[Le Chefresne] Chronique d’un État nucléaire à l’époque du « changement »
Depuis décembre 2011, l’administration française, RTE et son chapelet de sous-traitants ont lancé, dans la plus grande tradition oligarchique de la République française, les travaux de la ligne très haute tension Cotentin-Maine, sensée raccorder le futur réacteur EPR au reste du monde. Depuis, des centaines de riverains, soutenus par de non moins nombreux opposants à une société nucléaire, ont décidé de s’opposer physiquement à l’avancée des travaux, dernier recours pour tenter de mettre un terme à cette expropriation de nos vies. Si l’ensemble du parcours de la THT a connu, sur des modes très variés, les affres de cette colère légitime, depuis 5 mois Le Chefresne, commune du Sud Manche, est l’endroit où cette résistance est manifestement la plus active. La détermination de ses habitants, maire en tête, n’y est pas pour rien. L’assemblée du Chefresne, regroupement circonstancié d’une centaine d’individus, y a d’ailleurs pris ses quartiers, dans l’espoir d’amplifier la lutte à côté des riverains et des multiples associations constituées tout le long du trajet.
Alors que le chantier continu quotidiennement à être perturbé, l’assemblée du Chefresne a voulu appeler à un week end de résistance les 22, 23 et 24 juin 2012, afin d’amplifier la lutte et donner du courage à tous les riverains, parfois isolés, et garder intact la détermination à en finir définitivement avec cette THT (et son monde).
Depuis que cet appel a été lancé, la situation a changé. Pas tant sur un aspect paysager, même si nous vivons comme un crève-cœur chaque nouveau pylône édifié, mais bien plus par l’occupation policière et militaire dont fait l’objet le territoire de la ligne. Si depuis le mois de mars nous assistions à une mobilisation policière inouïe à l’occasion de chaque action publique, celle-ci a longtemps montrait que peu de détermination à empêcher les interférences sur les chantiers, si ce n’est à nous dissuader par leur simple présence. Depuis quelques jours, le vent du « changement » a touché le Cotentin. L’arsenal répressif dont l’État français a toujours su faire usage, notamment quand il s’agit de s’en prendre à son industrie nucléaire, fonctionne à plein régime.
Mi-mai, garde à vue de 4 personnes, donnant lieu à l’inculpation de 3 personnes pour qui la police essaye de fabriquer des figures d’organisateurs de la mobilisation de Valognes fin novembre tentant de perturber la circulation des déchets radioactifs. Procès le 9 octobre à Cherbourg.
Fin mai, convocation d’une dizaine de militants pour au moins trois « affaires » différentes : l’action publique de déboulonnage du 11 mars 2012, l’action d’occupation d’une maison rachetée par RTE à Cerisy, fin avril et début mai, l’action de déboulonnage public au Pertre, en Ille et Vilaine, le 28 avril. Une personne (pour le moment) se retrouvera au tribunal cet été. Notons que dès le mois de mars, suite à l’action publique du 18 mars, une personne était arrêtée et convoquée au tribunal pour le 19 juin.
Début juin, suite à une action de soutien à une famille, en Mayenne, refusant un pylône sur son terrain, alors qu’une quarantaine de personnes occupe paisiblement la propriété de cette famille, les flics interviennent sans aucune raison (et en dépit de toute légalité) et expulsent tout le monde avec la violence habituelle. Comme de coutume ces violences policières donnent lieu à une arrestation avec inculpation pour « rébellion ». Procès à Laval, le 23 août 2012.
5 juin, l’incarnation du « changement » en personne débarque dans le Cotentin pour la commémoration du débarquement. Les élus du Chefresne, naïvement mais avec une détermination qui leur colle à la peau, tentent une entrevue avec le secrétaire de l’Élysée. Éconduits, « faute de temps », ils se retrouvent renvoyés à prendre rendez-vous avec le préfet. Mercredi 6 juin, 16h, entretien téléphonique avec le préfet qui accepte de recevoir une délégation le jeudi pour entendre la revendication de moratoire sur le chantier THT, à l’instar de ce qui vient de se passer autour de l’aéroport de Notre Dame des Landes. À peine raccroché le téléphone, alors que la résistance au Chefresne avait empêché jusque-là tout travaux sur la commune, les pelleteuses de terrassement débarquent au Chefresne accompagnées de leur habituel cortège bleu foncé. Le rendez-vous avec le préfet est bien entendu caduque. C’est physiquement le jeudi matin qu’il faudra faire face. Jeudi matin, une quarantaine de personnes, maire en tête, tente de s’opposer à l’arrivée des machines. Le maire brandit son arrêté municipal interdisant l’édification des pylônes sur Le Chefresne. Après deux heures, les gendarmes l’embarquent en garde à vue, avec deux autres riverains, pour entrave à la circulation, violence avec voie de faits. Trois autres personnes seront arrêtées peu après, y ajoutant le motif de rébellion. 5 gardes à vue en tout, dont on attend les éventuels suites judiciaires. Émotion dans le village, chez les militants. Les médias s’emparent de cet évènement, à la veille des Législatives. Le conseil municipal se réunit dès le jeudi soir et décide unanimement de boycotter les élections pour refuser de cautionner cette dictature nucléaire. Vendredi matin, tractation avec la préfecture pour que les élections soient prises en charge par elle-même. Le préfet accepte, s’entendant sur le fait que le maire ne fera qu’ouvrir le bureau, le premier adjoint le fermera. Fin d’après-midi, samedi, les gendarmes débarquent chez chacun des élus afin de les réquisitionner pour le lendemain, à l’encontre, une fois de plus, de l’engagement oral du préfet. Menace de 30’000 € d’amende pour le maire et 15’000 € pour le premier adjoint. Face à ces trahisons, le conseil municipal décide à l’unanimité de démissionner, refusant de se coucher devant une telle dictature. Ils tiendront le bureau de vote sous la contrainte mais digne. Le harcèlement n’ayant plus de limite, dimanche, 5h du matin, les gendarmes débarquent à nouveau chez le maire. La salle du bureau de vote aurait été vandalisée. En fait, c’est 5 communes, dont Le Chefresne, qui ont vu les serrures des bureaux de vote obstruées. La population non plus ne désarme pas…
Il est maintenant évident et nécessaire, vu ce que nous imposent les pylônes dressés sur nos terres, que beaucoup de personnes sentent l’envie en eux d’agir directement contre ce maillon faible de l’industrie nucléaire vu l’inacceptable répression des opposants, les droits fondamentaux des personnes bafoués, l’humiliation qu’infligent RTE à la population.
Chacun, à sa manière, doit pouvoir trouver les réponses pratiques à opposer à ce projet, avec un mot d’ordre commun, qui englobe toutes les formes d’actions possibles : faire taire les machines et stopper les travaux de la ligne THT Cotentin-Maine !
La solidarité est et sera notre atout majeure lors des prochains évènements qui ébranleront les travaux et les gestionnaires de la future ligne THT. Une multitude de nuisances ayant pris différentes formes ont déjà eu lieu contre ce projet. Elles sont toutes reproduisibles, populaires et démultipliables, pour peu qu’elles soient partagées, discutées.
Le rapport de force avec l’État et donc RTE, qui maintenant est notre seul but pour faire plier le pouvoir, sera d’autant plus efficace que nous serons nombreux à crier notre rage, par-delà les désillusions du nouveau pouvoir en place, par-delà nos différences.
Voilà l’un des enjeux du camp anti THT : se retrouver, partager, échanger sur les pratiques, se renforcer pour agir lors de la journée d’action du dimanche 24 juin mais évidemment dès maintenant et plus tard tout au long des 150 km la ligne.
Rien n’est fait, tout se défait.
Ce qui s’est déjà joué depuis 6 mois sur le terrain n’est qu’un début. Amplifions nos envies de révolte contre toutes les infrastructures et les projets démentiels.
Vive la lutte anti THT
Le Chefresne, le 11 juin 2012
Jura Libertaire, 16 juin 2012