Archives de catégorie : Répression

Un jeune autiste en rétention depuis un mois

Un jeune autiste en rétention depuis un mois

Shouaid Benhachiche, vingt ans, suivi par l’Aide sociale à l’enfance depuis quatre ans, est menacé d’expulsion vers l’Algérie.

Shouaid Benhachiche est un jeune homme de vingt ans. D’origine algérienne, il est suivi par l’Aide sociale à l’enfance depuis ses seize ans et bénéficie d’un contrat jeune majeur, qui lui permet d’être logé dans un foyer de jeunes travailleurs à Paris. Malgré ses troubles du comportement d’allure autistique, Shouaid a obtenu, en juin dernier, son CAP dans la restauration.

Mais, alors que l’État lui assure sa protection d’un côté, de l’autre, il lui refuse un titre de séjour. Shouaid est donc sans papiers, sous le coup d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. En d’autres termes, le préfet de Paris décide d’expulser un jeune placé sous protection de l’État depuis quatre ans… De la logique de la politique du chiffre.

Depuis le 21 novembre, Shouaid est donc enfermé au centre de rétention de Vincennes dans l’attente de son expulsion. « Il est très calme, posé, parle un français impeccable et a manifesté, à de nombreuses reprises, sa volonté de rester en France », selon les intervenants de l’Assfam qui ont pu lui parler. La semaine dernière, toujours dans le calme, Shouaid a refusé d’embarquer dans l’avion qui devait le ramener en Algérie.

Le juge des libertés et de la détention a rejeté hier, en appel, sa remise en liberté après trente jours de rétention. Shouaid peut donc rester encore quinze jours dans cette situation ou être expulsé avant, par le premier vol vers l’Algérie. « Il n’a aucune famille là-bas, souffle son avocate, qui avait épuisé hier toutes les voies de recours. Il va atterrir et simplement errer dans Alger… »

L’Humanité, Marie Barbier, 20 décembre 2011

ndPN : mise à jour 23 décembre 2011 : Chouaïb libéré !

Chouaïb, jeune autiste, libéré hier soir après 31 jours de rétention

Chouaïb Benhachiche

La nouvelle est tombée hier peu avant 19 heures. «Il est sorti ! Nous allons nous rejoindre pour faire la fête.» s’exclamait Samia Attali, de l’association Je vous tends la main. Hier soir donc, Chouaïb Benhachiche, jeune autiste de vingt et un ans, a été libéré du centre de rétention de Vincennes où il était enfermé depuis trente et un jours. Pour la plus grande joie de ses soutiens qui se sont démenés pour le sortir de cette situation « aberrante ».

D’abord ses amis et voisins du foyer de jeunes travailleurs Championnet à Paris qui ont signé une pétition pour réclamer sa libération et sa régularisation. « Il est fragile, témoigne Rafika. Il n’a personne en Algérie alors qu’ici, il est très bien intégré. » Mais aussi Alain Cocq, vice-président de l’Association des démocrates handicapés, découvrant sa situation dans l’Humanité du 20 décembre (lire ici), qui a beaucoup oeuvré pour sa libération. « Son enfermement viole de nombreux articles de la convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU ratifiée par la France », s’emporte ce lecteur, qui a menacé les services de la préfecture de les traîner devant la Cour de justice européenne.

« Faut-il que j’avale des lames de rasoir pour ne pas être expulsé ? »

Un peu plus tôt dans la journée, Chouaïb, toujours enfermé, nous confiait sa détresse par téléphone. « Ce matin, un homme a avalé dix-sept lames de rasoir pour ne pas partir. Je dois faire la même chose ? Mais moi je peux pas… » Souffrant de troubles du comportement d’allure autistique, ce jeune algérien pris en charge par l’aide sociale à l’enfance est sous le coup d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Il a échappé à deux tentatives d’expulsion. Pour la première, Chouaïb raconte que les policiers l’ont extirpé de son lit à l’aube, le menottant et lui scotchant les pieds. Il a refusé d’embarquer. La dernière tentative, mardi, s’est transformée en test psychiatrique. Transféré à l’Hôtel-Dieu où il a passé la nuit, il est ensuite envoyé à Sainte-Anne. « Ils m’ont relâché mercredi à 23 heures en me disant “t’es pas fou, tu retournes au centre”. »

Chouaïb a quitté l’Algérie quand il avait 16 ans pour rejoindre la France après quatre jours de bateau. Au pays, il dit avoir fui les islamistes qui vous « coupe les jambes si vous ne travaillez pas pour eux ». Au foyer des jeunes travailleurs Championnet, où il est hébergé depuis 2009, on le décrit à son arrivée comme « replié sur lui-même, incapable de dire un mot et de regarder dans les yeux ». Au contact des éducateurs, Chouaïb s’ouvre doucement, obtient un CAP alors qu’il ne parlait pas un mot de français à son arrivée et devient la « mascotte » du foyer.

D’après son avocate, Karima Ouelhadj, le préfet aurait promis la libération du jeune homme en échange d’un certificat d’embauche. « Une façon de ne pas se déjuger, précise l’avocate, on n’a jamais vu une personne sortir de rétention grâce à une promesse d’embauche ». Contactée, la préfecture n’a pas souhaité répondre à nos questions. Une perspective de régularisation serait envisagée au titre de l’article L 313-15 du Code des étrangers qui stipule qu’un mineur pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance doit obtenir un titre de séjour mention « salarié » à sa majorité.

Article paru en partie dans l’Humanité du 23 décembre 2011

[Koweït] Assaut policier et arrestations après les manifestations

Koweït : Assaut policier et arrestations après les manifestations des apatrides

Ils sont plus de 100.000 apatrides au Koweït à lutter pour leur droit à des pièces d’identité, à l’éducation, à la santé, au travail et, le plus important, à la naturalisation. Déjà en février et mars, des centaines d’entre eux avaient manifesté pour leur reconnaissance, ce qui leur avait valu violences policières et arrestations. Ce mois-ci, après le changement de premier ministre [en anglais], la population apatride du Koweït a vu dans la pression publique de la contestation un encouragement à reprendre son mouvement. La semaine dernière a connu plusieurs petites manifestations en réaction au jugement de protestataires. Vendredi, la manifestation s’est terminée par l’arrestation de 20 hommes [en anglais], relâchés le dimanche. Lundi, c’est une manifestation de plus grande ampleur qui s’est tenue avec un rassemblement à Taimaa, dispersé par la police à coups de gaz lacrymogènes, de balles en caoutchouc, de canons à eau et de fumigènes. Dans la soirée, des Koweïtiens ont voulu manifester aux côtés des apatrides en défense de leurs droits devant le parlement, mais les forces de sécurité ont décidé de ne laisser personne entrer place Erada à moins de montrer une carte d’identité valide prouvant leur citoyenneté. Lundi a aussi été marqué par l’arrestation d’une trentaine d’hommes qui avaient entamé une grève de la faim ce même jour. L’auteur de ce billet s’est efforcée de couvrir la manifestation sur Twitter, en traduisant les observations des militants sur le terrain, qui tweetaient en arabe.

Récapitulation des événements du lundi

Lire la suite avec documents visuels, ici :

http://fr.globalvoicesonline.org/2011/12/21/92379/

Global Voices, traduction publiée le 21 Décembre 2011

[Biélorussie] Le KGB travaille

[Biélorussie] Le KGB travaille

Les trois militantes ukrainiennes de Femen qui ont manifesté lundi seins nus à Minsk (Le Matin d’hier) ont été torturées par des agents du KGB, les services spéciaux du tyran biélorusse Alexandre Loukachenko. C’est la terrible nouvelle qu’a reçue hier la présidente des activistes de Femen, Anna Hutsol.

Restée en Ukraine, à Kiev, la présidente s’est battue hier toute la journée pour tenter de leur venir en aide. Tard hier soir, elle a enfin reçu des nouvelles. Selon les autorités consulaires ukrainiennes en Biélorussie, les trois activistes ont été prises en charge par des policiers locaux et escortées dans un hôpital.

« Elles sont très mal en point et ont besoin de soins », a déclaré au Matin Anna Hutsol. La présidente respire un peu et attend que, comme promis, ses camarades soient escortées aujourd’hui jusqu’en Ukraine.

La journée a très mal commencé. En effet, les trois activistes n’ont pu, hier matin, passer qu’un seul coup de téléphone après leur passage à tabac par les sbires du régime biélorusse. Abandonnées nues dans une forêt de la région de Gomel à plus de 300 kilomètres de la capitale, Minsk, les malheureuses ont marché et trouvé un habitant qui leur a prêté un téléphone pour appeler au secours Anna Hutsol.

« Nous avons immédiatement contacté les autorités ukrainiennes pour les sortir de ce piège en Biélorussie, où on leur a retiré leurs papiers », raconte la présidente de Femen.

Présent à ses côtés à Kiev, le cinéaste romand Alain Margot, qui avait participé à les faire venir en Suisse et en Europe il y a deux mois, ne cache pas son angoisse : « Nous avons peur pour elles. Elles ont été battues et cela peut recommencer. J’aurais dû les suivre à Minsk, mais je n’ai pas obtenu de visa. »

L’action des Femen en Biélorussie a dérapé après une courte manifestation seins nus devant le quartier général du KGB à Minsk lundi après-midi. Il s’agissait de protester contre la répression du régime, un an après la réélection truquée du tyran Loukachenko. La police a d’abord arrêté les représentants des médias, alors que les trois activistes réussissaient à s’enfuir.

Mais au moment de prendre leur train pour repartir à Kiev lundi soir, elles ont été coffrées « par des policiers et des agents du KGB », selon Inna Shevchenko, une des trois activistes qui a pu téléphoner à la présidente.

Voilà son terrible récit : « Les agents nous ont bandé les yeux et jetées dans un bus qui a roulé toute la nuit. Puis, dans une forêt, ils nous ont forcées à nous déshabiller, arrosées d’huile et menacées de nous brûler vives. Ils nous ont aussi coupé les cheveux avec un couteau. Après nous avoir battues, ils nous ont abandonnées nues et sans papiers. » Toujours selon Inna, toute la scène a été filmée par des hommes du KGB.

Leur presse (Ludovic Rocchi, Le Matin, 20 décembre 2011)

Vinci dégage !

Vinci dégage !

En 2000, Vinci devient le « premier groupe mondial de construction-concession », après avoir été vendu par Vivendi à des actionnaires. En 2009, il participe à 240’000 chantiers dans plus d’une centaine de pays ; avec 5% de croissance en 2010, son chiffre d’affaire atteint 33,4 milliards d’euros et son carnet de commande augmente de 15%.

Il est un des collaborateurs favoris des pouvoirs publics mais il sait aussi se mettre au service du privé. Le projet ITER de fusion nucléaire est implanté à titre d’expérimentation internationale sur le site de Cadarache (13). Avec Areva — son partenaire jusque dans les mines d’uranium au Niger ou ailleurs — et malgré les nombreuses voix qui s’opposent à cette nouvelle absurdité mégalomaniaque, Vinci construit le désastre…

La Ligne Grande Vitesse Sud Europe Atlantique est un projet très contesté dans les régions concernées. Plusieurs collectifs et associations organisent des manifestations pour dire stop aux grands projets destructeurs et coordonner des actions en Europe.

À Notre-Dame des Landes (44), depuis 40 ans, un projet d’aéroport international s’inscrit dans une expansion de la métropole Nantes/Saint-Nazaire. Aujourd’hui, Vinci s’est emparé de ce chantier pionnier : un aéroport éco-labellisé. Le groupe et ses alliés publics entendent mener les travaux à terme, tout en prétendant respecter une démarche démocratique : par exemple, une enquête publique encadrée par une multitude de gendarmes et de gardes mobiles. Face à cette hypocrisie, les terrains concernés par le projet sont occupés et le combat s’intensifie. Le 1er décembre de cette année 5 personnes seront interpellé-e-s , et ils/elles auront à répondre de « dégradations en réunion » ou « complicité de… » et « refus de prélèvement ADN » devant la justice lors de leur procès qui se tiendra le 13 février 2012.

L’autoroute que construit Vinci entre Moscou et Saint-Pétersbourg saccage entre autres, à Khimki, la dernière forêt moscovite. Noyé dans la corruption, ce projet d’expansion urbanistique s’impose aux habitants et n’avance qu’à coups de violences policières contre les opposants. Le campement de résistance installé dans la forêt a également été la cible d’attaques par des milices fascistes. Le tabassage, les tortures, les menaces, les inculpations pénales et les assassinats sont certains des moyens de répression mis en œuvre par le capital afin de défendre ses propres intérêts sous prétexte de travaux publics.

Ajoutons à tout ça l’expulsion à Poitiers de squatteurs en novembre de cette année dans une maison condamnée à la démolition dans le cadre du futur viaduc des Rocs. 47 personnes seront en garde à vue mais cinq prévenus devant le tribunal le jeudi 8 décembre, qui se sont défendu de l’accusation de “participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens”, ainsi que pour l’un des mis en examen “usurpation d’identité”. La suite du procès sera le 12 janvier.

À cette longue liste il y a aussi la construction de prisons, et tous ces autres chantiers peu visibles qui restent pour l’instant moins contestés : réseaux de vidéosurveillance, parkings, pipelines, incinérateurs, etc … Partout l’arrogant «leader mondial de la construction–concession» impose ses projets et laisse penser qu’il est invincible.

La ville de Strasbourg n’est pas épargnée par cette machine à bétonner. Les rives du Rhin vont être “amménagées” pour 2013 avec de nouvelles résidences pour bobo, contre le jardin des deux rives et à deux pas de l’Allemagne. Ce projet va amener le prolongement de la ligne D du tramway jusqu’à la gare de Kehl, ce qui nécessitera la construction d’un nouveau pont sur le Rhin . Ce quartier sera aussi moche et asceptisé que celui de l’Etoile, avec son lot de caméras pour fliquer et ses lieux de consommation maniaque.

Vinci dégage !

Pour suivre les campagnes contre vinci :

https://stopvinci.noblogs.org/

L’Alsace libertaire, Nadie, 21 décembre 2011

[Chine] Deux articles sur les révoltes en cours

[Fin de la dictature !] Les ouvriers chinois se rebiffent

Les troubles se multiplient en Chine

La région manufacturière du sud-est est en proie à de vives tentions.

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Les troubles se multiplient ces derniers mois en Chine, notamment dans le sud-est du pays, région manufacturière dont les exportations inondent le monde, touchée par la crise qui mine la consommation en Europe et aux États-Unis.

Le malaise s’intensifie au sein de la classe ouvrière, dans un pays  pourtant réputé pour la docilité de sa main d’œuvre. Les grèves se multiplient à l’image du spectaculaire  arrêt des chaines de montage Honda en mai 2010, une première. Dans son usine de Shenzhen, le groupe Foxconn, sous-traitant d’Apple avait dû faire face à une série de 14 suicides à la même période. Ces mouvements sans précédent avaient révélé au monde le ras-le-bol qui se propage au sein d’une population de plus en plus fragilisée par les aléas de l’économie mondiale, mais aussi par l’attitude des patrons de plus en plus prompts à délocaliser leurs entreprises dans les régions du centre ou la main d’œuvre est meilleure marché. Le socialisme de marché à la chinoise n’a parfois rien à « envier » au capitalisme le plus sauvage.

Grèves quotidiennes

Depuis plusieurs mois, on recense ainsi des grèves presque chaque jour dans le pays. Les ouvriers protestent contre les licenciements et la baisse des salaires. Le gouvernement redoute que la situation économique n’aggrave le malaise social, et surveille de près chaque incident. De fait, la croissance chinoise a été ralentie par la crise économique et les investisseurs redoutent que la situation en Europe ne réduise encore les débouchés de l’industrie chinoise dans les mois à venir.

Il faut dire que les syndicats n’ont de comparable à leurs homologues européens que le nom. Aucun d’entre eux n’a réellement été constitué à l’initiative des ouvriers, et ils prennent bien souvent la défense des employeurs plutôt que celle des employés, devenant de fait des syndicats du patronat, d’où leur incapacité à mettre en place une médiation efficace lors des conflits. Le mouvement spontané des ouvriers de Honda s’était d’ailleurs passé de leur aide.

Tensions politiques

Mais les mouvements sociaux liés au travail ne sont pas tout. Ces dernières semaines des mouvements de nature politique ont également fait grand bruit dans la presse internationale, à l’image du soulèvement du village de Wukan, dans la province du Guangdong, au sud.

Le « village » — 20.000 habitants — est entré en résistance pour protester contre les expropriations qui se multiplient. Les autorités locales s’emparent des terres… et les revendent aux plus offrants, des promoteurs immobiliers le plus souvent. Après plusieurs jours de heurts contre le police, les membres du parti ont déserté et le hameau se retrouve de fait autogéré, situation inédite dans le pays. Malgré la répression qui continue, les autorités décident de lâcher du lest mercredi 21 décembre, en annonçant la fin partielle du siège de la ville qui dure depuis dix jours ainsi que la libération de trois leaders du mouvement incarcérés depuis plusieurs jours. Un opposant a par ailleurs trouvé la mort au cours de sa détention, des suites d’un arrêt cardiaque selon les autorités. Une version contestée par la famille du défunt.

À Haimen, une manifestation contre une centrale électrique accusée de pollution a dégénéré mardi 20 décembre, se soldant par la mort d’un adolescent de 15 ans et au moins une centaine de blessés. Plusieurs témoins indiquent que la répression policière a été particulièrement violente, utilisant des grenades lacrymogènes en quantité importante. En septembre, c’est le producteur de panneaux solaires Jinko Solar qui avait dû arrêter son activité après que des manifestations dénoncent la pollution au fluor et le très grand nombre de cancers suspects déclarés dans la région.

Des défis pour le régime

Corruption, clientélisme, impression d’une distance toujours plus grande entre les privilégiés et la population, dégradations des conditions de travail, de vie, augmentation des pollutions sauvages… Les mécontentements se multiplient en Chine.

Les manifestations révèlent que la population, jugée parfois docile, commence à se rebeller contre les potentats locaux. À Wukan, ont été scandés des slogans pour la « fin de la dictature ».

Le gouvernement central qui suit de très près ces mouvements s’inquiète sérieusement de débordements possibles. Et les dispositifs policiers démesurés mis en place à Wukan en témoignent.

Leur presse (Pascal Piedbois Lévy, Le Nouvel Observateur), 21 décembre 2011.


Chine : le ras-le-bol ouvrier

Faibles salaires, conditions harassantes… Les conflits sociaux se multiplient dans des usines où la production est touchée par le ralentissement de la demande européenne et américaine.

Dans une maison de thé de la banlieue est de Shanghai, Chen Ling, ouvrière en grève, parle au téléphone avec l’une de ses collègues : « Tu veux renoncer ? » demande-t-elle. Voilà une semaine qu’un millier de salariés ont cessé le travail dans l’usine du groupe Hi-P, un sous-traitant qui fabrique des pièces en plastique et des composants électroniques pour Apple, entre autres. Emmitouflés dans leurs manteaux d’hiver, les grévistes campent toute la journée devant les grilles de l’usine. Quelques-uns ont été arrêtés la veille par la police, et sont toujours en détention.

Les dirigeants de l’entreprise veulent déménager les chaînes de production vers un district éloigné, ce qui entraînerait trois heures supplémentaires de transport par jour. Impensable pour ces ouvriers qui travaillent douze heures quotidiennes sur les lignes d’assemblage, et bénéficient de trois ou quatre jours de repos par mois.

Pour eux, cette histoire de déménagement équivaut à un licenciement sans indemnités. « Pour moi qui ai 33 ans, confie Chen Ling, il sera difficile de trouver un emploi ailleurs. » Chaque semaine, avec une collègue, elle alterne le travail de nuit et celui de jour : « Le passage de l’un à l’autre est épuisant. » Elle se sent piégée. Par son employeur, bien sûr, mais aussi par la police, qui l’a détenue pendant douze heures pour avoir « troublé l’ordre public » du fait de sa présence sur le trottoir, devant l’entrée de l’usine.

À l’intérieur des terres, une main-d’œuvre bon marché

Les grèves se multiplient en Chine. L’année dernière, déjà, un mouvement sur les chaînes d’assemblage de Honda avait mis en lumière le malaise ouvrier. À la même époque, une série de 14 suicides sur son gigantesque complexe de Shenzhen (sud) a poussé Foxconn, un autre sous-traitant d’Apple, notamment, à réévaluer la paie de ses employés de 50 % et à installer des filets sur les toits de ses bâtiments.

Largement commentés sur Internet, ces événements ont provoqué une onde de choc : un an et demi plus tard, les salaires ont augmenté de 15 à 20 % selon les régions. Mais les bénéfices de cette hausse sont amputés par la progression des prix, qui a fait les gros titres de l’actualité pendant toute l’année. Plus que jamais, les entreprises sont tentées de délocaliser leurs usines vers des régions à l’intérieur des terres, où la main-d’œuvre demeure bon marché.

Le mécontentement social reprend de plus belle depuis quelques mois, alors que les gains des industriels sont affectés par le ralentissement de la demande en Europe et aux États-Unis. À Dongguan, dans le très industriel delta de la rivière des Perles, les ouvriers d’un fabricant de chaussures ont obtenu de leur patron qu’il leur garantisse un nombre suffisant d’heures supplémentaires pour compenser un salaire de base particulièrement faible. Fin novembre, plusieurs centaines d’ouvriers ont organisé un sit-in à l’entrée d’une usine du Sichuan (centre) en cours de privatisation et dont la distribution d’actions était jugée inéquitable. À Jinhua, au sud de Shanghai, une centaine d’ouvriers de Tesco protestaient au même moment contre la suppression annoncée de leurs emplois. « Il y a presque une grève par jour, résume Liu Kaiming, un activiste du droit du travail et de la responsabilité sociale des entreprises. Les salaires ont certes progressé mais le coût de la vie aussi ; au bout du compte, il est toujours nécessaire de manger à la cantine, de vivre au dortoir et d’accumuler les heures supplémentaires pour joindre les deux bouts. »

Les heures supplémentaires n’en finissent jamais

Le cas de Chen Ling est parlant. Si elle gagne environ 4000 yuans par mois, soit 480 euros, son salaire proprement dit n’est que de 1280 yuans, le minimum fixe imposé à Shanghai pour une semaine de quarante heures. Plus des deux tiers de ses revenus (2720 yuans) proviennent des fameuses heures supplémentaires, qui n’en finissent jamais. Or c’est la promesse des 4000 yuans mensuels qui les a décidés, elle et son époux, à quitter la province rurale de l’Anhui, il y a quatre ans. Attirés par les lumières de la ville, ils ont laissé leur fille, aujourd’hui âgée de 7 ans, à la belle-mère de Chen Ling, souffrante. La mère et sa fille ne se voient qu’une fois par an, pendant deux semaines : « Lorsque j’ai des soucis au boulot, je pense encore plus fort à elle », confie l’ouvrière.

L’idée de faire grève est venue aux ouvriers de Hi-P en observant un mouvement lancé l’été dernier par les mécontents d’une autre usine du quartier. D’un naturel peu vindicatif, voilà l’ouvrière Chen révoltée : « La police aide les patrons mais nous, elle nous arrête. Les grévistes abandonnent, ils pensent que personne ne les soutiendra », constate-t-elle, impuissante. Puis elle soulève la question sensible entre toutes, au pays du Parti « communiste » : « Pourquoi le gouvernement n’aide-t-il pas les ouvriers ? » Réputés pour leur docilité et leur capacité à ravaler leur peine et leur salive, les ouvriers chinois se rebiffent, d’autant qu’ils sont mieux informés grâce à Internet. À l’usine Hi-P, certains disposent désormais d’un smartphone et se renseignent sur leurs droits grâce à Baidu, le grand moteur de recherche chinois, pendant leurs heures de repos.

Quant à la réaction du gouvernement, elle varie selon les provinces. Les autorités de la province atelier du monde, le Guangdong, dans le sud-est du pays, essaient d’encourager la négociation entre patronat et ouvriers, afin d’éviter que les conflits fassent tâche d’huile. Autour de Shanghai, en revanche, la répression est plus fréquente.

Des organisations officielles, simples relais du pouvoir

Dans ce pays où les syndicats indépendants sont interdits, les organisations officielles sont de simples relais du pouvoir. « Je ne sais pas trop qui sont les représentants syndicaux, indique Chen Ling, mais ils sont du côté de la direction. » Elle a bien constaté cependant qu’une cotisation mensuelle obligatoire de 10 yuans était prélevée sur sa paie… Les grèves, dans ces conditions, ne sont pas toujours victorieuses. La plupart des ouvriers abandonnent le combat après un ultimatum du patron. Chen Ling s’apprête à rentrer chez elle, dans l’Anhui. Déçue et sans indemnisation.

Leur presse (Arthur Henry, L’Express), 21 décembre 2011.