Archives de catégorie : Désinformation bourgeoise

Accords sur l’assurance-chômage

Accord sur l’assurance chômage : quand il n’y aura plus rien dans nos poches, alors, ils prendront nos poches…

Malgré un relatif mutisme des grands médias à ce sujet – élections municipales et crash aérien ayant toutes les attentions des rédactions en chef –, la mobilisation sociale contre les résultats honteux de la « négociation » sur l’assurance chômage se poursuit, notamment à Paris, et ce malgré la répression organisée par le pouvoir socialiste. Signé par le Medef et la CGPME – côté patronat –, la CFDT, la CFTC et FO – côté salariés, prétendent-ils… –, l’accord pondu dans la nuit du 21 au 22 mars 2014 modifie drastiquement les règles d’indemnisation de certains chômeurs. L’idée ? Réaliser plusieurs centaines de millions d’euros d’économie pour faire face au déficit de l’Unedic, lequel serait sur le point de dépasser les 4 milliards d’euros. Tentatives d’explication.
Les petits gestes du patronat Les droits rechargeables L’accord national interprofessionnel (ANI) signé en janvier 2013 l’avait évoqué, c’est désormais chose faite : à partir du 1er juillet prochain, les chômeurs indemnisés pourront accumuler leurs droits chaque fois qu’ils retrouveront du travail (jusque-là, une partie était systématiquement perdue). Ainsi, lorsqu’un chômeur arrivera au terme de son indemnisation, il pourra « recharger » son compte avec les allocs qu’il aura obtenues pour les heures retravaillées depuis l’acquisition des droits qui prennent fin à ce moment-là.
Cumul simplifié Parallèlement, le principe d’activité réduite – cumuler petits jobs et allocation – sera, dit-on, simplifié, avec, désormais, la suppression de la restriction de quinze mois (qui, souvent, générait beaucoup de trop-perçu que Pôle emploi demandait ensuite aux chômeurs de rembourser – allant jusqu’à pousser certains au suicide). Un mieux ? Là encore, cela aurait pu l’être, mais le patronat n’a pu s’empêcher d’exiger que, désormais, l’allocation soit ainsi calculée : le montant de l’allocation mensuelle sans activité — 70 % du salaire obtenu par l’activité réduite effectuée dans le mois. Un coup dur pour les travailleurs précaires concernés, et notamment pour les intérimaires, lesquels bénéficiaient jusque-là des acquis de l’annexe IV, soit une durée d’affiliation comptabilisée en heures et non en jours et, surtout, une absence de seuil pour le cumul alloc-salaire. Droits rechargeables et simplification perverse du principe d’activité réduite (dont on se serait bien passé au final), c’est bien là tout ce que le patronat a « lâché » pendant ces négociations. Une amélioration toute relative et en demi-teinte, donc, accordée pour faire avaler aux travailleurs les autres décisions – très sévères – et pour permettre aux quelques organisations syndicales signataires (CFDT, CFTC et FO) de justifier une énième trahison.
La saignée des autres Ce que le patronat a donné d’un côté (les droits rechargeables, soit 400 millions d’euros), il le reprend de l’autre, non sans avoir doublé la somme de la donne initiale en réclamant… 800 millions d’euros. Première mesure souhaitée et entérinée par l’accord ? Rien de moins qu’abaisser le taux de remplacement du salaire à 57 % (au lieu de 57,4 %) pour les travailleurs ayant jusqu’alors touché un salaire mensuel de plus de 2 000 euros brut (un revenu sans doute exagérément élevé pour ces habitués des parachutes dorés…). Et ce n’est pas tout. Petit zoom sur le reste.
Allocations retardées Les salariés qui, licenciés, parviendront à arracher à leur patron des indemnités supérieures à celles prévues par la loi – les fameuses indemnités supralégales – seront désormais contraints de patienter cent quatre-vingts jours (au lieu de soixante-quinze) pour toucher leurs allocations chômage 1. Si la CFDT prétend voir dans cette mesure un moyen de lutter contre les ruptures conventionnelles à répétition – qui, en effet, servent trop souvent à déguiser des licenciements –, on y voit surtout une manière de pousser les travailleurs à revoir leurs exigences à la baisse en termes de demandes d’indemnités quand ils se font sortir de l’entreprise.
Le régime des intermittents amoché Ce n’est un secret pour personne : le patronat a toujours rêvé de se débarrasser du statut d’intermittent du spectacle. Et, aujourd’hui, alors que le drapeau rose flotte sur l’Élysée, le gouvernement est sur le point de satisfaire ce caprice vénal. Ainsi, le plafond du cumul salaire-allocations des intermittents sera rabaissé à 5 475 euros brut. En outre, les 112 000 intermittents du spectacle devront subir un différé d’indemnisation qui les obligera à attendre plusieurs semaines avant de toucher des allocations pour lesquelles ils ont pourtant cotisé. Enfin, car ce n’est pas tout, les cotisations sur les salaires des intermittents passeront de 10,8 % à 12,8 % (total des parts patron et salariés), une mesure imbécile qui non seulement diminuera les revenus directs des intermittents, mais fragilisera également l’activité des petites structures du monde du spectacle indépendant. Gardons également à l’esprit que, comme il l’a annoncé début mars, le Medef aspire à ce que ce régime particulier disparaisse rapidement. En cela, il peut déjà compter sur tous ces grands médias qui n’ont de cesse de présenter les intermittents du spectacle comme des petits privilégiés pour mieux les désigner ensuite comme les responsables des divers déficits. « Ce sont des assistés », tentent-ils de nous faire croire, en oubliant sans doute que, jusqu’à maintenant, c’est au patronat que le gouvernement a accordé plus de 30 milliards d’euros de cadeaux fiscaux…
Les seniors aussi vont casquer Jusque-là dispensés de payer les cotisations à l’Unedic, les salariés de plus de 65 ans seront désormais obligés de verser leur part à l’organisme d’indemnisation.
La réjouissance des gagnants Désireux d’obtenir un accord sur l’assurance chômage avant le premier tour des élections municipales, Michel Sapin, le ministre du Travail, était tout heureux à l’annonce de la fin des négociations. Il est allé jusqu’à se féliciter de « la responsabilité dont ont fait preuve les partenaires sociaux gestionnaires de l’assurance chômage ». La CFDT s’est dite satisfaite d’avoir protégé les plus faibles (sic) et FO s’est montrée rassurée que le patronat ne soit pas allé… trop loin ! Un bon foutage de gueule, en somme, pour des négociations réalisées dans les couloirs (avec plus de douze heures d’interruption de séance, comment pouvait-il en être autrement ?). Car, au final, la logique de l’accord est limpide : faire reposer les économies de l’Unedic sur le seul dos des chômeurs, des travailleurs précaires et des seniors – les plus faibles donc, ceux-là mêmes que la CFDT prétend avoir défendus. Quant au Medef, il a poussé le cynisme jusqu’au bout en prétendant vouloir « enclencher une dynamique de réduction des dépenses », avant d’annoncer que « des efforts supplémentaires devront être engagés à terme ». Gageons que le gouvernement saura le suivre dans cette voie… Reste, néanmoins, que la mobilisation contre cet accord est là, et bien vivante. Occupations, manifestations, assemblées générales régulières, communication permanente : les précaires, les intermittents et les chômeurs ont montré ces derniers jours qu’ils n’entendaient pas se laisser marcher dessus par un pouvoir hypocrite et un patronat outrancier et provocateur. L’accord n’est encore qu’un accord et, pour être effectif, il devra bénéficier d’un agrément du ministère du Travail. Si la mobilisation s’essouffle, celui-ci devrait intervenir rapidement. Nous savons, donc, ce qu’il nous reste à faire. Et ce n’est sûrement pas de mettre un bulletin dans une urne.

1. À noter que cette mesure ne devrait pas toucher les salariés licenciés pour raison économique.

Guillaume Goutte, Le Monde libertaire (3 avril 2014)

[Poitiers] Composition du théâtre de Guignol à l’hôtel de ville

Pour les curieux.ses, la Nouvelle République évoque aujourd’hui la nouvelle composition du conseil municipal (et aussi du conseil d’agglomération), avec les expressions des divers figurants de « l’opposition »…  qui ne pourront de toute façon peser en rien, dans un système où le parti gagnant est mis en situation ultramajoritaire.

Tant pis ou tant mieux, car nous n’avons envie d’obéir ni aux uns ni aux autres. Aux camarades sincères qui ont investi tant d’énergie dans les élections pseudo-représentatives, à notre sens pour rien, nous souhaitons bon courage… et surtout de nous retrouver dans les luttes réelles, loin du spectacle moisi de la politique professionnelle. Car peu nous importe ce mauvais sitcom, parodie grotesque et fort éloignée des assemblées populaires : seules les luttes sont payantes, et elles ne se jouent certainement pas dans les lieux institutionnels du spectacle de la dépossession.

Pavillon Noir, 2 avril 2014

NdPN : voir ou revoir cette quatrième partie du film de J.-F. Brient, De la servitude moderne. Cliquer sur l’image pour lire la vidéo sur youtube ( notamment à partir de 4’24) :

De la servitude moderne (4ème partie)

Derrière les élections, le culte de la République

On nous dit que le monde moderne n’est plus religieux. A la bonne heure ! Si la religion est l’aliénation de la puissance réelle de penser, de dire et d’agir, sous la médiation d’une entité supérieure absconse (et surtout de son clergé), à bien y regarder, nous constatons plutôt l’omniprésence du religieux dans toutes les institutions modernes.

religion republicaine

A commencer par le fétiche argent, cette étrange médiation, cette « valeur » centrale qui ne repose sur rien (plus même un équivalent or). Elle n’est de fait qu’un « accord » social… imposé aux forceps. On parle d’ailleurs de « crédit » ou de monnaie « fiduciaire » : vocabulaire directement issu de « credo » (croire) et de « fides » (la foi). Le banquier nous sermonne sur nos dettes comme le politicien sur notre dette envers la société. Que le doute athée sur ladite valeur monétaire s’empare des marchés financiers, et foutredieu, nous reviendrions rapidement  au temps blasphématoire où les gens produisaient ensemble de quoi satisfaire leurs besoins, et non de quoi satisfaire les curés du pouvoir et leurs cohortes de marchands du temple.

La république dite « laïque » n’échappe pas à la règle, avec son cortège de principes « sacrés », ses déclarations des droits de l’Homme Riche gravées dans le marbre d’indiscu-tables de la Loi, sa langue ésotérico-judiciaire, ses mythes pseudo-historiques faisant fi de toute réalité, ses « élus » censés incarner (pardon, « représenter ») le mystère de la « nation » toute entière, ses chants, drapeaux et symboles qu’il est interdit de railler, ses frontières invisibles délimitant le territoire sacré de la sainte Patrie, ses prêtres vêtus d’uniformes divers (du kaki à la robe noire en passant par le bleu foncé), ses tribunaux inquisitoriaux et ses pénitences punitives (avec passages initiatiques par la case cellule en monastères carcéraux), inspirant aux bonnes ouailles le noble et nécessaire sentiment de révérence pour leurs bons bergers.

Comme pour toute religion civique, peu importe que plus personne n’y croit vraiment. Tant que les fidèles réitèrent publiquement le rite sacré de soumission au « devoir citoyen » et de délégation de leur puissance individuelle et collective, en échange de pains et de jeux… dans la sphère de l’impuissance privative (pardon, « privée »), on dira bien ce qu’on voudra.

Mais manifester sa soumission au quotidien, par exemple se lever de bonne heure pour trimer comme un esclave comme au bon vieux temps des empires, ne suffit pas. Il faut aussi manifester l’unité fictive de la Communauté. Comme toute Eglise, la prétendue « communauté civique » ne saurait se passer de rituels aussi pompeux que grotesques… fêtes et défilés du calendrier républicain, examens scolaires…

Mais le rituel central, ce sont les élections. Avec leur « urnes » funéraires, leurs « isoloirs » confessionnaux, leurs « débats » en forme de disputes scholastiques, leurs « élus » oints de l’écharpe tricolore, leurs prophètes et pythies journalistiques encravatés psalmodiant leurs interprétations et leurs pitoyables impertinences de bouffons du roi stipendiés, tout au long de ces jeux grecs dédiés aux dieux modernes de l’Etat et du Capital, que l’on nomme « émissions politiques ».

La lutte pour notre émancipation ne peut plus se cantonner, au XXIème siècle, à une critique acerbe des religions traditionnelles, même si l’encens de leurs discours nauséabonds empeste toujours la domination patriarcale et économique. Si la République les tolère et les protège au nom de sa laïcité, c’est qu’elle les a depuis longtemps reléguées au statut d’ombres mornes de son autorité. La République laïque tolère toutes les croyances, à la condition que leur pluralité ne fasse pas d’ombre à son monothéisme, à sa fiction centrale. Un peu à la façon de cet empire romain qui tolérait toutes les religions, sauf celles qui refusaient de se prosterner et de sacrifier devant le dieu-empereur.

Du reste, l’on vote aujourd’hui comme l’on prie, comme nous le démontre cet article savoureux dans la Nouvelle République d’aujourd’hui.

Citoyen.ne de la Cité de Dieu Démocratique, amen ton bulletin en ce jour saint du dimanche… et puis ferme ta gueule pendant cinq ans !

Juanito, Pavillon Noir, 23 mars 2014

Le temps des cerises

Le temps des cerises

Nous en sommes encore loin du temps des cerises et, pour l’instant, nous subissons toujours le temps des escrocs et, désormais, des « empactés ». Je ne sais pas, à l’heure où ces lignes sont écrites, ce qu’aura donné la mobilisation du 18 mars, mais il est à espérer que les prémices d’un printemps frondeur seront apparues. Le « pacte de responsabilité » des tristes compères Hollande-Gattaz est un pacte de voleurs, au sens strict du terme. En 1945, alors que le pays est en ruine et que de Gaulle, peu soupçonnable de gauchisme, est au pouvoir, la Sécurité sociale est mise en place sur un principe simple : chacun paye en fonction de ses moyens et reçoit en fonction de ses besoins pour faire face aux aléas de la vie (maladie, vieillesse, naissance). Dans ce système solidaire, ou les patrons ne sont que les collecteurs de l’argent de cette caisse mutuelle, il n’y a donc pas de « charges », mais des éléments constitutifs du salaire, éléments différés quand le salarié en aura besoin. En clair, aujourd’hui, pour un salarié ou un fonctionnaire qui touche 2 000 euros de salaire net, le salaire différé qui lui revient est de 755 euros dont 113 euros pour la branche famille. Son salaire total est, donc, de 2 755 euros. Bref, quand Hollande promet d’exonérer les patrons de la part familiale dans son pacte avec son pote Gattaz, il vole 113 euros mensuellement à ce salarié ou ce fonctionnaire. Et, bien évidemment, comme il faudra tout de même payer des allocations aux familles, on demandera aux salariés, fonctionnaires, chômeurs, retraités de payer la facture en tant que contribuables. C’est pas beau ça ! La bagatelle de 37 milliards ! Joli hold-up, et légal en plus, pour ces truands bien propres sur eux. Et, bien évidemment, la branche maladie est la prochaine sur la liste. Le patronat se pavane, provoque (assurance chômage), impose ses volontés à ses subsidiaires politiques de tous poils. Pourquoi se gêner si les travailleurs ne distribuent pas les coups de pied aux fesses, voire les boulons dans la tronche que ces empactés méritent ? Le Medef ne prend même plus la peine de laisser croire qu’il fait des concessions. Le texte que la CGC, la CFTC et la CFDT ont signé est, de ce point de vue, un monument d’arrogance patronale et de servilité syndicale. En 1986, Gattaz senior avait promis que, si l’on supprimait l’autorisation administrative de licenciement qui était à l’époque obligatoire, il créerait 700 000 emplois. On lui a donné satisfaction, et non seulement il n’y a pas eu le début de l’ombre d’un soupçon d’emploi créé, mais les licenciements ont explosé. Aujourd’hui, Gattaz junior ne s’engage strictement à rien de concret, si ce n’est, bien sûr, de prendre les 37 milliards. Et comme son arrogance n’a pas de limite, il se permet même des commentaires sur les « pierres et les ronces » que les pauvres patrons subissent, en l’occurrence les « charges » et les réglementations du travail. Un seul chiffre : en 2013, les entreprises auront payé 65 milliards d’impôts et reçu, au total, presque 200 milliards d’aides publiques. Assistés ? Qui sont les assistés ? C’est sur ce terreau de régression sociale, d’appauvrissement, de liquidation des services publics que fleurissent les idées xénophobes, racistes nationalistes et corporatistes (type Bonnets rouges). C’est cette politique d’austérité qu’il faut combattre avec lucidité et détermination. Avec lucidité, car trop souvent des militants, y compris anarchistes, passent plus de temps sur des terrains sociétaux que sur le terrain de la lutte des classes. Avec détermination aussi et opiniâtreté, car l’heure n’est ni aux états d’âme ni au nombrilisme, mais à la double besogne décrite par la charte d’Amiens de 1906. Nous devons, nous militants anarchistes, pousser dans les syndicats pour faire émerger les revendications et les imposer aux appareils. Il n’y a rien à discuter avec les patrons, le gouvernement ou la direction de la CFDT, dont la capacité de nuisance n’est plus à démontrer. Il faut les stopper, un point c’est tout. À la CGT, les tensions sont vives d’ailleurs entre nombre de militants ou de syndicats qui veulent en découdre et une direction toujours tentée par la fumisterie du syndicalisme rassemblé avec la CFDT, ce qui est diamétralement opposé à l’unité d’action. Même au bureau confédéral de la CGT, cela tangue. Ainsi, Valérie Lesage a écrit à Thierry Lepaon, pour pointer « l’illisibilité » de la position CGT, notamment sur le fameux pacte : entre l’action le 18 mars avec FO contre le pacte ou la compromission avec la CFDT pour « des contreparties patronales », il faut choisir. À FO aussi, même si la position du secrétariat général est clairement hostile au pacte, il va falloir savoir claquer la porte des discussions, groupes de travail, tables rondes, conférences sociales et autres gadgets du dialogue social. Celui qui s’autoproclame numéro 2 de l’organisation, Stéphane Lardy, souvent prompt a sortir son stylo (accord calamiteux sur la formation professionnelle ou, en son temps, sur la rupture conventionnelle) n’offre pas, de ce point de vue, une grande fiabilité pour les militants sincères de luttes de classe de l’organisation. Vivement le temps des cerises, du gai rossignol, du merle moqueur.

Fabrice (groupe La Sociale de la Fédération Anarchiste), article publié dans Le Monde Libertaire n°1735, 20-26 mars 2014

A propos de la pollution aux microparticules

NdPN : un texte polémique, nécessitant un débat critique, pour nourrir nos réflexions sur le « Progrès ».

Respirer tue – Rationnons l’air pur

mercredi 19 mars 2014 par  Tomjo

Hier encore, un smog « cancérogène certain » s’est abattu sur nous. Jour après jour, on apprend à  reconnaître ce goût métallique qui empâte la bouche. On vit dans la poisse. Cette poisse mortelle nous défend de courir, faire du vélo, sortir les enfants, respirer à pleins poumons. Surtout, elle nous prépare à la vie rationnée. Ce 17 mars, l’État a substitué une armée de 700 policiers aux habituels ingénieurs en fluidité routière pour faire respecter la circulation alternée des bagnoles. Après l’eau, denrée rare et viciée, l’air deviendra-t-il aussi une marchandise vendue pour raison d’épuration ?Faut-il rappeler aux fabricants de voitures et aménageurs de territoires, que ce n’est pas la faute du soleil, ni des vents si 1,3 million de citadins crèvent chaque année de l’air qu’ils respirent ? (1) Si l’industrie, les épandages agricoles et le chauffage au bois ont leur part de la pollution, celle-ci vient en grande partie des pots d’échappement, de l’usure des pneus et de l’asphalte, des garnitures de frein et d’embrayage (à l’origine des microparticules).

Pour un désastre alternatif

Les dirigeants des métropoles et de l’État ont leur coupable, le « lobby du diesel », pour se décharger de la responsabilité du désastre sanitaire. En pleine campagne municipale, les écologistes de toutes les métropoles font valoir leur bilan dérisoire : un centre-ville piéton accueille désormais les chalands flânant entre les marchandises importées du Bangladesh. Ils repartent en bus ou en Velib sans ralentir l’explosion du trafic. « Le combat des couloirs de bus » : ainsi parlait le chef de file des Verts lillois.(2)  C’est à s’étouffer. Il y a quelques semaines, les médias s’enthousiasmaient du retour des embouteillages : signe de relance économique. Les villes continuent de s’engorger, l’A1 dégueule ses camions et la Chambre de commerce s’impatiente d’un nouveau périphérique pour « désengorger » la métropole lilloise. Vingt ans de politique écologiste pour crever sous les microparticules (après l’amiante et en attendant les nanotubes de carbone, nanoparticules encore plus intrusives que les microparticules). Connaissez-vous les ambitions Vertes pour la prochaine mandature ? Des fleurs sous le métro aérien, des bâtiments basse consommation pour abriter les nuisances High Tech (3), des toitures végétales au dessus des « fab labs » et une fuite en avant qu’ils nomment « alternatives ».

Qu’ils soient écologistes ou non, ils nous laisseront choisir notre mort. Entre la bagnole au pétrole ou le métro à l’uranium. La campagne municipale à Amiens tourne autour de la construction du Tramway. Le Grand Paris sera bientôt ceinturé d’un nouveau RER. En 2016, le métro entre Lille et Roubaix sera doublé et le débat sur l’opportunité d’un « tram-train » relancé. Areva, EDF et les constructeurs automobiles se réjouissent de la transition énergétique vers une « économie décarbonnée », les ventes de véhicules électriques ont augmenté de 50 % en 2012 et les voitures hybrides de 60 %.   Autolib – automobile et liberté.

La Voix du Nord clame à tue-tête les bienfaits de cette néo-industrie qui réglera les problèmes de la raréfaction du pétrole et des microparticules. Avec Arnaud Montebourg au chevet de l’économie nordiste, elle se félicite de ce que notre grande région automobile – « 30 % des véhicules produits en France, 40 % des moteurs et 50 % des boîtes de vitesse » (4) – pourrait se tourner vers « l’électromobilité » : voitures électriques, avions électriques, TGV électriques et voitures à pilotage automatique. Les 13 et 14 février derniers, l’école Centrale de Lille accueillait un salon de la « chimie du végétal ». La Voix s’empresse d’applaudir le laboratoire lillois EuroBioRef dans son ambition de créer des bioraffineries (carburants végétaux) grâce à l’industriel du petit pois Bonduelle et aux financements de la Région. Ils n’arrêteront  jamais.

Dans son dossier sur les municipales à Lille, Le Monde s’enthousiasme pour le réaménagement du port fluvial : « Le responsable [de Voies navigables de France] souhaite doubler le trafic fluvial d’ici 2020, le portant à 2 millions de tonnes. » (5) Celui-ci accueillera bientôt les porte-conteneurs de 4 000 tonnes grâce au canal Seine-Nord que tout le monde attend. Plus de bagnoles, plus de péniches, plus de métros, plus de marchandises. Et finalement, plus de nuisances et plus de contrôle.

L’écologie du rationnement

Les plus visionnaires planifient la suite. Si la gratuité des transports en commun ne suffit pas à « modifier les comportements » des automobilistes et abaisser le taux de microparticules, il faudra contraindre. Circulation alternée et péages urbains nourrissent déjà des usines à gaz militaro-bureaucratiques : droits d’émissions, restrictions, dérogations. « En Europe, deux cents villes restreignent leur accès aux véhicules polluants. » (6) À Stockholm ou à Londres, le paiement est automatisé grâce aux bornes de lecture des plaques minéralogiques par vidéosurveillance. À Londres, toute infraction au règlement écologique est réprimée d’une amende de 600 euros. Ce qui exige un fichier des plaques d’immatriculation associé au poids des voiture, comptes bancaires et identité des automobilistes.

Même si la France retarde dans les restrictions de circulation, des mesures contraignantes sont déjà prises. Au plus fort de la pollution, les nationales et autoroutes du Nord ont vu la réduction de vitesse passer de « recommandée » à « obligatoire ». 45 euros d’amende aux contrevenants. L’écotaxe du gouvernement prévoyait de surveiller les routiers au kilomètre près grâce à la géolocalisation des camions et au contrôle vidéo. On vous passe les capteurs sur les routes et les cartes de transports RFID propres à fluidifier la surpopulation urbaine. Le filet de sécurité écologique se resserre.

Face aux épidémies de cancer, asthme, insuffisances respiratoires ou pneumonie, vous pourrez compter sur un contrôle sanitaire au plus près de vos pathologies. En attendant votre t-shirt intelligent enregistrant en permanence rythme respiratoire et battements de cœur, vous pouvez rendre visite à votre médecin tous les six mois pour un dépistage couvert par le dernier « Plan Cancer » et les cotisations sociales versées par l’industrie automobile. Préventif, votre médecin en profitera pour vous inculquer les bonnes pratiques en milieu toxique : arrêter la clope, le vin et votre mode de vie pathogène. Et pour votre jogging, n’oubliez pas votre masque à oxygène intelligent, acheté chez Décathlon.

On disait « libre comme l’air ». Mais tout ce qui était libre et gratuit se marchandise pour raison de gestion. Vous savez bien, quand c’est gratuit « les gens » gaspillent et dégradent. L’eau est viciée ? Elle ne suffit plus à abreuver les millions de métropolitains entassés ? Il faut la pomper depuis les sous-sols, l’assainir, la comptabiliser ? Entretenir les cuves et les kilomètres de tuyaux ? Régies publiques et compagnies privées se chargent déjà de la rationner. Question de survie. Le programme de vie hors-sol comprendra le compteur à oxygène individuel, les usines de retraitement de l’air vicié, les bouteilles d’air conditionné riches en oxygène. Danone et Nestlé lanceront des bouteilles individuelles d’air parfumé. Le Front de Gauche manifestera pour la gratuité des premiers mètres cubes d’oxygène et le retour en régie publique des sociétés d’assainissement d’air.

50% de la population mondiale vit en ville. Nul besoin d’habiter Pékin ou Mexico pour savoir que cette concentration de bagnoles, d’usines et de marchandises concentre surtout la pollution. Or, cette concentration s’accélère : quelle métropole « attractive » n’a pas son programme pour une ville dense ? Plus d’entreprises, de pôles d’excellence, d’universités feront plus de transports, de fumées toxiques, de cancers. Les « alternatives » qui n’en sont pas, et les mesures de contrainte écologique imposeront, quoi qu’il nous en coûte en terme de liberté, la circulation des marchandises et le « développement des territoires ».

Ce n’est pas seulement le « lobby du diesel » qui tue, mais la société industrielle.

Tomjo

Lille, le 17 mars 2014

http://hors-sol.herbesfolles.org/

Vu sur Pièces et main-d’œuvre, 17 mars 2014