Archives de catégorie : Écrits

[Tablettes numériques] Enfants cobayes d’une « expérimentation » addictive

NdPN : pas moins de deux articles dans la presse quotidienne régionale pour vanter les mérites de « l’expérimentation » de tablettes numériques en milieu scolaire, auprès de cobayes élèves de 6ème et élèves de terminale. Florilège de « neutralité » journalistique : les élèves « risquent de susciter des jalousies » parce qu’ils ont eu la chance d’être choisis pour expérimenter ces « petites merveilles », des parents « subjugués »… un collégien « ravi »… « je ne sais pas s’ils se rendent compte de ce qui leur arrive ce matin », dit la principale du collège.

N’en jetez plus : Alleluja !

Dans de nombreuses académies, l’introduction de ce gadget technologique, imposé à grands renforts de propagande journalistique, a été planifiée comme une campagne de lancement de produit. Notamment par le ministère de l’Education nationale et les Rectorats, en rapport avec les inspections pédagogiques, les collectivités locales, les CRDP, les missions académiques TICE (techniques de l’information et de la communication dans l’éducation), les conseillers académiques TICE… toute l’armée de l’éducation étatiste au service des « nouvelles technologies » !

Pour « l’intérêt pédagogique », on ne sait pas trop : comme d’habitude, la « nouveauté » est bien pratique pour ne rien changer à ce système de merde. Les autorités-VRP quant à elles n’hésitent pas à justifier cette débauche de pognon public, pour le plus grand bonheur d’industriels esclavagistes, en recourant aux arguments du handicap ou du décrochage scolaire, avec un cynisme assez effarant.

Des brochures académiques en font une véritable apologie, confinant à la publicité forcenée. Des rapports ministériels confinent quant à eux à une quasi-étude de marché

On parle ainsi de « mobilité », de « rapidité ». Bref, tous les critères du productivisme capitaliste appliqués à l’école. Pas grave si des élèves de 11 ans sont ainsi exposés à une « addiction » suscitée par l’utilisation de ces bidules, et qui touche même leur prof, quitte à oublier de manger, comme le suggère le premier article…

Comme pour nombre de « technologies de l’information et de la communication » (TIC) appliquées à l’éducation (TICE), on commence par « expérimenter » sur des classes « volontaires », puis on généralise… comme par exemple en obligeant les profs à ficher les mômes sur des fichiers numériques, ou à remplir des cahiers de textes numériques pour mieux être fliqués. Hélas trop peu de syndicats enseignants s’inquiètent du fait que l’Education Nationale soit un outil de contrôle social, en même temps que de propagande éhontée de l’Etat pour aider les capitalistes à écouler massivement des marchandises de haute technologie et imposer aux esprits leur utilisation.

Si l’on voulait vraiment « éduquer » les élèves, on pourrait tout de même rappeler que ces joujous, qui coûtent les yeux de la tête, sont dans l’immense majorité fabriqués dans des pays où les conditions de travail sont épouvantables. Qu’ils utilisent des matériaux rares dont l’extraction a lieu dans des conditions non moins horribles. Pour exemple, le conflit du Kivu en RDC, le plus meurtrier de la planète depuis la seconde guerre mondiale, puisqu’il a fait six millions de morts depuis plus de quinze ans, tourne autour de l’extraction du coltan, entrant dans la composition de la plupart des gadgets numériques.

S’éduquer ne commence pas par devenir « accro » et dépendant à une béquille technologique, mais au contraire à s’émanciper de toutes les velléités de sujétion de l’individu. A commencer par le projet d’un meilleur des mondes à la Big Brother ! Pas besoin d’écrans tactiles pour trouver soi-même et avec les autres les savoirs et connaissances, les partager, les discuter, nous les approprier, pour nous approprier vraiment nos vies. On souhaite aux élèves et aux professeurs bloqués sur les écrans du mirage capitaliste de lever les yeux vers les autres, et de foutre un bon coup de pied au cul à tous les éducastrateurs hiérarchiques, et un bon coup de sabot dans tous les projets technologiques de contrôle social.

Poitiers – Des tablettes pour étudier

 

Christian Arnaud, directeur d'académie, remet une tablette à l'un des collégiens ravi.
Christian Arnaud, directeur d’académie, remet une tablette à l’un des collégiens ravi.

Une classe de 6 e  du collège Ronsard va expérimenter l’utilisation de la tablette numérique tactile dans le cadre scolaire. Elle leur a été remise, hier.

Les 21 élèves de la classe de sixième B du collège Ronsard, aux Trois-Cités, risquent susciter des jalousies. Depuis hier, ils sont en possession d’une tablette numérique tactile (*) .

En un tour de doigt, ils découvrent – par exemple – les différentes étapes de la construction de Paris à travers les siècles, en trois dimensions. Cet outil qui risque détrôner l’ordinateur portable est destiné à l’enseignement, pas aux jeux. Ceux-ci ont été « bloqués ».

Pour l’instant, la tablette reste au collège

Ces petites « merveilles » technologiques leur ont été remises très officiellement, mardi. « Je ne sais pas s’ils se rendent compte de ce qui leur arrive ce matin, » commentait la principale Annie Arsicot après avoir rappelé que le collège est intégré dans le Réseau de réussite scolaire. Henri Colin, vice-président du conseil général en charge de l’Éducation, déclarait aux enfants qu’ils avaient eu la chance d’être choisis car leurs enseignants se sont portés volontaires pour cette expérimentation qui doit révéler les aspects positifs et négatifs de son utilisation. Hier, les collégiens avaient du mal à décrocher leurs yeux et leurs doigts de l’écran quitte à rater le déjeuner. « Nous sommes perturbés, car c’est excitant. C’est une nouvelle expérience pour nous. C’est agréable et un peu plus amusant de travailler dessus. Nous sommes impatients d’étudier avec », s’enthousiasment Romane et Samira. Les enseignants ne boudent pas davantage leur plaisir. La prof de SVT avoue qu’elle est devenue « accroc ». Elle a plein d’idées pour mettre en mouvement ses cours. Mais s’attachera « à les faire réfléchir sur l’aspect addictif de cet outil et sa place dans notre quotidien ». Le prof de français les plongera dans les dictionnaires en ligne « pour utiliser le mot juste ». Ils échangeront également sur le thème de la lecture, avec les élèves d’une classe de CM2, de l’école Tony-Lainé, qui expérimentent la tablette depuis octobre. Même les parents semblent subjugués. Mais pour l’instant, les tablettes restent au collège.

(*) Cette expérimentation est également conduite au collège de Saint-Gervais-Les-Trois-Clochers.

Marie-Catherine Bernard, Nouvelle République, 16 janvier 2013

 

Civray – Des voeux de succès pour les lycéens

Que peut-on souhaiter à un établissement scolaire ? C’est qu’il fasse réussir tous ses élèves. C’est ainsi que le proviseur, Pascal Maillou, a démarré son discours lors de la cérémonie des vœux organisée au lycée André-Theuriet en présence de la communauté éducative et de personnalités locales.
Il a souhaité aux 66 personnes travaillant dans l’établissement de s’épanouir au mieux sur leur lieu de travail et aux partenaires du lycée la poursuite de la collaboration dans l’intérêt du territoire. « Je souhaite que notre établissement devienne un établissement de référence en Poitou-Charentes. » Il a cité le projet en partenariat avec le lycée du Futuroscope concernant le travail sur tablettes numériques. […]

Nouvelle République, 16 janvier 2013

Au-delà du mariage

Au-delà du mariage

Sous la notion de mariage (et plus généralement d’union, qu’elle soit légalisée ou libre), se tapissent les fondements mêmes de la société étatiste et capitaliste actuelle : la domination et la propriété privée.

L’institution du mariage se définit ainsi traditionnellement et jusqu’à aujourd’hui en termes de transmission d’un capital (financier et génétique), de devoirs juridiques contraignants, de domination de la norme hétérosexuelle, de statuts réciproques de « l’homme », de « la femme », et de « l’enfant ». Statuts non naturels mais culturels, organisant la domination masculine et adulte d’une part, et fondant d’autre part le fait inacceptable que les un-e-s (enfants, femmes) appartiendraient exclusivement à d’autres qui en seraient les propriétaires (l’homme adulte). La notion de famille implique ainsi la relégation des individus à un âge, notion éminemment culturelle, à un genre, notion elle aussi culturelle fondée sur l’aspect tout à fait bénin du sexe biologique, mais surdéterminant les rapports sociaux.

L’institution du mariage est l’une des plus anciennes institutions, consistant à limiter les possibles, à établir un contrôle social sur nos identités, nos désirs et nos sentiments, et à nous le faire intégrer dans notre intimité même, dans notre façon de concevoir et de juger le monde et les autres. Le mariage, ce dispositif central du patriarcat, est au coeur des rapports de hiérarchie (domination de « la femme », domination de « l’enfant ») et de privation (organisation de la propriété privée, des biens… comme des personnes !).

La revendication au « mariage pour tou-te-s » doit éviter l’écueil de légitimer ce que suppose cette institution : la domination sociale et la propriété privée… sous peine d’aboutir à un renforcement du dispositif bourgeois. L’abolition du mariage comme institution est une vieille proposition anarchiste, que nous partageons.

Mais comment aller vers cette abolition et vers le respect intégral des individus et leur libre association, dans une société où toute autonomie est détruite par le capital et l’Etat ? Où pour vivre leur amour, les individus atomisés, en manque de repères sociaux, éprouvent parfois le besoin de se jeter sur le mariage comme on se jetterait sur la planche d’un navire en naufrage ?

Peut-être en affirmant que, dans cette revendication d’un mariage pour tou-te-s, nous ne revendiquons pas l’institution du mariage ; mais que nous voulons au contraire en finir avec lui, le dynamiter dans ce qui le fonde, le vider à terme de toute son essence mortifère et sclérosante, pour le ranger un jour au placard des mauvais souvenirs.

Le débat actuel sur le mariage homo, la filiation, l’adoption et la procréation médicalement assistée peut être une chance de remettre en question la distinction et la hiérarchie moisies entre « homme » et « femme », entre « hétérosexualité » et « homosexualité », « fidélité » et « infidélité », « adultes » et « enfants » (quelle affreuse prétention des individus « adultes » à vouloir disposer des individus « enfants », que ceux-ci soient issus de leurs gènes ou non, comme s’ils étaient les « leurs », leur propriété !). Toutes elles-mêmes des catégories factices et frustratrices, réduisant la richesse de la réalité vécue dans les rapports et les liens humains, qui se nouent et se dénouent.

Dans cette lutte encore longue et difficile pour éradiquer le mariage et la famille comme racines de la domination sociale et de la propriété privée, exclusive et excluante, nous ne sommes évidemment pas du côté des fachos ni des intégristes catholiques, musulmans et juifs, aux « arguments » puants, dissimulant leurs prétentions malsaines à maintenir des gens dans la relégation, derrière le fard d’un débat « citoyen ».

Nous sommes du côté des individus que l’institution marginalise et réprime et que des sombres merdes agressent. Nous sommes solidaires avec leurs luttes, parce qu’à travers la conception traditionnelle du mariage, ces personnes sont réprimées et agressées par le même patriarcat, la même coercition légale et la même propriété privée qui nous oppriment aussi. Des personnes qui aiment des individus du même sexe biologique sont empêchées de pouvoir accéder à des pensions de réversion, d’adopter des enfants, de concevoir des enfants. Des enfants sont dans l’angoisse de se retrouver séparés des adultes qu’ils aiment et avec lesquels ils vivent. C’est inacceptable.

Oui au mariage pour tou-te-s… pour qu’un jour enfin il n’y ait plus de mariage pour enchaîner quiconque.

Jeanine, Pavillon Noir, 13 janvier 2013

A bas les accords de « flexisécurité », à bas les bureaucrates !

Hier soir, les organisations patronales (MEDEF en tête, avec CGPME et UPA) et les trois bureaucraties syndicales les plus réformardes du paysage syndical français sinistré (CFDT en tête, mais aussi CFE-CGC et CFTC), se sont mises d’accord pour un accord validant la mise en place d’une « flexisécurité ».

La CGT et FO rejettent vivement cet accord, qu’elles estiment préjudiciables aux salarié-e-s. Or le fait est que cet accord est permis par les lois sur la représentativité syndicale, impulsées par la CFDT, mais aussi la CGT, dans le but d’acquérir une hégémonie sur le syndicalisme français : il suffit que trois syndicats sur cinq signent pour valider un accord, c’est chose faite. L’Etat envisage un projet de loi en mars, le passage au parlement en avril et au Sénat en mai, pour une promulgation fin mai.

En quoi consistent ces ridicules « avancées » saluées par ces trois syndicats pourris ? En une « généralisation » d’une complémentaire santé misérable, en une « limitation » faiblarde d’un temps partiel qui ne compensera évidemment pas l’explosion de celui-ci cette dernière décennie, et des droits « rechargeables » (clic-clic) à l’assurance-chômage, le patronat concédant une dérisoire augmentation des cotisations correspondantes, qui ne rattrappera évidemment pas la masse des défiscalisations accumulées ces dernières décennies. Ces droits rechargeables seront surtout l’occasion de permettre aux patrons de payer encore moins les salarié-e-s à l’embauche, sous prétexte qu’ils-elles continueront de percevoir des allocs…

Le patronat a quant à lui des raisons d’exulter. L’accord consiste en effet, non seulement à faciliter la baisse des salaires et du temps de travail en cas de « difficultés » pour les entreprises, mais aussi à faciliter les licenciements en les « déjudiciarisant », et à rendre obligatoire la « mobilité » des salarié-e-s en cas de restructurations, qui se passeront désormais de plans sociaux et d’indemnités ! Alors que dans les faits, c’est depuis de nombreuses années le seul et dernier retranchement de lutte défensive chez les salarié-e-s, broyé-e-s par la logique du profit… Les bureaucrates syndicaux n’auront même plus besoin d’étouffer et de lâcher leurs bases quand elles lutteront pour des indemnités lors de restructurations et de plans de licenciements.

S’il était encore besoin d’argumenter pour foutre ces bureaucraties à la poubelle, ce dernier accord entérine ce que nous disons depuis longtemps. Parisot ne s’y trompe pas, voyant dans cet accord la consécration d’une « culture du compromis » contre « une philosophie de l’antagonisme social »… Quel camouflet à la lutte de classe ! Depuis des années que les capitalistes réclament une « flexibilisation » des salarié-e-s afin de les presser un peu plus sous le joug de la « compétitivité », il obtiennent cette victoire de plus, avec l’aval d’un gouvernement « socialiste » et de syndicats hostiles à la lutte, nourris au biberon des subventions de l’Etat et du Capital.

Assez du « dialogue social » bidon pour neutraliser les luttes ! Assez des « compromis »-sions avec capitalisme et Etat qui méprisent les prolétaires avec le dernier cynisme ! Assez de ces bureaucraties syndicales pourries, rouages de la machine à déposséder !

Rien à discuter, rien à négocier : plus que jamais, construisons ensemble la lutte autonome et indépendante des dominé-e-s et des exploité-e-s, contre la domination et la morgue de tous ces « élus » qui prétendent nous « représenter ». Pour en finir avec la dépossession économique et politique, il faut nous organiser sans chefs.

Nos vies ne leur appartiennent pas.

Pavillon Noir, 12 janvier 2013

Mise à jour 14 janvier : voir ces accords passés à la moulinette par G. Filoche.

Contre l’intervention militaire de l’Etat français au Mali

Le président Hollande a décidé hier d’une intervention militaire au Mali, sur l’invitation de cet « Etat ami », contre « le terrorisme ».

La droite et l’extrême-droite se sont évidemment empressées d’approuver cette option, rejetée par Mélenchon. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni, grands défenseurs des guerres désintéressées, soutiennent le gouvernement français dans cette décision.

Or au Mali la situation est bien plus complexe qu’il n’y paraît, fait souligné par de nombreux observateurs spécialistes de la région, affirmant depuis de nombreux mois qu’il est plutôt « urgent d’attendre ». Les proches des otages retenus désapprouvent quant à eux cette intervention, craignant pour la vie de leurs proches captifs.

Le « Nord » du Mali est en effet désigné, dans un amalgame délibérément confus, comme occupé par des « terroristes ». Alors que des Touaregs autonomes, notamment ceux du MNLA, laïc et divergent des islamistes d’Ansar Dine, y luttent à la fois contre les islamistes et l’Etat malien, en remportant des victoires. L’indépendance de l’Azawad a été condamnée par de nombreux gouvernements d’Etats africains, craignant eux aussi pour leur pouvoir. Et par la France.

Au passage, rappelons que l’Etat malien a aussi perpetré son lot d’exactions et de massacres dans la région. Cette intervention de l’Etat malien consiste surtout pour lui à rétablir une souveraineté militaire sur les populations du Nord du Mali, dont nous n’avons rien à attendre de bon.

Quant à la France, les objectifs réels sont multiples. Une « bonne guerre » peut ressouder l’opinion autour d’un gouvernement PS qui déçoit, et favoriser le lobby de l’armement. Bien entendu, il s’agit aussi de maintenir des liens de « coopération », militaire et économique… la Françafrique a la vie dure.

C’est aux habitant-e-s du nord-Mali qu’il revient de se libérer et se gérer eux-mêmes, et avec eux que nous sommes solidaires contre cette intervention militaire multi-étatiste. L’islamisme (qu’on ne peut par ailleurs réduire à une seule forme dans cette zone de l’Afrique) peut le mieux être combattu… par les populations locales, qui l’ont assez démontré ! Or l’attitude de la France quant aux islamistes est plus qu’ambiguë jusqu’à aujourd’hui, certains observateurs affirmant même que la France a pu creuser le lit de l’islamisme par certains choix stratégiques dans la région. Le discours de l’Etat français contre les populations touarègues est en revanche clairement répressif, depuis le début.

Solidarité avec les populations prises entre l’étau de la répression étatique et les exactions d’islamistes mafieux ! à bas toutes les guerres impérialistes !

Pavillon Noir, 12 janvier 2013

Lobotomisation à grande vitesse : au sujet des « emplois » (l’avaleur travail)

Image vue sur le blog de Fred et René

Aujourd’hui la Nouvelle République remet le couvert en encensant une fois de plus le chantier de la LGV Tours-Bordeaux (voir ici et ). Une fois de plus, l’argument principal est celui de la création d’emplois que susciterait ladite ligne à grande vitesse.

Passons sur les arguments écologiques, par trop évidents : les paysages lunaires et désolés du chantier, ouvrant la terre à ciel ouvert à coups d’explosifs, montrent eux-mêmes en un saisissant raccourci à quoi ressemble le système actuel – celui d’une destruction massive des espaces et des sociétés.

Plaçons-nous donc d’abord sur le terrain de l’ennemi, l’économie. Si l’on veut bien jouer cet exercice intellectuel (pour ne pas dire la contorsion) consistant à adopter le point de vue de la social-démocratie, si l’on n’admet que le cadre capitaliste pour envisager une société meilleure (la LGV est largement soutenue par les élu-e-s PS) : la LGV est déjà un non-sens total.

Ce chantier pharaonique est économiquement ruineux pour les exploité-e-s, avec des subventions énormes données à perte par l’Etat et les collectivités locales à Vinci – comme pour tous les PPP (partenariats public-privé), dont les contribuables assument seuls les pertes et les capitalises encaissent seuls les profits. Les montants délirants de ces investissements publics, en pleine période dite de « crise » où un nombre croissant de gens connaissent des conditions de (sur)vie de plus en plus inacceptables, posent en eux-mêmes la question flagrante : où va l’argent ?

Quant aux fameuses « créations d’emplois », il faut souligner d’une part que la recrudescence d’emplois suscités par le chantier est tout à fait éphémère (comme l’admet d’ailleurs la NR). D’autre part, et cela va avec, il faut rappeler qu’à terme, comme pour toute concentration/rationalisation des moyens de production, d’échange et de distribution en système capitaliste, ce chantier n’est qu’un prélude de plus à une nouvelle baisse structurelle des emplois. En effet, la LGV désertifiera un peu plus les régions traversées et isolées par le train à grande vitesse ; la dynamique de métropolisation des espaces urbains desservis par la ligne (devenant un peu plus des noeuds d’échange accaparant toute l’activité humaine) répond quant à elle à une logique éminemment capitaliste : rationaliser l’appareil productif de façon à réduire, précisément, le coût de main-d’oeuvre… ayant pour conséquence, comme depuis plusieurs décennies, l’approfondissement du chômage. Quand la machine remplace globalement l’homme, le chassant de la sphère productive, les emplois suscités par l’élaboration de l’outil ne servent qu’à réduire globalement l’emploi.

La LGV n’est qu’un aspect du dispositif capitaliste global consistant à concentrer le capital, à maximiser le profit et à réduire globalement la rémunération de la force de travail.

Néanmoins, si profit privé et bien commun sont éminemment incompatibles et si le social-capitalisme est par définition un mensonge, ces chantiers sont loin d’être illogiques, malgré leur apparente absurdité en termes socio-économiques.

Ils répondent en effet à la logique actuelle d’un capitalisme aux abois. On peut même dire que ces chantiers délirants sont actuellement inévitables, si l’on se condamne à rester dans les paradigmes d’une organisation capitaliste de la société. Si dans le monde entier, avec l’aval de gouvernements de gauche comme de droite, ces chantiers prolifèrent, c’est pour une raison précise : le capitalisme productif ne rapporte plus assez. Et ce, depuis la fin des années 1960, précisément parce que le machinisme a marginalisé l’homme au sein du processus de production/valorisation. D’une part les investissements en machines ont pris une part prépondérante dans les investissements globaux, réduisant la part de l’investissement en force de travail humain à une portion toujours plus congrue… alors que c’est uniquement sur l’exploitation du travail humain que le profit se réalise. D’autre part, la production peine à s’écouler, au sein d’un marché prombé par la stagnation relative des salaires par rapport à la masse croissante du capital en circulation.

Le capitalisme ne peut fuir éternellement ses contradictions avec de vieilles recettes ; c’est pourquoi il se restructure périodiquement, en colonisant et en défrichant de nouveaux « gisements de profits ».

C’est la financiarisation de l’économie mondiale qui a permis, à partir des années 1970, de prolonger le maintien du profit capitaliste. D’une part en organisant la spéculation sur les profits productifs à venir, du moins susceptibles de venir. Et d’autre part en encourageant le crédit chez les salariés mal payés, pour permettre de maintenir la consommation. Tour de passe-passe, fuite en avant ? Certes, on l’a manifestement vu lors de la crise de 2008 ; n’empêche que cette restructuration a permis de maintenir le système (et les emplois avec, n’en déplaise aux « anti-libéraux » de gauche).

Le hic, c’est que la spéculation sur les profits à venir dans l’activité productive exige elle aussi, tout de même, que la production se poursuive un minimum. Sous peine de doute trop flagrant sur la réalité de la production, ce fondement incontournable, même avec mille tours de magie, de l’économie ; sans activité productive minimale pour faire illusion, il y a doute généralisé, et donc éclatement de la bulle financière, et donc dévalorisation massive du capital, et donc paralysie totale de l’économie, bref, disparition de la valeur elle-même, et effondrement pur et simple du capitalisme. Adieu juges, flics, notaires : les populations affamées se ruent sur les biens redevenus communs. Et ça, pour les possédants et les dominants, c’est pas très glop.

C’est ce rôle de caution d’un productivisme, en apparence absurde, que jouent actuellement et en toute logique capitaliste les multiples partenariats public-privé. Ces immenses chantiers de béton et d’acier, aussi laids qu’inutiles socialement, ne sont utiles qu’à la tentative de pérennisation du capitalisme, en garantissant le maintien du minimum de profits productifs juteux nécessaire à la crédibilité de la valeur globale et de sa circulation.

Voilà pour le côté économique.

A notre sens, ce qu’il faut aussi attaquer, c’est ce pseudo-argument des capitalistes, repris en choeur par leurs bardes politiciens et journalistes, de la création d’emplois. Parmi tant de laideur, de destruction écologique, de ruine d’argent public, de destruction d’espaces communs de vie, l’emploi demeure le seul et ultime argument pour soutenir ce consternant projet de LGV (comme du reste tous les PPP). L’emploi est le grand retranchement argumentaire des capitalistes et de leurs petits copains du PS et de la NR.

Or, si l’on veut bien cesser de penser « croissance », « emploi » et « réindustrialisation » comme les sources de notre bonheur sur Terre : pourquoi les gens veulent-ils des emplois salariés (c’est-à-dire exploités et aliénés, où l’on prélève sur eux un profit, et où ils n’ont aucune capacité de décider de la nature de la production) ? Pour se procurer de l’argent, monsieur le DRH, pas pour se « réaliser »… Et pourquoi les gens veulent-ils avoir de l’argent ? Pas pour être « libres », monsieur le politicien, mais pour s’assurer de pouvoir payer les besoins nécessaires à la vie, qui sont tous marchandisés puisque les gens ne disposent plus des moyens de les produire par eux-mêmes (on les leur a confisqués). Pourquoi faut-il payer, dans un monde qui produit déjà bien plus qu’il n’est nécessaire pour couvrir les besoins de tous les humains qui peuplent cette planète ? Pas pour être « honnête », monsieur le juge, mais pour éviter de s’exposer au risque d’être broyé par le cerbère étatique flic-juge-maton.

Le travail salarié est comme l’argent : il est un dispositif pour maintenir la domination, la hiérarchie et les inégalités, la privation et la rareté, dans un monde qui croule sous des richesses potentiellement disponibles pour tous. Le travail est l’activité humaine dévoyée par la contrainte, par la menace réelle de crever de faim et de froid, assumée par la répression permanente des forces de « l’ordre ». L’emploi n’est pas un but en soi : il n’est qu’un moyen de survie. Les gens ne travaillent pas comme salariés pour se réaliser : il n’y a nul besoin de contraindre les gens au travail, ni d’argent, pour les voir s’organiser pour produire ce dont ils ont besoin, si tant est qu’ils possèdent les moyens de produire ces choses par eux-mêmes.

Plutôt que de nous satisfaire de « créations d’emploi » temporaires, par des capitalistes qui ne les créent que pour accroître leur profit et leur domination sur nous tous, organisons-nous enfin plutôt pour en finir avec le travail contraint ! Et si ce n’est pour l’abolir ni le déserter totalement dans l’immédiat, puisque le capitalisme est une dictature que l’on ne renverse pas par des déclarations d’intention, luttons au moins pour nous réapproprier les moyens de décider vraiment de nos vies. Organisons-nous au maximum pour produire et nous procurer ce dont nous avons vraiment besoin, en-dehors du monde du salariat. Et quand nous sommes contraints de travailler, organisons-nous pour détourner l’appareil productif et pour saboter le profit, afin de nous répproprier les moyens de décider par nous-mêmes sur nos vies : c’est là l’origine et le sens véritable du syndicalisme.

S’organiser signifie aussi se défendre, collectivement, contre les attaques du capitalisme qui semble précipiter le monde dans sa chute en avant. LGV Lyon-Turin, chantiers du nucléaire et leurs pylônes, aéroport de Notre-Dame-des-Landes… la résistance contre ces dispositifs capitalistes ne s’organise pas que sur un refus théorique ou sur une argumentation économique. Elle se construit aussi par les expérimentations concrètes d’autres façons de vivre, d’autres sociabilités, en même temps que l’organisation d’une défense aux stratégies aussi multiples que complémentaires.

Employons-nous à ne plus être employés.

Juanito, 29 décembre 2012