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Ni matraque, ni quenelle. De quoi Dieudonné est-il le nom ?

Ni matraque, ni quenelle. De quoi Dieudonné est­-il le nom ?

Durant les derniers jours d’une bien triste année 2013, l’armée israélienne bombarde la bande de Gaza, faisant plusieurs victimes dont une fillette, dans l’indifférence générale. C’est précisément au même moment qu’éclate en France une véritable hystérie politico-médiatique autour de l’humoriste Dieudonné et de sa quenelle, alors que ce dernier compte commencer sa tournée de spectacles par Nantes.

Si nous intervenons dans le brouhaha actuel, c’est pour déconstruire le phénomène actuel (somme toute assez pathétique) et clarifier la situation dans un climat de perte de repères et de confusion généralisées. Nous sommes cependant conscient-e-s que beaucoup d’analyses ont déjà été faites, trop d’encre a déjà coulé à propos de Dieudonné et sa quenelle.

« Vous ne connaissez pas Dieudonné »

D’abord militant de gauche, humoriste engagé dans la lutte contre Le Pen, il a progressivement dérivé dans les années 2000 vers l’extrême droite suite à un sketch se moquant des colons israéliens. S’estimant persécuté il se lie d’amitié avec Jean Marie Le Pen et se rapproche de l’extrême droite radicale notamment de l’ancien leader des fascistes du Groupe Union Défense (F. Chatillon) avec qui il voyage dans les dictatures du proche Orient pour soutenir les régimes Iranien, Libyen, Syrien. Il s’entoure aussi d’Alain Bonnet de Soral, rejeton mondain d’une famille bourgeoise, passé par le Parti Communiste avant de travailler pour le Front National, ou même du vieux routard du négationnisme Faurisson.

Le parcours de Dieudonné n’est pas exceptionnel : rappelons-nous l’anarchiste Rassinier qui avait évolué vers le négationnisme dans les années 1970, ou le dessinateur Konk qui était passé du quotidien Le Monde au journal d’extrême droite Minute dans les années 1980.

«D’accord, mais Dieudonné fait de l’humour, pas de la politique »

Ce qui est exceptionnel, c’est qu’en plus de dix ans de militantisme aux côtés de l’extrême droite radicale, Dieudonné soit parvenu à maintenir une ambiguïté sur ses positions, en jouant sur la nuance entre humour et politique, et accentuant sa popularité par un cercle vicieux : « Si je suis exclu c’est que j’ai raison, etc… »

Alors, humour ou politique ? C’est un faux débat, l’humour peut être une arme politique servant à faire passer des messages au même titre que la musique, le théâtre ou même le dessin : c’est un outil -parfois même plus efficace que les autres-, et Dieudonné l’a bien compris.

En tant que fondateur d’un parti politique en 2009 (le Parti Anti- Sioniste) et attaché de presse de divers régimes totalitaires, même Dieudonné ne se risquerait plus à prétendre qu’il ne se mêle pas de politique.

« La quenelle c’est drôle, et puis c’est juste un bras d’honneur »

D’un point de vue strict, cette gestuelle gracieuse est un mime de la pratique sexuelle du fist fucking, il s’agit donc d’un bras d’honneur et non d’« un salut nazi inversé » comme on a pu l’entendre ici et là dans les médias.

Un brasd’honneur adressé à qui ? Au « système » mais pas uniquement, le geste s’est répandu dans de larges franges de la population, notamment par le biais de sportifs célèbres ou de chanteurs, sans forcément avoir d’autre sens qu’un sens récréatif, frondeur ou moqueur.

Avec sa quenelle, Dieudonné a ainsi réussi un coup marketing de génie : réunir des flics cagoulés, des militaires fachos, des footballeurs millionnaires, et de nombreux anonymes notamment issus des quartiers et de l’immigration derrière un même geste à la signification floue. Qu’est-ce qui réunit ces gens ?

Quels sont leur intérêts communs ? Aucun.

Ceux qui se proclament anti-système aujourd’hui sont donc les garants de l’ordre social en uniforme, ou encore l’armée qui veille à la sauvegarde des intérêts de la Françafrique ?

On a vu apparaître dernièrement sur le net de nombreuses quenelles devant des synagogues, des écoles juives et même un mémorial de la Shoah, à Nantes des militants d’extrême droite -issus de bonnes familles de la bourgeoisie traditionaliste locale- posent en reproduisant la quenelle : un signe quel qu’il soit prend la signification que lui donnent ceux qui le propagent.

Ici, c’est évidemment un sens antisémite. La quenelle n’est pas ‘neutre’. Le salut romain était ‘apolitique’ jusqu’à ce que Mussolini ne le réactualise au 20ème siècle, le transformant en salut fasciste : son sens a évolué avec l’usage qui en a été fait. Il en est de même pour la quenelle.

Il ne s’agit pas d’accuser tous ceux qui ont pratiqué le geste d’être des antisémites ou des nazis. Seulement la quenelle est devenue au mieux un geste ambigu, au pire un signe ouvertement antisémite.

« Vous êtes des flics de la pensée. Moi il me fait rire »

Comme après l’assassinat de Clément Méric qui avait conduit à une dissolution -médiatique et inutile- de groupuscules fascistes, l’État français souhaite l’interdiction des spectacles de Dieudonné.

Ce choix est doublement contre-productif : en plus d’être juridiquement difficile, la mise en scène de « l’affaire » met un coup de projecteur considérable sur l’humoriste juste avant sa tournée. Jusqu’alors connue et suivie par un (large) cercle d’initié-e-s, la carrière de Dieudonné -et de son entourage- vient de faire un bond inattendu grâce au ministre de l’Intérieur. Dieudonné et ses supporters vont encore une fois pouvoir se poser en martyrs, en rebelles.

La transformation des excentricités antisémites de ‘l’humoriste’ en véritable « affaire d’État » ne profite pas à la cause anticolonialiste, ni aux gazaouis bombardés par l’armée Israélienne mais uniquement au pouvoir en place, à Manuel Valls, le premier flic de France qui se déguise ainsi en « rempart contre le racisme » et à Dieudonné lui-même, qui ne s’attendait sans doute pas à une telle publicité.

Il n’y a plus un jour sans que les médias ne relaient les dernières frasques de Dieudonné et de ses soutiens. Encore une fois, des gesticulations réactionnaires hyper-médiatisées viennent occulter totalement les luttes sociales et les vrais problèmes politiques. Alors que la répression des luttes et les violences policières dans les quartiers ne sont presque jamais relayées dans les médias, un battage médiatique hallucinant accompagne cette affaire.

Dieudonné ne sert qu’à détourner l’attention de la guerre sociale en cours : violences policières, casse sociale, poussée de racisme, problèmes de fric et d’emplois précaires…

Derrière la quenelle, la matraque

Dieudonné ne représente qu’une petite partie de l’offensive réactionnaire en cours : les manifestations homophobes, le renouveau militant de l’extrême droite radicale, l’islamophobie, les politiques racistes et anti-sociales contribuent aussi au repli identitaire, à la destruction des solidarités et des luttes. Les idées réactionnaires sont en train de remporter la bataille culturelle.

Alors que les néo-conservateurs cathodiques à la Zemmour « décomplexent » la parole raciste et homophobe de la bourgeoisie de droite traditionnelle, Dieudonné, lui, travaille à amener vers l’antisémitisme et le fascisme des franges de la population jusqu’ici imperméables aux idées d’extrême droite. Un marché que le rebelle de salon Alain Soral n’aurait jamais pu conquérir sans son ami comique.

Et pendant que les médias font mine de découvrir, horrifiés, les quenelles, on oublie que c’est bien le Parti Socialiste au pouvoir qui rase des camps Roms, qui rafle et expulse des dizaines de milliers de « sans papiers », qui envoie sa police tirer sur des manifestant-e-s, qui soutient la politique israélienne, qui saccage l’environnement.

Contre le colonialisme et l’antisémitisme : solidarité entre les peuples

Dans cette polémique, on n’entend que la parole des pro-Dieudonné d’un côté, des pro-israéliens et du pouvoir de l’autre : la quenelle étouffe la voix des véritables opposants à la politique de l’État d’Israël et au sionisme. Ces deux parties se nourrissent, se répondent : d’un côté Dieudonné soutenu par des antisémites, des frontistes, de l’autre des sionistes comme Arno Klarsfeld, réserviste dans l’armée israélienne et accompagnateur de la politique d’expulsion sous Sarkozy.

Finalement, ce sont deux courants de la droite extrême qui se font face. Dieudonné et ses amis sont des outils extraordinaires pour légitimer le sionisme et faire taire les vrais anticolonialistes.

Pendant que l’on braque les projecteurs sur Dieudonné, personne ne parle de ceux qui résistent au colonialisme en France et dans le monde, des associations de défense de la Palestine aux Anarchistes contre le mur (un groupe de militant-e-s israélien-ne-s luttant contre l’apartheid) en passant par l’Union Juive Française pour la Paix (des juifs progressistes qui s’opposent au sionisme). Omer Goldman, une jeune femme de 19 ans a été emprisonnée en Israël pour avoir refusé de prendre part aux violences de l’armée d’occupation, un groupe d’israélien-ne-s dénonce actuellement les exactions de Tsahal en Palestine…

Les victimes de la Shoah dont se moque Dieudonné étaient bien souvent des juifs Polonais ou Russes du mouvement socialiste du Bund opposés au sionisme. Ce sont ces même victimes qui sont salies par Dieudonné, et non la politique israélienne.

Des militant-e-s qui combattent le sionisme et qui subissent la répression du système, il y en a. Parmi eux : Georges Ibrahim Abdallah encore incarcéré, Rachel Corrie, écrasée par un bulldozer de l’armée israélienne en 2003. Ne vous trompez pas, les résistants ne remplissent pas les Zéniths, ils croupissent en prison.

Il n’y a plus rien d’amusant dans le cynisme d’un Dieudonné dévoré par ses obsessions. Il n’y a rien d’anti-système à faire la même quenelle qu’un flic, un militaire ou un millionnaire. Les sketchs de Dieudonné ne sont qu’un moyen de propagande malsaine comme un autre.

L’antisémitisme comme les autres formes de racisme se nourrit d’ignorance, de désespoir social, d’absence d’alternative.

A nous tou-te-s de reprendre l’offensive créative, de mener le combat culturel pour l’émancipation, la liberté, l’égalité.

Vu sur Sous la Cendre, 5 janvier 2014

[Poitiers] Cirque électoral, c’est parti…

Nous avions évité jusqu’ici d’évoquer ce consternant sujet des élections, désormais quotidien dans les médias locaux, car pour nous la lutte est quotidienne, et le monde ne se change pas en désignant des gens pour décider à notre place. D’autant plus quand il s’agit de mandats représentatifs, ayant carte blanche pour décider pendant une période fixe, et irrévocables. Mais face au déferlement de propagande électoraliste dans les médias et dans l’espace public, une petite mise au point s’impose.

Désigner quel candidat/e, pour quel programme qu’il/elle ne sera de toute façon pas tenu.e d’appliquer ?

Pour la droite libérale, les candidat.e.s en lice pour les municipales 2014 à Poitiers sont donc un prof de fac (PS rallié par le PCF), qui se flatte de porter plainte contre le moindre tag et de ne pas laisser passer un seul délit, et donc on n’évoquera pas une énième fois ici le sinistre bilan de gentrification de Poitiers ; toujours à droite, une profession libérale cadre sup UMP pour la vidéosurveillance dans les rues de Poitiers et d’autres propositions pathétiques telles qu’un festival des lumières ; un chef d’entreprise « centriste » lui aussi pour la vidéosurveillance, pour la promotion de cette fameuse « économie numérique » reléguant Big Brother au placard des ringards, et un projet fumeux de téléphérique urbain « Aerolis » ; et bien sûr, dans le rôle du FN bien nauséabond, un ancien flic à la retraite qui appelle à la « tolérance zéro » contre les « marginaux », entre autres indésirables (le « communautarisme » a bon dos…).

Quant aux listes que l’on peut encore qualifier de « gauche », des camarades auprès desquel.le.s nous luttons nous déclarent parfois qu’ils vont voter pour elles. Voyons cela. Nous avons donc un prof, qui se dit pour « la planification de la société » et qui se présente pour LO, un parti aspirant à la dictature « du » (sur le ?) prolétariat. Ce parti léniniste aux relents autoritaires n’a pourtant rien d’anticapitaliste : il se contente de parler de hausse de salaires, de taxation du capital et de publication des comptes d’entreprise… mais pas d’abolition du salariat ni de l’Etat, au pouvoir duquel il aspire.

Nous avons aussi une inspectrice des finances publiques pour une liste « rouges-verts » hétéroclite idéologiquement. Elle est adhérente à l’inénarrable organisation « écologiste » EELV toujours au gouvernement, dont on ne compte plus les renoncements dégueulasses. Candidate qui ne parle guère d’anticapitalisme, mais veut « redonner l’envie de voter et de lutter contre l’abstention ».

Mettre un bulletin dans l’urne dans le cadre d’un système représentativiste, c’est cautionner la dépossession politique, l’irrévocabilité des mandatés et le non-contrôle des mandats. Camarades, vous qui pour la plupart vous dites pour une « démocratie directe », acceptez-vous cela ? Pour nous, il n’est pas question de donner blanc seing à quiconque prétendrait nous représenter, ni de passer par l’intermédiaire d’une structure autoritaire accaparant les décisions. Ce n’est pas une question d’attitude « extrémiste », « puriste » ou « irréaliste » (nous avons l’habitude des qualificatifs sympathiques), mais de réalisme et de bon sens. Pour lutter contre la dépossession économique, le premier des gestes politiques est de ne pas cautionner la dépossession politique, ni la sienne… ni celle des autres. Camarades, voter n’est pas seulement inutile, voter ne valide pas seulement la dépossession et la déresponsabilisation collective qui sont au fondement du capitalisme. Voter, c’est donner du poids à la pseudo-légitimité du pouvoir politique, c’est cautionner l’asservissement de celles et ceux qui n’ont pas voté comme vous, et de celles et ceux qui comme nous se passeraient volontiers de  représentant.e.s et de chefs et en avons marre de nous faire réprimer la gueule par les élu.e.s « démocratiques » qui nous envoient leurs flics et leurs juges.

Le vote n’a jamais rien apporté dans l’histoire des droits sociaux. C’est peut-être triste de devoir encore rappeler cette évidence historique à des militant.e.s sincères, mais les droits sociaux n’ont été conquis que par les luttes débordant les partis et les bureaucraties syndicales, jamais dans l’enceinte de parlements nationaux ou locaux. Alternatives réelles et luttes contre toute forme de domination ont toujours passé, passent et passeront toujours par l’organisation autonome, libre et vivante des opprimé.e.s et exploité.e.s. Ici et maintenant, à rebours de toute prétention aussi grotesque que dangereuse des politiciens à gouverner, guider, diriger, planifier pour les autres. Ne représentons que nous-mêmes : nous n’avons besoin d’aucun.e élu.e pour nous organiser. Refusons à quiconque la pseudo-légitimité de nous plier à des décisions qui ne sont pas les nôtres.

Pas d’élu.e.s, des luttes !

Pavillon Noir, 10 janvier 2014

[Poitiers] Le sinistre du travail dénigre les syndicalistes de Goodyear et rend visite à Vinci

Le Parti « Socialiste » n’en finit plus de se comporter en larbin du capitalisme le plus abject. Michel Sapin, ministre du travail, a exprimé une condamnation ce matin, sur France-Inter, des salariés de Goodyear ayant séquestré leurs dirigeants. Actes qu’il qualifie d’ « illégaux » et d’ « atteintes aux personnes » « dégradantes pour l’image humaine ». Cette déclaration répond sans doute à l’énième provocation de l’odieux patron de Titan International Maurice Taylor, qui venait justement d’inviter le gouvernement français à se positionner en des termes pétris d’un mépris de classe puant :

« Aux États-Unis, on appellerait ça un kidnapping. Ces gens seraient  arrêtés et poursuivis. C’est un crime très sérieux, vous risquez la  prison à vie. Mais en France, votre gouvernement ne fait rien, ça paraît  fou« . « Pourquoi ne vont-ils pas masqués, faire un hold-up dans une série de banques françaises? Ainsi, ils pourraient racheter Goodyear. Ils sont fous. « 

Le monsieur est connu pour ses déclarations hallucinantes contre des salariés syndiqués à la CGT (ultra-majoritaire à l’usine Goodyear), qui avaient souhaité le rencontrer mais qu’il avait refusé de voir, les traitant de « fous », de « timbrés », de « barjots du syndicat communiste » et de « stupides ». Le même PDG de Titan avait déjà adressé cette déclaration au ministre Montebourg :

« Titan va acheter un fabricant de pneus chinois ou indien, payer moins d’un euro l’heure de salaire et exporter tous les pneus dont la France a besoin. Vous pouvez garder les soi-disant ouvriers. Titan n’est pas intéressé par l’usine d’Amiens nord. »

Face à cette déclaration de guerre, opposant 1173 salariés jetés comme des détritus et insultés, ayant perdu 14 requêtes en justice, à un capitaliste de l’espèce la plus décomplexée… les ministres « socialistes » adoptent donc une posture de fidèles toutous du capital. Moscovici avait déjà parlé de « baisse des charges salariales » pour faire plaisir aux saigneurs du fric, Montebourg a condamné fermement avant-hier les syndicalistes, voici Sapin qui surenchérit. Elle est où la violence ? De quel côté, sinon de celui du Capital, et de l’Etat ? Au moins les choses sont claires.

Sapin qui s’indigne de la « violence » des salariés et se demande « pourquoi on est arrivé là », ferait peut-être bien de se méfier : face à ce mépris des salariés, il pourrait bien pousser d’autres velléités de séquestration et d’action directe aux prolos de ce pays, bien au-delà de quelques usines.

Mise à jour : heureux hasard… juste après avoir rédigé cet article, nous apprenons sur le site de la Nouvelle République que Michel Sapin se rendra lundi prochain à Poitiers. Evidemment pas pour rendre visite aux prolos jetés par leurs patrons, non, le monsieur ira faire risette avec ses copains de Vinci, parler « emploi » et « formation » au siège de Cosea, filiale de la multinationale à la tête du chantier de la LGV Tours-Bordeaux.

Pavillon Noir, 9 janvier 2013

[86] Center Parcs : carnage d’amphibiens, déforestation subventionnée et emplois a minima

Carnage d’amphibiens pour le Center Parcs de la Vienne

Les amphibiens regroupent des espèces particulièrement menacées d’extinction. Mais à Center Parcs, dans la Vienne, le bureau « d’ingénierie écologique » Biotope en a tué un bon nombre. L’affaire agite les milieux naturalistes, alors que la construction du « village » urbanise un domaine forestier de 264 hectares.


- Correspondance, Nantes

Des pièges à batraciens abandonnés, des crapauds décimés, des amphibiens desséchés, des petits cadavres d’insectes -des carabes- accumulés, enfouis dans la poussière : c’est le spectacle désolant qu’a découvert, début septembre 2013, un chasseur dans la Vienne à Trois-Moutiers. Il participait à une battue de décantonnement destinée à débusquer le gros gibier avant la pose du grillage délimitant le futur parc de loisirs Center Parcs. Les photos prises ont depuis été colportées par les naturalistes de toute la France, effarés d’un tel carnage. Le but de ces pièges est en principe de capturer vivants des animaux et espèces protégées, pour les empêcher de pénétrer sur la zone du chantier en cours de Centre Parcs.

Manifestement, les soixante seaux n’avaient pas été relevés tous les jours, comme ils auraient du l’être. Résultat : « Des milliers amphibiens morts liquéfiées ou desséchés dans les seaux », commentent les naturalistes. D’un seul de ces seaux délaissés ont été extraits soixante-onze cadavres de crapauds.

Chargé du projet pour Biotope, Aurélien Ferré avait détaillé il y a huit mois le cadre de son action : « Nous avons mis en place des bâches sur 1,5 km de longueur qui délimitent la zone protégée de la zone de construction, empêchant les amphibiens d’accéder à la zone de chantier. Ceux situés dans la zone de travaux, qui veulent aller dans la zone protégée pour se reproduire, sont recueillis dans les seaux et transférer dans la zone sanctuaire, espace du domaine laissé volontairement à l’état naturel, et qui constitue un cadre de vie favorable aux amphibiens », expliquait-il en avril au quotidien régional, La Nouvelle République.

Technicien cynégétique de la fédération départementale des chasseurs, Michel Faure, était sur place le jour de la battue : « On a retrouvé des petits pots le long de la clôture en grillage à moutons avec au pied une bande de bâche plastique censée cerner les batraciens. Un rapport a été fait par le lieutenant de louveterie à la Direction départementale des territoires [DDT, placée sous l’autorité du préfet]. Mais on n’a pas eu ce rapport ».

« Le rapport a été fait à la DDT, il n’y a rien à cacher », dit Frédéric Duval, le lieutenant de louveterie qui a mené la battue au cours de laquelle les pièges ont été découvert abandonnés, plein de cadavres de bestioles protégées. Amer, il ajoute : « Les défenseurs des petits oiseaux et des fleurs bleues ont été prévenus le lendemain. Et ça a donné quoi ? Rien. Quant au bureau d’étude, ça coûte une fortune à tout le monde pour une incompétence évidente. Il a prétendu après coup que ces pièges avaient été relevés trois jours avant que je ne passe… »

Des naturalistes gênés aux entournures

Vice-présidente de Vienne Nature, association affiliée à France Nature environnement, Marie Legrand est laconique : « On a été prévenus bien sûr. Mais les faits remontant à quatre mois, on ne va pas raconter aujourd’hui des histoires. Nous n’avons pas la moindre volonté de communiquer ».

En fait, les associations naturalistes travaillent souvent pour des aménageurs, ce qui leur permet de se financer. Vienne Nature et Ligue de protection des oiseaux (LPO) sont ainsi en concurrence avec Biotopope auprès de Center Parcs, et ne veulent pas mettre celui-ci en difficulté. Daniel Gilardot, président de la LPO en Vienne, indique ainsi que, « avec Center Parcs, on n’est pas sur l’étude de démarrage [confiée à Biotope], mais on sera dans le comité de suivi ». LPO et Vienne Nature ont aussi récupéré la gestion de l’observatoire de la biodiversité mis en place par Center Parcs, sur lequel lorgnait aussi Biotope.

Ces naturalistes auraient pu tiquer face à cette nature apprivoisée pour touristes. Ils devraient être outrés par une manière de faire bafouant la protection des espèces, leur valeurs de base. Mais ils sont dépendants de contrats… A propos des destructions d’animaux protégés, M. Gilardot joue la prudence : « On n’est pas intervenu. Mais il n’est pas exclu qu’on se porte partie civile, si une action en justice est engagée pour destruction d’espèces protégées ».

Pas plus que les associations environnementalistes, la fédération des chasseurs, qui a aussi une mission de défense de l’environnement, n’a porté plainte. Aucun chasseur n’a fait effectuer un constat d’huissier qui aurait pu être utile pour appuyer une procédure en justice.

Au titre des infractions, les naturalistes qui suivent à distance l’évolution de cette affaire épinglent au moins un non-respect des prescriptions de l’arrêté préfectoral de dérogation concernant les espèces protégées. « Nous, si on fait ça, on se retrouve en correctionnelle ! » lâche un naturaliste du département voisin. Quasiment tous les batraciens sont classés espèces protégées en France.  L’article 18 de la toute récente loi du 16 juillet 2013 prévoit désormais un nouveau délit : « Destruction, tentative de destruction ou trafics d’espèces protégées en bande organisée », passible de 150 000 euros d’amende et de sept ans d’emprisonnement. Sans la qualification de « bande organisée », l’article L415-3 du Code de l’environnement prévoit une peine de six mois d’emprisonnement et neuf mille euros d’amende.

La justice est  (ou sera) saisie par l’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage), indique la préfecture, qui relaie une note de la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement, et du logement) Poitou-Charentes : « Dans le cadre du dossier Center Parcs, le pétitionnaire a obtenu une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées par arrêté préfectoral en date du 21 décembre 2012. Concernant les amphibiens, le dossier prévoit des dispositions de transfert hors des emprises du chantier. Il a été constaté début septembre des écarts dans la mise en œuvre de ces dispositions. L’Etat a donc demandé à Center Parcs de prendre les mesures correctives nécessaires pour remédier à cette situation. Ces mesures sont aujourd’hui effectives. Par ailleurs, une procédure judiciaire est engagée par l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS). »

« Incident mineur »

Chez Pierre et Vacances, on ne peut nier l’évidence. Le service communication tente d’en minorer l’importance : « Sur deux mille crapauds transférés, on en a retrouvé soixante-et-onze morts. C’est une mortalité accidentelle, pas un acte volontaire. Nous travaillons toujours avec Biotope. Ça leur a servi de leçon. Ce qui s’est passé est un incident mineur, qu’on prend en considération, bien sûr, en appliquant des mesures correctives, en accord avec l’État et les associations locales, Vienne Nature et LPO, pour éviter que ça se reproduise ». Les mesures sont techniques : seaux ouverts la veille des transferts hebdomadaires d’amphibiens, fermés le lendemain, retirés après les transferts, passerelles de passage passif vers l’extérieur du chantier permettant aux amphibiens de passer vers les zones refuge.

Le bureau d’étude Biotope – déjà impliqué dans des procédures irrégulières à Notre Dame des Landes – a réagi par un communiqué à Reporterre, se félicitant  de son « travail de qualité pour le transfert des amphibiens » dans le cadre de ce projet de Center Parcs, mentionnant un « incident certes regrettable mais qui ne remet absolument pas en cause l’efficacité de cette mesure mise en place en phase travaux ». Les couvercles des seaux auraient sauté pour une raison inconnue, ce qui a « conduit à piéger accidentellement quelques dizaines de crapauds, essentiellement des juvéniles, dans ces seaux ». Ce que le bureau d’étude juge « négligeable par rapport à la dynamique de  population des amphibiens (…). Il ne s’agit ni d’un drame, ni du fruit d’un travail mal fait . Le professionnalisme de Biotope dans cette affaire n’a pas à être remis en cause ».

La justice tranchera, si l’instruction ne se perd pas dans les marais de l’oubli.

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Center Parcs : déforestation subventionnée

Le carnage des amphibiens intervient dans le cadre de la réalisation d’un Center Parcs – un village vacances dans une nature restructurée – lancé par la firme Pierre et Vacances. Celle-ci accuse 47,5 millions de pertes à l’exercice arrêté en septembre 2013, avec un chiffre d’affaire en recul de 9,3 %. Un « point bas » estiment les analystes financiers. L’exercice précédent, les actionnaires déploraient 27 millions d’euros de pertes pour un chiffre d’affaire d’1,4 milliard.

La structure s’installera sur un domaine forestier de 264 hectares, propriété de la Caisse des dépôts et consignations, sur les communes de Trois-Moutiers et Morton. Elle aura une capacité de 4 500 touristes, logeant dans 800 « cottages bois » autour d’un « centre village de 26 000m² au cœur du site : espace aqualudique, spa, restaurants, commerces, espaces de jeux, ferme pour les enfants, équipements sportifs, espaces de réunion » sans oublier « des parkings décentralisés pour favoriser les déplacements ’propres’ sur le site ».

Ce parc de loisirs est financé par un partenariat public privé qui annonce 300 millions d’euros d’investissement, dont 46 % financés par des subventions. Soit 138 millions d’aides publiques provenant de l’État et des collectivités, régionale et départementale, qui se portent garantes auprès des banques du complément nécessaire à la réalisation du projet. Center Parcs versera un loyer pendant vingt ans. La mise en service est prévue pour 2015.

Emplois a minima

Les raisons d’une telle manne publique pour déforester et urbaniser le domaine ? Les promesses d’emploi. Le 15 novembre, lors de la pose de la première pierre, le projet annonçait 600 emplois créés, mais un tiers à temps partiel. Et si on se réfère aux autres sites, ce sont principalement des emplois payés au minimum, dans la restauration, l’entretien du site et le gardiennage et quelques maîtres nageurs pour la piscine. Au Center Parcs Lorraine, par exemple, sur un effectif similaire de 606 salariés et 26 intérimaires, 60 % sont payés au Smic horaire, dont la moitié à 319 euros par mois, du fait de contrats de neuf heures par semaine, en tant qu’agents techniques de nettoyage par exemple.
Seuls 6 % touchent un salaire supérieur de 20 % au Smic, selon une étude de l’Insee.

Dans la Vienne, élus de droite et de gauche se sont pourtant enthousiasmés,  réalisant « l’union sacrée » autour du projet, lui apportant d’importantes aides en espérant des retombées locales. Petit hic, les emplois ne seront pas spécialement dédiés à des locaux, un amendement parlementaire voté début novembre interdisant la « discrimination à l’adresse » et la préférence locale qui privilégierait une candidature en fonction de la proximité. L’emploi c’est toujours l’arbre qui cache la forêt, ici bien disciplinée pour en tirer le meilleur profit.


Source : Nicolas de La Casinière  pour Reporterre.

Lire aussi : L’étrange cadeau fiscal de Jérôme Cahuzac au promoteur immobilier Pierre et Vacances.

Vu sur Reporterre, 18 décembre 2013

[Poitiers] Douze détenus réclament une indemnisation

Ils contestent leurs conditions de détention à Poitiers et à Saint-Martin-de-Ré. Le cas de douze détenus a été examiné par le tribunal administratif.

Les conditions actuelles de détention à la centrale de Saint-Martin-de-Ré sont-elles dignes ? Les conditions de détention dans l’ancienne prison de la Pierre-Levée à Poitiers étaient-elles normales ? Non, pour Lee Takhedmit avocat poitevin de douze personnes qui les contestent devant le tribunal administratif de Poitiers.

« Fermez-la ou bien rénovez-la! »

L’enjeu est symbolique pour la Pierre-Levée rénovée et reconvertie depuis en centre de semi-liberté. Il est toujours d’actualité pour le site rétais où les détenus purgent des peines de longue durée.

Un premier épisode s’était joué en 2010-2011 devant le tribunal administratif pour fixer provisoirement le montant de l’indemnisation d’une cinquantaine de détenus. Hier, douze dossiers arrivaient au fond pour en fixer définitivement le montant.

« Pour Poitiers, nous avions obtenu des indemnisations provisoires. La justice avait estimé qu’il y avait effectivement des problèmes liés à l’hygiène et à l’intimité. Mais pour Saint-Martin-de-Ré les magistrats trouvaient que la situation était moins dramatique sur ce plan-là. Le souci, c’est qu’à Saint-Martin, ils sont dans des cellules de 6 m. Ils sont seuls dedans, mais le détenu est comme un hamster en cage. »

La plupart des requérants rétais sont encore dans leur cellule, indique leur avocat. « Engager une procédure n’est pas neutre. On le leur fait parfois payer. Mais il y a vraiment une volonté altruiste chez eux de faire changer les choses. Il faut soit fermer cette prison, soit la réhabiliter! »

Les détenus réclament des sommes indexées sur leur temps de détention. Elles vont de 450 à 7.950€.

Le rapporteur public a conclu au rejet des requêtes déposées. La décision du tribunal sera connue début janvier.
Ce contentieux s’était fortement développé après des décisions favorables rendues par quelques tribunaux administratifs. Devant l’inflation du nombre de requêtes, les provisions accordées alors avaient subitement beaucoup diminué.

La requête géante lancée par l’avocat poitevin, répartie en plusieurs audiences, vise à obtenir l’harmonisation des sommes octroyées pour des prisonniers qui avaient les mêmes conditions de détention. À durée égale, elles allaient parfois du simple au double.

Emmanuel Coupaye, Centre Presse, 23/12/2013