Archives de catégorie : Décroissance libertaire

[LGV Poitiers-Limoges] L’empire contre-attaque

NdPN : nous le disions hier : malgré l’annonce du report aux calendes grecques du projet de LGV Poitiers-Limoges, la vigilance s’impose. Il y a en effet de gros intérêts politiques et industriels en jeu. Bingo : la commission d’enquête est favorable au projet… La lutte continue.

LGV Poitiers-Limoges : la commission d’enquête met la pression sur le gouvernement

La commission d’enquête publique a émis un avis favorable au projet de ligne ferroviaire sous réserve que le gouvernement s’engage à programmer les travaux « dans les délais prévus et non après 2030 ».

Oui, mais… L’avis favorable rendu par la commission d’enquête publique, chargée d’étudier le projet de construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse entre Poitiers et Limoges, est assorti de deux réserves.

Le document rendu public ce matin précise qu’une étude hydrologique approfondie devra être menée, notamment dans la vallée du Clain, à Iteuil, où les habitants craignent l’impact de la LGV. Il met surtout la pression sur le gouvernement qui n’a pas attendu les conclusions de l’enquête pour annoncer, par la voix du Premier ministre,  le report du projet à l’horizon 2030-2050 conformément aux préconisations de la commission Mobilité 21.

La commission écrit ainsi que la déclaration d’utilité publique (valable cinq ans et renouvelable une fois pour la même période) ne devra être prononcée qu’à la condition « que le gouvernement s’engage à programmer les travaux dans les délais prévus dans le dossier et non après 2030 (…) afin de ne pas laisser les personnes directement impactées dans l’attente et l’incertitude pendant plus de quinze ans ».

Consultez le rapport complet dans la rubrique « Aller plus loin » ci-dessus. Les conclusions débutent à la page 517.

Baptiste Bize, Nouvelle République, 12 septembre 2013

L’enquête publique favorable à la LGV Poitiers-Limoges

La commission d’enquête a émis un avis favorable à la construction de ligne controversée. Le projet suit donc son cours malgré l’annonce de son report à 2030-2050.

Par huit voix contre trois, les membres de la commission d’enquête publique auraient choisi d’émettre un avis favorable à la construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse entre Poitiers et Limoges. C’est ce qu’assurent les maires des deux villes, Alain Claeys et Alain Rodet, qui ont été informés de cette décision avant la publication officielle du rapport qui doit intervenir aujourd’hui.

Les deux hommes, tous deux socialistes et proches de François Hollande, sont aussi les principaux défenseurs du projet mis sur les rails par Jean-Pierre Raffarin en 2004, du temps où le sénateur de la Vienne était Premier ministre. Ils expriment naturellement leur satisfaction : « Vous voyez bien que le projet continue d’avancer comme prévu ; tout va bien », fait remarquer le député-maire de Poitiers qui affiche sa confiance malgré les rebondissements de ces dernières semaines. En juillet dernier, alors que l’enquête publique n’était pas encore achevée, l’actuel Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, avait annoncé le report de ce projet jugé non-prioritaire à la période 2030-2050, en suivant les préconisations de la commission Mobilité 21 que le gouvernement avait chargé de hiérarchiser les projets d’infrastructures de transports.

Un décret d’utilité publique valable jusqu’en 2025

Au début du mois, le secrétaire général adjoint de l’Élysée avait aussi assuré aux opposants que la présidence de la République se rangeait à ce choix après avoir activement soutenu le projet jusqu’au printemps dernier (lire notre édition d’hier). Notamment en nommant un ancien camarade de promo de François Hollande à l’ENA à la tête de la préfecture du Limousin pour suivre le dossier. « C’est un projet validé. Je ne pense pas qu’il soit de nature à être remis en cause », avait même déclaré le nouveau représentant de l’État le jour de sa prise de fonctions. En dépit des annonces officielles, le projet de LGV Poitiers-Limoges continue donc d’avancer conformément au calendrier envisagé. Sur la base des conclusions du rapport de l’enquête publique, le conseil d’État a maintenant dix-huit mois pour prendre ou non un décret d’utilité publique valable cinq ans et renouvelable une fois pour la même période. Soit une mise en chantier devant intervenir au plus tard en 2025 sous peine de devoir mener une nouvelle enquête publique après 2030 si le gouvernement devait confirmer l’arbitrage rendu cet été.

Baptiste Bize, Nouvelle République, 12 septembre 2013

La LGV Poitiers-Limoges ne répond plus

NdPN : une belle victoire contre un projet mortifère, mais restons vigilant-e-s…

La LGV Poitiers-Limoges lâchée par l’Élysée

La présidence de la République assure aux opposants que l’État soutient le report du projet à 2030-2050 préconisé par la commission Mobilité 21.

François Hollande, ancien président du conseil général de Corrèze, a-t-il fait de l’arrivée du TGV en Limousin une affaire personnelle ? C’est ce que pensent les opposants au projet de LGV Poitiers-Limoges qui ont écrit au président de la République, en mai dernier, pour émettre des doutes sur l’impartialité des conclusions de l’enquête publique alors en cours.

Pas du tout, répond en substance le secrétaire général adjoint de l’Élysée, dans la réponse adressée au collectif limousin « NON à la LGV Poitiers-Limoges et OUI au POLLT », la semaine dernière. Selon Nicolas Revel, le chef de l’État se serait rangé à l’avis de la commission Mobilité 21 qui « a proposé le report à l’horizon 2030-2050 de ce projet quel que soit le scénario retenu ».

Plaidoyer pour la ligne Paris-Toulouse

« Les analyses comparatives des enjeux nationaux des différents projets ne lui permettaient pas de justifier un classement dans les premières priorités », ajoute la présidence de la République qui défend aussi l’amélioration de la ligne Paris-Toulouse « de nature à renforcer les conditions de desserte des territoires concernés et à répondre en grande partie à leurs besoins de qualité de service pour leurs échanges ». Preuve que le président tout-puissant n’a pas l’intention de court-circuiter le gouvernement, l’Élysée prend soin de citer le ministre des Transports qui a installé la fameuse commission chargée de hiérarchiser les projets d’infrastructures de transports ainsi que le Premier ministre qui a annoncé les priorités retenues en juillet dernier : « Il appartient désormais au ministre […] de tirer les conséquences de ces décisions et de faire les propositions utiles pour mettre en œuvre la politique des transports souhaitée par le gouvernement. »

«  A moins d’une volte-face  »

Les opposants avouent leur satisfaction : « À moins d’une volte-face aussi incompréhensible qu’injustifiée, il est clairement entendu que le projet de LGV entre Limoges et Poitiers est différé après 2030 », écrivent-ils dans un communiqué. Ce ne serait pourtant pas la première volte-face du président de la République qui a personnellement veillé au lancement de l’enquête publique au printemps. « Je ne sais pas si je suivrai ses préconisations. Mais en tout cas je suivrai le dossier de près ! », avait-il confié à nos confrères de France 3 Limousin qui l’interrogeaient sur la commission Mobilité 21 pas plus tard qu’en juin dernier.

Baptiste Bize, Nouvelle République, 11 septembre 2013

Sur la rentrée syndicale

La lecture de deux articles de la NR nous donne l’occasion de réagir aux revendications de la rentrée, exprimées par les représentants de deux syndicats. Voici les extraits des articles concernés :

Force Ouvrière :

« À une semaine de la journée nationale de grève contre la réforme des retraites, nous voulions montrer la réalité de la précarité de très nombreux retraités aujourd’hui. C’est pourquoi, nous sommes opposés à cette réforme », explique Alain Barreau, secrétaire général FO Vienne. « Sur ce dossier des retraites, nous revendiquons une hausse des salaires qui mécaniquement générerait une augmentation des cotisations vieillesses au régime général, et qui entraînerait une remise à niveau du pouvoir d’achat et ferait repartir l’emploi. »
Des emplois dont FO Vienne fait son mot d’ordre, à l’occasion de cette rentrée, avec les salaires, la protection sociale et les services publics. « Des domaines ou le département est défavorablement touché. Avec des salaires parmi les plus bas du pays, la précarité s’ancre dans la Vienne. Le nombre de bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA) explose et les effectifs salariés baissent. C’est pourquoi, nous serons particulièrement attentifs dans l’année à venir aux situations délicates des salariés qui travaillent sur le chantier de la LGV, mais aussi des entreprises poitevines comme les Fonderies du Poitou, Iso Delta, ou encore Johnson screens. »

SNES-FSU :

Les représentants du Snes-FSU analysent cette première journée de rentrée concernant les collèges et les lycées de la Vienne. « L’arrêt des suppressions de postes est un premier pas mais ne permet pas de faire face à l’augmentation des effectifs d’élèves, soulignent-ils. Les classes sont souvent plus chargées que l’an passé (jusqu’à 37 en lycée) et les dédoublements moins nombreux. Il manque des professeurs d’anglais, de mathématiques, de français, d’EPS… pour plusieurs classes. Comment, dans ces conditions, réussir pleinement le pari de la démocratisation scolaire, de l’augmentation de la poursuite d’études dans le supérieur, indicateur pour lequel l’académie est à l’avant-dernier rang au niveau national ? » Le Snes-FSU évoque également le chantier de la formation des enseignants ouvert par le ministre avec la création des ESPE ex-IUFM) « mais il estime qu’on est « loin d’une organisation finalisée. Si le projet avance, les moyens restent insuffisants. » Le syndicat cite encore le gel des salaires, l’absence de mesures pour améliorer les conditions de travail, « favoriser la reconnaissance du métier et la perspective de devoir travailler plus longtemps avec la réforme des retraites, sont des sujets supplémentaires d’inquiétude dans les salles de professeurs. Cette rentrée n’est pas encore celle du renouveau ».

Ces deux syndicats parmi d’autres ont en commun de revendiquer, immédiatement, des améliorations de conditions de travail. Cet aspect « réformiste » a toujours été présent dans le syndicalisme, et il est utile parce qu’il permet, lorsqu’il obtient gain de cause par la lutte, de rendre l’esclavage salarial moins douloureux et surtout, d’augmenter la confiance et la combativité des exploité-e-s en vue de luttes plus globales, dans la perspective d’un renversement du capitalisme et de l’Etat (charte d’Amiens).

Mais ces revendications réformistes, contrairement à l’autre objectif du syndicalisme des origines, et c’est là où le bât blesse une fois de plus, ne s’accompagnent plus de l’énoncé de ces perspectives plus larges, ne serait-ce que sur la nature même de la production de biens ou de services ou l’implication réelle des personnes dans les prises de décision. Les perspectives sociales ne dépassent plus l’aménagement d’une société placée sous le sceau du capitalisme et de l’Etat, c’est-à-dire de la dépossession sociale, aussi bien économique que politique.

Alors certes, il faut bien commencer par quelque chose pour aller vers des changements plus profonds, et il peut paraître quelque peu abstrait (si ce n’est absurde) de tancer, de lancer des imprécations aux syndicats pour les inviter à redevenir révolutionnaires ! Et pourtant, force est de constater que les revendications posées, aussi mineures soient-elles, ne sont même plus satisfaites, tant il est évident, et l’histoire le démontre amplement, que les institutions du patronat et du gouvernement ne concèdent jamais des améliorations que si les fondements de leur domination leur paraissent menacés. D’autre part, les fins étant indissociables des moyens, les analyses syndicalistes elles-mêmes tombent trop souvent à côté de la plaque, par manque de perspective globale (reflet de la désorganisation de classe, avec l’éclatement productif) et démontrent une méconnaissance flagrante, pour ne pas dire consternante, des fonctionnements mêmes de ces institutions.

Plutôt que seulement insister sur plus d’emplois et de salaires et de meilleures conditions de travail, mais ce dans le cadre d’un système qui tend intrinsèquement à réduire la masse salariale, à réduire sa rémunération et à exiger toujours plus de productivité, ne faudrait-il pas aussi affirmer viser la fin de ce système et articuler les revendications immédiates avec ce but ?

Plutôt que d’exiger le respect des salarié-e-s, mais ce dans le cadre d’un système qui les réduit intrinsèquement à l’état de variable d’ajustement, de rouages de machines et de marchandises, pourquoi ne pas affirmer la nécessité pour les salarié-e-s et les gens à qui leur travail s’adresse de se mettre en mesure, par des luttes réappropriatrices de l’outil de travail, de décider enfin complètement de ce qu’ils pourraient en faire ?

Plus de formation des étudiants et des enseignants, certes, mais si c’est pour en faire de petit soldats plus soumis et des rouages mieux huilés d’une machine scolaire qui, depuis sa création, est destinée à briser les gens et à les faire rentrer dans le moule de la résignation, à quoi bon ? Plus de disciplines enseignées, certes, mais si c’est pour ignorer les nombreux savoir-faire et connaissances qui intéressent réellement les gens, à quoi bon ?

Ce qui nous choque aussi, c’est de voir un syndicat majoritaire chez les enseignants ignorer presque toujours, dans ses revendications, la vie même des apprenants. Etre enfermé-e entre quatre murs la majeure partie de la journée, ne décider ni des horaires ni des activités, obéir aux diktats des enseignants, être noté, orienté, bref hiérarchisé, voilà une souffrance terrible pour un nombre immense d’individus, dont certain-e-s seront brisé-e-s à jamais. Tout comme certains de leurs enseignants qui ne supportent plus les contradictions épouvantables de leur métier dans le cadre du système actuel, et qui s’abrutissent de médocs, ou se suicident. Voilà l’antithèse même de l’émancipation humaine. Au contraire, on réclamera toujours plus de moyens pour alimenter cette machine à  inculquer l’obéissance, la compétition, l’abrutissement et le déni de soi.

Ce qui nous choque aussi, concernant Force Ouvrière comme tant d’autres centrales syndicales dans leurs discours économiques, c’est de ne jamais évoquer la nature même de la production, des rapports de production, et de ne jamais évoquer la moindre critique de fond du système économique lui-même. On a l’impression de représentants s’échinant à hisser les voiles d’un navire sans gouvernail et dont la coque prend l’eau. Que l’immense majorité des gens soit contrainte à fabriquer de la merde pour obtenir de quoi survivre, avec de l’argent qui n’existe que pour nous diviser, que pour les besoins d’accumulation de pouvoir d’une bande de psychopathes aussi grotesques que dangereux, nous en sommes tou-te-s plus ou moins bien conscients : mais alors, quid des perspectives de réorientation réelle des moyens productifs à disposition ?

Est-il tenable, est-il responsable de ne pas remettre en question ce qui détruit la vie sur cette planète ? Armes, prisons, ou (dans le cas de l’extrait cité), projets écologiquement et socialement dévastateurs tels que la LGV, équipements pour l’industrie automobile ou la pétrochimie, avec leur cortège cauchemardesque de guerres, de mort-e-s et de mutilé-e-s, de misère de populations pillées et écrasées, de pollution sans retour ?

Ce n’est certes pas en condamnant le syndicalisme stupidement, dans son ensemble, que nous permettrons à ces perspectives vitales de reprendre du poil de la bête. Mais il nous semble tout aussi irresponsable de ne pas inviter les syndiqué-e-s de base, celles et ceux qui triment, qui rêvent et qui en prennent plein la gueule comme nous, à changer de perspective, à remettre en cause ensemble ces odes à la croissance, à la compétitivité et à la machinerie du salariat, au sein de leurs organisations et au-delà, dans leur vie quotidienne.

De façon générale, seul le syndicalisme, au sens premier de l’organisation indépendante et autonome des exploité-e-s/ dominé-e-s (qu’on soit encarté ou non), peut renverser le système qui nous broie, car il n’y a rien à attendre des chefaillons abjects, engraissés sur notre dos, quels qu’ils soient. A condition que cette organisation ne se transforme pas en une lubrification de ce système. A condition qu’elle demeure effectivement autonome, et indépendante des partis. Nous en sommes très loin, mais rien n’est jamais perdu.

Aussi serons-nous, sans drapeaux, au sein de la manif du 10 septembre, avec nos compagnes et nos compagnons exploité-e-s, pour partager ce message à notre humble échelle. Nous ne nous faisons aucune illusion : le soir même, tout le monde rentrera penaud-e chez soi. Mais dans la rue, des liens solidaires se tissent : la reconquête de l’espace social, le seul espace réel qui soit, s’opère. Cela prend le temps qu’il faut, loin des écrans, des affiches, des flonflons et du spectacle, des slogans faciles et des déclarations sans lendemain. Cette force se construit.

Pavillon Noir, 4 septembre 2013

Deux articles à propos de Monsanto

NdPN : deux nouveaux articles sur des victimes de Monsanto, entrées en lutte. L’un sur un agriculteur charentais, aujourd’hui malade, qui est revenu du mirage tout-chimique : il lutte juridiquement contre le géant agro-industriel. L’autre sur les paysans colombiens révoltés contre l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis, qui contraint les paysans à cultiver des « semences certifiées » et les punit s’ils ont l’outrecuidance de semer leurs propres graines. Pour un topo plus complet sur la situation en Colombie, voir cette compilation d’articles sur le Jura Libertaire.

Sortir des pesticides : Paul François, l’insoumis à Monsanto

Céréalier en Charente, Paul François a baigné dans l’agriculture intensive. Victime d’un accident lors de la manipulation d’un herbicide, l’agriculteur attaque son fabricant, Monsanto. Et gagne le procès en première instance. L’homme qui fait vaciller le géant de l’agrochimie n’est pourtant pas encore sorti des pesticides. Critiqué par ses pairs pour ne pas s’être converti au bio, soucieux de maintenir son rendement, il expérimente aujourd’hui des alternatives au tout chimique. Portrait d’un agriculteur au parler-franc.

Rien ne prédestinait Paul François à devenir un contestataire de l’agriculture intensive avec son lot de produits chimiques. C’est à Bernac, en Charente, que ce céréalier âgé aujourd’hui de 49 ans, a repris l’exploitation gérée par son père. « Un peu par défaut, confie t-il, avant que ça ne devienne une passion ». Durant des années, il mise sur « le tout chimique ». Il utilise massivement des engrais de synthèse, irrigue à tout-va pour le maïs. « Cela collait bien aux valeurs de l’entrepreneur et du travailleur, j’avançais ». Très vite, sa ferme s’agrandit. Ils sont aujourd’hui quatre, deux associés et deux salariés, à vivre sur un peu plus de 400 hectares, essentiellement en blé et maïs. Une grosse exploitation.

Lui-même n’imaginait pas qu’un jour, il troquerait une partie des produits de synthèse contre des purins de plantes. « Quand j’étais dans mon agriculture intensive, le purin d’ortie me faisait sourire. Puis quand on comprend les conséquences des molécules chimiques, on se dit que c’est peut-être avec ça que l’on a envie de travailler ». Il est fier désormais de pouvoir croquer le grain de blé qui sort de chez lui, d’en donner à ses poules et de manger leurs œufs. Sans danger. « Je me sens mieux dans ma peau de paysan, même si je sais que j’ai encore énormément d’efforts à faire pour ne plus avoir d’impacts sur l’environnement ».

Une prise de conscience progressive…

Avant d’en arriver là, Paul François et son associé ont commencé à réduire l’usage des produits phytosanitaires dès les années 90. La moitié de la surface est alors consacrée à des monocultures de maïs irriguées. « On cherchait à réduire nos coûts, c’était une démarche purement économique », précise t-il. Ils rencontrent d’autres agriculteurs ayant eux aussi réduit l’usage des produits chimiques mais pour d’autres raisons, notamment environnementales. « On a pris conscience petit à petit qu’il existait d’autres techniques ».

Au même moment, ils constatent des problèmes de texture du sol. « Il n’y avait plus de vie dans le sol, les rendements stagnaient. Plein de choses nous inquiétaient. »  Les rotations entre le blé et le colza semblent trop courtes. Ils décident donc de modifier leurs « façons d’exploiter » et commencent à rapporter de la matière organique dans les sols, du fumier en particulier. « Pour l’anecdote, il a fallu dix ans pour revoir du vivant dans le sol, comme les vers de terre. Cela avait quasiment disparu. »

… avant « l’accident »

Et puis il y a eu ce qu’il nomme « l’accident ». Suite à une mauvaise « manip », il inhale du monochlorobenzène, un composant du Lasso, cet herbicide fabriqué et commercialisé par le géant Monsanto. Nous sommes en 2004. Amnésie, insuffisance respiratoire, problèmes d’élocution, nausées, évanouissements… De cette intoxication « aigüe », il souligne « ses neuf mois d’absence de l’exploitation et ses 5 mois d’hospitalisation ». En 2005, Paul François demande la reconnaissance en maladie professionnelle. Cinq ans de procédure seront nécessaires avant qu’il ne l’obtienne. « A un moment donné, j’avais pris conscience qu’il y avait peut-être un danger pour l’environnement, mais bizarrement j’avais sous-estimé que je mettais moi-même et mes proches en danger. Un déni ? »

Déterminé, Paul François lance une procédure en responsabilité civile contre Monsanto. Et remporte une première bataille. « Monsanto est responsable du préjudice de Paul François suite à l’inhalation du produit Lasso », expose ainsi le jugement rendu le 13 février 2012 par le tribunal de grand instance de Lyon. Selon Me Lafforgue, Monsanto aurait manqué à son « obligation d’information » en ne détaillant pas la composition du produit sur l’étiquette, et en n’avertissant pas des risques liés à l’inhalation, ni de l’obligation de porter un masque. Sans surprise, la firme a fait appel. Et Paul prépare la suite. « Ils sont en train de vouloir retourner la situation, ce serait moi qui aurait tenu des propos diffamatoires ». Mais il tient bon. Certes, la médiatisation n’est pas toujours facile « malgré les apparences ». « Mais le point positif , ajoute t-il, c’est qu’elle aura permis à des agriculteurs de se dire « peut-être que je suis moi aussi victime… » ».

Double peine

Isolés, des agriculteurs se sont progressivement rapprochés de Paul François. Qui répète à l’envi qu’il ne serait pas là où il en est s’il avait été seul. Ensemble, ils créent l’association Phyto-Victimes en mars 2011 pour briser l’omerta sur le sujet. « La FNSEA ne veut pas dire que la chimie peut nous empoisonner et nous tuer, souligne Paul François. Le monde agricole et ses représentants syndicaux n’ont pas voulu s’investir sur ce dossier-là » lâche t-il, avant que le téléphone ne sonne à nouveau. C’est une nouvelle demande d’interview, suite à la parution d’une étude de l’Inserm reconnaissant les effets des pesticides sur la santé. « Plus que jamais nous avons une légitimité », résume t-il.

Paul François a toutefois une crainte, celle de la double peine. « Certains d’entre nous vont être malades, certains vont en crever, et ils pourront aussi être accusés. Demain, on ne pourra plus dire que l’on ne savait pas. » A ses yeux, il faut prendre ses responsabilités dès maintenant. Mais il n’est pas passé au bio pour autant. « La première raison c’est que l’agriculture biologique est beaucoup plus difficile et technique que l’agriculture que j’ai pratiquée ». Du fait de ses séquelles, il sait qu’il devra peut-être s’arrêter de travailler du jour au lendemain, et il ne veut pas laisser son associé et ses salariés « dans la panade ». Néanmoins, il estime qu’ « il faut faire tout ce qui est possible pour développer le bio, à commencer par la formation des jeunes ».

Enlever les produits dangereux

« En attendant de faire mieux, de faire bio, il faut pouvoir produire et que chaque consommateur, y compris celui qui vit avec les minimas sociaux, puisse se nourrir sans se mettre en danger ». Lui et son associé ont donc fait le choix d’aller vers une autre agriculture, « de façon progressive » insiste t-il. Il est impératif pour lui de maintenir son rendement « tout en faisant un blé qui soit le plus sain possible, avec des méthodes ayant le moins d’incidence sur la santé ». Avec leur coopérative, ils ont commencé par ne plus employer toutes les molécules classées « risques cancérigènes, cancérigènes avérés ou mutagènes ». Et il se réjouit que ses rendements et sa marge économique soient largement aussi bons que certains de ses collègues qui continuent à utiliser de l’isoproturon, un herbicide.

Il ne se fait toutefois pas d’illusion quant au résultat du plan Ecophyto, lancé en 2008, visant à réduire de 50 % les pesticides en dix ans. Alors que les volumes consommés ont augmenté entre 2009 et 2011, il interroge : « Même si on atteint 20 % de bio en 2020, que fait-on des 80 % qui, dans l’Eure ou la Beauce, continuent à produire n’importe comment ? Les nappes se rejoignent toutes à un moment donné et l’air ne connait pas de frontières. » Paul François propose que l’on commence par retirer du marché tous les produits dangereux, cancérigènes et mutagènes notamment, d’ici 2018. « Et qu’on arrête de dire que la production serait mise en danger ! »

Faire primer l’agronomie sur la chimie

Son lien au sol a aussi changé. Il ne s’interdit pas l’utilisation de molécules de synthèse, mais la chimie n’arrive qu’en dernier recours. « On s’est rapprochés notamment de nos collègues éleveurs et on fait des échanges de bons procédés : je leur fournis la paille et eux me fournissent du fumier. » De quoi lui faire économiser 30 tonnes d’engrais de synthèse en 2012. Les temps de rotations entre les cultures ont été réduits et les cultures qui permettent d’enrichir naturellement le sol en nitrates, telles que l’avoine ou le trèfle, ont été développées. Une approche agronomique qui lui aurait fait diviser par deux l’utilisation de pesticides.

Sa recherche d’alternatives l’a conduit à expérimenter des semences adaptées à son terroir. « On avait oublié de nous dire que les semences fournies devaient être biberonnées aux fongicides ».  Depuis le printemps 2013, Paul François a également décidé d’expérimenter des purins de plantes, de fougères notamment, sur une partie de son exploitation. Avec l’aide d’un membre de l’association pour la promotion de ces préparations naturelles (Aspro-PNPP), il observe les résultats sur plusieurs hectares de maïs, de colza, de blé dur et de betteraves. Sur le colza traité à l’extrait d’ail, il constate qu’il n’y a pas eu d’attaques de charançons, des insectes ravageurs.

Produire autrement

Considère t-il qu’il encourt un risque avec ces extraits végétaux ? « Pas davantage qu’avec les produits chimiques aujourd’hui pulvérisés et sur lesquels on n’a pas de recul », assène t-il. « Avant que le purin d’ortie ne provoque un cancer, il y a encore du chemin à faire ». Aujourd’hui, Paul François veut poursuivre ce protocole d’essais avec des préparations naturelles à plus grande échelle. « On essaie car on a besoin de solutions. »

S’il explore des pistes de sortie du tout chimique, il est conscient qu’il ne pourra pas compter sur l’aide de la chambre d’agriculture du département pour le faire. « Ils sont indécrottables », regrette t-il. Son exploitation peut apparaître paradoxale. Certains lui reprochent d’aller trop vite, d’autres trop lentement. « Mais je reste droit dans mes bottes. Il y a des choses que le monde agricole doit entendre ». Pas bio, pas vraiment de gauche, il n’avait pas le profil pour attaquer les lobbys de l’agrochimie. Lui estime n’avoir plus rien à perdre. « Mon pronostic vital a déjà été engagé trois fois ». Et sa liberté de parole, il y tient dur comme fer.

Sophie Chapelle, Bastamag, 3 septembre 2013

Coup de gueule

Ce soir je suis en colère, et je l’assume. Comme l’a écrit le philosophe, écrivain, et poète,  George Bataille :

« Le cœur est humain dans la mesure où il se révolte ».

L’humanité va crever de l’indifférence, des discours mous-du-genou, de l’incapacité des pauvres bipèdes que nous sommes à nous lever pour arrêter la barbarie et  défendre la vie.

Ce soir je suis en colère car j’ai reçu des nouvelles terribles de Colombie. Et ces nouvelles nous concernent tous !

Je les résume en quelques mots : la Colombie a signé un « accord de libre échange » avec les États Unis qui est récemment entré en vigueur. Cet accord contient une clause qui oblige les paysans à cultiver des « semences certifiées », c’est-à-dire produites par les « sélectionneurs » comme … Monsanto ou Syngenta.

Pour remplir cette « clause », l’Institut agroalimentaire colombien a publié un texte – la résolution 970- qui menace d’amendes et de poursuites judiciaires tout paysan qui continuerait de faire ce qu’il a toujours fait : garder  une partie de sa récolte pour ensemencer ses champs.

Depuis le 19 août, des dizaines de milliers de Colombiens – paysans, étudiants, mineurs, chauffeurs routiers, médecins- se sont lancés dans les rues pour dénoncer cette violation d’un droit humain fondamental : celui de se nourrir soi-même.

De violents affrontements ont eu lieu à Bogota, où le président Santos a déclaré le couvre-feu et mobilisé 50 000 membres des forces armées et de la police militaire pour « mater les vandales » et défendre la loi d’airain imposée par Monsanto et consorts.

Je connais bien la Colombie : cet immense pays à l’extraordinaire biodiversité a la capacité de nourrir sa population,  s’il laisse ses paysans faire leur travail. Pour cela, il leur faut de la terre, et la majorité d’entre eux en est privée. Si maintenant, on les empêche de sélectionner leurs graines, c’en est fini de l’agriculture vivrière colombienne.

Comme ce fut le cas au Mexique après l’entrée en vigueur de l’Accord de libre échange nord-américain (l’ALENA), le pays sera envahi par les produits agricoles bas de gamme et subventionnés des États Unis, les magasins Walmart et autres chaînes de discount qui pousseront à la rue des millions de petits paysans.

J’invite tous ceux et celles qui me lisent à regarder le reportage “Les déportés du libre échange” que j’ai consacré à l’ALENA, et qui a été diffusé sur ARTE en février 2012 . Je l’ai mis en ligne sur mon site web, et on peut aussi le trouver comme bonus sur le DVD des Moissons du futur :

http://www.mariemoniquerobin.com/deportesdulibreechangeextrait.html

Vous trouverez sur ce Blog d’autres billets concernant l’ALENA ainsi que des extraits du chapitre que je lui ai consacré dans mon livre Les moissons du futur. Ce soir, je mets en ligne un autre extrait de ce chapitre (voir ci-dessous).

Par ailleurs, je rappelle que l’Union européenne s’apprête à négocier un accord de libre échange avec les États Unis, dont j’ai aussi commenté les effets dévastateurs qui ne manqueront de s’abattre sur le vieux continent (voir aussi sur ce blog).

C’est pourquoi j’ai accepté de prêter mon image et mon nom à une affiche réalisée par le Collectif des Engraineurs qui s’est associé à la campagne qu’ATTAC et d’autres organisations ont décidé de lancer dès l’automne. Rejoignez-les !

affiche TAFTA

 Vu sur le blog de Marie-Monique Robin, 31 août 2013

[Chambon – 37] Hourra pour Lara

NdPN : une femme se bagarrait contre l’implantation d’une antenne relais défectueuse Orange chez elle. Pas facile, surtout quand des tas de voisin-e-s des communes voisines râlent parce qu’il n’y a pas de réseau ! Le juge des référés du tribunal de grande instance de Tours, saisi par Orange qui souhaitait réparer le relais, a finalement donné raison à Lara Vilatte, considérant qu’Orange occupe illégalement son terrain.

Orange doit démonter son relais de téléphonie

Privés de portable depuis quatre mois, la situation des habitants de quatre communes ne devrait pas s’améliorer, Orange vient de perdre son procès.

Depuis la mi-mars, des centaines d’abonnés d’Orange de plusieurs communes d’Indre-et-Loire et de quatre de la Vienne, Lésigny, Leugny, Mairé et Saint-Rémy-sur-Creuse, sont privées de portable (lire notre édition du 3 juillet).

Des maires proposent des terrains gratuits

En conflit avec le propriétaire du terrain où est implanté son relais haut d’une trentaine de mètres, Orange avait saisi la justice, en l’occurrence le juge des référés du tribunal de grande instance de Tours. Ce dernier vient finalement de donner raison au particulier. A l’origine du litige, il y a donc ce relais de téléphonie mobile défectueux implanté au début des années 2000 dans une parcelle des vergers de la Garenne, à Chambon (Indre-et-Loire). Or, la propriétaire, Lara Vilatte, refuse de laisser entrer les techniciens des télécoms pour procéder à la réparation. Pour elle, aucun document signé de sa main ne l’y oblige. Le juge des référés du tribunal de grande instance de Tours vient de lui donner raison. Au point que, selon la décision rendue, Orange occupe illégalement son terrain. Le juge a donné six mois à l’opérateur pour démonter son relais. Mais Orange a indiqué vouloir faire appel. Cette situation agace prodigieusement les habitants desservis par ce relais de téléphonie mobile. Ils sollicitent régulièrement leurs élus pour trouver une solution de rechange. Des maires proposent de mettre à disposition d’Orange des terrains communaux pour permettre l’érection d’un nouveau pylône sans attendre le règlement judiciaire du conflit actuel.

Nouvelle République, 17 août 2013