Archives de catégorie : Décroissance libertaire

[La Brousse – 86] Vinci passe, la ferme trépasse

La ferme de La Brousse terrassée par la LGV

La Brousse, un petit village paisible perdu au fin fond du Sud Vienne, sur le territoire de la commune de Chaunay, à la limite des Deux-Sèvres. D’un petit chemin goudronné, on aperçoit une pelleteuse à l’œuvre dans un nuage de poussière et de tas de pierres. Depuis la semaine dernière, elle s’attaque à la destruction de la ferme de Jean-Bernard Delavault, dont le malheur est de se trouver sur le tracé de la future ligne ferroviaire à grande vitesse Tours-Bordeaux.

Jean-Bernard ne veut pas voir ça !

Exproprié, tout va disparaître. Les bâtiments d’exploitation : hangar, porcherie, bergerie, grange, fenil, étables, écuries à chevaux. Mais surtout la maison où il est né, qu’il avait rénovée et où il entendait bien passer ses vieux jours. Sur les lieux, M. Mesquita, le chef des travaux, surveille l’opération. Les membres de la famille Delavault assistent impuissants à cette démolition tandis que les souvenirs refont surface. Eux, ils resteront en bordure de la voie à grande vitesse, avec ce qu’il restera de cette propriété qui fut une grande seigneurie d’une centaine d’hectares, morcelée en famille au fur à mesure des partages successifs. Jean-Bernard, lui, on ne le verra pas. Il ne veut pas voir ça ! S’estimant spolié, il a dû se séparer de ses 150 brebis, il a perdu son outil de travail. Le maire, Guy Sauvaitre, surveille également les travaux et pense déjà à l’avenir pour sa commune, accroché à son téléphone. Un démolisseur va venir pour la destruction de la maison, voir ce qui peut être sauvé. Les pierres pour faire des murs dans le bourg de Chaunay, restaurer la mare du village pour la mettre en valeur. Le poulailler construit par le grand-père Delavault, dont des pierres moulurées apparaissent. Les témoignages de la grandeur de ce qui fut une belle propriété avec son moulin dont une pierre est encore présente sur le site calme et tranquille jusqu’à ce jour.

Nouvelle République, 14 août 2012

[Anti-THT] Normandie : un été sous haute tension (article du Canard Enchaîné)

Normandie : un été sous haute tension – Article « Le Canard enchaîné » du 4 juillet 2012

Préfet survolté, gendarmes nerveux, agriculteurs en colère et déboulonneurs à l’ouvrage, l’installation de la ligne à très haute tension fait des étincelles.

Alors que le chantier de l’EPR de Flamanville accumule les retards, les travaux de la ligne à très haute tension (THT) chargée d’acheminer l’électricité qu’il fournira (normalement) en 2017 ont commencé à marche forcée au début de l’année. Plus de 160 km ! Un pylône tous les 400 mètres environ ! Dans une région qui compte déjà trois lignes de 400000 volts ! Visite au pays des pylônes flambant neufs.

Pylônes 102-105 , poste de transformation de Taute. Le chantier de la ligne démarre ici, à 60 km de Flamanville. Au pied d’un pylône, une équipe d’ouvriers fait une pause. A peine l’envoyé du « Canard » leur a-t-il posé une question que surgissent les gendarmes : « Vos papiers ! » Après un contrôle d’une demi-heure, le voilà invité à déguerpir…

Pylône 108. A la suite d’un « déboulonnage » symbolique de pylône à Saint-Martin-d’Aubigny, Michel Houssin, président de l’association Marais sous tension, a été jugé le 19 juin. RTE, filiale d’EDF chargée du transport de l’électricité, demande 5000 euros de dédommagement : les 14 boulons devaient être de qualité. Tout au long de la ligne, élus et associatifs ont déposé des recours en justice par dizaines (dont six devant le Conseil d’Etat), pour des raisons sanitaires et environnementales. Les blocages s’étant multipliés, depuis fin mars le tribunal de Coutances, sur requête de RTE punit tout rassemblement sur le chantier d’une astreinte de 2000 euros par heure et par personne. Du coup, les sabotages nocturnes ont pris le relais : pylônes sciés, sacs de ciment crevés, sables dans les réservoirs des engins… Sur le chantier, RTE met les bouchées doubles pour avoir fini à la fin de l’année.

Pylône 205. Au Guislain, village de 117 habitants, c’est plus calme. « On ne peut pas s’opposer à l’Etat. L’argent est là, il faut le prendre », explique le maire. Sa commune qui reçoit cinq pylônes, touchera pas moins de 177000 euros. Rappel : la construction de la ligne coûte 200 millions ; les « mesures compensatoires » s’élèvent à 100 millions. D’où son surnom : la « ligne t’es acheté ».

Pylône 207. Une ferme de Maupertuis. « Ce qui m’intéresse, ce n’est pas l’argent, c’est la santé et le paysage ! » témoigne un éleveur qui écopera bientôt d’un pylône dans son paturage. Voilà quatre ans, les associations du coin ont fait réaliser une étude sur les rayonnements électromagnétiques qui montre, chez les riverains vivant à moins de 300 mètres d’une THT, une nette augmentation des états dépressifs, vertiges et insomnies ; le bétail, lui, souffre d’agressivité, de troubles de la croissance et d’infections mammaires. L’électricien reconnaît tacitement ces nuissances : il rachète les maisons (plus d’une centaine) se trouvant dans la bande des 100 mètres de part et d’autre de la ligne. Et, quand les éleveurs se plaignent que leurs bêtes sont malades, il leur fait signer des protocoles de recherche confidentiels. Si ça ne s’arrange toujours pas, l’électricien signe de gros chèques : en 2007, Dominique Vauprès, éleveur de bovin particulièrement remonté, a reçu plus de 74000 euros d’indemnités. « Le plus souvent, quand un éleveur se plaint, explique Dominique Fourmont, éleveur et membre de l’association Monderbréal, RTE dépêche un véto, qui examine l’élevage et accuse d’abord le paysan de mal s’occuper de ses bêtes. » Oh, les vaches !

Pylônes 220-223. Colline de Montabot. Deux hélicoptères se relaient sur le chantier : l’un sert à monter les pylônes hauts de 50 mètres, l’autre à surveiller les regroupements d’opposants. Dimanche 24 juin, quelques 500 manifestants antinucléaires ont été dispersés par autant de CRS à coups de Flash-Ball, lacrymo et grenades. Bilan : 25 blessés.

Pylône 226. Début juin, brandissant un arrêté municipal interdisant les travaux sur sa commune, Jean-Claude Bossard, maire du Chefresne, tente de s’opposer au chantier de terrassement. Il est placé en garde à vue. Il démissionne pour protester, suivi par le conseil municipal. Ils devront être réquisitionnés pour tenir le bureau de vote lors des législatives. Cerise sur le pylône : l’association pour les espaces verts bio créée par Bossard a été privée de subventions.

Pylône 227. Vision ubuesque : des gendarmes munis de longues-vues montent la garde au somment du château d’eau du Chefresne. Loué par la municipalité aux opposants, ce bâtiment désafffecté leur servait de QG jusqu’à ce que , le 20 juin, Adolphe Colrat, préfet de la Manche, prenne un arrêté d’expulsion prétextant des « raisons de sécurité ». A 5 heures du matin, les gendarmes défoncent la porte à coup de bélier et chassent les occupants. Subtilité : l’arrêté devant être affiché en mairie avant l’expulsion, les gendarmes avaient pris soin d’aller casser la vitrine municipale au milieu de la nuit pour y glisser le document… Deux plaintes ont été déposées par le maire, l’une contre l’Etat, pour « excès de pouvoir », l’autre contre le préfet et le commandant de gendarmerie, pour destruction de biens, effraction et atteinte à la liberté de réunion.

Pylônes 547-552. Forêt du Pertre, Ille-et-Vilaine. Pas de chance, ces pylônes vont être construits sur le périmètre du captage d’eau de Vitré, 16000 habitants. Le 20 mars, l’Agence régionale de santé (ARS), décelant « un risque pour la ressource en eau », s’oppose à la construction du pylône 547, à cheval sur un drain. Une semaine plus tard, arrière toute ! L’ARS rend un avis favorable. La fée électricité fait de ces miracles… La mairie de Vitré qui a déposé un recours pour excès de pouvoir, a été débouté au nom de l’ « intérêt public ». Le plus simple serait en effet que les Vitréens déplacent leur ville.

Base d’aménagement, Saint-Martin-des-Champs. Rendez-vous téléphonique est pris avec le cerveau de la ligne THT, Jean-Michel Ehlinger. Mais l’envoyé spécial du « Canard » étant dans le coin, il décide de faire un saut au quartier général de RTE, dont une brochure vante la façon dont elle « s’inscrit dans la continuité de la concertation de terrain ». Le hic, c’est qu’il n’existe aucune adresse, juste une boite postale. Nous entrons au Grand Chien, modeste bar-pizzeria au bord de la route. Incroyable mais vrai : le QG de RTE se trouve ici même, au premier étage du bar, auquel on accède par une porte dérobée. La chargée de com’ commence par essayer de nous enfumer : « La ligne servira à l’éolien offshore… » Voyant notre scepticisme, Ehlinger met fin à l’entrevue : « RTE ne communique plus. » Décidément, le courant a du mal à passer…

Professeur Canardeau, Le Canard Enchaîné, 4 juillet 2012

Miguel Amoros – La décroissance revisitée

La décroissance revisitée

A l’heure où les luttes contre le productivisme connaissent un nouvel essor, certes fragile mais bien réel (nucléaire, No TAV/LGV, aéroport de Nantes-Notre Dame des Landes…), dans le contexte d’une crise capitaliste qui réinterroge intellectuellement et pratiquement le ‟modèle productif” dominant et semble faire surgir assez logiquement des besoins et envies d’une ‟autre économie” (autogestion, relocalisation, partage, ruptures plus ou moins prononcées avec le processus de la marchandisation, critiques sourdes ou plus virulentes de la production industrielle de masse et du consumérisme…) sans pour autant remettre en cause véritablement l’ensemble des formes et modalités par lesquelles s’exerce la domination capitaliste, ce texte a le mérite de remettre quelques points sur les ‟i”. Il invite aussi à réfléchir au-delà des bricolages idéologiques ou pratiques auxquels se livrent les promoteurs du changement dans la continuité, les partisans d’un ‟post-capitalisme” décroissant qui adviendrait sans heurts ni combats, par la vertu d’une ‟transition douce” et responsable s’appuyant sur une prise de conscience collective, sur la formation d’un mouvement d’opinion et la mobilisation des bonnes volontés et sur leur expression dans le cadre électoral de la « démocratie » représentative et étatique. Á moins qu’il s’agisse surtout d’un écran de fumée, un nouveau mirage ‟réformiste” derrière lequel s’activent les artisans de l’économie sociale, des sociétés coopératives, des banques éthiques, des fondations, associations et ONG, ce « troisième secteur » cher aux économistes libéraux et aux décideurs de la Banque mondiale et dans lequel semble vouloir s’engouffrer une gauche ‟alternative” sans repère et passablement déboussolée et même quelques ‟anticapitalistes” à la vue particulièrement basse.

‟Bien que par modestie tu ne le crois pas, les fleurs sur tes tempes paraissent laides.” Ramón de Campoamor

Le constat de la crise actuelle comme résultat de la phase finale du capitalisme, la globalisation, a généré une réaction contre les grandes entreprises et la haute finance qui s’est matérialisée dans deux types de réponses, l’une politique, l’autre économique. La première essaie de soustraire l’État des influences du marché mondial par une série de mesures qui lui rendraient son autonomie et lui faciliteraient le contrôle des mouvements financiers. Dans le même temps, grâce à une réforme du parlementarisme, elle vise à renforcer le système des partis. Cela est résumé dans le ‟citoyennisme”. La deuxième réponse tente de mettre en place un système alternatif cohabitant avec le capitalisme, fondé sur l’expansion de ce que les Américains appellent le ‟troisième secteur” et les Européens ‟l’économie sociale.” Le retour donc à un Etat-nation revitalisé et la promotion de l’économie informelle et solidaire immergée dans la société marchandisée.

La critique du moment capitaliste actuel a donné lieu à différentes théories, dont l’une est la ‟décroissance”. Dans l’ensemble, elles forment déjà une sous-culture, du fait que l’avancée de la crise a provoqué la formation d’un vaste ghetto. Elles recueillent toutes des fragments critiques antérieurs qui flottent dispersés à cause de l’absence d’un mouvement généralisé de protestation sociale qui pourraient les unifier, et qui alimentent de manières diverses et contradictoires l’‟imaginaire” des contestataires. En général, elles partent des limites du processus d’accumulation élargie (la ‟croissance”) et son impact sur l’environnement, comme l’avaient déjà indiqué dans les années soixante-dix du siècle dernier quelques économistes critiques et les premiers écologistes. Ensuite, elles ont intégré des éléments basés sur le fonctionnement économique des sociétés indigènes redécouvertes par l’anthropologie dans la décennie précédente, ou dans l’auto-organisation des banlieues périphériques des métropoles africaines, ou dans la critique des nouvelles technologies, ou dans certains postulats libertaires, etc.

De toutes les théories, celle de la décroissance serait celle qui prendrait en charge les conclusions qui s’imposent, c’est-à-dire celle qui ne recule pas devant le questionnement du ‟développement” et du ‟progrès”, poursuivant un ‟autre” développement et un ‟autre” progrès, qu’il s’appelle social, local ou durable. Contrairement à ce que son nom semble indiquer, une société de décroissance ne signifie pas, pour la plupart des auteurs, une société en récession ou en croissance négative, mais une société qui n’a pas besoin de croître ou se développer pour fonctionner, une société dans laquelle la croissance ou le développement ne sont pas une condition nécessaire à son existence, une société d’‟objecteurs de croissance”. En bref, une société non-capitaliste.

Jusque-là, nous ne devrions rien avoir à objecter. Le problème apparaît lorsque la théorie essaie de descendre de l’imaginaire susmentionné à la pratique quotidienne. Comme ses disciples viennent de secteurs très divers, naturellement les méthodes appliquées diffèrent, mais tous oscillent entre l’action politique citoyenniste et la construction d’un modèle économique ‟équitable” et bien sûr ‟durable” fait ‟à la mesure des personnes et des écosystèmes”. Révolution et lutte des classes sont exclus du vocabulaire de la décroissance ‟reconceptualisée”. Rien à propos de grèves, d’occupations, de sabotages, d’autodéfense, de boycotts et autres formes classiques de résistance. Tous les décroissants désirent une ‟transition” tranquille et ‟sereine” vers une société ‟conviviale”, ‟de la loi à la loi” comme disaient les auteurs de la réforme démocratique du franquisme, ou mieux, d’une formule à l’autre, par le biais de dispositions administratives progressives.

Le changement vers un ‟post-développement” serait donc évolutif, non traumatique et en rien rupturiste. Par une action combinée entre les institutions démocratisées et la ‟citoyenneté” [l’ensemble des citoyen/es] organisée en réseaux de production et de consommation, s’établiraient des règles de frugalité et de simplicité pour que tout le monde vive mieux avec moins, en pratiquant volontairement les ‟huit R” vertueux : réévaluer, reconceptualiser, restructurer, relocaliser, redistribuer, réduire, réutiliser et recycler. Grâce à la démocratie participative, au revenu de base garanti, au microcrédit, au coopérativisme, aux banques de temps et à l’agro-écologie, la sortie du capitalisme serait garantie sans conflits ou révoltes, sans avoir recours ni à l’expropriation des moyens de production et de distribution ni à la socialisation des transports, de la culture et de la santé, ni évidemment à l’abolition de l’argent, du salariat et du marché. Au bout du compte, selon les mots de son principal théoricien, Serge Latouche, la décroissance est « un mouvement politique de gauche » soutenu par un « programme de transition réformiste », et, en tant que telle, elle s’inscrit dans les paramètres de l’action politique classique, qui en la circonstance ne va pas au-delà « d’imprimer un changement de direction aux États. » Au moyen de manifestations régulières, de multiples caceroladas [concerts de casseroles] et de l’exercice du vote, les gouvernements intégreront dans leurs agendas les questions liées aux droits humains, à l’environnement et à la répartition des richesses : alors, la croissance s’arrêtera, la déglobalisation deviendra réalité et avec elle la « déconstruction du pouvoir transnational. »

En ce qui concerne l’alternative économique, avant de nous demander si des alternatives au capitalisme au sein du capitalisme sont possibles, et donc, si un modèle de transition est réalisable entouré par la société industrielle de masse, il convient d’apporter quelques précisions au sujet de l’économie sociale. Bien que soient recherchés de nobles précédents dans le XIXème siècle, le fait est qu’il s’agit d’un phénomène récent. L’effondrement du modèle fordiste dans les années soixante-dix et quatre-vingt, à cause du chômage structurel provoqué par les innovations technologiques et les restructurations dans les processus de production et dans les services, a laissé tout un espace aux coopératives, aux sociedades laborales [entreprises non coopératives mais où la majorité ou totalité du capital est détenu par les travailleurs] et aux fondations que le marché ne pouvait pas remplir parce que non rentables, ni l’Etat s’en charger car trop chères.

Ce troisième secteur, ni privé, ni public, objet de législation comme ‟régime spécial de propriété et de répartition des bénéfices” ne vise pas à être une alternative totale, mais un complément de l’existant. Sa nécessité était indéniable : elle gérait l’exclusion de manière collective, l’« armée de réserve » de la force de travail inutile, et créait de nouveaux emplois. L’idée d’un revenu de base ou « salaire social », loin de venir de la subversion, appartient aux économistes néo-libéraux, qui voyaient en lui la récupération pour la consommation de la masse expulsée du marché et proposaient de le financer par la liquidation de l’assistance publique. Comme le poids de l’économie sociale a augmenté, des conseillers des gouvernants comme J. Rifkin l’ont imaginé comme une arme contre le « chômage technologique », car elle pouvait devenir un formidable mécanisme de contention de l’exclusion, à condition que l’Etat transfère par des taxes une partie des bénéfices des entreprises privées. Plus qu’une sortie du capitalisme, c’était une façon de le réalimenter. Toutefois, dans les années quatre-vingt-dix, alors que la globalisation progressait, la relation de l’économie sociale avec les contractions du marché du travail va se tendre, en assumant certaines de ses stimulantes mesures anti-marché et un engagement dans la défense du territoire. C’est alors seulement que ce secteur a pu être considéré comme une pratique de dissidence et une expérience d’autogestion, pourtant fortement limitées.

La plupart des groupes coopératifs, qu’ils soient ou non partisans de la décroissance, ne dédaignent pas la commercialisation, en reproduisant les méthodes mercantiles que les critères éthiques et environnementaux n’arrêtent pas de justifier. Certains se financent grâce à des dons et des subventions et se servent de l’argent pour acheter des propriétés, embaucher des travailleurs et payer des salaires. Mais par contre, d’autres pratiquent le troc et le recyclage, mettent en place la rotation des tâches, recourent à des monnaies sociales et diversifient leurs activités afin d’atteindre une certaine autosuffisance, ce qui ne les libère pas des contradictions que provoquent le degré d’implication inégal de leurs membres ou les difficultés de type économique et organisationnel, que ce soit pour ce qui se rapporte à l’accès à la terre, aux relations avec l’administration ou dans la mise en place de réseaux de distribution. Est-il donc correct de parler de transition vers la société autogérée comme le font par exemple les coopératives ‟intégrales” catalanes ?

Encore une fois, la question devrait être reconsidérée, en se rappelant qu’il s’agit de pratiques très minoritaires, souvent précaires et instables, presque toujours circonscrites au milieu rural, dont la portée est minime, et qui ne dépassent jamais les niveaux de la simple survie alimentaire. Ce sont des formules de cohabitation ; elles fonctionnent parce qu’elles existent à côté d’un système omniprésent, avec son offre d’emploi et de crédit, ses loisirs et sa culture, son appareil de santé et de recyclage des déchets, avec lequel elles interagissent plus ou moins. Elles ne peuvent pas être des solutions immédiates pour la majorité de la population qui sont pris au piège dans les espaces urbains. Les autorités administratives ne sont pas gênées si ces pratiques se limitent à ‟refonder la démocratie”, à organiser des petits marchés ou à distribuer le « panier » et n’incitent pas au sabotage antidéveloppementiste. Les autorités économiques sont encore moins gênées parce que ces pratiques ne sont pas en concurrence avec elles et sont, de plus, des sources d’inspiration : les entreprises font aussi des échanges directs sans argent et tous les supermarchés ont leur section de produits agroécologiques correctement labellisés.

Ces pratiques ont une grande valeur de démonstration de la ségrégation volontaire du capitalisme, parce qu’elles questionnent ses valeurs et ses règles, elles sont des laboratoires pédagogiques, des écoles d’autogestion. Mais elles ne sont pas des alternatives anticapitalistes, mêmes dans leurs formes les plus radicales ; la plupart sont des îlots inoffensifs et, pour cela même, des enclaves tolérées. Il est nécessaire d’être clair sur le fait que l’on ne peut pas abandonner le capitalisme sans l’abolir dans tous ses aspects, en visant à la fois ses formations économiques, les marchés, et politiques, les États. On ne peut pas ruraliser une société sans la désurbaniser préalablement, ni la démarchandiser sans éliminer les relations de marché dans l’ensemble de l’espace social. Mais cela ne peut pas commencer à se réaliser autrement qu’en partant d’une série d’actes de souveraineté populaire, et une société civile souveraine ne parviendra pas à se constituer sans abolir préalablement l’Etat. Il convient de se demander : comment se forme ce peuple souverain, en renforçant les institutions ou en les liquidant ? Pour fonder une collectivité, il suffit de quelques personnes, mais pour construire une société équilibrée avec son environnement, le grand nombre est nécessaire, et ce grand nombre est incapable de se former autrement que dans la lutte pour survivre dans les conditions extrêmes imposées par un régime en faillite. Au cours de la lutte, les institutions s’écroulent, brisées en mille morceaux. L’économie sociale comme d’autres peut jouer un rôle logistique, d’arrière-garde, mais la société libre et autogérée sera le résultat d’un combat social violent, et non pas d’expérimentations conviviales plus ou moins répétées.

C’est la lutte intense entre les deux camps antagonistes qui changera les mentalités de la partie opprimée et pas le contraire : la décolonisation de l’‟imaginaire” ou pour le dire crûment, la conscience de classe, ne sera pas le fruit d’une préparation sereine menée dans des cercles pacifiques d’initiés, mais le résultat d’innombrables turbulences. Le retour de la lutte des classes – éminemment nouvelle car les adversaires, le contexte et les armes ne sont pas les mêmes qu’à l’époque des pactes sociaux – rencontrera l’alternative. Les objectifs à court terme seraient de viser le dépeçage du système productif et consumériste, sans oublier sa couverture politique, juridique et répressive, mais il faut encore une fois dire clairement que ce qui doit être réalisé est une œuvre collective de grande magnitude par un essaim majoritaire de marginalisés sociaux ou, en d’autres termes, d’objecteurs du capitalisme et de la partitocratie.

Miguel Amorós

Journées Anticapitalistes, Castellón, le 31 mai 2012.

[ Traduction : XYZ/OCLibertaire ]

Publié sur le site de l’OCL, 1er juillet 2012

[La Rochelle] Tract – Logement : un problème que l’on peut résoudre nous-mêmes

NdPN : Le lundi 28 mai dernier a eu lieu à La Rochelle une réunion publique sur le droit au logement, organisée par le DAL 17. Si les candidat-e-s à la députation y étaient convié-e-s, d’autres petites voix s’y sont fait entendre, en diffusant notamment un tract :

Logement: un problème que l’on peut résoudre nous-mêmes

Le DAL de Charente-Maritime a décidé de réunir les candidats aux législatives de la première circonscription afin d’évoquer les problèmes de logements et d’entendre leurs réponses sur le sujet. Mais à part fournir une tribune aux acteurs de la mascarade électoraliste, cette réunion n’apportera certainement rien de concret. Faut-il donc attendre un geste des politiciens pour prendre en main nos vies? Pour notre part nous ne le pensons pas, c’est pour cela que nous avons décidé de nous rendre à cette réunion publique : nous souhaitons y porter une voix différente, celle de l’action directe.

Nous n’attendons rien de cette République des hommes d’affaires en forme de politiciens, et même s’ils sont parfois forcés de légaliser nos actions concrètes comme ils l’ont fait en adoptant l’ordonnance de réquisition des logements vides en 1945, nous préférons nous servir nous-mêmes. Sans domicile fixe depuis un certain temps, nous avons ainsi décidé de squatter un logement vacant à La Rochelle. Il s’agit d’une magnifique maison avec jardin qui appartient à une très grosse entreprise et qui était vide depuis plus de 4 ans.

Bien que nous ayons l’habitude d’apporter notre soutien aux actions du DAL, nous ne cherchons pas comme lui à négocier avec les autorités légales pour, au bout du compte, n’obtenir qu’un sursis ou une cage à lapins dans une hideuse cité HLM. Nous revendiquons au contraire la possibilité de vivre à plusieurs, en petite communauté, dans une belle maison avec un grand jardin où cultiver un potager qui nous permettra de nous nourrir nous-même en évitant de consommer des fruits et légumes contaminés par les pesticides et les OGM.

Par le présent tract, nous ne demandons rien à personne, mais souhaitons nous adresser fraternellement au pauvres mal-logés ou à la rue pour leur dire : « Si vous n’en pouvez plus de vivre dans un appartement qui ressemble à une cellule, si votre logement est insalubre, si vous ne parvenez pas à payer votre loyer, si vous êtes à la rue, sachez que des dizaines de milliers de logements sont vides dans ce pays, dont 3000 à La Rochelle. Alors si vous en avez envie, vous pouvez parfaitement vous organiser pour les prendre, pour les habiter, pour les squatter. »

Le changement ne viendra pas d’en haut.

Des squatteurs de La Rochelle

[Union Européenne] On vous dit comment vous soigner… Obéissez !

[Union Européenne] On vous dit comment vous soigner… Obéissez !

Vous qui aviez l’habitude d’acheter des produits naturels pour l’alternative qu’ils constituent aux traitements chimiques, préparez-vous à les voir disparaître du marché d’ici septembre 2012 (2022 pour les produits portant une marque de fabrique ou un nom commercial). Pourquoi ? Parce qu’un règlement européen (1924/2006/CE) concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires s’apprête à prendre effet.

Ce règlement pose problème à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il interdit PAR PRINCIPE toute allégation de santé sur les denrées alimentaires : les exceptions seront décidées par l’EFSA (European Food Safety Authority). Elle basera ses autorisations sur de complexes dossiers de « demande d’allégation » qui coûtent des milliers d’euros d’expertises. Aucun problème pour les grands groupes agro-alimentaires et pharma-industriels, mais les nombreux petits producteurs ne pourront évidemment pas faire face et mettront la clé sous la porte, laissant le champ libre à ces groupes.

Ce qui nous amène au deuxième problème, qui est une réduction drastique du choix dans les produits naturels à visée thérapeutique, au profit du monopole détenu par l’industrie pharmaceutique. Le but est on ne peut plus clair : couper court au développement de toute alternative thérapeutique afin de favoriser la médecine allopathique, là où elle n’est pourtant pas toujours essentielle. De plus, qui dit réduction de la diversité des produits dit augmentation de leurs prix. Ces derniers échapperont aux bourses les plus légères qui n’ayant pas d’alternatives, devront se reporter sur les médicaments chimiques.

L’IPSN (Institut pour la Protection de la Santé Naturelle) dénonce ce règlement et demande la signature d’une pétition dans le cadre de la procédure du référendum d’initiative populaire. N’allons pas croire que cette initiative s’inscrive dans les seuls intérêts des petits producteurs et des consommateurs ; il s’agit là aussi d’un collectif de directeurs de laboratoires dirigés par un consultant d’un cabinet de lobbying, élaborant certes des produits naturels, mais dans le but évident de faire du profit sur notre dos.

Dans ce combat entre géants du lobbying, que devient le consommateur ? Encore une fois entre le marteau et l’enclume, il attend servilement le résultat du match. Sortons de notre esclavage, devenons maîtres de notre santé. En attendant une hypothétique révolution sociale qui exproprie les laboratoires pharmaceutiques et réoriente la recherche autour des besoins réels de santé des populations, il nous est d’ores et déjà possible de nous réapproprier bien des savoirs connus de nos ancien-ne-s, concernant l’usage des plantes médicinales. Soyons curieux de ce que la nature a à nous offrir… et partageons nos connaissances avec nos voisins, dans la lutte pour l’indépendance vis-à-vis des industriels et des institutions. Une lutte qui s’inscrit plus globalement contre l’accaparement du vivant par les groupes capitalistes, et peut rejoindre celle que mènent de nombreuses associations contre les lobbys semenciers.

Le groupe Pavillon Noir a proposé le 30 mai dernier une visite du jardin botanique de Poitiers, avec une description des innombrables usages alimentaires, condimentaires et médicinaux des espèces végétales présentes dans ce jardin, accompagnée des précautions indispensables à prendre dans l’automédication. Une brochure résumée est d’ores et déjà disponible sur un nouvel onglet du site du groupe*. Le descriptif d’autres plantes courantes suivra.

*http://fa86.noblogs.org/

Lupino & Salvia, 9 juin 2012