NdPN : il y a celles et ceux qui votent pour des « représentants » et légitiment ainsi l’autorité de l’Etat, quels que soient finalement les élus. Il y a les politiciens élus qui créent et entretiennent les peurs par des lois, pour détourner la colère contre les possédants. Il y a leurs services bureaucratiques qui entérinent l’inadmissible, installés bien au chaud dans leurs ors républicains. Il y a les préfets et leurs agents qui gèrent ces lois, signant telle ou telle expulsion du haut de leur tour d’ivoire. Il y a les chefs de police qui transmettent les ordres. Il y a les policiers de base qui appliquent. Qui est responsable ? Tout le monde, qui de sa main qui vote, qui de sa main qui signe, qui de sa main qui décroche un téléphone, qui de sa main menotte. La routine du lâche « c’est pas moi, ce sont les ordres », du renoncement à ce qui nous fait humain, concerne les moindres gestes et paroles de nos vies quotidiennes, atomisées dans la machine à obéir et dominer.
Et puis, il y a celles et ceux qui résistent, se révoltent, s’organisent.
Ni patries ni frontières !
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Chroniques de l’horreur ordinaire : Comment se déroule réellement une expulsion ?
Au sujet de cette famille russe arrivée le 12 novembre 2013 à Poitiers dont les enfants de 4 et 6 ans sont scolarisés aux écoles Renaudot et Damien Allard, qui sont en procédure « Dublin » donc expulsables vers la Pologne sans autre forme de procès, et que la préfecture a tenté d’expulser le 23 avril dernier, nous avons écrit [VOIR] : « Surtout que les préfectures n’ont pas les moyens de leurs ambitions. Tout est pour le mieux pour elles lorsque leurs services et leurs personnels ont affaire à des dossiers et que les personnes restent des numéros. Ils peuvent appliquer les lois les plus iniques sans état d’âme. C’est pourquoi les dossiers ne sont même pas regardés. C’est pourquoi Mamadou Camara a été le premier et le seul à être invité à venir défendre son dossier. C’est pourquoi les centres de rétention ne sont plus dans les villes d’origine des sans papiers. Mais dès que ces anonymes sont là devant eux, qu’ils ont un visage ce n’est plus pareil.
C’est à la lumière de ces remarques que nous pouvons comprendre l’expulsion ratée de mercredi dernier. Comment un peu de vomi et une femme qui tourne de l’œil peuvent-ils entamer à ce point la détermination de policiers aguerris qui en d’autres situations ne sont pas aussi frileux ? Nous faisons l’hypothèse que ça a été pour eux une aubaine. Nous supposons que les policiers se sont engagés à défendre la veuve et l’orphelin et non pas à expulser des femmes et des enfants… C’est déjà arrivé le 23 janvier 2013, des policiers de la Brigade Financière à Belfort avaient l’ordre d’interpeller une famille kosovar pour une procédure de “reconduite à la frontière”. Vu la détresse de la famille, le père menaçait de sauter par la fenêtre, les fonctionnaires ont renoncé. VOIR »
Comment donc s’est déroulée cette tentative d’expulsion ce mercredi 23 avril à Poitiers, ville « bonhomme » d’après son maire ? Les parents de la famille russe étaient assignés à résidence et devaient aller signer au commissariat. « Madame A. Arpiné [et Monsieur H. Artur] devra se présenter au commissariat de police de Poitiers, avec ses enfants, les lundi, mardi mercredi et jeudi à 08h30, afin de faire constater qu’elle respecte la mesure d’assignation à résidence. » pouvons-nous lire dans l’Arrêté du 19/03/2014 portant renouvellement d’une assignation à résidence de 45 jours.
Mercredi 23 avril à 8h30 donc, Arpiné arrive au commissariat pour émarger. Le policier lui demande : « où sont Artur et les enfants ? » Arpiné a expliqué qu’elle venait signer maintenant pendant qu’Artur était avec les enfants et il viendra signer après. Le policier la fait monter au 2ème étage et là un capitaine lui dit : « on a la décision, on doit vous envoyer en Pologne aujourd’hui ». Puis il fouille le sac à main d’Arpiné, trouve les clefs de la chambre d’hôtel et la menotte dans le dos.
Deux voitures de police vont avec Arpiné à l’hôtel. D’autres, jusqu’à six en tout, viendront après. Arrivés sur les lieux, les policiers montent tout seuls à la chambre. Ils ouvrent la porte avec les clefs. Artur et les enfants dormaient et sont réveillés en sursaut, les enfants se sont mis à pleurer et ont appelé : « papa, maman ». Le capitaine a dit à Artur : « habille-toi, habille les enfants ! ». Artur lui a aussitôt répondu : « je vais avec vous mais laissez tranquille ma femme et mes enfants ! ». Le policier a répondu : « non, les billets sont achetés ».
Les policiers ont alors fait monter Arpiné menottée dans la chambre. Ils lui ont ôté les menottes pour qu’elle habille les enfants qui pleuraient toujours, choqués. Il y avait six policiers dans la chambre plus trois civils (des personnes de la préfecture ? Des policiers ?). Artur a alors cassé une tasse en verre et menacé de s’ouvrir les veines devant sa femme et ses enfants. « Laissez ma femme et mes enfants tranquilles ici sinon je vais me suicider ! Touchez pas à ma femme, touchez pas à mes enfants ! » Leur a-t-il dit. Les policiers lui ont répondu : « on n’a pas le droit de les laisser là, on doit tous vous amener ». Artur a alors demandé son portable en disant : « je vais appeler mon avocate ». Le policier lui a répondu : « même si tu l’appelles, elle ne pourra rien pour toi ». Artur a appuyé le tesson de verre sur son bras qui a commencé à saigner. Les policiers lui ont donné son portable et il a appelé une connaissance qui pouvait traduire. Le policier a dit à cette personne qu’ils avaient de la préfecture une décision d’expulsion. Il a dit qu’ils allaient ramener la famille à Paris et que là-bas ils les libéreraient. Rajoutant « s’il veut se couper les veines, il pourra le faire là-bas ». Et il a demandé à la traductrice : « essayez de le convaincre de ne pas se couper les veines devant les enfants » et a dit à Artur : « s’il te plaît ne fait pas ça, on va juste te ramener à Paris et te libérer là-bas. »
Comme la situation lui semblait bloquée, Artur à donné le tesson aux policiers et a tendu ses mains pour être menotté. Mais les policiers ne l’ont pas fait par devant, ils l’ont fait un bras par dessus l’épaule, un bras dans le dos par le bas. Ils ont ensuite descendu Artur menottée de la sorte dans l’une des voitures, une voiture de police, Arpiné menottée dans le dos et sanglée étant avec les enfants dans une voiture banalisée avec les civils (policiers ou personnes de la préfecture). Il sont d’abord allés au commissariat de police, y sont restés une dizaine de minutes chacun dans sa voiture. Puis ils sont repartis certainement vers Paris menottés de la même façon, Artur ayant en plus les jambes enchaînées et cadenassés.
Vers le Futuroscope, Arpiné s’est sentie très mal. Artur menotté de la sorte aussi. Il avait beaucoup de mal à respirer. Les enfants pleuraient encore. Arpiné a commencé à avoir des hauts-le-cœur . Les policiers se sont arrêtés et Arpiné est descendue de la voiture toujours menottée. Les policiers lui ont libéré une main et Arpiné a pu vomir. Elle était très blanche et très faible. Elle n’arrivait pas à réagir. Les policiers ont appelé une ambulance et ont démenotté Arpiné. Artur toujours menotté un bras par dessus l’épaule, un bras dans le dos par le bas leur a dit : « moi aussi je ne suis pas bien. Je veux aller dans l’ambulance ». Ce à quoi les policiers ont répondu : « non toi tu vas bien ».
Quand Sargis 6 ans, a vu sa mère dans l’ambulance, il a eu peur, a pleuré et a appelé : « papa, papa ». Les policiers ont donc mis Artur avec les enfants dans la voiture banalisée. Ils l’ont démenotté et attaché au montant de la voiture près de la ceinture de sécurité, Sarguis sur ses genoux qu’il serrait avec son autre bras. Mariam, 4 ans, entre son père et un policier était choquée et ne comprenait pas ce qu’il se passait. Elle voulait venir sur les genoux de son père avec son frère mais n’avait pas de place.
Arrivés à l’hôpital, une perfusion a été mise à Arpiné. On a pris la tension à Artur et on a dit qu’il n’avait rien. Il disait « ça suffit, lâchez-moi maintenant ! » Il était dans une autre chambre au début. Les policiers l’ont ramené dans la chambre avec Arpiné et les enfants et l’ont menotté les bras en croix aux deux montants du lit en fer, à la tête et aux pieds.
Artur et Arpiné ont su par un appel téléphonique que la directrice de l’école, des parents d’élèves, des militants de DNSI, la presse locale et l’avocate étaient là devant les urgences du CHU. Personne, pas même l’avocate, n’a pu les rencontrer. Les policiers et quelqu’un qui semblait être le directeur de l’hôpital ont dit au personnel médical que personne ne devait rentrer, transformant la chambre d’hôpital en cellule de rétention.
Plus tard, les policiers ont amené un interprète. Il a dit : « Artur, ils vous amènent à Bordeaux et la préfecture donne son accord pour qu’Arpiné retourne avec les enfants à l’hôtel ». Artur, menotté cette fois par devant a été mis dans une voiture avec trois policiers et conduit directement à Bordeaux. Arpiné est retourné à l’hôtel avec les enfants.
Comment peut-on traiter de la sorte des êtres humains, particulièrement des femmes et des enfants ? Comment peut-on les traiter pire que des bêtes ? Comment peut-on les humilier de la sorte devant leurs enfants ? Les mots nous manquent pour qualifier ce qui s’est passé à côté de chez nous à Poitiers ce 23 avril 2014 ! Plus jamais ça !
DAL86 – dal86@free.fr – 06 52 93 54 44 / 05 49 88 94 56
Permanences : tous les samedis matin de 11h à 12h Maison de la Solidarité 22 rue du Pigeon Blanc Poitiers
Vu sur le site du DAL 86, 5 juin 2014
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Un rassemblement pour les sans-papiers
Comme chaque premier mercredi du mois, le collectif poitevin DNSI (« D’ailleurs Nous Sommes d’Ici ») appelait hier soir à un rassemblement en faveur des migrants et des sans-papiers. En fin d’après-midi, une bonne cinquantaine de personnes s’était rassemblée devant le palais de justice pour faire le point des différentes situations. « Il n’y a pas d’évolution positive, c’est toujours la même précarité pour les familles et les personnes isolées ne sont pas accueillies au 115, souvent par manque de place. De plus, la préfecture exerce une pression accrue auprès des familles assignées à résidence », constatait l’un des porte-parole du collectif, Yvon Plaçais.
Les représentants de différentes organisations politiques de gauche, des militants associatifs et des particuliers présents à ce rassemblement déploraient par ailleurs un contexte politique général « qui stigmatise de plus en plus les migrants, désignés comme indésirables. »