Archives de catégorie : Propagande marchande

[LGV Tours-Bordeaux] Bourrage de crâne médiatique pro-LGV

NdPN : Après la grotesque mascarade de débat orchestrée sur France 3 il y a quelque temps, voici un foutage de gueule médiatique de plus. Une belle brochette de défenseurs du projet délirant et destructeur de la LGV Tours-Bordeaux ont été invités, pour cette nouvelle opération de com’. Cette fois-ci, c’est France Bleu Poitou que les habitant-e-s expulsé-e-s de leurs lieux de vie doivent remercier. Lisea et Cosea bien sûr, pour la philanthropique firme Vinci qui engrange les profits, mais aussi les habituels politiciens locaux, l’inénarrable Alain Claeys en tête. Hervé Mariton est ici présenté comme un « opposant », alors même que son rapport sur les LGV affirme que le chantier Tours-Bordeaux  a les meilleures perspectives de recettes… Sans surprise, les opposants des collectifs anti-LGV n’ont manifestement pas été invités. Il ne s’agit manifestement pas d’un débat, la pertinence de cette LGV n’étant pas discutée. Tout juste soulèvera-t-on peut-être, pour la forme, les questions de financement, mais cela est déjà bouclé : ce sont les contribuables et les consommateurs, c’est-à-dire les prolos, qui assureront sa rente à Vinci.

France Bleu sur le chantier de la LGV

Les techniciens, journalistes et animateurs de France Bleu Poitou poseront leurs micros sur le chantier de la ligne ferroviaire à grande vitesse Tours-Bordeaux, demain, au nord de Poitiers. Depuis le studio aménagé pour l’occasion sous une tente à proximité de l’estacade de la Folie, ils seront en direct de 6 h à 12 h pour une une émission spéciale destinée à emmener les auditeurs dans les coulisses du plus grand chantier d’Europe qui traverse la Vienne et affecte leur quotidien.

Ce programme spécial donnera la parole au concessionnaire (Lisea), au constructeur (Cosea) et aux entreprises locales. Aux élus, aussi : le député-maire PS de Poitiers, Alain Claeys, favorable à une extension de la ligne jusqu’à Limoges, et le député UMP de la Drôme, Hervé Mariton, auteur d’un rapport critique sur les projets de LGV, interviendront en direct. France Bleu Poitou mettra surtout à l’honneur les équipes du chantier qui œuvrent tous les jours pour livrer la future ligne à grande vitesse, qui reliera Poitiers à Bordeaux en 1 h 05 à l’été 2017.

France Bleu Poitou sur la bande FM : 87.6 Poitiers, 103.3 Châtellerault et 106.4 dans le reste de la Vienne.

Nouvelle République, 12 juin 2013

LGV Poitiers-Limoges : honte aux politicien-ne-s

NdPN : nous ne reprendrons pas ici tous les arguments que nous avons déjà répétés contre le projet de ligne à grande vitesse Poitiers-Limoges ; arguments économiques, mais aussi environnementaux, politiques et sociaux. Les citations extraites de ces deux articles de la Nouvelle République sont déjà très parlantes, et nous n’oublierons pas les prises de position des « responsables politiques ». Honte aux politicien-ne-s promouvant le projet, ou réduisant leurs critiques aux seules difficultés de financement, montrant par là tout le mépris porté aux habitant-e-s et à notre environnement. Quant à l’affirmation par la presse que « les habitants ont la parole », est-ce une mauvaise blague ? Voilà des années que leurs arguments d’évidence contre ce projet mortifère font face à la surdité des autorités ! Continuons à lutter avec les habitant-e-s contre cette colonisation de nos lieux de vie !

LGV Poitiers-Limoges : les habitants ont la parole

L’enquête publique sur le projet de barreau ferroviaire débute aujourd’hui. Opposants et partisans ont jusqu’au 13 juillet pour faire valoir leurs arguments.

Depuis neuf ans qu’il est question de ce projet, tout a été dit et tout a été écrit sur la ligne ferroviaire à grande vitesse Poitiers-Limoges. Durant quarante-quatre jours, les partisans et les opposants vont tout de même avoir l’occasion de faire valoir très officiellement leurs arguments auprès du commissaire enquêteur chargé d’émettre un avis favorable ou défavorable à la déclaration d’utilité publique.

Ils vont aussi pouvoir consulter l’intégralité du dossier préparé par Réseau Ferré de France : « Un gros pavé de cinq mille pages qui comprend le rapport rendu par l’Autorité environnementale en mars dernier et le mémoire complémentaire du maître d’ouvrage », précise Marie-Paule Hennuyer, la représentante de RFF en Limousin.

 «  On va momifier le territoire  »

Les opposants qui demandent depuis longtemps à prendre connaissance du volet socio-économique ne manqueront pas de le consulter. Pour le reste, ils savent déjà les remarques qu’ils formuleront ; de l’empreinte carbone négative pour les cinquante prochaines années aux risques d’inondations accrus dans la vallée du Clain en passant par l’incompatibilité avec les engagements pris par l’État sur la ligne Paris-Toulouse. « Nous sommes effarés par la précipitation des événements », insiste Nicolas Bourmeyster, le président du collectif Non à la LGV. « Comme il n’y aura pas d’argent pour financer ce projet avant au moins quinze ans, on va momifier le territoire, les maisons y seront invendables, les gens vont hésiter à s’y installer… » Il s’étonne surtout que le gouvernement engage cette démarche dès maintenant alors que la commission Mobilité 21 chargée de hiérarchiser les projets d’infrastructures de transport doit rendre son rapport (peu favorable aux lignes à grande vitesse) en juin. C’est que ce projet est soutenu en haut lieu. Le président (corrézien) de la République qui suit personnellement le dossier a d’ailleurs récemment nommé un ancien camarade de promotion de l’ENA, Michel Jau, à la tête de la préfecture de la Haute-Vienne. « C’est un projet validé. Je ne pense pas qu’il soit de nature à être remis en cause », a déclaré le représentant de l’État qui a évoqué une « décision irréversible » en prenant ses fonctions. En Limousin, les élus espèrent toujours pouvoir prendre le TGV dès 2020.

les dates-clés

> 2004 : le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, abandonne le projet Paris – Orléans – Limoges – Toulouse et lance les études pour la LGV Poitiers-Limoges pour une mise en service en 2014. > 2006 : un débat public est organisé dans douze villes en Poitou-Charentes et Limousin. > 2007 : Réseau Ferré de France retient l’option du tracé central, le plus direct, passant à proximité de Montmorillon ; une convention de financement des études (30 M€) est signée entre RFF, l’État et les collectivités. > 2012 : la commission nationale du débat public décide qu’il n’y a pas lieu d’organiser de nouveau débat public malgré l’expiration du délai de cinq ans avant l’ouverture de l’enquête publique. > 2013 : le gouvernement donne son feu vert au lancement de l’enquête publique sans attendre le rapport Mobilité 21.

pratique

L’enquête publique se déroulera du jeudi 30 mai au vendredi 12 juillet 2013 inclus, durant 44 jours. Dans la Vienne, le public pourra consulter le dossier d’enquête publique et présenter ses observations à la préfecture de Poitiers et à la sous-préfecture de Montmorillon, mais aussi dans les mairies des dix-neuf communes concernées par le tracé : Aslonnes, Civaux, Dienné, Fleuré, Gizay, Gouëx, Iteuil, Lathus-Saint-Rémy, Lhommaizé, Lassay-les-Châteaux, Mazerolles, Moulismes, Persac, Plaisance, Les Roches-Prémarie-Andillé, Vernon, La Villedieu-du-Clain et Vivonne. Le dossier de l’enquête doit également être consultable sur le site Internet de la préfecture de la Vienne : www.vienne.pref.gouv.fr.

Collectif des opposants : http :// non-lgv-poitiers-limoges.fr Association de promotion de la LGV : http://tgv-plb.asso.fr

pour

> Alain Claeys Le député-maire PS de Poitiers est le principal avocat de la LGV Poitiers-Limoges dans la région. Il souhaite placer la gare multimodale de Poitiers au cœur d’un nœud ferroviaire dans la perspective d’une poursuite de la ligne à l’Est jusqu’à Lyon. > Catherine Coutelle La députée PS de la 2e circonscription de la Vienne défend le projet avec une réserve sur le financement. « Il ne me semble plus possible d’imaginer que ces infrastructures particulièrement coûteuses soient financées par l’État et les collectivités territoriales, seuls », écrivait-elle l’an dernier.

indécis

> Ségolène Royal Après avoir longtemps affiché son scepticisme, la présidente PS de Poitou-Charentes a changé de stratégie en début d’année : la Région est à présent officiellement favorable au projet mais elle ne veut pas le financer, comme pour la ligne Tours-Bordeaux. « Le projet actuel de RFF n’a pas encore démontré sa pertinence sur le plan de sa rentabilité économi- que », écrivait-elle en 2009. « La Région soutient ce projet essentiel pour le Limousin », précise-t-elle maintenant. > Jean-Pierre Raffarin L’ancien Premier ministre qui a lui-même mis le projet sur les rails il y a neuf ans fait désormais campagne contre la LGV Poitiers-Limoges mais sans le dire franchement. A un peu plus d’un an des sénatoriales, il conditionne son soutien à la construction très hypothétique d’une gare dans le Montmorillonnais : « Ou on a une gare et la LGV a un sens ou on n’a pas de gare et le développement du TER peut résoudre la question… »

contre

> Jean-Michel Clément Le député PS de la troisième circonscription (Sud Vienne) plaide depuis longtemps pour un abandon du projet : « Les territoires ruraux sont oubliés pour ne pas dire sacrifiés. Par ailleurs, le temps gagné ne serait pas énorme, et disproportionné, par rapport au coût », expliquait-il l’an dernier. > Yves Bouloux Le maire DVD de Montmorillon et président de la communauté de communes du Montmorillonnais s’oppose à la LGV défend le projet de mise à 2X2 voies de la RN 147 entre Poitiers et Limoges. > Robert Rochaud Le porte-parole des élus écologistes de Poitou-Charentes précise que les Verts ne sont « pas opposés par principe au TGV » : « L’urgence, ce n’est pas la LGV Poitiers-Limoges. L’urgence est de moderniser la ligne Poitiers-Limoges. »

Baptiste Bize, Nouvelle République, 30 mai 2013

***

Une voie ferrée au fond du jardin

« C’est un projet politique qui n’a pas de sens ; l’impact environnemental est colossal », estime Thierry Ferreira, à Iteuil.

Au fond de son jardin, un champ de blé s’étend jusqu’à une haute haie. C’est là, à environ 250 mètres de la maison de Thierry Ferreira que doivent s’élever le remblai et le viaduc permettant à la LGV Poitiers-Limoges de franchir le Clain, à proximité du Port, à Iteuil, pour se raccorder à l’actuelle ligne ferroviaire Paris-Bordeaux. Quand il a choisi d’acheter ce petit bout de verdure avec son épouse, il y a douze ans, c’était pour « son côté calme et bucolique », précise cet enseignant-chercheur de l’Université de Poitiers. À l’époque, il n’était pas encore question de cette LGV… « Je ne suis pas inquiet parce qu’on peut partir même si notre maison est maintenant invendable », assure Thierry Ferreira. « Mais il y a des gens ici qui se retrouvent piégés. Les voisins ne dorment plus. L’agriculteur en face se retrouve avec une exploitation coupée en deux que son fils ne pourra pas reprendre… Ce projet va tout détruire. » Dans cette aventure, ce riverain estime avoir été « déniaisé » : « Si j’avais encore des illusions sur la politique, je les ai perdues. Tous les feux sont au rouge mais le projet continue d’avancer. » Il juge surtout le projet coûteux et inutile. Donc plus difficile encore à accepter.

B. B., Nouvelle République, 30 mai 2013

[Poitiers] Rassemblement contre la LGV Poitiers-Limoges

La députée interpellée par les anti-LGV

Apéritif « citoyen » devant la permanence de Catherine Coutelle.

Ce n’est pas l’ouverture prochaine de l’enquête d’utilité publique qui calme les ardeurs des opposants à la LGV Poitiers-Limoges. Ainsi ont-ils organisé vendredi soir un apéritif « citoyen » place de France, à Poitiers, devant la permanence de Catherine Coutelle, députée de la circonscription et favorable au projet. « Nous voulons rappeler à notre députée l’engagement pris durant sa campagne : pas de déclaration d’utilité publique d’un projet si son financement n’est pas déjà établi. Et ce pour éviter de bloquer tout un territoire durant des années d’attente. Or, en l’occurrence, le financement est loin d’être acquis », affirme Nicolas Bourmeyster, le président du Collectif. Catherine Coutelle étant absente vendredi, rendez-vous a été pris pour ce lundi afin de débattre de cette question capitale aux yeux des opposants.

Nouvelle République, 26 mai 2013

DSM : quand la psychiatrie fabrique des individus performants et dociles

DSM : quand la psychiatrie fabrique des individus performants et dociles

Sommes-nous tous fous ? C’est ce que laisserait supposer la nouvelle version du DSM, la bible des psychiatres recensant troubles mentaux et comportements « anormaux ». Plus on compte de malades, plus le marché de l’industrie pharmaceutique s’élargit. Surtout, le DSM apparaît comme un moyen de faire rentrer dans la norme ceux qui seraient jugés « déviants » – une part de plus en plus grande de la population. Ces « mal ajustés » de notre société orientée vers la rentabilité économique, où l’individu se doit d’être performant et adaptable. Enquête sur un processus de normalisation qui, sous couvert de médicalisation, façonne les individus.

Vous êtes timide ? Peut-être souffrez-vous de « phobie sociale ». Votre tristesse passagère, liée à un événement douloureux comme la perte d’un proche, n’est-elle pas plutôt une dépression ? Le territoire du pathologique semble s’étendre sans fin. Ces troubles psychiatriques sont recensées par le « DSM-5 », cinquième version du catalogue des affections mentales, ouvrage de référence des psychiatres, sorti le 19 mai. Avec son lot de « nouveautés ». Rares sont ceux qui ne se reconnaîtront pas dans l’un des 400 troubles répertoriés ! Avec ses critères toujours plus larges et ses seuils toujours plus bas, le DSM fabriquerait des maladies mentales et pousserait à la consommation de psychotropes, estiment ses détracteurs.

Alors que la première version du « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux » (Diagnostic and statistical manual of mental disorders – DSM), publié en 1952, ne recensait qu’une centaine d’affections, son contenu n’a cessé d’enfler au fil des révisions, tous les vingt ans. Ses détracteurs pointent le risque de « médicaliser » à outrance des comportements finalement normaux. Selon la version antérieure, le DSM-4 (sorti en 1994), la moitié de la population des États-Unis pouvait être considérée comme souffrant de troubles mentaux, estime l’historien Christopher Lane. 38 % des Européens souffrirait de désordre mental [1] ! Pourquoi une telle inflation ? Sommes-nous en train de tous devenir fous ?

Les critiques du DSM mettent en avant la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques. Ces firmes chercheraient à étendre le « marché des troubles ». Et ont noué à partir des années 80 des liens étroits avec les psychiatres influents, à commencer par les rédacteurs du DSM : 70% des auteurs ont ainsi déclaré avoir des rapports financiers avec les labos [2]. Les ventes d’antidépresseurs et de neuroleptiques aux États-Unis représentent 24 milliards de dollars. En France, elles ont été multipliées par sept en deux décennies, et représentaient plus d’un demi milliard d’euros au début des années 2000. Au-delà des conflits d’intérêts, cette « pathologisation du normal » révèle bien d’autres choses. Avant d’être un outil de diagnostic de maladies mentales, le DSM ne serait-il pas plutôt un dispositif de normalisation des conduites, dans une société orientée vers la rentabilité économique ?

Rentrer dans la norme

Dans ce répertoire des affections mentales, il est davantage question de comportement que de souffrance. Un choix revendiqué par les auteurs : « Pour être le plus objectif possible et s’assurer qu’un même patient aurait le même diagnostic qu’il soit à Paris, New York ou Tokyo, l’Association des psychiatres américains (APA) a décidé d’écarter toute théorie explicative, source de dissensus parmi les différents courants de la pensée psychiatrique, et de rester au niveau de l’observable, sur lequel tout le monde peut-être d’accord. Or l’observable, c’est le comportement », explique le psychiatre Patrick Landman [3]. Président du collectif Stop DSM, il s’oppose depuis trois ans à la « pensée unique DSM ». Se contenter d’observer les comportements pour établir un diagnostic permet d’échapper aux biais culturels, moraux ou théoriques des différents cliniciens. Mais cette standardisation se fait au prix d’une grande simplification de la complexité des problèmes rencontrés en psychiatrie.

L’abondance des troubles du comportement et de la personnalité dans le DSM « est emblématique d’une psychiatrie qui se préoccupe moins de la vie psychique des gens que de leur comportement », ajoute le psychiatre Olivier Labouret [4]. Un comportement qui doit avant tout être conforme à la norme. « Il n’est pas anodin que le DSM n’emploie pas le mot « maladie », qui renvoie à la souffrance ou à la plainte émanant du patient, mais le mot « trouble », qui est la mesure extérieure d’une déviation de la norme, souligne le psychiatre. Le trouble, c’est ce qui gêne, ce qui dérange ».

Quand l’homosexualité était une « affection mentale »

Ces normes développées par la psychiatrie n’ont pas attendu les versions successives du DSM pour se manifester. Dans son cours au Collège de France sur les « anormaux », le philosophe Michel Foucault expliquait comment à partir du milieu du XIXe siècle, la psychiatrie commence à faire l’impasse sur le pathologique, la maladie, pour se concentrer sur « l’anormal » : la psychiatrie a « lâché à la fois le délire, l’aliénation mentale, la référence à la vérité, et puis la maladie, explique le philosophe. Ce qu’elle prend en compte maintenant, c’est le comportement, ce sont ses déviations, ses anomalies ». Sa référence devient la norme sociale. Avec ce paradoxe : la psychiatrie exerce son pouvoir médical non plus sur la maladie, mais sur l’anormal.

Une analyse qui rejoint celle de l’antipsychiatrie américaine. Pour le professeur de psychiatrie Thomas Szasz, les « maladies mentales » ne sont que des « mythes » servant à médicaliser les comportements jugés indésirables ou immoraux au sein de la société [5]. « Le sort de l’homosexualité, inclus puis exclu du DSM au gré de l’évolution des mentalités aux États-Unis, illustre à quel point le manuel reflète moins l’état d’une recherche scientifique sur les maladies que les normes de « l’acceptable » d’une époque », rappelle le philosophe Steeves Demazeux, auteur de Qu’est-ce que le DSM ?.

Traquer les « déviants » ?

Tous les comportements ne subissent pas le même traitement. « Si vous parlez à Dieu, vous êtes en train de prier, si Dieu vous parle, vous êtes schizophrène », écrivait ainsi Thomas Szasz. Et des « paraphilies » (pour ne pas dire « perversions »), telles que le masochisme et le fétichisme, demeurent dans la catégorie des « troubles sexuels », témoignant de la culture puritaine américaine dans laquelle baignent les auteurs, et à laquelle la population est invitée à se conformer. La psychiatrie, qui détecte et désigne les déviants à l’époque moderne, ne ferait selon Szasz que remplacer l’Inquisition qui traquait les sorcières au Moyen-Age. Les inquisiteurs avaient pour guide le Malleus Maleficarum, les psychiatres… le DSM.

Sans doute les normes d’une époque ont-elles toujours influencé le partage des eaux entre le normal et le pathologique. Mais cette influence a longtemps été cantonnée en arrière-plan. Le DSM-3 franchit un cap dans les années 80 en faisant de ces normes les critères directs et explicites de chaque trouble. Un exemple : « Avec le DSM-5, il faut avoir moins de trois accès de colère par semaine pour être un enfant « normal », explique Patrick Landman. Les autres – ceux qui dévient de cette norme – seront désormais étiquetés « trouble de dérégulation d’humeur explosive » ! Et pourront être « normalisés » par des médicaments. En prenant par exemple de la ritaline, cette molécule à base d’amphétamines consommée à haute dose aux États-Unis, pour améliorer la concentration des écoliers. Près de huit millions d’enfants et d’adolescents américains de 3 à 20 ans prennent des antidépresseurs ou des calmants. Le DSM non seulement reflète les normes sociales du moment, mais les renforce en les transformant en normes médicales.

Le « bon fonctionnement de l’individu », un enjeu économique

Un des critères d’une grande partie des troubles – que ce soit la schizophrénie, l’hyperactivité ou le trouble des conduites – est l’« altération significative du fonctionnement social ou professionnel ». Le choix des termes n’est pas innocent : la « fonction » d’un organe, d’un appareil ou d’un outil se rapporte toujours à une totalité subordonnante. On parle ainsi du bon ou du mauvais fonctionnement du foie ou du rein relativement à l’organisme. Parler de la « fonction » ou du « bon fonctionnement » de l’individu trahit le fait que celui-ci n’est pas une fin en soi. L’individu doit « fonctionner » correctement dans l’entité qui le subordonne : l’entreprise, l‘école, la société. C’est cela que l’Échelle d’évaluation globale du fonctionnement (EGF) du DSM-4 (datant de 1994) se propose de mesurer. Êtes-vous au « top » de  votre « fonctionnement social, professionnel ou scolaire ». Ou celui-ci subit-il une « altération importante » ou « légère » ? Si vous êtes « intéressé et impliqué dans une grande variété d’activités, socialement efficace, en général satisfait de la vie », vous avez des chances d’obtenir une note de 90 sur une échelle allant de 0 à 100…

Et votre « fonctionnement social » intéresse au plus haut point votre pays. Car pour les États, c’est leur puissance économique qui est en jeu : « L’Union européenne évalue entre 3 et 4 % du PIB les coûts directs et indirects de la mauvaise santé mentale sur l’économie », indique en 2009 le rapport du Conseil d’analyse stratégique sur la santé mentale. Invalidité, accidents du travail, absentéisme, baisse de la productivité… Autant d’impacts de la santé psychologique des travailleurs sur l’économie. Le rapport évoque les « nouveaux impératifs de prévention des formes de détresse psychologique et de promotion de la santé mentale positive ou optimale. ». Concrètement ? Il s’agit d’investir dans « le capital humain » des personnes, en dotant « chaque jeune d’un capital personnel », dès la petite enfance. Objectif : que chacun développe très tôt les « compétences clés en matière de santé mentale ». Des « aptitudes qui se révèlent in fine plus adaptées aux demandes du marché du travail », explique le Conseil d’analyse stratégique…

Le travailleur idéal : performant, invulnérable et sûr de lui

Et pour cause : l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit en 1993 ces compétences psychosociales comme « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne ». Autrement dit, « être capable de s’adapter aux contraintes sans jamais questionner le bien-fondé ou la justice de la situation, voilà ce qui est attendu de quelqu’un de « normal », résume Olivier Labouret. Le DSM reflète l’idéal transhumaniste de l’homme que l’on peut programmer et améliorer pour qu’il soit compétitif sur le marché du travail ».

Les patients les mieux « notés » sur l’Échelle d’évaluation globale du fonctionnement du DSM ont « un niveau supérieur de fonctionnement dans une grande variété d’activités » et ne sont « jamais débordés par les problèmes rencontrés ». A la plus grande satisfaction de leur employeur ! « L’homme idéal sous-jacent du DSM est performant, invulnérable et sûr de lui », poursuit le psychiatre. En cela, le DSM traduit une conception évolutionniste de la psychologie : seul l’individu « vulnérable » ou « fragile » n’arrive pas à s’adapter à la réalité socio-économique, puisque la majorité semble y arriver. »

La psychiatrie au service de la productivité ?

Ce normativisme social au service de la productivité économique n’est pas nouveau. Mais la « bible des psychiatres » applique et renforce les normes, de manière systématique et globale. Ses effets sont repérables dans toutes les institutions, bien au-delà de l’hôpital. Aux États-Unis et en Australie, les mutuelles, les tribunaux et les écoles s’y réfèrent pour étayer leurs décisions. Et les gouvernements mènent des politiques de santé publique ciblant des « catégories DSM » de la population.

En France, si le manuel n’a pas encore force de loi, sa présence s’intensifie. « On utilise en France surtout la classification de l’OMS, la Classification internationale des maladies (CIM). Mais celle-ci est quasiment calquée sur le DSM, que la Haute autorité de Santé reconnaît déjà officiellement d’ailleurs, explique Patrick Landman. Le DSM est enseigné dès les premières années de médecine. Tous les généralistes y sont donc formés. « Quant au champ de la recherche, on ne peut pas publier un article si l’on n’utilise pas les codes du DSM. Et les laboratoires, qui financent les formations post-universitaires, ne jurent que par lui. »

La violence du système néo-libéral occultée

Bon nombre de souffrances, difficultés, émotions, traits de caractère ou préférences sexuelles, se retrouvent inscrits dans le DSM, alors qu’ils ne devraient pas relever du champ médical. La grande majorité des praticiens et des patients ne songent pas à questionner le statut de ces « troubles » ainsi officialisés. Ni à remettre en cause les normes sociales qui ont présidé à la formation de ces catégories. Ce sont toujours les êtres humains qui, « inadaptés », souffriraient de « dysfonctionnements ». Ils sont invités à identifier leurs troubles et recourir à un traitement qui leur permettra de rapidement redevenir « fonctionnels »… Notamment sur le marché du travail. Une violence symbolique du système néolibéral, qui se dénie comme telle, du fait de son déplacement dans le champ psychologique et médical, déplore Olivier Labouret. « La pression normative écrasante qui en résulte, désormais occultée, empêche toute possibilité de comprendre et de réformer l’ordre du monde ».

Nous sommes désormais non plus malades, mais « mal ajustés ». Un mot de la psychologie moderne, utilisé plus que tout autre, estime Martin Luther King en 1963 : « Certainement, nous voulons tous éviter une vie mal ajustée , admet-il. Mais il y a certaines choses dans notre pays et dans le monde auxquelles je suis fier d’être mal ajusté (…). Je n’ai pas l’intention de m’ajuster un jour à la ségrégation et à la discrimination. Je n’ai pas l’intention de m’ajuster à la bigoterie religieuse. Je n’ai pas l’intention de m’ajuster à des conditions économiques qui prennent les produits de première nécessité du plus grand nombre pour donner des produits de luxe au petit nombre ».

Laura Raim

Notes

[1] Étude de 2011 publiée dans la revue European Neuropsychopharmacology

[2] Lire notamment Jean-Claude St-Onge, Tous fous ?, Ed. Ecosociété, 2013.

[3] Auteur de Tristesse business. Le scandale du DSM 5, éd. Max Milo, 2013.

[4] Auteur de l’ouvrage Le nouvel ordre psychiatrique, éd. Erès, 2012

[5] Son raisonnement est le suivant : pour qu’il y ait maladie, il faut qu’il y ait lésion. De deux choses l’une : soit il y a lésion du cerveau, il s’agit alors d’une maladie du cerveau (même si elle perturbe le comportement, comme l’épilepsie) et non pas de l’esprit. Soit il y a une souffrance mentale mais pas de lésion, alors il ne s’agit pas de maladie.

Laura Raim, Bastamag, 23 mai 2013

Avis sur la LGV Poitiers-Limoges

Avis sur la LGV Poitiers-Limoges

À l’approche de l’Enquête publique, il nous semblait opportun de faire une mise au point sur l’opposition à la Ligne à Grande Vitesse Poitiers-Limoges.

Plus qu’une simple voie ferrée, une Ligne à Grande Vitesse (LGV) est une zone exclusivement réservée au TGV. Une zone désertique que Réseau Ferré de France (RFF) cherche à prolonger, depuis 2005, sous la forme d’un branchement de la LGV Sud Europe Atlantique (SEA), vers le Sud-Est de la Vienne (Poitou-Charentes). Ce projet de barreau LGV doit s’étendre entre Poitiers et Limoges sur environ 110 km, d’ici 2020.

Or, depuis maintenant plusieurs années, des collectifs et des associations demandent l’abandon du projet et proposent de le substituer par la modernisation de la ligne TER POLT (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse). Ils interpellent les élus sur l’absurdité économique d’une infrastructure de plus de deux milliards d’euros (jugée « non-prioritaire » par la commission P. Duron), sur la destruction des terres, des paysages, du monde paysan, sur les expropriation d’habitant.e.s et la désertification des territoires ruraux etc. Mais à l’évidence, cela ne suffit pas à forcer l’abandon du projet.

Ce projet de barreau LGV est celui d’une ligne de démarcation. Il manifeste une fracture et tente d’imprimer une segmentarité toujours plus dure dans nos espaces de vie. Retranché dans l’argument lancinant de l’emploi, il participe du réaménagement et de la reconfiguration du territoire, d’une politique colonisatrice de métropolisation.

L’Enquête publique, préalable à la « déclaration d’utilité publique » du tracé de la LGV Poitiers-Limoges, se déroulera du 30 mai au 12 juillet 2013. Elle doit être pour nous l’occasion d’impulser une opposition plus farouche contre ce projet. L’élan du mouvement NO TAV¹ ne peut que nous inspirer dans cette perspective.

Le TGV ne passera pas !

Des opposant.e.s au TGV

1. Treno ad Altà Velocità, TGV en français. No TAV est un Mouvement populaire et transversal initié dans la vallée de Suse, en Italie, contre la LGV Lyon-Turin.

Liens:: http://limousin-en-tgv.over-blog.com/

Vu sur Indymedia Nantes, 18 mai 2013