Archives de catégorie : Décroissance libertaire

[Châtellerault] Probable prolongation du site d’enfouissement de la Sita

NdPN : Le capitalisme transforme le monde en déchet, et c’est aux contribuables de gérer la merde. Illustration avec le site de la Sita.

Sita Saint-Sauveur : vers une prolongation de 6 mois ?

Le Centre d’enfouissement de la Sita à Saint-Sauveur devait être fermé à la fin du mois. Mais après 33 ans d’activité, on parle d’une prolongation… de 6 mois.

C’est le 1er juillet 1979 qu’a été ouvert le centre d’enfouissement de Saint-Sauveur. Trente-trois ans d’activité qui n’ont pas toujours été sans histoire. En tant d’années, en effet, la législation sur le stockage des déchets a profondément évolué. La sensibilité de la population au respect de l’environnement aussi.

Toujours est-il que les relations entre l’exploitant du site et les associations de défense de l’environnement se sont détériorées. Depuis longtemps. Alors, quand en octobre 2010, la préfecture a autorisé Sita/Suez, l’exploitant, à poursuivre une activité qui aurait dû s’arrêter, la vigilance des riverains s’est encore accrue. D’autant qu’à côté des odeurs, gênantes depuis longtemps, la perspective d’une possible pollution des eaux à long terme inquiète de plus en plus.

Une probable prolongation

L’échéance définitive est donc attendue avec impatience. A la fin de ce mois-ci. Impatience d’autant plus grande qu’en avril dernier, le préfet de la Vienne avait assuré élus et responsables d’Aspect, l’association de sauvegarde de l’environnement locale, que, cette fois, il n’y aurait pas de prolongation. Une assurance dont Vincent Butruille, le président d’Aspect, et ses amis, se sont rendus compte hier qu’elle pourrait bien être remise en cause. « Nous avons demandé six mois de délais supplémentaires, nous a confirmé hier David Aniel, le responsable du site. Un délai pour fermer les alvéoles dans de bonnes conditions. Et puis si le site est fermé lundi prochain, le département n’a plus la capacité de stocker ses propres déchets puisque l’extension de capacité de 50.000 à 110.000 tonnes par an que nous avons demandé pour le site de Sommière-du-Clain reste à l’étude. » « On attend donc cette nouvelle décision qui devrait intervenir rapidement après l’avis de la commission départementale d’évaluation des risques (CODERST) qui se réunit demain (aujourd’hui jeudi, donc). Une décision dont nous redoutons qu’elle soit à nouveau positive pour Sita, prophétise Vincent Butruille. Mais si c’est pour six mois et que cela s’arrête après, on sera patient… »

«  On finit de remplir ce qui est ouvert et on arrête  »

Du côté de la Sita, on assure que cela n’ira pas au-delà. « On finit de remplir ce qui est ouvert et on arrête », assure David Aniel. Et ensuite, en mars 2013 ? « Si l’autorisation est donnée à Sommières, les déchets iront là-bas. Mais les 80 km supplémentaires, ça va coûter… », assure le représentant de la Sita. « On est tranquille jusqu’à juin 2013, puisqu’un contrat existe, répond de son côté Jean-Pierre Abelin, président de la CAPC. Ensuite, il y aura un nouvel appel d’offres… » A terme, pourtant, pour les collectivités comme pour les industriels qui amènent leurs déchets à Saint-Sauveur, il est plus que probable que les coûts augmenteront. Et puis est-il bien raisonnable de faire faire une centaine de kilomètres sur la route à des déchets avant de les stocker ? « Pour une autre solution, l’échéance est lointaine », assure encore Jean-Pierre Abelin, qui voudrait croire à une solution départementale. Mais là, il aurait fallu prendre le problème beaucoup plus tôt…

Nouvelle République, Laurent Pinot, 27 septembre 2012

Mise à jour 28 septembre 2012, extrait de la Nouvelle République (28/09/12) :

déchets

 » Les coûts ne vont pas diminuer, c’est sûr ! « 

La question devait bien venir sur la table lors de ce conseil. C’est Jean-Claude Monaury, élu communiste qui la pose : « On a vu dans le journal que les déchets de Châtellerault devraient faire 80 km sur la route avant d’être enfouis. Ça risque de coûter cher ! »

Jean-Pierre Abelin s’attendait à voir arriver le sujet. « Jusqu’à présent, nous avons réussi à négocier avec Sita un contrat plus favorable que le précédent et qui court jusqu’au 30 juin 2013. Donc, pas de coût supplémentaire. Ensuite, il y aura un appel d’offres et on verra. »

« Oui, mais si on s’y était pris plus tôt on aurait une solution pour les déchets du Nord-Vienne sans ces kilomètres qui vont augmenter le bilan carbone », s’offusque l’écologiste Guy Gratteau.

« Des centres d’enfouissement, personne n’en veut ! Avec l’étude des dossiers, les enquêtes, les recours, il faut 10-12 ans pour faire aboutir un projet. Alors, celui que nous avions il y a trois ans, il ne serait toujours pas prêt. Et de toute façon, il aurait coûté très cher du fait du faible nombre de collectivités intéressées. De toute façon, c’est sûr, compte tenu de l’évolution de la réglementation, pour les ordures ménagères, on n’est pas près de diminuer les coûts ! »

Mieux vaut être prévenu…

[Répression nucléocrate] Rendez-vous devant le tribunal de Cherbourg le 9 octobre à 10h

Rendez-vous devant le tribunal de Cherbourg le 9 octobre à 10h

LA JUSTICE ATOMISE

Solidarité avec les inculpés de la presqu’île du nucléaire

En novembre 2011, un appel lancé par le collectif Valognes-Stop-Castor invitait à venir s’opposer au régime ordinaire de l’industrie nucléaire. Ce texte annonçait un campement pour perturber le passage d’un train CASTOR (transport de déchets nucléaires hautement radioactifs) en provenance de l’usine de la Hague et à destination du site de stockage de déchets de Gorleben, en Allemagne, où l’attendaient des dizaines de milliers de contestataires, comme chaque année à la même période depuis une vingtaine d’années. Au même titre que les trois personnes qui seront jugées à Cherbourg le 9 octobre 2012, nous sommes plusieurs centaines à avoir répondu à cette proposition et à nous être rendus dans le Cotentin, cette presqu’île du nucléaire, pour vivre une opposition concrète au nucléaire. La lutte antinucléaire semblait en effet à beaucoup coincée dans une impasse. A coups de slogans simplificateurs, de manifestations ritualisées jusqu’à l’ennui, de contre-expertises sans conséquences et d’alternatives dérisoires, elle s’est vue réduite au fil des ans à un simple marketing. Le désastre de Fukushima nous a brusquement rappelé que le nucléaire est d’abord terrible en ce qu’il nous dépossède durablement de nos conditions d’existence et étouffe toute aspiration à la liberté. Quelle vie reste-il à mener un dosimètre autour du cou ? En visibilisant la banalité des transports de matières radioactives, l’action de Valognes a voulu rappeler qu’en France nous vivons tous à bout portant du nucléaire, notamment dans le Cotentin1. Et qu’il est encore possible de renouer avec des actions directes collectives et publiques comme le mouvement antinucléaire en menait lors des luttes contre l’installation des centrales (Plogoff, Chooz, Golfech, SuperPhénix, Flamanville, Le Carnet pour n’en citer que quelques-unes). Le campement de Valognes s’est donc accompagné d’un effort d’explicitation afin de désamorcer une figure médiatique et policière -le casseur masqué- et afin de rendre le plus largement public ce type d’action. Mais pris au jeu d’un coup d’éclat spectaculaire, on est passé de la réunion publique au communiqué de presse, de la presse locale aux caméras du « 20heures » et, en chemin, de l’explicitation à la publicité. Ce glissement a amené à désigner des porte-parole. Trois personnes durent endosser ce rôle inconfortable au cœur d’un dispositif simpliste et abêtissant où l’efficacité de l’action politique et l’existence d’un mouvement se mesurent à l’aune de la couverture médiatique. Cette exposition médiatique a offert les images dont la justice s’empare à présent pour fabriquer des chefs. Le raisonnement du parquet est le suivant : le rôle qu’ont joué les inculpés dans les médias prouverait leur implication dans le collectif Valognes-Stop-Castor et les rendrait responsables de l’organisation du campement, de la coordination des actions sur le terrain et, par là-même, des dégradations. La justice achève ici de faire disparaître le caractère collectif d’actes dont le code pénal fait des délits. Pour instruire cette affaire et fabriquer ces trois coupables, elle atomise et attribue des responsabilités individuelles comme elle le fait jour après jour dans tous les tribunaux de France. Il s’agit moins de criminaliser une parole publique que de protéger la propriété privée et les intérêts de l’Etat. Rien de nouveau sous le soleil vert d’une société entre autre nucléarisée. Dans cette histoire, c’est la SNCF qui veut se voir rembourser 163 000 euros de dégâts sur une ligne. Et c’est l’Etat français – producteur et exportateur d’énergie nucléaire à l’échelle mondiale – qui voudrait retrouver le calme et la soumission qui accompagnent d’ordinaire son florissant commerce. Tentant de fissurer cette chape de plomb, Valognes se voulait un début. Quelques mois plus tard, un rassemblement s’organise au Chefresnes, dans la Manche. Il invite les opposants au nucléaire à rejoindre la résistance à la construction de la ligne électrique à très haute tension Cotentin-Maine. Cette fois l’action est brutalement réprimée, faisant des blessés graves et une arrestation entraînant une condamnation à trois mois ferme. Dans le même temps, les membres de l’assemblée du Chefresnes sont inculpés les uns après les autres ; inculpations répondant manifestement aux multiples perturbations qu’ont connu les chantiers durant des mois et tout particulièrement depuis Valognes… Ces tentatives d’organisation collective n’ont pas ralenti le rouleau-compresseur de l’industrie nucléaire et le nouveau gouvernement français n’a d’ailleurs rien perdu de son arrogance2. Elles ont néanmoins jeté quelques bases pour recomposer une opposition antinucléaire en France. D’une part, l’expression d’un mouvement excluant toute illusion citoyenne et refusant toute reconnaissance à l’Etat pour négocier une quelconque sortie du nucléaire. D’autre part, le souci d’horizontalité et l’absence de hiérarchie dans la prise de décisions qui ont offert la possibilité d’une action directe collective. Le petit théâtre judiciaire et son rythme usant ne nous feront pas oublier les raisons du rassemblement de Valognes, dans cette région rongée par les cancers et le silence où plus qu’ailleurs encore, le nucléaire, on en vit et on en crève. Solidarité avec les inculpés de la presqu’île du nucléaire et rendez-vous au tribunal de Cherbourg avec les inculpés de Valognes, pour que ce procès ne reste pas enfermé dans le huis clos judiciaire.
Collectif de soutien aux inculpés de la presqu’île du nucléaire lajusticeatomise@yahoo.fr
1 Le Cotentin est une des régions les plus nucléarisées du monde : à La Hague, une usine de retraitement des catastrophes quotidiennes qui stocke le combustible d’une soixantaine de réacteurs ; à Flamanville, un EPR, étendard mondial et déjà mité des centrales nucléaires françaises ; à Cherbourg, un arsenal militaire consacré à la terreur atomique mondiale ; à Digulleville, un centre de stockage de déchets radioactifs qui contaminent la nappe phréatique ; partout autour, ces territoires quadrillés, assujettis et balafrés par ces lignes « très haute tension » (THT) destinées à alimenter le marché concurrentiel et international de l’énergie. 2 En quelques mois, il aura nommé comme porte-parole du gouvernement Cazeneuve -député Cogema dans la Manche depuis des lustres-, relancé la recherche sur le surgénérateur Astrid de quatrième génération, acté le maintien du parc nucléaire actuel, annoncé l’ouverture de la plus grande mine d’uranium du monde à Imuraren au Niger, validé le développement de l’EPR en France et à l’international, poursuivi la construction de la ligne THT Cotentin-Maine etc. Les trois inculpés sont convoqués le 9 octobre 2012 à 10 heures au tribunal de Cherbourg pour les chefs d’inculpations suivants :

Complicité de destruction de biens d’autrui par l’effet d’un moyen dangereux pour les personnes.

Incitations directes ayant provoqué un attroupement de plusieurs centaines de personnes dont certaines étaient armées.

Organisation d’une manifestation sur la voie publique ayant été interdite.

Coordonnées pour envoyer les soutiens financiers : Chèque à l’ordre de APSAJ – 6 cours des Alliés – 35000 Rennes ou IBAN : FR76 4255 9000 5541 0200 1473 207 Code BIC : CCOPFRPPXXX Contacts : legalteamvalognes@riseup.net

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UN TRAIN VAUT MIEUX QUE DEUX TU L’AURAS

Le 23 novembre dernier, aux alentours de Valognes dans la Manche, 800 personnes se mettaient en tête de retarder un train CASTOR de déchets radioactifs et y réussirent. Pour la première fois depuis longtemps en France, le mouvement anti-nucléaire reprenait le chemin de l’action directe de masse. Il faisait entendre une voix qui ne tremble pas. Il répondait aux dizaines de milliers d’allemands qui bloquent ce même train chaque année depuis vingt ans. Dans la région la plus nucléarisée du pays le plus nucléarisé du monde, ce n’était pas chose acceptable. Et puisqu’on a coutume de passer sous silence les incidents qui ponctuent l’existence des centrales et des installations dites de retraitement, on voudrait aussi faire taire les opposants.
Ainsi, sur le terrain et six mois plus tard, on a lâché toute bride à la police et le camp anti-THT de Montabot se terminait avec vingt-cinq blessés dont trois graves. Ensuite, c’est une véritable déferlante de procédures judiciaires qui s’abat sur tous ceux qui résistent au nucléaire dans la région : neuf inculpés pour Valognes ; le maire du Chefresne gardé à vue qui démissionnait en même temps que son conseil municipal ; plusieurs procès et condamnations, dont une de prison ferme, pour participation à la lutte contre la THT Cotentin-Maine ; pléthore de convocations intimidantes. Cet acharnement judiciaire n’est autre que le masque d’une attaque politique contre les ennemis du nucléaire.
Un nouveau procès aura lieu le 9 octobre 2012 à Cherbourg, contre trois des personnes qui ont pris sur elles d’expliquer aux médias le sens de l’initiative du camp de Valognes. Ce serait un précédent pour toutes les luttes politiques que le simple fait de répondre à des journalistes soit condamné sous de tels chefs d’inculpations : provocation directe suivie d’effet à un attroupement armé, organisation d’une manifestation interdite et complicité de destruction du bien d’autrui. Et quelles preuves pour étayer un tant soit peu de si lourdes accusations ? Deux ou trois interviews à BFM TV, Le Figaro ou France Soir, qui suffiraient à les désigner comme des sortes de leaders auto-proclamés ordonnant à une armée d’obéissants moutons.
L’opération est donc grossière. On voudrait faire en sorte que des événements comme celui de Valognes ne puissent pas être accompagnés d’un discours assumé publiquement. On voudrait que ceux qui y participent soient des criminels sans phrase ou des fous irresponsables. On voudrait absolument qu’il y ait des chefs pour nier la possibilité qu’il existe des manières de s’organiser qui ne soient pas hiérarchiques. Ce qui est recherché, c’est d’empêcher toute formulation intelligible d’un engagement collectif et offensif. Ce que nous recherchons, c’est à rendre possible l’insolente coïncidence entre des gestes et des pensées. Ce procès ne pourra jamais paraître vraisemblable ailleurs que dans le huis-clos ronronnant d’une salle de tribunal. C’est pourquoi nous appellons à le déborder par le plus large soutien des trois personnes inculpées et vous invitons à vous rendre devant le tribunal lors du procès :

RENDEZ-VOUS DEVANT LE TRIBUNAL DE CHERBOURG LE 9 OCTOBRE A 10 H

Collectifs de soutien aux inculpés de Valognes legalteamvalognes@riseup.net.
Pour du soutien financier : chèque à l’ordre de APSAJ – 6 cours des Alliés – 35000 Rennes – France IBAN : FR76 4255 9000 5541 0200 1473 207 Code BIC : CCOPFRPPXXX

L’homme contre la nature : attention danger

L’HOMME CONTRE LA NATURE : ATTENTION DANGER

Les négociations sur le climat qui se sont tenues à Durban (Afrique du Sud) en novembre-décembre 2011 ont accouché d’une « feuille de route », une « avancée significative » en langue de bois, un « nouvel échec » en termes réels, puisque même la question cruciale de la déforestation a été quasiment éclipsée. Après l’abandon de la Russie, du Canada et du Japon, les signataires ne représentent plus que le dixième des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). L’avenir est des moins contraignants : 2015 pour aboutir à un accord global en 2020 ! Autant dire, utiliser une brouette pour transporter un hémiplégique à l’hôpital le plus proche !

Alors que le changement climatique semble être plus rapide que prévu, l’oeil rivé sur les Bourses mondiales, chacun défend ses intérêts et refuse toute phase de restrictions sur les émissions de GES. Les pays industrialisés reconnaissent du bout des lèvres leur responsabilité historique dans le désastre écologique à l’oeuvre depuis plus d’un demi-siècle. Les pays émergents ne veulent pas prendre le risque de réduire leur dynamisme économique. C’est en parfaite connaissance de cause que les élites dirigeantes, toutes tendances confondues, ont créé cette situation. Le dilemme est terrible : aujourd’hui, ou on s’acharne à préserver la planète et on torpille l’économie,  ou on s’active à doper l’économie et on saccage ladite planète ! Ce que résume bien la vice-présidente en charge du développement durable à la Banque mondiale : « Les forêts ne peuvent pas être préservées si les gens ont faim. » Sept  milliards d’individus dont une bonne partie fascinée par la technoscience, était-ce une fatalité ?

Logique de profit, logique de mort

Pendant des millénaires, l’activité productive des hommes, reposant essentiellement sur la chasse, la pêche, la cueillette, puis l’agriculture et l’élevage, s’est discrètement intégrée aux mécanismes de l’écosystème naturel. Tout s’accélère avec la révolution industrielle. Devenant de plus en plus abstraite, la science économique, inséparable de l’histoire du rationalisme occidental, intègre pleinement le dogme mécaniste. Dangereuse illusion d’un savoir qui, tout absorbé à contempler ses équilibres internes, se croit autonome par rapport à la réalité écologique. L’environnement a été subordonné aux besoins de l’activité économique et considéré comme un ensemble de ressources illimitées, les nuisances environnementales se traduisant par des coûts qui ne devaient pas être intégrés dans les calculs, c’est-à-dire « externalisés », donc reportés sur l’ensemble de la société et surtout les générations futures.

Le capitalisme n’a pas seulement réussi à dresser les salariés, les individus les uns contre les autres, il a réduit l’homme à ses deux seules fonctions de travailleur et de consommateur, il a opposé l’homme à la nature, l’écologie à l’économie. Une économie – et surtout une sphère financière – totalement déconnectée du réel, et qui s’impose comme finalité des conduites individuelles et des décisions collectives. Alors que la gestion des écosystèmes, élaborée depuis des millénaires, ne peut se concevoir que sur le très long terme, la recherche de l’accumulation du profit maximum opère sur le court terme. Alors que la logique du vivant consiste à maximiser des stocks (la biomasse) à partir du rayonnement solaire, l’économie capitaliste maximise des flux marchands en épuisant des stocks naturels. La nature transforme des déchets en ressources (économie cyclique), le capitalisme industriel fait l’inverse (économie linéaire). Alors que les écosystèmes non perturbés se diversifient, accroissant par là-même leur stabilité dans le temps, la gestion humaine, en privilégiant les variétés économiquement performantes, introduit l’uniformisation et l’instabilité. La reprodution du capital n’assure pas celle de la biosphère. C’est-à-dire en définitive une logique du vivant (photosynthèse) contre une logique de mort (marchandise, profit). Il est révélateur qu’un sol « mort » ait plus de « valeur » qu’un sol « vivant » (un espace vaut 10 à 100 fois plus comme terrain à bâtir que comme ensemble naturel !). Par ailleurs, le mode de calcul du PIB ne tient aucun compte de la dépréciation du capital naturel (eau, air, minerais, énergies fossiles, forêts…). Avant l’invention du feu, l’homme primitif ne dépensait que 2 à 3000 kilocalories par jour (pour sa nourriture) ; aujourd’hui l’Européen dépasse 150 000 kcal ! Parallèlement, la période de doublement de la population mondiale est d’environ 1500 ans du néolithique au milieu du 17e siècle, contre 35 ans pour la fin du 20e siècle. Une situation explosive !

Nous avons profité, sans les entretenir, des services rendus par les écosystèmes : nourriture, fibres, matériaux, ressources génétiques, épuration des eaux, fixation des sols, pollinisation, beauté des paysages…Nous avons oublié, ou ignoré, que les êtres vivants les plus « ordinaires » – que nous avons souvent qualifiés de « nuisibles » – (animaux, végétaux, mais aussi bactéries, virus, champignons…) assurent ce travail indispensable à notre survie. Nous avons considéré les sols comme des substrats inertes dans lesquels il fallait injecter de l’azote, du phosphate, du potassium. Nous avons bousculé les haies, les talus, refuges des oiseaux et des insectes, parce qu’ils constituaient des obstacles à la rentabilité de la mécanisation. Nous n’avons augmenté la production agricole qu’en utilisant dix à vingt fois plus d’énergie que nos ancêtres, avec par conséquent un rendement énergétique plus faible. Nous avons voulu façonner le monde à un rythme fou, avant de pouvoir comprendre l’ensemble des processus naturels qui régissent les interactions entre les organismes vivants de la biosphère (effets de synergie, de seuil, d’amplification, d’irréversibilité). Bref, nous avons considéré la « civilisation » comme la lutte permanente contre la nature.

Et c’est avec effarement que nous découvrons aujourd’hui qu’aucune disparition d’espèce n’est réellement compensable ; que chaque écosystème est unique, que sa destruction est souvent irréversible, malgré une grande capacité de résilience ; que les mécanismes de la nature sont des systèmes complexes et dynamiques, qui ne se soumettent pas à la modélisation comme des systèmes linéaires. Nous prenons conscience avec stupéfaction que les molécules chimiques empoisonnent les différents milieux de vie, que les stocks d’énergie fossile s’épuisent, que le climat menace de s’emballer, et que les solutions techniques censées résoudre les problèmes que nous avons créés pourraient bien n’être que des mirages. Est-ce si surprenant pour une civilisation qui semble avoir cessé de respecter la vie ?

Coopérer ou périr

Il est plus que temps de repousser les assauts des scientistes arrogants : on peut utiliser le passé sans être passéiste ; on peut s’opposer au progrès aveugle sans s’opposer aveuglément au progrès. Comme l’exprime D. Macdonald dans Le socialisme sans le progrès : « la culture d’aujourd’hui est imprégnée par la pensée scientifique, à un degré tel que des individus modérés et rationnels réagissent à la moindre mise en doute du progrès comme un fondamentaliste du Tennessee à qui l’on exposerait les théories de Darwin ». Constatant que les créations humaines tendent de plus en plus à s’affranchir de leurs créateurs, il est plus que temps de se livrer à une « interprétation écologique de l’histoire », de penser la complexité (analyse des relations, approche globale, mise en évidence des niveaux d’organisation, éclairage multidisciplinaire…), de réinventer notre rapport à la nature, c’est-à-dire de (re)devenir des observateurs attentifs du monde naturel ; de travailler avec, et non pas contre, cette nature ; de respecter le rythme et les propriétés du vivant ; de rendre compatibles nos modes de production avec les limites de la biosphère ; de retrouver des savoir-faire aujourd’hui disparus ou abandonnés. La « bio-économie » prétend réconcilier deux logiques qui n’auraient jamais dû s’opposer. « (…) la grande mission des individus n’est pas de conquérir la nature par la force mais de coopérer intelligemment et amoureusement avec elle », écrivait Lewis Mumford, philosophe de l’environnement influencé par la pensée politique anarchiste, et en particulier par E . Reclus.

La société humaine peut enrichir mais aussi détruire le monde naturel (et il sera plus difficile et plus coûteux de reconstruire la nature que d’élaborer un autre système économique); le social et le naturel s’interpénètrent constamment, les problèmes écologiques ne peuvent être diossociés des problèmes sociaux. La question fondamentale devient donc : comment reconstruire la société pour rendre harmonieux les rapports entre l’être humain et la nature ? Il apparaît évident, comme l’exprime Murray Bookchin, qu’il faille remettre en cause la notion même de domination. Les différentes formes de domination économique et culturelle (entre générations, entre sexes, entre groupes ethniques), l’émergence des hiérarchies, des classes, de l’Etat ont en effet accéléré la domination de la nature par l’homme.

Accéléré et non créé, car la réalité est probablement plus complexe. D’une part, des sociétés non hiérarchiques ont pu dégrader leur environnement. Contrairement au mythe du bon sauvage vivant en harmonie avec la nature, nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ont parfois surexploité jusqu’à l’extinction les populations animales qu’ils traquaient, en l’occurrence la mégafaune, l’ensemble des espèces animales de grande taille. D’autre part, des sociétés hiérarchisées (monde islamique, Extrême-Orient) n’ont pas engagé, comme l’Europe, un processus dynamique de transformation du monde, de croissance économique, c’est-à-dire de détérioration du monde naturel (même si ce n’est plus vrai aujourd’hui, notamment pour la Chine). L’erreur funeste serait de croire, comme la plupart des trotskystes notamment, qu’il suffirait de résoudre la question sociale pour traiter le problème écologique.

Quoi qu’il en soit, si l’humanité veut assurer son avenir, elle devra réinstaurer la primauté du politique sur l’économique,  cesser la course à la productivité et la compétition pour le contrôle des ressources, remettre en cause une complexité de l’organisation sociale qui la fragilise, s’attacher à percevoir un intérêt général, à maintenir la diversité mais dans l’unité,  à prioriser la couverture des besoins vitaux (alimentation, santé, éducation, culture), les technologies « écologiques », les structures à échelle humaine, à promouvoir la participation, l’engagement, la responsabilité individuelle, la solidarité, la recherche d’un développement qualitatif. Il faut tout autant se méfier d’une idéologie qui exige le sacrifice du présent au profit de l’avenir que d’une société qui condamne ses descendants par des choix irréversibles. Il n’y aura d’avenir que dans l’élévation de l’homme.

Jean-Pierre Tertrais (Groupe La Sociale, FA Rennes), mars 2012

[Taiyuan – Chine] Dans l’enfer de l’aïe-phone 5

« La fabrique chinoise de l’iPhone 5 est inhumaine »

Un journaliste est parvenu à s’introduire dans l’usine de montage de l’iPhone 5. Il révèle des conditions de travail inhumaines.

Si une grande partie de la planète avait les yeux tournés mercredi soir vers San Francisco, où se déroulait la présentation de l’iPhone 5, beaucoup tentent de détourner leur regard de Taiyuan, capitale de la province du Shanxi en Chine, où se trouve la Foxconn Factory, véritable sanctuaire où sont assemblés quelques 57 millions d’iPhone. Ce qu’il s’y passe mérite pourtant toute l’attention après qu’un journaliste de l’agence de presse Shanghai Evening Post s’est immergé dans cette fabrique où règne des conditions de travail inhumaines.

Pendant dix jours, ce journaliste, qui préfère garder son identité secrète, s’est introduit dans la Foxconn Factory et a travaillé trois jours à l’assemblage du boîtier noir de l’iPhone 5. Une durée pendant laquelle il a tenu un journal de bord dans lequel il décrit, dans le détail, son expérience que le Daily Mail a retranscrit ligne par ligne.

De nombreuses manifestations ont par le passé dénoncé les conditions de travail qui règnent à Foxconn et qui ont déjà mené plusieurs travailleurs au suicide.© afp.

Dortoirs nauséabonds et grillagés

Visiblement, il est facile de se faire engager en tant qu’ouvrier à Foxonn où seuls une carte de citoyen chinois et un bon carnet de santé sont réclamés. Après un test d’aptitude mentale et un entretien destiné à s’assure qu’il dispose d’une santé mentale conforme, il fut engagé. À Foxonn, comme pratiquement partout en Chine, les travailleurs dorment sur leur lieu de travail. « Un cauchemar », écrit-il. « Il s’échappait du dortoir un mélange d’odeurs de sueur et d’immondices », provenant notamment des ordures qui s’ammoncelaient à l’extérieur de ce bâtiment aux fenêtres grillagées. « L’armoire censée accueillir mes vêtements était remplie des cafards tandis que j’avais pour seule couverture des draps sales et remplis de cendres ».

Une fois débarrassés de leurs effets personnels et après une séance d’entraînement et une brève formation, les travailleurs sont invités à rejoindre leur poste. À la nuit tombée. « Nous étions autorisés à nous reposer en journée ». Pris de fièvre et de maux de tête terrible -il en ignore les raisons-, l’infiltré a été confronté à la carence des services sanitaires et des équipes médicales. « J’ai tenté d’obtenir d’urgence une visite médicale, mais il n’y avait qu’un médecin qui s’occupait de cinq patients en même temps ».

Surveillance maximale

Foxconn est en outre un quartier sous haute surveillance. Le panneau à l’entrée de la ligne de production (« Espace sous haute-sécurité ») indique les règles strictes auxquelles sont soumis les travailleurs, obligés de passer au détecteur de métal à chaque entrée ou sortie. « Tout objet métallique, quel qu’il soit -boucle de ceinture, boucle d’oreille, appareil photo, téléphone portable, lecteur mp3- y est formellement interdit, sous peine de licenciement immédiat ». Un simple câble USB aurait justifié le renvoi d’un ouvrier. Après avoir pénétré dans cet atelier de production d’où s’échappent un bruit assourdissant et une forte odeur de plastique, le journaliste prend ses quartiers qu’il ne pourra quitter, sauf ordre contraire du contre-maître. « Une fois que vous vous asseyez, vous faites ce qu’on vous dit ». Enfin, la tâche qui l’attend lui est présentée. « Il s’agit de la nouvelle plaque arrière de l’iPhone 5, vous devez être honorés d’avoir la chance de la produire ».

Comme pour faire amende honorable, Tim Cook, le big boss d’Apple, s’est déplacé en personne à Foxconn pour s’assurer des conditions de travail. L’envers du décor semble bien différent de celui qu’il a pu observer.© reuters.

Cadence infernale

Assigné à un travail minutieux qui consiste notamment à placer les  protections en caoutchouc des écouteurs et à marquer les plaques arrières du nouveau téléphone Apple, le jeune apprenti suscite la colère du contre-maître à la fois pour avoir gaspillé la colle et pour un manque d’efficacité. « Notre superviseur a reconnu que notre tâche était normalement dévolue aux femmes, plus agiles, mais en raison d’un nombre trop élevé de démission, il n’avait d’autre choix que de la confier aux travailleurs masculins ». Le rythme de travail est effréné. Les gestes se repètent à une cadence infernale, presque toutes les trois secondes. Sans qu’aucune erreur ne soit tolérée. Les douleurs physiques, liées à la répétition des mouvements et à une position identique, sont insupportables.

Dix minutes au coin!

Pas question pour autant de relâcher la pression. « Un travailleur assis face à moi s’est reposé un court instant. Surpris par le superviseur, il a été envoyé au coin (sic) pendant dix minutes. Initialement prévu de minuit à six heures du matin, le temps de travail sera allongé. « La ligne de production ne s’arrête que lorsqu’une sonnerie retentit. Nous avons été sommés de poursuivre le travail, malgré l’épuisement ». Après dix heures de travail, près de 3000 plaques arrières de l’iPhone 5 sont passées entre les mains de l’infiltré. Quatre lignes de production se chargent d’effectuer les mêmes tâches. Sur chacune d’elles, douze travailleurs jouent les automates et atteignent des résultats astronomiques en une demi-journée de travail: jusqu’à 36.000 pièces.

Pourtant, le contre-maître encourage les travailleurs à produire plus. « Nous sommes ici pour gagner de l’argent! Nous devons redoubler de travail! ». Pourtant, le salaire ne favorise pas le dépassement de soi. Pour deux heures supplémentaires, un travailleur empoche 27 Yuan (3,3 euros). Et ce, pour permettre à Apple de livrer en temps et en heure, les millions de smartphone dans le monde.

Pour deux heures supplémentaires, un travailleur empoche 3,3 euros. Et ce, pour permettre à Apple de livrer en temps et en heure, les millions de smartphone dans le monde.© reuters.

Vu sur 7sur7.be, 13 septembre 2012

NdPN : pour une critique plus large du téléphone portable, se reporter par exemple au site de Pièces et main d’oeuvre.

Mise à jour 24/09/2012 : une émeute contre la direction cette nuit dans l’usine !

Maladies neurodégénératives : « rien n’est fait pour enrayer la pandémie »

Maladies neurodégénératives : « rien n’est fait pour enrayer la pandémie »

Aujourd’hui, c’est la Journée mondiale contre la maladie d’Alzheimer – youpi. L’occasion de rappeler que si médias et spécialistes évoquent souvent l’explosion du nombre de malades, les causes de cette explosion sont rarement abordées, voire jamais. Un « oubli » que tentent de réparer Marie Grosman et Roger Lenglet, auteurs de « Menaces sur nos neurones. Alzheimer, Parkinson… et ceux qui en profitent. » Entretien.

Cet entretien a été publié dans le numéro 9 de la version papier d’Article11

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C’est un livre uppercut, dérangeant. Et qui assène des vérités que bien peu veulent entendre. Dans Menaces sur nos neurones (Actes Sud, 2011), Marie Grosman et Roger Lenglet1 dissèquent au scalpel l’affolant développement des maladies neurologiques en France. Au premier rang de celles-ci, la maladie d’Alzheimer – 800 000 à 1 million de Français en souffrent déjà, 225 000 nouveaux cas sont recensés chaque année –, mais aussi la maladie de Parkinson, l’autisme, la sclérose en plaques, etc. Là où pouvoirs publics et instances médicales officielles s’entendent pour ne parler que de traitements, les auteurs de Menaces sur nos neurones mettent à jour les causes de cette explosion et les raisons de la paralysie de la prévention.

S’appuyant sur de multiples études scientifiques publiées dans des revues internationales de référence, l’ouvrage trace un tableau effrayant des agressions contemporaines subies par nos cerveaux : mercure, pesticides, aluminium, plomb, PCB, PBDE, particules ultrafines, ondes électromagnétiques… Une « folle bacchanale » d’éléments neurotoxiques conséquence d’« un demi-siècle de prolifération de substances chimiques, de lobbying industriel, d’indulgences calculatrices et de refoulement des questions de santé embarrassantes ».

En 1999, lors de la présentation d’une étude menée sur la présence d’aluminium dans l’eau du robinet, un haut fonctionnaire avait supplié Marie Grosman et Roger Lenglet, qui l’avait rédigée, de rester discrets : « N’affolez pas la population. Surtout, ne créez pas de panique ! » Les instances officielles voudraient qu’il en soit aujourd’hui de même pour leurs conclusions sur les maladies  neurodégénératives. Peine perdue : ils comptent bien continuer le combat.

Quand vous avez commencé cette enquête, vous pensiez déboucher sur un constat si accablant ?

Roger : « En partie. Pour les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson, les chiffres montrant qu’il y a une véritable explosion du nombre de malades sont connus depuis un certain temps. Mais nous n’imaginions pas que l’ensemble des maladies du cerveau soit concerné. Ni que la catastrophe progresse aussi rapidement. Ça paraît pourtant évident dès qu’on se penche sur les études épidémiologiques, les témoignages des professionnels de la santé ou les conclusions des colloques en neurologie.

L’ampleur du déni nous a également soufflés. Alors que le niveau de connaissances est désormais très élevé, la prise en compte de ces données se révèle d’une faiblesse hallucinante. Ce que nous avions déjà remarqué sur nos sujets de prédilection (le scandale du mercure pour Marie, celui de l’aluminium pour moi), à savoir l’immobilisme absolu en matière de prévention, se vérifie en fait à tous les stades. »

Marie : « Une étude du Collège européen de neuropsychopharmacologie, publiée en septembre 2011, a montré que plus de 38 % des habitants de l’Union européenne souffrent de maladies ou troubles neurologiques. Ces affections sont responsables de plus de la moitié des Années vécues avec une incapacité (AVI2), bien davantage que le cancer ou le diabète. Et les projections s’avèrent effrayantes : elles prévoient de 115 à 130 millions de malades d’Alzheimer dans le monde à l’horizon 2050. Malgré ce constat terrible et ces perspectives accablantes, rien n’est fait pour enrayer la pandémie. »

Pourquoi le volet prévention est-il si négligé ?

Roger : « L’attention de l’ensemble des acteurs de la santé se polarise sur les profits potentiels : traitements et accompagnement, maisons médicalisées, recherches de brevets pour de nouveaux traitements et pour des tests de diagnostic précoce, etc. Comme la prévention n’a rien de rentable, personne ne s’en charge. Quelle entreprise va investir dans une campagne contre les expositions aux produits neurotoxiques sans le moindre bénéfice en vue ? Par contre, les investissements dans les traitements sont d’autant plus lucratifs que la pandémie est quasi exponentielle.

La recherche médicale est désormais totalement vampirisée par le privé. Même la recherche publique est devenue la sous-traitante des intérêts du privé. Si l’État ne met pas un centime dans la prévention, personne ne le fera.

S’y ajoute le fait que les études mettant en évidence les causes de ces maladies ne sont lues que par les spécialistes du sujet. Nous nous trouvons dans une situation schizophrénique, comparable à celle de l’amiante dans les années 1990 : il a fallu que les malades eux-mêmes se mobilisent massivement pour finalement imposer l’idée qu’il fallait interdire la substance cancérigène. »

Marie : « Il est difficile de faire passer un message de prévention quand les causes sont multiples. Pour les maladies du cerveau, c’est souvent le cas : s’il y a des situations où la substance neurotoxique est assez puissante pour provoquer à elle seule la maladie neurologique (c’est le cas du mercure et de certains pesticides), nous sommes généralement plutôt confrontés à un « effet cocktail ». La configuration idéale pour un déni massif – même si les différents facteurs de risque sont identifiés, notamment grâce aux recherches épidémiologiques et toxicologiques. »

La situation semble sans issue…

Marie : « Notre cerveau est soumis à une multitude de toxiques présents à faible dose dans notre environnement, et agissant souvent en synergie. Mais il serait dramatique de prendre prétexte de cette complexité pour ne rien faire. D’autant que ce n’est pas insurmontable : il est possible d’abaisser l’exposition à telle et telle substance en remplaçant son usage par des produits non-toxiques. L’interdiction d’utiliser le plomb comme additif dans l’essence a ainsi réduit de façon importante l’exposition de la population à ce redoutable neurotoxique, responsable de déficits cognitifs chez de nombreux enfants. »

Roger : « Des solutions concrètes existent. Il faut se battre à tous les niveaux, comme ça a été le cas contre l’amiante ou contre les éthers de glycol, malgré les pressions des industriels concernés. Le règlement REACH, qui impose d’enregistrer et d’évaluer les substances chimiques au niveau européen, en est une belle illustration, même s’il comporte encore des failles importantes pour les substances dont la production ne dépasse pas une certaine quantité. Depuis 2006, la majorité des substances mises sur le marché doit faire l’objet d’une évaluation, avec le risque d’un éventuel retrait de licence. Les industriels parlaient d’ « Armageddon économique », mais REACH a finalement vu le jour. C’est un début.

Nous nous sommes également rendus compte qu’il était possible d’imposer des accords commerciaux à condition que les ONG s’organisent pour amplifier leur pression. Ce que fait Marie avec le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) en est un bon exemple : elle est la représentante pour la France et l’Europe des ONG mobilisées pour l’interdiction de l’usage du mercure. Sur ce dossier important, un accord international d’interdiction avec 125 pays est sur le point d’aboutir.  L’argument qui consiste à dire que la machine infernale est lancée et impossible à stopper est criminel. La situation exige simplement toute notre énergie face à des lobbies industriels capables de payer des légions de représentants à longueur d’année pour défendre leurs produits délétères. »

L’explosion de ces pathologies est toujours imputée aux deux mêmes causes : le vieillissement de la population et l’amélioration du diagnostic. Que répondez-vous lorsqu’on vous oppose ces arguments ?

Marie : « L’amélioration du diagnostic est une évidence, mais il faut garder à l’esprit les proportions. Prenons l’exemple de l’autisme : un diagnostic plus précoce ne suffit pas à expliquer la multiplication sidérante des cas. Aujourd’hui, on dénombre 600 000 personnes autistes en France, et le nombre d’enfants concernés a été multiplié par 50 en 17 ans. Par définition, le vieillissement de la population n’est évidemment pas en cause pour l’autisme.

Même dans le cas de la maladie d’Alzheimer, considérée comme une maladie du grand âge, de plus en plus de « jeunes » sont touchés : la France compte aujourd’hui de 30 à 50 000 malades de moins de 60 ans. Même les adolescents commencent à être concernés : le plus jeune cas a été décelé à 13 ans. »

Roger : « Si les personnes âgées sont plus touchées, c’est essentiellement en raison du temps de latence entre l’exposition aux causes et le déclenchement de la maladie. Il en va de même pour les cancers. C’est ce délai qui permet tous les scandales sanitaires. Plus le temps de latence est long, plus il est facile d’ignorer les causes. L’amiante avait donné lieu à un discours semblable, façon : « C’est une maladie de vieux, il faut bien mourir de quelque chose. » Mais les expositions à l’origine de la maladie remontaient à 30 ou 40 ans auparavant ! Imputer la maladie à la vieillesse est un abus de langage qui crée un obstacle intellectuel. C’est confondre la cause et le contexte d’apparition. »

Marie : « De nombreuses études permettent de comprendre la progression de l’épidémie et le fait qu’elle n’est pas liée à la vieillesse. Une étude de l’université de Southampton, portant sur tous les pays de l’Union européenne, a par exemple analysé l’évolution des décès dus à des maladies neurologiques entre 1979 et 1997, chez les personnes de moins de 74 ans. Sa conclusion : le nombre de ces décès a été multiplié par trois en moins de 20 ans. L’auteur principal, Colin Pritchard, a confié : « Ce qui me fait réellement peur, ce n’est pas qu’ils sont plus nombreux, mais qu’ils sont de plus en plus jeunes. » Bien que l’étude ait été publiée dans un journal scientifique réputé (Public Health), personne n’en a parlé en France. »

Les médicaments contre Alzheimer sont inefficaces ou dangereux, à l’image de l’Aricept dont vous écrivez que « le rapport bénéfice/risque est caricatural ». Pourquoi continuent-ils à être prescrits en masse ?

Marie : « C’est un scandale. Concernant ces médicaments, tout le monde est d’accord, sauf les labos et leurs porte-voix : à quelques exceptions près, ces traitements sont inefficaces et n’améliorent pas le bien-être. Ils ont par contre des effets indésirables, dont certains très graves, ce que démontrent plusieurs études. Il y a également eu des alertes récurrentes de la revue Prescrire à ce sujet.

Nous pensions que les choses changeraient après la plainte d’une association contre la Haute Autorité de Santé (HAS), l’accusant de n’avoir pas respecté ses propres règles déontologiques sur les conflits d’intérêts (notamment la règle consistant à écarter les avis des experts rémunérés par les producteurs des médicaments concernés). Il semblait impossible que la HAS maintienne sa recommandation en faveur de ces médicaments. Ce fut pourtant le cas : si le « service médical rendu » a été abaissé d’« important » à « faible », ces traitements continuent à être remboursés à 65 %. C’est aberrant : des centaines de milliers de personnes sont traitées avec ces médicaments dangereux et inutiles. »

Vous écrivez en conclusion : « Le mélange de genres entre l’affairisme, l’expertise et la recherche a littéralement endigué la prise en compte des données scientifiques qui échappent aux injonctions lucratives et aux perspectives de brevets. » Comment en est-on arrivé là ?

Roger : « Se pose d’abord la question de l’omerta, qui ne concerne pas uniquement la rétention volontaire d’information, mais également l’autocensure, la peur de dire des choses, la discrétion… En outre, les différents acteurs de cette tragédie forment un puzzle, imbriquant aussi bien les labos que les leaders d’opinion ou les politiques. On y retrouve tous les ingrédients typiques du lobbying, avec des gens qui manipulent l’opinion et ont intérêt à ce que rien ne change. Notamment à cause de l’effet d’aubaine économique autour de ces maladies. D’où le déni, ce désir général de ne pas soulever le tapis.

Autre ingrédient classique : le son de cloche officiel est donné par ceux-là mêmes qui ont des intérêts dans la manière de poser le sujet et les solutions. Une configuration qu’on retrouve dans de nombreux scandales sanitaires (sang contaminé, nuage de Tchernobyl, amiante, éthers de glycol, exposition des ouvriers aux radiations dans les centrales nucléaires…). »

Marie : « Même lorsque les responsables sont pris les doigts dans le pot de confiture, comme dans le cas du Mediator, la réforme en profondeur – pourtant promise – ne vient jamais. Ce qui est fait reste très superficiel. »

Roger : « La prévention n’est envisagée que si elle ne menace  aucun intérêt important. Par exemple s’il s’agit de causes infectieuses : alerter sur les dangers d’un microbe est plus facile que pointer la responsabilité d’une substance commercialisée par de grands groupes industriels. D’autant que ces derniers financent des études pour obtenir des résultats favorables à leurs produits. L’exemple des méfaits du téléphone portable est significatif. Dès la fin des années 1990, deux sortes d’études sont apparues – celles financées par les opérateurs affirmaient que l’usage du portable était inoffensif ; les autres concluaient à près de 80 % à sa nocivité.

Nous sommes tous embarqués à bord d’un avion de plus en plus grand et de moins en moins stable. Ceux qui en ont clairement conscience ne sont pas assez nombreux ni pris au sérieux. Pour le portable, massivement utilisé dans le monde entier, les risques encourus s’avèrent pourtant énormes. La mondialisation du risque nous promet le pire. L’actuelle pandémie de maladies du cerveau n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend. »

Alors que votre livre traite d’une question de santé publique fondamentale, les médias n’en ont quasiment pas parlé…

Roger : « Nous nous y attendions. Les journalistes ont peur de s’aventurer dans des domaines qu’ils ne maîtrisent pas et qui mettent gravement en cause des personnalités de premier plan, aussi bien des politiques (je pense en particulier aux ministres de la Santé et de l’Environnement) que des chefs d’industrie et des experts officiels. C’était pareil pour l’amiante avant 1995 : les journalistes craignaient la technicité des dossiers et se montraient incrédules devant l’énormité du déni. Et puis, les lobbies ont eu toute liberté pour répandre leur propagande dans les médias, notamment à la télévision.

Ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change matraquent le public. Le discours des gros leaders d’opinion sur la maladie d’Alzheimer, des gens ayant souvent des liens d’intérêt avec les firmes concernées (rémunérations pour les expérimentations sur les patients, participations financières…), est très représentatif. Le simple fait de rappeler leur situation schizophrène les rend furieux. À l’image du professeur Dubois : ce chef du service neurologique de la Pitié-Salpêtrière s’est offusqué du fait qu’un journaliste de France soir ose le lui rappeler. Dans son cas, pourtant, il s’agissait seulement d’admettre une évidence. Cette attitude est d’autant plus regrettable que la loi impose aux professionnels de santé de faire mention de ces liens d’intérêt chaque fois qu’’ils s’adressent au public. »

Marie : « Beaucoup de spécialistes refusent de prendre un peu de hauteur vis-à-vis du consensus dominant. Quand je suis passée sur France Culture, le responsable de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière de la Salpêtrière, le Pr Agid, devait être présent. Mais il a annulé sa venue après avoir lu notre ouvrage, qu’il a qualifié de « livre anti-scientifique et anti-médical ». Un comble au regard du nombre d’études sur lesquelles nous nous appuyons. De telles critiques font penser à celles de Claude Allègre : désigner les contradicteurs comme obscurantistes permet d’éviter de débattre avec eux. »

Roger : « Ce monsieur Agid oublie nos parcours respectifs et les dossiers que nous avons défendus depuis vingt ans : affaires de l’amiante, du mercure, de l’aluminium, du manque d’indépendance de l’agence du médicament, etc. S’agit-il de combats obscurantistes ? En réalité, le milieu des mandarins n’a pas fait ce travail de synthèse et d’alerte. Leur cécité se trouve du même coup gravement mise en cause. »

1 Marie Grosman, agrégée en Sciences de la vie et de la terre, est spécialiste en santé publique et en santé environnementale. Roger Lenglet est philosophe et journaliste d’investigation en santé publique.

2 Terme médical. Il s’agit de mesurer les années de vie perdues parce que vécues dans un état autre que « en pleine santé ».

Vu sur Article 11, 21 septembre 2012