication) mais aussi auprès de tous les hébergeurs et fournisseurs de services en ligne. Malgré la gravité et l’étendue de ces collectes, aucune disposition ne limite sérieusement leur volume. Celles-ci pourraient passer par l’installation directe de dispositifs de capture de signaux ou de données chez les opérateurs et les hébergeurs. La définition de ces derniers s’effectue par renvoi à des dispositions de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) et font craindre à son tour un périmètre d’application très large.

« Face aux preuves démontrant l’espionnage massif et généralisé de l’ensemble des citoyens, les gesticulations du Président de la République et du gouvernement ne trompent personne. Ce projet de loi instaure un régime de surveillance généralisée et risque de définitivement rompre la confiance relative accordée par les citoyens aux services en charge de la sécurité. Une référence imprécise aux besoins de la sécurité ne justifie pas de telles atteintes aux libertés. La Quadrature du Net appelle solennellement les parlementaires à refuser cette atteinte aux droits fondamentaux au cours de la deuxième lecture de ce texte » conclut Philippe Aigrain, cofondateur de La Quadrature du Net.

  • 1. L’article 13 prévoit de modifier le code de la sécurité intérieure en y ajoutant notamment : « Art. L. 246-1. – Pour les finalités énumérées à l’article L. 241-2, peut être autorisé le recueil, auprès des opérateurs de communications électroniques et des personnes mentionnées à l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ainsi que des personnes mentionnées aux 1 et 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, des informations ou documents traités ou conservés par leurs réseaux ou services de communications électroniques, y compris les données techniques relatives à l’identification des numéros d’abonnement ou de connexion à des services de communications électroniques, au recensement de l’ensemble des numéros d’abonnement ou de connexion d’une personne désignée, à la localisation des équipements terminaux utilisés ainsi qu’aux communications d’un abonné portant sur la liste des numéros appelés et appelant, la durée et la date des communications. »
  • 2. Article L. 241-2 du code de la sécurité intérieure, sur lequel l’article 13 du projet de loi de programmation militaire 2014-2019 définit son périmètre : « Peuvent être autorisées, à titre exceptionnel, dans les conditions prévues par l’article L. 242-1, les interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques ayant pour objet de rechercher des renseignements intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous en application de l’article L. 212-1. »

Vu sur La quadrature du net, 3 décembre 2013

Balises portables pour tous

NdPN : un secret de Polichinelle éventé par le Washington Post : la NSA géolocalise des centaines de millions de personnes à travers le monde… voir aussi cette petite vidéo sur le site du Monde, qui évoque Upstream et Prism concernant la surveillance des flux internet. Cela dit, si des Etats comme la France ne protestent guère, c’est parce qu’ils ont – à moindre échelle – des technologies et des pratiques similaires…

La NSA géolocalise des centaines de millions de téléphones portables

La NSA, l’agence américaine chargée des interceptions de communications, intercepte les données de géolocalisation de centaines de millions de téléphones portables dans le monde, a révélé mercredi le Washington Post, s’appuyant sur des documents fournis par l’ancien consultant Edward Snowden.

Six mois après les premières révélations de Snowden notamment sur la collecte des métadonnées téléphoniques (durée des appels, numéros appelés etc.), cette nouvelle révélation semble montrer que l’agence américaine est également capable de suivre des personnes à la trace grâce à leur portable, même quand celui-ci n’est pas utilisé.

L’agence stocke des informations sur « au moins des centaines de millions d’appareils » et enregistre « près de 5 milliards » de données de localisation par jour, affirme le quotidien sur son site internet.

« Nous obtenons de vastes volumes » de données de géolocalisation partout dans le monde, a confirmé un haut responsable de cette collecte cité par le Post.

L’agence y parvient en se connectant aux câbles qui relient les différents réseaux mobiles dans le monde et collecte « incidemment » des données de géolocalisation de citoyens américains.

L’intérêt de cette collecte, permise par le dialogue constant entre un téléphone et l’antenne-relai la plus proche et de puissants algorithmes mathématiques, est de « retracer les mouvements et de mettre en lumière des relations cachées entre des personnes », explique le quotidien.

Le volume de données enregistrées et stockées par la NSA atteindrait 27 térabytes, soit deux fois le volume de l’ensemble du contenu de la bibliothèque du Congrès, la plus importante du monde.

Ce volume d’informations serait tel qu’il « surpasse notre capacité à digérer, traiter et stocker » les données, affirme le Washington Post, citant un document interne de la NSA datant de 2012.

« Les capacités de la NSA pour géolocaliser sont ahurissantes (…) et indiquent que l’agence est capable de rendre la plupart des efforts pour avoir des communications sécurisées futile », croit encore savoir le Washington Post.

AFP, 4 décembre 2013

[Saint-Ouen (93)] Quand la mairie Front de Gauche expulse un campement de 800 Roms

NdPN : voir aussi ce pdf, publié sur le même site.

Photo topée sur le site de BFMTV

Démantèlement du campement rrom de Saint-Ouen  – Quand « l’humain d’abord » rime avec « Valls d’abord » : la majorité Front de Gauche de Saint-Ouen expulse 800 Rroms

Flora Carpentier

Chose promise, chose due : les futurs habitants de l’éco-quartier des Docks de Saint-Ouen peuvent être rassurés, ils n’auront pas à craindre pour leurs poules. La maire s’est montrée ferme et a tenu ses engagements. Ce mercredi matin, vers 8 heures, plusieurs centaines de CRS ont été déployés pour évacuer le camp de Rroms de Saint-Ouen, mettant à la rue près de 800 personnes dont 400 enfants, alors même que le froid est déjà bien installé sur la région. Sur le qui-vive depuis plusieurs jours, certains habitants avaient quitté les lieux la veille de l’intervention, pour ne pas revivre la violence des expulsions. Car nombre d’entre eux l’ont déjà connue, leur installation dans cette zone industrielle désaffectée faisant suite auxexpulsions de terrains qui ont eu lieu cet été dans tout le département (Bobigny, Saint-Denis, La Courneuve, Aulnay sous Bois). Ces municipalités FDG ou PS se sont en effet appuyées sur l’offensive anti-Rroms de Valls pour « libérer » des terrains autour desquelsils développent de fructueux projets immobiliers. Pour les familles rroms, c’est l’incompréhension la plus complète. « Pourquoi font-ils ça ? Où va-t-on aller ? » : ces questions sont sur toutes les lèvres, d’autant plus que le campement compte de nombreux enfants en bas âge, y compris des nouveaux-nés. Le temps de prendre leurs poêles sous le bras et de ramasser quelques effets, et une fois de plus, c’est l’exode forcé sous le regard méprisant des CRS et des différentes personnalités venues se féliciter de l’opération devant les médias.


L’évacuation fait suite à un arrêté municipal en date du 21 novembre signé par Jacqueline Rouillon, maire Front de Gauche (FASE) de Saint-Ouen, ordonnant aux familles de quitter les lieux dans un délai de 48 heures, sous menace d’intervention des forces de l’ordre [1]. Le sort des habitants du campement aurait dû être vite réglé après les plaintes déposées par la SNCF et RFF, propriétaires des terrains, et les nombreux appels au préfet par la Mairie depuis l’été. Mais c’était sans compter sur leur capacité à organiser leur défense, avec l’aide d’un avocat de La Voix des Rroms. Celle-ci avait permis d’obtenir au tribunal de Bobigny le report de leur expulsion au 12 décembre, mais la mairie a estimé cette date trop lointaine et mis en œuvre un plan pour accélérer les choses.Il lui a suffi pour cela d’ouvrir une deuxième requête en justice avec ses alliés le préfet de Seine-Saint-Denis M. Galli, nommé par Valls en juin, et la SNCF, en profitant du fait que le campement était situé à cheval sur deux parcelles appartenant formellement à deux propriétaires fonciers distincts (RFF et SNCF). Afin d’obtenir satisfaction immédiate, cette deuxième coalition s’est alors bien gardée d’informer les principaux intéressés. Une manipulation juridique odieuse visant à couper court au droit de défense des familles rroms [2].

Par ailleurs, les raisons évoquées dans l’arrêté sont une liste de mensonges, dont des soi-disant difficultés d’approvisionnement par voie ferrée de la centrale thermique du chauffage urbain (CPCU), qui risquerait de laisser sans chauffage des hôpitaux et des crèches en plein hiver. En réalité la seule voie traversant le campement est hors d’usage depuis longtemps, et la centrale peut parfaitement être approvisionnée par camions [3]. La mairie mettait également en avant les risques encourus par les habitants du campement, mais ce discours soi-disant préoccupé pour les familles tombe à l’eau quand on sait qu’aucune solution de relogement, même provisoire, n’est proposée.

Car ce qui préoccupe véritablement la maire dans cette histoire, à l’approche des municipales, ce sont les plaintes des riverains qui viennent d’emménager dans les immeubles flambant neufs alentours, ainsi que les dégâts pour l’image que la ville souhaite renvoyer pour sonéco-quartierdes Docks en construction à quelques pas de là…

A côté de cela, quel devenir pour les familles expulsées ? Quelles solutions vont être proposées ? Personne n’en dit mot ! C’est autant de familles qui vont être condamnées à l’errance, sans accompagnement, sans suivi social, sans scolarisation des enfants. La seule vraie solution passerait par un plan d’urgence d’envergure nationale qui garantisse aux Rroms des droits élémentaires : régularisation pour ceux qui ne sont pas citoyens européens, scolarisation des enfants, gratuité des soins, logement décent, démarche effective d’insertion, au travers de structures à dimension raisonnable et réparties sur tout le territoire.

Le démantèlement du camp de Saint-Ouen répond strictement à la politique de Manuel Valls qui, ce même 27 novembre au soir, alors qu’Hollande se prépare à lancer une intervention impérialiste en Centrafrique, révélait à nouveau tout le cynisme, le racisme et la démagogie du gouvernement lors du meeting « contre le racisme et les extrémismes » du PS à Paris.

La lutte contre le racisme passe également par une lutte contre la politique raciste de ce gouvernement, par le combat pour la solidarité avec les populations rroms, pour leur offrir la possibilité de s’installer et de vivre dans des conditions décentes là où elles le souhaitent. C’est le message qui sera relayé à la manifestation antiraciste du 7 décembre à Paris à l’occasion du trentième anniversaire de la « marche des Beurs ».

27/11/13

Lutte Ouvrière et ses contradictions municipales

Comme dans d’autres communes du 93 qui ne chaument pas sur le front des expulsions à l’image de Saint-Denis, La Courneuve , Lutte Ouvrière fait partie de la majorité municipale de Saint-Ouen.

Dans un communiqué aussi bref qu’hypocrite, LO dit que « la police de Valls et de Hollande a démantelé, à Saint-Ouen (…) un des plus grands camps où vivent 800 hommes, femmes et enfants qui ont le malheur d’être des Roms. Forcés [euphémisme, dirions-nous… devant les matraques et les pelleteuses, on déguerpit rarement de bonne grâce…] d’abandonner leurs baraques de fortune, dans le froid, ils devront donc trouver un autre terrain vague pour se ‘reconstruire’ des abris autant que faire se peut. Défendre les intérêts des riches et s’attaquer aux miséreux, telle est la devise de ce gouvernement ».

Mais, camarades, qui a demandé aux flics d’intervenir, si ce n’est la majorité municipale « de gauche » à laquelle participe LOjusqu’à preuve du contraire ?

Défendre les intérêts des travailleurs et des classes populaires, c’est la devise des révolutionnaires. Et voter les budgets municipaux et couvrir les expulsions, c’est la devise de qui ?

[1] Pour en savoir plus sur la politique discriminatoire de la mairie Front de Gauche de Saint-Ouen envers les populations rroms depuis de nombreuses années, lire notre article « Quand une maire Front de Gauche en appelle à Valls pour démanteler un campement Rrom », F. Carpentier, 16/11/13, www.ccr4.org/Quand-une-maire-Front-de-Gauche-en-appelle-a-Valls-pour-demanteler-un-campement-Rrom

[2] « Saint-Ouen : la gauche plurielle enfin rassemblée dans la guerre contre les Rroms ! », La voix des Rroms, 27/11/13, www.millebabords.org/spip.php ?article24907

[3] Visionner à ce sujet le reportage « Polémique autour d’un campement de Roms en banlieue parisienne », 21/11/13, www.france24.com/fr/20131121-france-seine-saint-denis-saint-ouen-camp-roms-rff-evacuation-expulsion

Vu sur le site du Courant Communiste Révolutionnaire du NPA, 28 novembre 2013

Projet de livret professionnel universel : vers le contrôle total ?

NdPN : le vieux rêve de contrôle total de nos vies par les classes dominantes s’est récemment traduit lors d’une rencontre entre des représentants du patronat et des syndicats. Ils ont prôné en chœur un espèce de fichier universel traçant les individus dans leur parcours éducatif et professionnel, voire médical. Et cela, sous le prétexte grossier d’un rappel des droits en matière de formation et d’indemnisation… si ce projet donnait bien lieu à une sorte de « nouvelle carte Vitale » avec sa petite puce sur laquelle nous n’aurions aucun droit d’accès, ce serait un pas important dans le fichage croissant des individus. Alors certes, il y a un pas entre évoquer un projet et le mettre en œuvre ; mais le fait même qu’un tel ballon d’essai soit lancé dans la presse doit nous rendre d’autant plus vigilant-e-s sur le fait que l’étau du fichage généralisé se resserre.

Livret personnel scolaire puis « professionnel universel » : le cauchemar du CV forcé se précise !

Si l’on en croit le quotidien Ouest-France de ce lundi 25 novembre 2013 (page 4), , imposé aux enseignants par l’administration Sarkozy pour ficher les élèves. Sans aucun débat public ni consultation des familles.

Jusqu’à ce 25 novembre, il était facile de traiter de paranoïaques les trop rares instituteurs et professeurs qui redoutaient que ce fichage intime des élèves, avec leur réussites et leurs échecs soigneusement consignées et datés, niant leur droit élémentaire à l’oubli des erreurs de jeunesse, dressant un véritable portrait psycho-social et même parfois politico-idéologique et sanitaire, ne finisse par être utilisé en dehors de l’institution scolaire.

Et bien nous y voilà. Comme dans un cauchemar totalitaire, où l’individu marqué au fer rouge par un CV forcé ineffaçable serait indiscutablement affaibli et isolé face à des institutions connaissant tout de lui et face à des employeurs piétinant les droits jusqu’alors garantis par les conventions collectives.

Et bien, c’est justement ce qui a été prôné ce week-end de novembre par les participants aux Semaines sociales (un rendez-vous traditionnel de patrons et de partenaires sociaux).

Selon Ouest-France, sous la signature de Pierre Cavret, les participants y ont plaidé avec ardeur pour « un livret professionnel universel (LPU) ».

Certes, il y a pour cette innovation un prétexte plein de bon sentiment : cette « carte Vitale de l’emploi » (ce sera donc un outil numérisé, propice à toutes les interconnections avec les fichiers de santé, de police, du Pôle emploi…) « récapitulerait les droit généraux dont tout travailleur peut bénéficier en matière de formation et de d’indemnisation ». Fort bien !

Mais est-il nécessaire pour cela de ficher l’ayant droit sur une puce électronique à laquelle il n’aura pas accès ? Si ce n’est pour ce véritable motif, que révèle Ouest-France sans ambages : Pour chaque futur travailleur, « cette carte permettrait aussi de regrouper les informations relatives à ses connaissances acquises par l’éducation, la formation et l’expérience professionnelle ».

C’est donc le retour au fameux « livret ouvrier » que le XIXème siècle imposait aux « classes dangereuses ». Mais un livret informatisé infiniment plus inquisiteur et infiniment plus redoutable.

Et dire qu’il s’est trouvé des syndicalistes pour approuver cette incroyable régression.

Nous sommes devant une violation sans précédent des droits des enfants et des futurs jeunes travailleurs. Nous sommes également devant la rupture éthique du pacte éducatif : pour la première fois depuis l’invention de l’école républicaine, les enseignants vont travailler non pas à l’éducation qui élève, qui responsabilise et qui émancipe, mais au fichage secret qui trahit la confiance, qui stigmatise, qui gère les flux de population comme ceux d’un bétail vers le meilleur triage des destins personnels. Aux uns les carrières favorisées, aux autres les destins précaires assignés dès l’enfance…

« Alertez les bébés ! » Ou bien en tous cas ceux qui devraient défendre leurs droits : les associations de parents, les syndicats, les défenseurs de droits de l’homme, les journalistes, sans parler des parlementaires attachés aux idéaux de la gauche, de la Résistance et de la démocratie.

Vu sur le blog de Lucky (sur le site du Monde), 26 novembre 2013