La tyrannie du discours sécuritaire
Chercheurs et praticiens sont aussitôt taxés d’« angélisme » lorsqu’ils essaient de relativiser l’ampleur du phénomène criminel, notamment en rappelant le caractère exceptionnel de la récidive d’homicide lorsqu’elle se produit. Le sociologue Laurent Mucchielli déclenche de violentes critiques, lorsqu’il se contente de relayer les résultats d’une enquête de victimation de l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP), mis en place par Nicolas Sarkozy. Une enquête plus fiable que les chiffres de la police car elle inclut les faits non dénoncés. Elle indique qu’en 2011, en dehors des vols avec violence ou menace commis sur des femmes, l’ensemble des infractions se situe à un niveau stable, voire en baisse. Les actes de vandalisme contre le logement ou le véhicule sont ceux les plus fréquemment déclarés par les ménages (8%). Ils sont en légère baisse, tout comme les agressions sexuelles ou violences au sein du foyer. Une forte baisse est observée s’agissant des vols de voiture et autres vols sans violence ni menace. Le niveau des cambriolages et des viols avec violence ou menace apparaît stable. Contrairement à une autre idée répandue, « on vérifie une fois de plus que les violences sexuelles les plus fréquentes surviennent au sein de la famille et non de la part d’inconnus ». Autant de résultats qui « ont tant de mal à être entendus dans le débat public. (…) Ils invitent à rechercher ailleurs que dans l’évolution de la réalité délinquante les raisons de l’importance du sentiment d’insécurité parmi nos concitoyens » [3].
Demande de sécurité, demande de répression ?
Un autre champ d’idées reçues relève de la demande des citoyens. A écouter certains discours politiques, l’insécurité est érigée en tête des fléaux dont souffrirait la population. A en juger le baromètre mensuel de la Sofres, il apparaît que « la sécurité des biens et des personnes » arrive en fait au dixième rang des préoccupations des Français, loin derrière le « chômage et l’emploi », « la santé et la qualité des soins », « l’évolution du pouvoir d’achat », « le financement des retraites »… 24% des personnes interrogées citent la sécurité comme l’une de leurs préoccupations et 2% comme la première. Elles sont 76% à citer le chômage et l’emploi. Globalement, les questions sociales sont celles qui soulèvent le plus d’inquiétudes : le « logement », les « inégalités sociales », « l’environnement et la pollution », le « financement de l’assurance maladie » se placent avant la sécurité [4].
Les idées reçues sont également légion quant à la demande des victimes. Allongement des peines, mesures de sûreté, peines minimales pour les récidivistes, construction de prisons pour courtes peines… le législateur n’a plus de limites quand il s’agit d’inventer des dispositifs au nom des victimes. Lors de l’examen de la loi sur la rétention de sûreté en janvier 2008, la garde des Sceaux Rachida Dati invoqua le « petit Enis, enlevé et violé à l’âge de cinq ans alors qu’il jouait devant chez lui. Sans sûreté, il ne peut y avoir de vie. Je pense à la jeune Anne-Lorraine Schmitt, violée et tuée alors qu’elle se rendait dans sa famille en RER ». Il semble pourtant que la demande des victimes soit plus variable et complexe que celle de la répression vengeresse. La criminologue belge Sonja Snacken explique que les recherches victimologiques montrent que leurs principales attentes relèvent d’un « besoin de se sentir reconnu et respecté en tant victime », d’obtenir des explications sur les faits et l’action judiciaire… et pas tant de « l’allongement des peines ou l’abolition de la libération conditionnelle » [5]. Brigitte Sifaoui nous en offre un exemple, en expliquant qu’elle aurait préféré, plutôt que 30 ans de prison sans contenu pour l’assassin de son frère, qu’on lui dise : « on va le garder 5 ou 10 ans, pendant lesquels [un] travail thérapeutique va être accompli et les conditions de sa sortie bien préparées ».
Industrialisation des peines sans contenu
Là se situe la dimension largement occultée des politiques pénales dites « populistes » : le contenu, les conditions d’exécution de la peine et sa finalité importent peu. Il s’agit tout juste de prononcer et d’exécuter plus de peines, plus systématiquement et plus rapidement. Une industrialisation de l’enfermement, de la surveillance électronique, dont on se demande rarement si elle pourra permettre aux auteurs d’infraction d’évoluer, personnellement et socialement, et si la sécurité en sera effectivement renforcée. Les prisons sont surpeuplées ? Les conditions de détention souvent indignes ? Les personnels pénitentiaires peu disponibles et formés à l’accompagnement des auteurs d’infraction ? La prison produit davantage de récidive que les peines et mesures alternatives ? Peu importe. Des peines sont prononcées, elles doivent être exécutées, même si cela vient aggraver la situation des condamnés, renforce leur niveau d’exclusion, leur sentiment d’humiliation… et au final la délinquance. Une autre justice est possible, une justice humaniste, appréhendant l’infraction comme un appel à l’intégration sociale, une demande de repères structurants. Une justice privilégiant la symbolique de la réparation, à travers des mesures d’accompagnement en milieu ouvert pour la majorité des cas, plutôt que celle de l’exclusion et de la stigmatisation trop bien incarnée par la prison.
Sarah Dindo (Co-directrice de l’Observatoire international des prisons)
Texte extrait du numéro 74-75 de la revue « Dedans-Dehors », revue de l’Observatoire International des Prisons
Voir aussi : OIP, les conditions de détention en France, La découverte, 2011 [6]