[Notre-Dame-des-Landes/Cajamarca] Valls Manuel ou la continuité de l’État
Après Notre-Dame-des-Landes, le maintien de l’ordre public français s’exporte à Cajamarca
À défaut d’exceller dans la mise en œuvre d’une véritable transition énergétique, la France excelle dans un domaine bien particulier : le maintien de l’ordre public. Les résistants de Notre-Dame-des-Landes ont pu le vérifier à leur dépens, eux qui luttent contre un projet climaticide.
Objet de ce voyage ? Former la police péruvienne aux techniques d’usage graduel de la force… Un beau programme qui prend encore plus de relief quand on sait que la destination précise de cette mission n’était autre que Cajamarca.
Cette province située sur les hauts plateaux andins du nord du Pérou est un lieu symbolique pour les défenseurs de l’environnement : depuis plusieurs années, la population locale lutte contre le projet d’une multinationale péruvienne-états-unienne qui envisage d’exploiter, à Conga, tout près de Cajamarca, une gigantesque mine d’or et de cuivre.
L’ouverture de ce méga projet minier aura des conséquences incalculables en menaçant gravement l’écosystème hydrique de la région ainsi que l’accès à l’eau potable de se habitants. Symbole de la politique extractiviste à l’œuvre dans cette partie du monde connue pour les richesses de son sous-sol, Conga est aujourd’hui l’un des conflits social-environnementaux majeurs en Amérique latine. Et aussi l’un des plus violents. En juillet dernier, 5 personnes ont trouvé la mort lors d’une manifestation et une vingtaine d’autres ont été gravement blessées par les balles de l’armée et la police.
Et c’est donc au beau milieu de ce conflit que l’excellence policière française a décidé de faire étalage de sa science, en matière, rapporte la dépêche AFP, d’utilisation “de la force pour contrôler des manifestations mais en respectant les droits humains fondamentaux”. Ouf, nous voilà rassurés, c’est donc une mission humanitaire que nos pandores ont réalisé pendant trois semaines. Peut-être serait-il bon d’interroger d’autres opposants, ceux de Notre-Dame-des-Landes par exemple, sur le traitement humaniste appliqué par les 500 militaires depuis un mois dans le bocage nantais…
Mais il y a mieux … ou pire ! Car cet alibi de l’excellence française était précisément le même que celui employé une certaine Michèle Alliot-Marie il y a presque deux ans, lors du soulèvement démocratique tunisien.
Souvenez-vous : alors que la répression s’abat sur le peuple tunisien, l’ex ministre des Affaires étrangères, droite dans ses bottes, lance à l’Assemblée nationale que “le savoir-faire, reconnu dans le monde entier, de nos forces de sécurité, permet de régler des situations sécuritaires de ce type”. Et d’ajouter aussitôt que “C’est la raison pour laquelle nous proposons effectivement à l’Algérie et la Tunisie de permettre dans le cadre de nos coopérations d’agir pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l’assurance de la sécurité.”
Des propos qui avaient suscité aussitôt l’ire du parti socialiste et d’un certain Jean-Marc Ayrault alors président du groupe PS à l’Assemblée qui déclarait, rouge de colère : “Voilà la parole officielle du gouvernement devant les députés (…), je trouve que c’est ignoble de dire ça à l’égard d’un peuple qui souffre”.
Presque deux ans ont passé et les socialistes ont désormais une vision nouvelle de la souffrance des peuples. De Notre-Dame-des-Landes à Cajamarca, la realpolitik économique et sécuritaire à laquelle se sont convertis Ayrault et Valls ne s’embarrasse plus de vagues considérations sur les droits de l’homme ni sur l’environnement…
L’escapade péruvienne de nos représentants de l’excellence sécuritaire française permet de vérifier une nouvelle fois le double langage perpétuel de celles et ceux qui nous gouvernent. Comment nous faire croire que la transition énergétique est une priorité nationale quand la seule réponse à des conflits environnementaux consiste à employer la force ou à dispenser des cours de maintien de l’ordre ?
Au Pérou comme à Notre-Dame des Landes, c’est le rêve d’un autre rapport à la nature, à la richesse, qui se joue. Les industries extractivistes, clé de voûte de l’économie ultra libérale dopée aux énergies fossiles l’a bien compris et œuvre donc, en coulisse, pour convaincre par tous les moyens nos gouvernements de ne surtout pas enrayer la belle mécanique.
Les socialistes avaient l’occasion de faire pencher la balance de l’autre côté, de changer de paradigme et d’aller vers une société débarrassée des scories du XXe siècle. Hélas, 6 mois après leur arrivée au pouvoir, de Fillon à Ayrault et d’Alliot-Marie à Valls, il n’y a que les visages qui changent, la politique, elle, reste la même.
Alternatives au développement extractiviste et anthropocentré, 2 décembre 2012
Vu sur le Jura Libertaire, 5 décembre 2012