[Tours] Compte-rendu du Week-end de lutte contre leurs méga-projets

Compte-rendu du Week-end de lutte contre leurs méga-projets

Nous ne pourrons jamais comprendre le sens de quelque chose, de quelques phénomènes, si nous ne savons pas quelles sont les forces qui s’approprient ces choses, qui les exploitent, ou s’en emparent. Plutôt que d’en rester au constat d’un territoire quadrillé, occupé à réaménager la permanence de ses dispositifs de contrôle, c’est bien plus l’architecture du pouvoir qu’il nous faut autopsier, interpréter.

L’apparente neutralité des projets d’urbanisation, qu’ils soient ou non dans une perspective de développement durable, masque difficilement la violence avec laquelle ils nous sont imposés. Les exemples récents de résistance contre l’aéroport de Notre-Dame-Des-Landes, des « No-TAV », ou des « anti-THT » nous révèlent, et nous rappellent avec quelles intensités nous devons faire face à une militarisation du territoire et de nos quotidiens.
Cette rationalisation optimale et coercitive de l’espace, vise à nous faire admettre, ou plus concrètement à nous soumettre aux principes de l’ordre dominant. La métropole et le désert sont comme des formes uniques et omniprésentes. Une ligne d’horizon qui ne tolère pas de variété, mais seulement l’unicité et la conformité.
Les 4 ateliers développés lors de ce « W.E. de lutte » ont permis d’analyser ces différents thèmes. Les débats qui ont eu lieu, nous ont donné l’impression qu’il serait trop simple de les achever avec le sentiment d’avoir rendu perceptible l’action du pouvoir, comme de ceux qui luttent. Nous souhaitons que ces réflexions permettent de concrétiser quelques pistes d’applications pratiques…
« Appelés par ce que nous appelons, l’extraordinaire commence au moment même où nous nous arrêtons. »
Atelier « Dans un espace normalisé et aseptisé, comment résister en créant ? »
A partir de quatre concepts d’urbanisme présentés rapidement (la spécialisation de l’espace (zoning), la régulation sociale de l’espace et notamment son embourgeoisement (gentrification), la normalisation de l’espace (normes et standards de la production urbanistique contemporaine) et le contrôle de l’espace (prévention situationnelle), nous dressons le portrait d’une ville dans laquelle il est de plus en difficile de développer des modes de vie hors carcan (le squat mais pas seulement : SDF, zonards, manifestations classiques ou tentatives de réappropriation de l’espace public sont rapidement chassés de l’espace urbain qui doit être propre, maîtrisé, sans accrocs). Comment nos actions peuvent elles nous permettre de résister à cet espace normé et aseptisé et, mieux, permettre d’en créer d’autres.
A partir de retours d’expériences militantes diverses comme celle de « Débattons dans les Rues » (réappropriations de la rue avec des gens d’horizons différents : gratuité ; volonté de créer quelque chose dans l’espace public ; paroles boxées, débats, zones de gratuité, porteurs de paroles), celle, italienne, du marquage régulier de l’espace public (par des tags ou des graphs récurrents annonçant la tenue d’une action ou simplement permettant une inscription dans l’espace public), celle, allemande, du Mithausen Syndikat (achat collectif de lieux alternatifs) et bien d’autres (expériences de squat, jeu sur les lieux aux marges privés, publics, communs), nos discussions font rapidement émerger deux enjeux : la nécessité de créer et de faire vivre des lieux alternatifs et celle de se saisir de lieux publics pour s’y inscrire et se les approprier.
Un objectif se dégage de nos discussions : lier appropriation de l’espace public (extérieur) et de l’espace privé publicisé (intérieur) dans une démarche globale. Nous établissons qu’il est nécessaire d’être présents dans l’espace public mais aussi d’avoir des lieux pour se réunir, penser et s’organiser et plus pragmatiquement mettre en pratique des idées et les partager avec ceux qui le souhaitent. Pour se faire, il semble nécessaire de réfléchir aux temporalités de nos actions, puisque nos techniques d’appropriation de l’espace intérieur (le squat pour l’essentiel) ne résistent généralement pas à la répression plus de quelques jours, investir l’espace public avant d’envisager de s’installer à l’intérieur afin de s’inscrire dans une dynamique impliquant au-delà de nos seuls cercles militants semble une idée à développer. Ceci pose la question de savoir ce qu’habiter un espace veut dire : habite-t-on un lieu, quel qu’il soit, parce qu’on y réside ou plutôt parce qu’on l’occupe, le mobilise, le transforme ? Et, conséquemment : comment pouvons nous inscrire durablement dans un lieu public afin de rendre notre présence incontournable ? Autrement dit, comment pouvons nous transformer des actions souvent éphémères en une logique cohérente signant la permanence de notre présence ? S’inscrire dans la mémoire des lieux et dans leur existence sociale est une nécessité : on fait comment ?
L’atelier se conclue sur la volonté de poursuivre la réflexion et de la traduire en actes sur un ou des lieux de Tours, rendez-vous sont pris pour tester des choses
Atelier « Echographie de collectivité en lutte » :
Projection d’un court-métrage sur « l’Hétérotopie ».
Comme dans une famille, il y a dans les collectivités une volonté de transmission de mémoires sur courte et longue durée. Mais à la différence de la famille l’engagement est électif (a-t-on vraiment toujours le choix?).
Question des rôles de chaque individu : reproduction de la division du travail social au sein de la collectivité. Reproduction des déterminismes qui pose la question : est-ce qu’on masque des inégalités profondes dans ce type de communauté ?
« Il faut pousser l’individu jusqu’à émanciper ses problématiques personnelles et se libérer des codes sociaux et de ces déterminismes ».
On remarque une certaine uniformité dans l’origine, le parcours des membres de ces collectivités. L’entrée dans le groupe est en quelque sorte prédéfinie par une situation sociale.
L’affect est primordial, on recherche une communauté d’idée (par exemple une certaine notion de l’égalité).
Rapport de méfiance à l’extérieur / protection des individus dans le « clan ».
Chacun occupe un rôle définit qui peut être enfermant (avec comme solution la sortie de la communauté). Quelle place laisse-t-on alors au choix ?
Nécessité de se poser la question du type d’égalité : Egalité sérielle : valorisation de certains rôles. Équivalence des rôles : possibilité de changer de rôle sans perdre sa place dans la collectivité, sa valeur pour la communauté.
Problème de la dépendance vis à vis des personnes qui jouent un rôle important dans la collectivité. Comment faire quand surgit un problème psychiatrique par exemple ? Finit souvent par l’exclusion de la personne. Problème de la surprise : changement brutal qui produit, révèle, un « mal communautaire ».
Mais la collectivité peut aussi permettre une prise en charge de la personne. Il faut alors éviter l’infantilisation, la reproduction d’une domination.
La création du collectif comme « contrat social » ? Faut-il privilégier les règles formelles ou informelles ? Les règles formelles permettent une lisibilité qui offre la possibilité à l’individu de « ne pas se laisser absorber par le groupe ».
« On cherche la liberté pour tous », mais comment gérer le fait que d’un côté la collectivité gène l’extérieur, et qu’au sein même de la collectivité, l’individu puisse gêner ? « Schizoïde ».
Texte (de F. Tosquelles) sur la résistance qui créé un « entre soi » avec des gens différents (exemple d’un asile sous l’occupation, entre psychiatres, résistants, et psychiatrisés).
Problème des prises de paroles : nécessité de dynamisme et de parler des rôles et des déterminismes pour les bouger. Par exemple problème des genres : exemple du texte « La communauté terrible »- les femmes doivent-elle se « viriliser » ? Ou peuvent-elles conserver des spécificités de genre ? Nécessité de discuter des rôles genrés pour les déconstruire.
« C’est comment on vit le problème, comment on le pense » du coup nécessité de regarder d’autres collectivités, d’autres façons de faire.
Atelier « Désertion et nomadisme : mouvements et perceptions du pouvoir » :
Problématique principale autour du constat d’Anna Ahrendt : la forme impériale de l’État-nation s’est répandue et se reproduit plus ou moins à l’identique sur tous les territoires… Existe-t-il encore des marges pour d’autres formes d’organisation sociale ? Quelles perspectives pour les luttes qui ne souhaitent pas s’intégrer au pouvoir (à la différence du réformisme, de l’interventionnisme institutionnel, etc …) ?
Deux exemples d’organisations de luttes nomades : la Smala d’Abdelkader (capitale itinérante Algérienne en résistance contre la colonisation française), et la création de l’ELZN (la force zapatiste).
Qu’est ce qui distingue ces formes d’organisations, de la création d’un appareil d’État ? Mise à distance de la théorie de Sartre (« La république du silence ») qui pense que se sont les deux faces d’une même pièce, et que la vocation des machines de guerre nomades est de prendre le pouvoir.
Analyse de P. Clastre sur la notion de guerre, comme moyen de conjurer la formation d’appareil d’État.
Le problème des sciences mineures, comme devenir nomade : analyse des travaux d’Anne Quirien sur les compagnonnages et les bâtisseurs d’églises gothiques. Leurs rapports fondamentalement différents à la construction : plan à même le sol par opposition au plan métrique hors chantier de l’architecte, formation interne par initiation, etc… Nécessité pour l’appareil d’État de gérer et de fixer les corporations, de faire passer dans toutes les divisions du travail la distinction de l’intellectuel et du manuel. Nécessité d’une déqualification du travail, et du recours à une main d’œuvre forcée…
Actualité des formes de vies nomades : Les machines de guerre nomades se constituent à la fois par un phénomène de « désertion » et leurs capacités à «faire peuple » dans un en-dehors de l’appareil d’État.
Problème, ou pas, de la confusion entre nomadisme et parasitisme… (deux textes : A. Brossat « Nous sommes tous des voleurs de poules roumains » sur les pratiques de désertion d’une partie de la jeunesse, et du vol comme « science du dispositif »)
Si le nomadisme est l’apologie du mouvement, de la flexibilité, il peut, s’il se décharge de son potentiel de lutte et de résistance, tout à fait être soluble dans le capitalisme à l’image de la fuyante main invisible du marché.
Questions/critiques autours de la capacité et de la pertinence à habiter un en-dehors de l’A. D’État. Critiques de l’alternativisme et nécessité toutefois de réaliser des expériences collectives et sociales « autres ». Discussions autour du nomadisme, de la désertion, et de la constitution d’un sujet politique en-dehors du concept du sujet-citoyen. Rapport de positivité, ou de perte de négativité vis à vis des conflits qui traversent la société ? Nouvelles formes de luttes sensibles face à un milieu social et un quotidien toujours plus conformiste, et répressif.
Atelier « guide juridique d’autodéfense face aux expulsions » :
Nous avons décliné cet atelier en deux parties : une première concernant les expulsions locatives et sans droit ni titre, et une seconde sur les expulsions d’habitats légers.
En ce qui concerne les expulsions locatives et sans droit ni titre, nous avons essayé de décrypter les différents textes de lois, et de synthétiser le sens de ceux-ci. Nous avons discuté autour des différentes manières de se défendre juridiquement face à une expulsion, en essayant d’inclure les conséquences juridiques. Différents exemples ont été présentés par des individus ayant eut des expériences juridiques dans ce domaine.
Par manque de temps, nous avons pas pu parler des expulsions habitats légers.
Nous avons essayer de réfléchir à la création d’un outil, selon différents supports (papiers, site internet, blog…) qui permette à la fois de clarifier certaines notions juridiques, tout en y mêlant des astuces pour contourner, gagner du temps, etc… À travers cet outil, il nous semble surtout indispensable de mettre à la fois en perspective le juridique et les moyens de lutte.

thanksforthefuture@yahoo.fr

Indymedia Nantes, 5 novembre 2012

[Notre-Dame-des-Landes] César patauge

NdPN : Après un week-end tranquille, les habitant-e-s de la ZAD se préparent pour une quatrière semaine de siège. L’opération « César » patauge, les habitant-e-s continuent de reconstruire barricades et cabanes au fur et à mesure des opérations policières.

Le pote de l’Ena de François Hollande, ancien directeur de la caisse de dépôts et consignations, après sa première lettre qui a beaucoup circulé, expliquant pourquoi il fallait abandonner l’aéroport grand ouest à NDDL, remet une couche ce jour (voir article ci-dessous). Le ministre délégué au Budget, Jérôme Cahuzac, s’exprime contre les partenariats public-privé (PPP) qui coûtent selon lui « trop cher sur le long terme », dans un entretien au journal Acteurs Publics publié lundi 29 octobre. La presse régionale a changé de ton depuis le milieu de cette semaine, elle relaie de + en + les positions contre l’aéroport, ses chroniqueurs confirment la charge.

Bref le vent tourne, et c’est le moment d’enfoncer le clou. Tou-te-s à Notre-Dame-des-Landes pour la manif de réoccupation du 17 novembre !

Notre-Dame-des-Landes. «Ayrault doit reconnaître que c’est une erreur »

Voir vidéo sur le site

Dans une lettre ouverte à François Hollande adressé le 30 octobre, l’énarque Patrick Warin a dit sa farouche opposition au projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. En exclusivité pour Ouest-France, il revient sur cette mise en garde adressée à son compagnon de l’ENA.

« Cet aéroport ne verra pas le jour »

« Je pense sincèrement que cet aéroport ne verra pas le jour, affirme Patrick Warin, ancien directeur à la Caisse des dépôts et consignations. C’est un projet d’un autre temps. Jean-Marc Ayrault aurait une belle carte à jouer en proposant une alternative à ce projet. En prolongeant, par exemple, la ligne TGV jusqu’à l’aéroport actuel. Cela aurait beaucoup plus de sens que goudronner le bocage. Un vrai démocrate se grandirait à reconnaître son erreur. À considérer que l’idée qu’il a eue, aussi pertinente qu’elle ait été, ne l’est plus. »

« Une lutte citoyenne respectable »

Patrick Warin revient sur la lettre qu’il a adressée à  François Hollande, son «camarade de promo de l’ENA». «J’ai fait sa campagne, raconte Patrick Warin.  Mais là, j’ai été choqué par les expulsions récentes, à Notre-Dame-des-Landes, avec l’usage d’une force brutale. Sympathisant socialiste de longue date, j’attendais d’un gouvernement de gauche un comportement différent face à une lutte citoyenne respectable. Cette lettre, je l’ai écrite avec mes tripes. Habitant Pouancé, dans le Maine-et-Loire, je connais ces gens qui se battent contre le projet d’aéroport. »

Ouest-France, 4 novembre 2012

[Poitiers] Témoignage de Farfa

Témoignage de Farfa

Moi Farfa , sain de corps et quelque fois d’esprit déclare avoir subi violence, menace et avoir été atteint dans mon intégrité physique et morale par les services de police de Poitiers. En effet, le matin du premier novembre je suis arrêté vers 5 heures du matin et aussitôt menotté par la police (pour une raison qui n’est pas à être citée ici, car ce n’est pas le sujet) et mon chien conduit à la SPA après avoir répété plusieurs fois que des amis pouvaient me le garder. Arrivé au comico et après quelques échanges verbaux, je me retrouve collé au sol par quatre flics, pour qu’à l’aide d’une pince Monseigneur, une cinquième puisse me couper mon ateba et une dreadlocks. En me débattant, je met accidentellement un léger coup au niveau du tibia de celle-ci, s’en suit un coup de point sur ma tempe et un resserrage de leur étreinte leurs permettant d’utiliser leur outil, car en effet il semblerait que j’aurais pu me pendre avec mon ateba et causer certains dommage au matériel de l’état avec les boulons accrochés à mes dreads (une dread à donc été coupé pour cette raison alors que les autres boulons ont étaient enlevés à la main). Serait-ce de l’acharnement ? Fort de leurs exploits matinaux l’un des flics n’hésite pas à la fin de ma garde à vue à me menacer devant d’autres citoyens et d’autres flics en expliquant que l’on se reverrait lorsqu’il sera en civil et que ce ne sera pas la même chose, en effet il semblait vouloir gagner un combat face à ma personne. Dès le lendemain, des amis et moi même subissons un contrôle en sortant de chez l’un d’entre eux et l’un de nous ce fait clairement tâter les couilles. Simple hasard ?

Combien de temps encore subiront nous violence, haine et abus de la part des services de police…? Je demande à tous ceux victimes d’abus, quel qu’ils soient, de saisir l’occasion, lundi 5 novembre à 14H30 de venir faire entendre leurs voix devant le commissariat central de Poitiers, sans violence.

Farfa …

Vu sur DAL 86, 4 novembre 2012

NdPN : voir aussi l’appel du DAL 86 au rassemblement.

Claus Peter Ortlieb – Travail forcé et ethos du travail

Travail forcé et ethos du travail

Les méthodes de production modernes ont rendu possibles le confort et la sécurité pour tous ; à la place, nous avons choisi le surmenage pour les uns et la famine pour les autres. Jusqu’à présent nous avons continué à déployer la même activité qu’au temps où il n’y avait pas de machines ; en cela nous nous sommes montrés stupides, mais rien ne nous oblige à persévérer éternellement dans cette stupidité.

Bertrand Russell, Eloge de l’oisiveté, 1932

1Quatre-vingt ans et une crise économique mondiale plus tard, notre intelligence n’a manifestement guère progressé, au contraire : si depuis lors la productivité du travail dans l’industrie et l’agriculture s’est vue grosso modo décuplée, on ne peut pas dire qu’elle ait apporté à tous confort et sécurité. L’Europe, qui certes, pour le moment, s’est sort encore relativement bien, assiste à une hausse record de son taux de chômage. Quant aux quelques îlots qui demeurent compétitifs au plan global, ils luttent depuis des années déjà contre les nouvelles pandémies provoquées par la contraction progressive de l’offre de travail : du burn-out-syndrom1 à la mort subite due au surmenage en passant par la consommation routinière de produits psychopharmaceutiques.

2Gardons-nous cependant d’imaginer que cette ardeur excessive au travail constatée par Russell ne serait rien d’autre qu’une habitude devenue obsolète et qu’il nous suffirait de laisser tomber – une habitude héritée du temps où il n’y avait pas de machines. Au Moyen Age, où le travail comme fin en soi était chose inconnue, on travaillait en fait moins qu’aujourd’hui. La raison en est simple : le travail tel que nous l’entendons, c’est-à-dire la dépense abstraite d’énergie humaine indépendamment de tout contenu particulier, est historiquement spécifique. On ne le rencontre que sous le capitalisme. Dans n’importe quelle autre formation sociale, l’idée aujourd’hui si universellement répandue selon laquelle « un travail, quel qu’il soit, vaut mieux que pas de travail » aurait paru, à juste titre, complètement délirante.

3Ce délire est le principe abstrait qui régit les rapports sociaux sous le capitalisme. Si l’on fait abstraction des activités criminelles, le travail – qu’il s’agisse du nôtre ou de l’appropriation de celui d’autrui – est pour nous l’unique moyen de participer à la société. Mais, en même temps, il ne dépend pas du contenu de l’activité en question ; que je fasse pousser des pommes de terre ou que je fabrique des bombes à fragmentation n’a aucune importance, du moment que mon produit trouve un acheteur et transforme ainsi mon argent en davantage d’argent. Base de la valorisation de la valeur, le travail constitue une fin en soi et un principe social contraignant dont l’unique but consiste à accumuler toujours plus de « travail mort » sous forme de capital.

4Une contrainte à laquelle tout est soumis dans la même mesure ne se maintiendra durablement qu’à condition que ceux qu’elle ligote apprennent à aimer leurs chaînes. En cela aussi la société bourgeoise se distingue des précédentes. D’Aristote à Thomas d’Aquin en passant par Augustin, les philosophes de l’Antiquité et du Moyen Age ont célébré l’oisiveté – et surtout pas le travail – comme la voie menant à une vie heureuse2 :

Au dire de la plupart des hommes, le bonheur ne va pas sans le plaisir.

Aristote (384 – 322 av. J.C.), Ethique à Nicomaque

L’apprentissage de la vertu est incompatible avec une vie d’artisan et de manœuvre.

Aristote, Politique

Quittons ces vaines et creuses occupations : abandonnons tout le reste pour la recherche de la vérité.

Augustin (354 – 430 ap. J.C.), Les Confessions

Absolument et de soi la vie contemplative est plus parfaite que la vie active.

Thomas d’Aquin (1125 – 1274), Somme théologique

5D’autres ne seront pas du même avis, tels par exemple les fondateurs de certains ordres monastiques qui verront dans le travail un moyen d’atteindre l’ascèse et l’abstinence. Mais c’est seulement au protestantisme qu’il reviendra d’en faire un principe à grande échelle, appliqué à l’ensemble de la population :

L’oisiveté est péché contre le commandement de Dieu, car Il a ordonné qu’ici-bas chacun travaille.

Martin Luther (1483 – 1546)

6Et les Lumières n’auront de cesse d’élever l’ethos du travail, autrement dit l’obligation morale de travailler, au rang de fin en soi :

Il est de la plus haute importance que les enfants apprennent à travailler. L’homme est le seul animal qui doit travailler.

Kant, Réflexions sur l’éducation, 1803

La plus grande perfection morale possible de l’homme est de remplir son devoir et par devoir.

Kant, Principes métaphysiques de la morale, 1797

Il n’existe qu’une seule échappatoire au travail : faire travailler les autres pour soi.

Kant, Critique du jugement, 1790

De ces trois vices : la paresse, la lâcheté, la fausseté, le premier semble être le plus méprisable.

Kant, Anthropologie d’un point de vue pragmatique, 1798

Que l’on s’informe tout particulièrement sur les personnes qui se distinguent par une conduite indigne ! On découvrira invariablement soit qu’elles n’ont pas appris à travailler, soient qu’elles fuient le travail.

Fichte, Discours à la nation allemande, 1807

7Comme il apparaît déjà dans les dernières citations, l’amour du travail s’avère étroitement lié à la haine des oisifs :

Chacun doit pouvoir vivre de son travail, dit un principe avancé. Ce pouvoir-vivre est donc conditionné par le travail et n’existe nullement là où la condition ne serait pas remplie.

Fichte, Fondement du droit naturel, 1796

Dans les pays chauds, l’homme est mûr plus tôt à tous égards mais n’atteint pas la perfection des zones tempérées. L’humanité dans sa plus grande perfection se trouve dans la race blanche. Les Indiens jaunes n’ont que peu de capacités, les Noirs leur sont bien inférieurs encore, et au plus bas de l’échelle se placent certaines peuplades américaines.

Kant, Géographie physique, 1802

Le barbare est paresseux et se distingue de l’homme civilisé en ceci qu’il reste plongé dans son abrutissement, car la formation pratique consiste précisément dans l’habitude et dans le besoin d’agir.

Hegel, Principes de la philosophie du droit, 1820

8Ces propos excluants et racistes sous la plume des philosophes des Lumières ne sont nullement de simples accidents de parcours mais relèvent au contraire de l’essence même de l’idéologie du travail. Parce que ce courant de pensée transfigure le travail en véritable but de l’existence de « l’homme », tous les désœuvrés se voient par contrecoup exclus de la « race humaine » : l’homme est tenu de travailler ; partant, celui qui ne travaille pas ne peut prétendre au statut d’être humain à part entière.

9Ce qui s’exprime ici, c’est la colère du bourreau de travail blanc envers la pression qu’il s’est lui-même imposée, une colère qui prend pour cible tout ce qui fait mine de ne pas se soumettre à ladite pression et de mener une existence oisive : les femmes, en charge de la « vraie vie » au sein de la sphère privée – dissociée du travail – de la famille bourgeoise ; toutes sortes de peuples (les attributions sont, cette fois, plus variées) vivant, sans travailler, d’amour et d’eau fraîche ; ou encore le « capital accapareur3 », qui s’approprie sans travailler la survaleur créée par d’autres. Les idéologies modernes du sexisme, du racisme, de l’antitsiganisme et de l’antisémitisme sont fondées, elles aussi, sur l’ethos du travail.

10À partir des années 1970, en faisant disparaître du procès de production des quantités toujours croissantes de travail, le potentiel de rationalisation de la microélectronique a plongé le capitalisme dans la crise. Pour autant, la pression intérieure et extérieure qui pousse les hommes à travailler n’a pas diminué mais s’est même au contraire accentuée à mesure que se raréfiaient les « emplois ». Pour les laissés pour compte, les conditions se sont durcies : ils sont désormais trop nombreux pour que leur entretien humain reste longtemps encore compatible avec le maintien de la compétitivité au plan global. La « nécessité incontournable de ramener les hommes au travail » (Angela Merkel) ne fait qu’obscurcir la perception du problème : la responsabilité du chômage ne serait plus imputable à la disparition progressive du travail mais aux chômeurs eux-mêmes, qu’il faudrait par conséquent ramener, par tous les moyens de coercition dont on dispose, à un travail qui n’existe plus. Quelque chose de semblable se déroule également au niveau européen : on impose aux « pays en faillite » restés à la traîne de l’Europe des politiques d’austérité grâce auxquelles ils sont censés, une fois cette pénible épreuve traversée, redevenir compétitifs. C’est aussi crédible que si la Fédération allemande de football prétendait, par un entraînement approprié, hisser tous à la fois les dix-huit clubs de la Bundesliga4 aux quatre places possibles en Ligue des champions5.

11Il n’y a manifestement d’issue que dans l’abolition du travail, mais cela implique bien sûr d’abolir également le capitalisme. S’y oppose en outre notre ethos du travail, fruit de plusieurs siècles de dressage :

D’aucuns diront qu’il est certes agréable d’avoir un peu de loisir, mais que les gens ne sauraient pas comment remplir leurs journées s’ils n’avaient à travailler que quatre heures par jour. Dans la mesure où cela est vrai dans le monde moderne, cela constitue un reproche adressé à notre civilisation ; à toute autre époque antérieure, ce n’aurait pas été le cas.

Bertrand Russell, Eloge de l’oisiveté, 1932

12Le sort que Hegel assignait aux « barbares » nous revient donc : celui qui est sans emploi n’a plus qu’à rester « plongé dans son abrutissement ». Autrement dit : si le sujet bourgeois répugne tellement à imaginer sa vie sans le travail, c’est aussi parce que derrière son ethos du travail rôde la peur panique de sa propre vacuité.

Notes

1 NDT: Syndrome d’épuisement professionnel.

2 On trouvera cette citation et presque toutes les suivantes sur le très intéressant site internet www.otium-bremen.de

3 NDT: Allusion à la vision nazie (mais qui est aussi celle d’une partie de la gauche) opposant un bon capital créateur (schaffende Kapital) à un mauvais capital accapareur (raffende Kapital).

4 NDT: Le championnat fédéral allemand.

5 NDT: Le championnat européen.

Claus Peter Ortlieb, Traduction de  Sînziana

Vu dans Variations, revue internationale de théorie critique, 15 octobre 2012

[Notre-Dame des Landes] Infos du dimanche 4 novembre.

NdPN : Un article sur la situation relativement calme du week-end, et un vieil article de Sud-Ouest donnant l’avis de pilotes sur le projet de deuxième aéroport.

Les forces de l’ordre abandonnent NDDL pour le week-end

Pour tout le week-end, la préfecture a décidé de stopper les opérations d’expulsion sur la ZAD, l’aire prévue pour le projet aéroportuaire à Notre-Dame des Landes. Une trêve bienvenue après l’intervention policière hier au Tertre, dans une atmosphère très tendue.  Officiellement, il s’agit de préserver la sécurité des intervenants sur le site, tant des forces de l’ordre que des agents administratifs et des sociétés qui déblaient les routes ou assurent les démolitions. Explication pour masquer un flottement politique ou préparer une opération surprise? L’avenir seul nous le dira.

En fait, les forces de l’ordre sont tombées sur un os. Ou plutôt des arbres. Les militants ont pris l’habitude, pour retarder la progression des forces de l’ordre, d’abattre des arbres sur les bordures de la D 281 (route des Ardilières à la Paquelais) et de la D81 (route des Ardilières à Vigneux, au centre de la ZAD), barrant ainsi ces routes.  Chaque fois que cela se produit, la Préfecture fait appel aux services du Conseil Général, qui déblaient les voies. Puis de nouveaux arbres sont abattus, ou des barricades érigées, et ça recommence indéfiniment.

La démesure de l’évacuation de la ZAD fait réagir

Or, hier, les agents de la DDE sont intervenus dans une atmosphère hyper-tendue, à plusieurs reprises dans la journée. Un des agents aurait, d’après la préfecture de Loire-Atlantique, reçu un projectile. « Les agents ont donc demandé à leur hiérarchie de lever le pied, en faisant valoir leur droit de retrait, et d’espacer leurs interventions. En accord avec les services du Conseil Général, nous avons décidé de ne pas dégager les routes D81 et D281 ce week-end. Elles le seront à nouveau à la reprise des opérations d’évacuation des lieux occupés illégalement lundi. », nous explique Patrick Lapouze, directeur du cabinet du Préfet de Loire-Atlantique.  Par conséquent, « si les routes sont barrées, ce ne sera pas le fait des forces de police, mais des opposants ». En semaine, à partir de cinq à sept heures du matin, le périmètre de la ZAD est entièrement bouclé à l’extérieur, pour les grands axes, par la police.

Cependant, si une occupation illégale est constatée dans le week-end, les forces de l’ordre se fraieront un passage pour « faire cesser le trouble et rétablir la légalité républicaine », déclare P. Lapouze. Une occupation illégale… comme hier au Tertre, maison dont la destruction prévue pour le 15 novembre a été avancée par le Préfet sur le conseil de P. Lapouze « pour éviter de mettre en danger les gendarmes et les opposants », les forces de l’ordre étant intervenues deux fois sur le site au cours de la journée.

Sept interpellations ont été faites dans la soirée d’hier, pendant la démolition du Tertre. Quatre personnes ont été relâchées vers 23h30 par la gendarmerie de Blain, une un quart d’heure plus tard au même endroit. Un a été libéré par Blain ce matin et un dernier, transféré à St Nicolas de Redon, est ressorti libre et exempté de poursuites à midi. Les autorités tant civiles (préfecture) que judiciaire tiennent à calmer le jeu : moins il y a de tension autour de NDDL et moins il y a de couverture médiatique, et plus cela sert les expulsions.

Malgré les affirmations de la préfecture, un trouble s’installe. Cette trêve semble arrachée aux forces de l’ordre par l’obstination des opposants à l’aéroport et pourrait dénoter un flottement politique de la part d’Ayraultbespierre. La démesure de l’opération de l’évacuation de Notre-Dame des Landes apparaît de plus en plus crûment dans les médias nationaux et locaux, qui, les uns après les autres, rompent le black-out et se saisissent de l’affaire Notre-Dame des Landes, dans un contexte général très défavorable au gouvernement.

La Préfecture dément toute hésitation. Imperturbable, Patrick Lapouze déclare d’un ton décidé « nous interviendrons partout où il faudra rétablir la légalité, faire appliquer les décisions du peuple français, notamment de faire l’aéroport ». Et même si cela prendra des mois ? « Nous prendrons le temps qu’il faut et userons de tous les moyens légaux sans exception pour mettre fin aux occupations ». Une belle détermination qui risque de prendre fin à la première grosse bavure. En attendant, pendant deux jours, les salamandres peuvent bronzer tranquilles. Le troisième aéroport de Paris prend du retard, mais Notre-Dame des Landes plage, c’est maintenant.

Breizh journal, 3 novembre 2012

Des pilotes : un nouvel aéroport pour quoi faire ?

Entretien

Ces deux commandants de bord appartiennent à une compagnie aérienne basée à Nantes. L’un d’eux est représentant du personnel. Ils ont souhaité garder l’anonymat.

Que pensent les pilotes du projet d’aéroport à deux pistes parallèles envisagé à Notre-Dame-des-Landes, au nord de Nantes ?

Ça ricane. On se moque des hommes politiques décidés à construire un projet pharaonique, un grand aéroport de l’Ouest à quatre millions de passagers, dans un contexte où, au mieux, hors crise, le trafic en Europe ne progresse que de 1 %. Contrairement à l’Asie, qui fait des scores à 5 % et plus.

Pourquoi ces moqueries ?

Parce qu’à Londres-Gatwick, le dixième aéroport du monde, qui accueille 34 millions de voyageurs, il n’y a qu’une piste, comme à Nantes, où on n’en a que 2,7 millions. Et ne parlons pas de Genève, où l’on n’a qu’une piste et du relief autour.

Que répondez-vous à ceux qui avancent le danger du survol de Nantes ?

Pourquoi cet argument aujourd’hui, alors qu’on survole Nantes depuis trente ans sans incident, hormis cette histoire de charter perdu (1) ? Lorsqu’on se pose à Londres, on longe la Tamise. On survole aussi Amsterdam, Paris, Toulouse…

Construire un nouvel aéroport, c’est quand même diminuer les risques, non ?

Si on veut dépenser des sommes folles pour cette seule raison du survol de Nantes, alors c’est légitime, car on ne peut, pour l’instant (mais la technique évolue vite), éviter la ville avant l’atterrissage.

Nous nous posons toutefois des questions : pourquoi ne nous permet-on pas de faire une approche à vue par beau temps ; ça éviterait de survoler toute la ville ? Pourquoi l’aéroport actuel ne s’est-il pas équipé d’un deuxième ILS, un instrument électronique très précis de navigation pour l’atterrissage, qui nous permettrait une approche de précision et une sécurité béton en survolant Nantes ?

Notre-Dame-des-Landes n’offre-t-il pas l’occasion de drainer une nouvelle clientèle dans l’Ouest et au-delà ?

Allons, ce n’est pas un nouvel aéroport qui nous donnera une liaison régulière Nantes-San Francisco ! On réduit la toile partout. Le trafic ne va pas redémarrer comme en 14… On n’est pas dans une crise passagère, comme celle de l’après-11 Septembre. Et on pourrait bien avoir Notre-Dame-des-Landes et les compagnies à bas coûts, comme Ryanair, ailleurs, car elles ne voudront pas payer les taxes aéroportuaires. Et que deviendra l’aéroport de Rennes avec cette concurrence nouvelle ? Et l’aéroport d’Angers, qui n’accueille même pas une seule compagnie aérienne régulière ?

Les deux pistes ne sont-elles pas une chance de développement économique ?

Deux pistes, c’est du délire ! Le trafic ne le justifie pas. Il y a plein d’endroits où les pistes moisissent. À Bordeaux, on n’utilise plus la deuxième piste. À Metz-Nancy, on a une piste magnifique créée il y a quinze ans, mais personne n’y va.

Et que répondez-vous aux riverains de Nantes-Atlantique qui souffrent du bruit et veulent le transfert ?

Les avions font du bruit. Mais il y aurait moins de problèmes si on n’avait pas laissé construire autour de Nantes-Atlantique. D’ailleurs, qui peut garantir que ça ne recommencera pas à Notre-Dame-des-Landes, où la pression foncière et immobilière se fait déjà sentir ? Pour l’heure, seules certitudes : on va gâcher un énorme espace agricole. Et ça va coûter très cher : 600 millions d’euros, un milliard, deux milliards… on ne sait pas. Mais pour quelle véritable utilité ?

Recueilli parGaspard NORRITO, Ouest-France, 6 octobre 2009