Archives de catégorie : Propagande marchande

A propos de la pollution aux microparticules

NdPN : un texte polémique, nécessitant un débat critique, pour nourrir nos réflexions sur le « Progrès ».

Respirer tue – Rationnons l’air pur

mercredi 19 mars 2014 par  Tomjo

Hier encore, un smog « cancérogène certain » s’est abattu sur nous. Jour après jour, on apprend à  reconnaître ce goût métallique qui empâte la bouche. On vit dans la poisse. Cette poisse mortelle nous défend de courir, faire du vélo, sortir les enfants, respirer à pleins poumons. Surtout, elle nous prépare à la vie rationnée. Ce 17 mars, l’État a substitué une armée de 700 policiers aux habituels ingénieurs en fluidité routière pour faire respecter la circulation alternée des bagnoles. Après l’eau, denrée rare et viciée, l’air deviendra-t-il aussi une marchandise vendue pour raison d’épuration ?Faut-il rappeler aux fabricants de voitures et aménageurs de territoires, que ce n’est pas la faute du soleil, ni des vents si 1,3 million de citadins crèvent chaque année de l’air qu’ils respirent ? (1) Si l’industrie, les épandages agricoles et le chauffage au bois ont leur part de la pollution, celle-ci vient en grande partie des pots d’échappement, de l’usure des pneus et de l’asphalte, des garnitures de frein et d’embrayage (à l’origine des microparticules).

Pour un désastre alternatif

Les dirigeants des métropoles et de l’État ont leur coupable, le « lobby du diesel », pour se décharger de la responsabilité du désastre sanitaire. En pleine campagne municipale, les écologistes de toutes les métropoles font valoir leur bilan dérisoire : un centre-ville piéton accueille désormais les chalands flânant entre les marchandises importées du Bangladesh. Ils repartent en bus ou en Velib sans ralentir l’explosion du trafic. « Le combat des couloirs de bus » : ainsi parlait le chef de file des Verts lillois.(2)  C’est à s’étouffer. Il y a quelques semaines, les médias s’enthousiasmaient du retour des embouteillages : signe de relance économique. Les villes continuent de s’engorger, l’A1 dégueule ses camions et la Chambre de commerce s’impatiente d’un nouveau périphérique pour « désengorger » la métropole lilloise. Vingt ans de politique écologiste pour crever sous les microparticules (après l’amiante et en attendant les nanotubes de carbone, nanoparticules encore plus intrusives que les microparticules). Connaissez-vous les ambitions Vertes pour la prochaine mandature ? Des fleurs sous le métro aérien, des bâtiments basse consommation pour abriter les nuisances High Tech (3), des toitures végétales au dessus des « fab labs » et une fuite en avant qu’ils nomment « alternatives ».

Qu’ils soient écologistes ou non, ils nous laisseront choisir notre mort. Entre la bagnole au pétrole ou le métro à l’uranium. La campagne municipale à Amiens tourne autour de la construction du Tramway. Le Grand Paris sera bientôt ceinturé d’un nouveau RER. En 2016, le métro entre Lille et Roubaix sera doublé et le débat sur l’opportunité d’un « tram-train » relancé. Areva, EDF et les constructeurs automobiles se réjouissent de la transition énergétique vers une « économie décarbonnée », les ventes de véhicules électriques ont augmenté de 50 % en 2012 et les voitures hybrides de 60 %.   Autolib – automobile et liberté.

La Voix du Nord clame à tue-tête les bienfaits de cette néo-industrie qui réglera les problèmes de la raréfaction du pétrole et des microparticules. Avec Arnaud Montebourg au chevet de l’économie nordiste, elle se félicite de ce que notre grande région automobile – « 30 % des véhicules produits en France, 40 % des moteurs et 50 % des boîtes de vitesse » (4) – pourrait se tourner vers « l’électromobilité » : voitures électriques, avions électriques, TGV électriques et voitures à pilotage automatique. Les 13 et 14 février derniers, l’école Centrale de Lille accueillait un salon de la « chimie du végétal ». La Voix s’empresse d’applaudir le laboratoire lillois EuroBioRef dans son ambition de créer des bioraffineries (carburants végétaux) grâce à l’industriel du petit pois Bonduelle et aux financements de la Région. Ils n’arrêteront  jamais.

Dans son dossier sur les municipales à Lille, Le Monde s’enthousiasme pour le réaménagement du port fluvial : « Le responsable [de Voies navigables de France] souhaite doubler le trafic fluvial d’ici 2020, le portant à 2 millions de tonnes. » (5) Celui-ci accueillera bientôt les porte-conteneurs de 4 000 tonnes grâce au canal Seine-Nord que tout le monde attend. Plus de bagnoles, plus de péniches, plus de métros, plus de marchandises. Et finalement, plus de nuisances et plus de contrôle.

L’écologie du rationnement

Les plus visionnaires planifient la suite. Si la gratuité des transports en commun ne suffit pas à « modifier les comportements » des automobilistes et abaisser le taux de microparticules, il faudra contraindre. Circulation alternée et péages urbains nourrissent déjà des usines à gaz militaro-bureaucratiques : droits d’émissions, restrictions, dérogations. « En Europe, deux cents villes restreignent leur accès aux véhicules polluants. » (6) À Stockholm ou à Londres, le paiement est automatisé grâce aux bornes de lecture des plaques minéralogiques par vidéosurveillance. À Londres, toute infraction au règlement écologique est réprimée d’une amende de 600 euros. Ce qui exige un fichier des plaques d’immatriculation associé au poids des voiture, comptes bancaires et identité des automobilistes.

Même si la France retarde dans les restrictions de circulation, des mesures contraignantes sont déjà prises. Au plus fort de la pollution, les nationales et autoroutes du Nord ont vu la réduction de vitesse passer de « recommandée » à « obligatoire ». 45 euros d’amende aux contrevenants. L’écotaxe du gouvernement prévoyait de surveiller les routiers au kilomètre près grâce à la géolocalisation des camions et au contrôle vidéo. On vous passe les capteurs sur les routes et les cartes de transports RFID propres à fluidifier la surpopulation urbaine. Le filet de sécurité écologique se resserre.

Face aux épidémies de cancer, asthme, insuffisances respiratoires ou pneumonie, vous pourrez compter sur un contrôle sanitaire au plus près de vos pathologies. En attendant votre t-shirt intelligent enregistrant en permanence rythme respiratoire et battements de cœur, vous pouvez rendre visite à votre médecin tous les six mois pour un dépistage couvert par le dernier « Plan Cancer » et les cotisations sociales versées par l’industrie automobile. Préventif, votre médecin en profitera pour vous inculquer les bonnes pratiques en milieu toxique : arrêter la clope, le vin et votre mode de vie pathogène. Et pour votre jogging, n’oubliez pas votre masque à oxygène intelligent, acheté chez Décathlon.

On disait « libre comme l’air ». Mais tout ce qui était libre et gratuit se marchandise pour raison de gestion. Vous savez bien, quand c’est gratuit « les gens » gaspillent et dégradent. L’eau est viciée ? Elle ne suffit plus à abreuver les millions de métropolitains entassés ? Il faut la pomper depuis les sous-sols, l’assainir, la comptabiliser ? Entretenir les cuves et les kilomètres de tuyaux ? Régies publiques et compagnies privées se chargent déjà de la rationner. Question de survie. Le programme de vie hors-sol comprendra le compteur à oxygène individuel, les usines de retraitement de l’air vicié, les bouteilles d’air conditionné riches en oxygène. Danone et Nestlé lanceront des bouteilles individuelles d’air parfumé. Le Front de Gauche manifestera pour la gratuité des premiers mètres cubes d’oxygène et le retour en régie publique des sociétés d’assainissement d’air.

50% de la population mondiale vit en ville. Nul besoin d’habiter Pékin ou Mexico pour savoir que cette concentration de bagnoles, d’usines et de marchandises concentre surtout la pollution. Or, cette concentration s’accélère : quelle métropole « attractive » n’a pas son programme pour une ville dense ? Plus d’entreprises, de pôles d’excellence, d’universités feront plus de transports, de fumées toxiques, de cancers. Les « alternatives » qui n’en sont pas, et les mesures de contrainte écologique imposeront, quoi qu’il nous en coûte en terme de liberté, la circulation des marchandises et le « développement des territoires ».

Ce n’est pas seulement le « lobby du diesel » qui tue, mais la société industrielle.

Tomjo

Lille, le 17 mars 2014

http://hors-sol.herbesfolles.org/

Vu sur Pièces et main-d’œuvre, 17 mars 2014

[Poitiers] A propos de « l’obélisque brisé » de Didier Marcel

A propos de « l’obélisque brisé » de Didier Marcel

Les jardins du Puygarreau, situés juste derrière l’hôtel de ville de Poitiers, ont été inaugurés le lundi 17 février 2014. Ils concluent l’opération de rénovation du centre-ville nommée « Coeur d’agglo », qui a coûté rien moins que 25 millions d’euros (hors rénovation des façades et des canalisations souterraines). L’aménagement des jardins du Puygarreau, poinçonnés d’un obélisque imposant, constitue bien le clou du spectacle de cette opération urbanistique. Le projet a été mené sous la houlette de David Perreau, à partir des directives de Yves Lion (l’architecte urbaniste de coeur d’agglo), durant quatre années de travail. Il a coûté à lui seul un million d’euros. Dans cet espace éminemment symbolique, jouxtant le centre du pouvoir municipal, les enjeux « artistiques » sont tout autant politiques ; force est de constater que rien n’a été laissé au hasard…

Dans les jardins du Puygarreau

Les jardins reçoivent trois oeuvres d’art contemporain. Hormis l’obélisque, il y a cette grille en inox d’Elisabeth Ballet, fermant les lieux (de 8 h à 17 h 45 du 1er octobre au 31 mars, et de 8 h à 20 h, du 1er avril au 30 septembre). De son propre aveu, cette grille « Tourne-sol » porte une réflexion sur le « sécuritaire ». De fait, elle ressemble (délibérément ?) aux barreaux d’une porte géante de cellule de prison, cette institution pilier de la démocratie autoritaire.

Pierre Joseph a quant a lui installé huit images d’archives colorées montrant des enfants sur des terrains de jeux. Il a aussi installé des jeux pour enfants, couleur acier ou blanche : les formes rondes prédominent, avec un dôme d’escalade et des sortes de bascules tournantes. Des images passées, du rond, du lisse… du vide : rien que les bambins puissent saisir (mises à part les barres), utiliser comme cachettes, s’approprier. Le nom même de l’installation évoque de façon saisissante le programme politique du pouvoir moderne : « Aire/air/erre/ère » rime avec aménagement métropolitain, anéantissement de toute consistance sociale, écrasement de toute aventure au profit d’une course folle et sans but des marchandises, consécration d’une époque contre-révolutionnaire.

Ces installations sont parfaitement à l’image de l’espace public « Coeur d’agglo », avant tout espace de circulation marchande sous contrôle autoritaire. Au milieu trône le message artistique principal, surplombant les lieux, le totem de cet « obélisque brisé » de Didier Marcel. Selon la presse locale, l’objet de 5 m de haut évoquerait le « bûcheron défricheur »… elle s’en tiendra là, comme devant un (for)fait accompli.

obélisque brisé

L’obélisque brisé

Didier Marcel, 53 ans, vit et enseigne à l’Ecole nationale supérieure d’art de Dijon depuis 2006, en même temps qu’il expose dans de nombreuses institutions culturelles du monde entier ; signes d’une reconnaissance de son travail par le pouvoir, consacrée par un prix international de l’art contemporain.

Il travaille principalement sur la mise en spectacle de maquettes, et de moulages d’objets prélevés dans la nature, transportés et transformés en vue de leur exposition artistique au moyen de cadrages, flocages et d’élévations. Comme l’artiste le dit lui-même dans cette instructive vidéo, la réflexion (l’idéologie ?) joue un rôle très important dans son travail. « La chose disparaît derrière l’idée » : l’idée surmonte le réel, qui se change en « signe » (mot leitmotiv), sur un « territoire ». Le spectacle du réel réifié « décrit l’espace qui nous entoure ». L’objet (qu’il s’agisse d’une maquette ou d’une installation plus monumentale), « renvoie à notre réalité », qui est cellle des « centres-villes, des espaces suburbains, de la nationale », bref, à la domination d’une dynamique plus qu’urbaine sur les espaces humains : métropolitaine. Les motifs d’ornement des surfaces de l’objet d’art doivent eux-mêmes évoquer la « répétition », à l’image de la « répétition » et de la « chose sans fin » de l’objet lui-même démultiplié dans l’espace.

Le spectacle de la subversion…

Se doublant d’une réflexion sur l’élévation des objets, son art figure, de façon quasi-explicite, la dynamique moderne de domination totale et totalitaire de l’espace. Marcel compare ainsi les colonnes de ses arbres avec l’édifice d’une « cathédrale », référence à la religion que l’on retrouve d’ailleurs dans toute l’oeuvre de Barnett Newman, dont Marcel s’est inspiré en réinterprétant l’obélisque brisé (1).

L’approche de l’art par Marcel est donc plus que « néo-romantique » : elle est politique. Qu’il s’agisse d’arbres le plus souvent dénués de branches, totémisés, ou d’une sculpture de terre labourée élevée à la verticale sur le mur d’une galerie d’art : sous la « métaphore » de la sculpture du vivant, de l’aménagement du paysage, Marcel nous parle d’emprise, de pouvoir qui s’exerce sur l’espace. L’ambiguité de sa réflexion avec la « Nature », sorte d’ode étrange à un paradis perdu, naît de la réification même de celle-ci (le « naturel artificiel »), sous l’effet d’une dissociation de l’homme d’avec son environnement. L’emprise va avec la dépossession. Ce n’est évidemment pas un hasard si la participation de Marcel a été sollicitée par les concepteurs de l’opération urbanistique de gentrification de Poitiers, ces professionnels de la dépossession symbolique et réelle.

Car l’art de Marcel est si éminemment politique que le réel remanié par l’artiste ne concerne pas que la nature. En filigranes, il décrit la domination politique, l’histoire de l’écrasement des mouvements sociaux, de la vie sociale même, par le pouvoir. Les références historiques sont bien là : à Dijon, la ville qu’il habite, Marcel a fait installer le tronc d’un arbre, floqué en blanc et tournant, rue de la Liberté. L’objet, moulé à partir d’un arbre du parc de la Colombière, a été inauguré le 18 mai 2013. Référence évidente aux arbres de la liberté, plantés lors de la révolution de 1848, censés figurer la réconciliation de toutes les classes et autour desquels l’on dansait, comme dans toutes les révolutions. Là, on ne danse plus : l’arbre tourne (« on ne tourne pas autour de l’objet, on le regarde tourner », dit l’artiste sur ses dispositifs tournants). Il est blanc, couleur totale (totalitaire ?) contenant toutes les couleurs. Dénué de branches, impossible de s’en saisir. La révolution est morte, elle s’est figée en spectacle de l’impuissance sociale, s’imposant à la vue des passants allant travailler ou consommer.

L’obélisque brisé de Poitiers ressemble lui aussi à une « colonne » (Marcel lui-même qualifie ainsi ses oeuvres en forme de tronc d’arbre). L’adjectif « brisé » peut aussi évoquer une référence à la colonne Vendôme, symbole du pouvoir dictatorial de l’Empire bonapartiste (amateur d’obélisques volés à l’Egypte conquise). Cette colonne fut abattue par les révolutionnaires lors de la Commune de Paris en mai 1871. Pour rappel, cet édit de la Commune :

« La Commune de Paris, considérant que la colonne impériale de la place Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brute et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l’un des trois grands principes de la République française, la fraternité, décrète : article unique – La colonne Vendôme sera démolie. »

Après le massacre des communards, le président de la République Mac-Mahon imputa l’insupportable attaque contre ce symbole du pouvoir à l’artiste anarchiste Courbet, condamné à payer les frais de reconstruction de la colonne pendant 33 ans. L’artiste mourra, ruiné et isolé, avant de verser la première traite.

La dimension politique se confirme lorsqu’on considère plus en détail l’oeuvre exposée dans les jardins du Puygarreau à Poitiers, notamment dans ses différences avec le Broken Obelisk de Newman (1). Tout d’abord il ne s’agit plus d’un obélisque, mais comme déjà dit d’une colonne, figurant un arbre… objet vivant par excellence, figurant la « nature », ici morte. Il ne s’agit plus de deux éléments distincts (un obélisque renversé posé sur une pyramide), mais d’un seul, un tronc sans branches et presque entièrement coupé à sa base par les coups de quelque hache. Si le diamètre différent du tronc, de part et d’autre de ce rétrécissement, évoque l’oeuvre originelle de Newman, la couleur diffère et là encore, le flocage est blanc : couleur totale englobant toutes les autres, à l’image d’un projet politique totalitaire de domination complète des espaces sociaux, dans leur infinie diversité. Cet aspect englobant  est renforcé par la circularité de l’objet (contrairement aux arêtes de l’obélisque de Newman surmontant la pyramide). Néanmoins, l’espace symbolique de la coupure est bien doté d’angles, et recouvert de huit surfaces réfléchissantes triangulaires, renvoyant son image (sa responsabilité ?) au spectateur isolé par son propre reflet. Les passants sont invités à réfléchir à leur rôle dans le défrichement de l’espace.

…brisée

Mais si l’oeuvre interpelle politiquement, elle n’ouvre délibérément aucune perspective… à l’image d’une nature réifiée, envisagée sous l’angle de la nostalgie, de la culpabilité et de l’impossibilité, et à l’image des miroirs éclatés de l’obélisque brisé, renvoyant chacun des spectateurs à sa solitude, à sa pseudo-responsabilité dans le désastre en cours. L’oeuvre monumentale dans l’espace public n’est que le spectacle du pouvoir absolu, sur la société, des décideurs qui la commandent. Elle est la manifestation éhontée du primat de l’espace public, c’est-à-dire du pouvoir autoritaire sur l’espace social. Quand bien même elle s’aventure plus ou moins subtilement à montrer que la nature de ce pouvoir est un désastre écologique et social, c’est pour montrer que ce désastre, cette négation de la vie, est indépassable.

Elle renvoie ainsi à l’environnement imposé par l’opération Coeur d’agglo, qui l’a financée, et qui n’a cessé de se manifester que comme opération de gentrification de la ville, avec son lot d’arrestations de pauvres (« marginaux », sans-papiers) et de militants anti-autoritaires. L’obélisque achève et entérine la muséification de l’espace social, dans ces tristes jardins du Puygarreau, fermés à l’heure où les prolos quittent le boulot et gardés par un fonctionnaire vigile en bleu lorsque leurs grilles en forme de barreaux de prison sont ouvertes ; où l’on ne peut que passer car les rassemblements d’associations y sont formellement interdits à moins de demander la permission aux décideurs. L’obélisque brisé, objet d’art en forme de borne milliaire d’un centre-ville tombé sous l’empire d’une galerie marchande à ciel ouvert, traduit un message du pouvoir spécifique, que l’on retrouve bien souvent dans les oeuvres monumentales commandées par des autorités : le constat effrayant, tétanisant, de la monstruosité de l’Etat, en même temps que sa prétendue indépassabilité.

Le pouvoir ne s’inquiète pas qu’on le qualifie de Léviathan (2) à la façon de Hobbes, bien au contraire : comme chez Hobbes, l’Etat se veut incontestable. Il s’agit pour lui de donner le spectacle de sa suprématie, d’écraser toute contestation réelle en délivrant le message qu’hors de lui, tout ne peut et ne doit être qu’impuissance. La « liberté d’expression » critique des institutions, politique ou artistique, n’est tolérée que si ce sont les institutions qui la sollicitent. Parallèlement à l’art imposé dans l’espace public, aux festivals de rue en forme de soupapes sous contrôle policier, à l’absence de panneaux d’affichage public en centre-ville, et aux manifs citoyennistes bien balisées d’où chacun rentre gros-jean-comme-devant, le projet d’emprise totalitaire sur l’espace vécu réprimera les arts de rue (spectacles subversifs, graffitis ou tags), les fêtes spontanées, l’affichage politique sauvage, les manifestations et rassemblements « illégaux » non-déclarés à la préfecture.

Par sa nature même l’Etat prétend tout contrôler… y compris ses critiques, qui ne doivent provenir que de milieux autorisés, financés par le mécénat public des barons de territoires, à coups de milliers et de millions d’euros. Dans le cas des artistes, il s’agira de produire des oeuvres désespérantes, de terreur, en forme de colonnes trajanes et d’arcs de triomphe, figurant les peuples brisés, l’autonomie populaire anéantie. Si l’art contemporain paraît si nihiliste, c’est parce qu’il exprime la logique marchande d’un monde où tout se vaut et où rien ne vaut rien, d’où toute valeur autre que l’argent a disparu ; c’est que l’art contemporain fait lui-même le vide, pour laisser place à l’omniprésence du pouvoir. Dès lors, l’artiste contemporain subventionné aux mamelles de la louve du mécénat public, de cette République assassine dès ses origines, n’est rien moins que le bouffon nourri par les seigneurs de l’Antiquité et du Moyen-Age, le Poquelin moderne raillant les classes n’ayant pas l’heur d’appartenir à l’aristocratie qui le nourrit, cette élite de brutes qu’il ne critiquera qu’avec des révérences parce que, bon gré mal gré, il la révère. Si l’art est le pouvoir de façonner le réel, les experts-enseignants professionnels en Art Contemporain sont aux artistes de la vie quotidienne, ce que le pouvoir politique de la domination sociale et de l’atomisation est à la réappropriation révolutionnaire du pouvoir social d’agir.

Si de nouvelles communes devaient ébranler l’ordre établi et ses symboles, gageons que leurs cognées sauront de nouveau abattre toutes les manifestations symboliques du pouvoir déchu, laissant place à l’explosion révolutionnaire de mille actes d’art social. A regarder l’entaille béant dans son oeuvre, je me prends à imaginer que c’est peut-être aussi ce dont rêve, secrètement, Didier Marcel.

Juanito, Pavillon Noir, 20 février 2014

Notes :

(1) Broken Obelisk (« Obélisque brisé ») est la plus grande (7,50 m) des sculptures de Barnett Newman. Conçue entre 1963 et 1967, elle figure « un obélisque renversé, dont le sommet repose sur un piédestal pyramidal et dont le pied, pointé vers le haut, est brisé » (Wikipedia). Quatre versions de cette sculpture ont déjà été réalisées et installées dans des espaces publics (aux Etats-Unis, et à Berlin). Ann Temkin, curatrice, explique : « Il y a cette idée d’une élévation de l’aspiration insatisfaite, d’une complainte pour un temps qui n’est plus celui des héros, mais celui des assassinats, des rêves brisés, des déceptions, des espoirs. Je pense que cela reflète les sentiments politiques, démocratiques, fondamentalement populaires de Newman, qui a vivement souhaité inventer là un symbole qui représente tout le monde. » Le monde écrasé ?

(2) Voir l’oeuvre d’Anish Kapoor, Léviathan, un summum de révérence à l’égard du biopouvoir des institutions « culturelles » qui l’ont financée. Là encore, la référence biblique manifeste la dimension fondamentalement religieuse, c’est-à-dire totalitaire, de l’Etat-mécène.

La France aime les étrangers… qui ont du fric

NdPN : alors que le sinistre de l’intérieur Manuel Valls se flattait récemment d’avoir expulsé beaucoup plus d’étrangers que la droite, la sinistre du commerce extérieur Nicole Bricq annonce que les visas pour les capitalistes étrangers seront grandement facilités… et le sinistre Moscovici a des arguments de choc pour leur plaire, à savoir que le gouvernement fait beaucoup pour baisser les rémunérations des salarié.e.s et les précariser par une destruction du droit du travail, et pour baisser les impôts sur les entreprises…

Attractivité : des visas plus rapide pour les hommes d’affaires étrangers venant en France

Ce devrait être l’une des mesures nouvelles annoncées au Conseil stratégique de l’attractivité qui se tient ce lundi à l’Elysée. Un visa « Bienvenue en France » pour les hommes d’affaires étrangers avec des délais d’obtention plus réduits, affirme la ministre du Commerce extérieur.

Bienvenue en France aux business men étrangers ! La ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq, a indiqué dimanche lors du Grand rendez-vous Europe 1/iTélé/Le Monde que la France allait réduire les délais d’obtention de visas pour les hommes d’affaires étrangers, à quelques jours contre plusieurs semaines actuellement.

« Un homme d’affaires chinois qui veut venir en France, il lui faut huit semaines pour avoir un visa. Un homme d’affaires russe qui veut venir en France, il lui faut trois semaines », a dit la ministre. « On pense qu’on peut le faire beaucoup plus rapidement et plus parler en semaine mais en journée », a-t-elle dit.

Nicolas Bricq a précisé que le ministère des Affaires étrangères « a déjà donné des ordres très précis pour traiter cela en heures » dans certains consulats. La France a déjà mis en place depuis le 27 janvier la délivrance de visas en 48 heures pour les touristes chinois, une promesse faire dans le cadre des célébrations des 50 ans de relations diplomatiques entre la France et la Chine populaire.

Ce type de mesures sur les visas pour les entrepreneurs étrangers entrent dans le cadre du Conseil stratégique de l’attractivité que doit présider lundi François Hollande. Ce conseil « n’avait pas été réuni depuis quelques années », a rappelé la ministre, qui entend « donner un certain nombre de garanties aux investisseurs ».

Un diner réunissant la trentaine de dirigeants conviés à la réunion du comité se tient ce dimanche à Matignon. Vendredi, Pierre Moscovici, le ministre de l’Economie, a affirmé que le conseil stratégique de l’attractivité a pour but de convaincre les patrons étrangers « que la France est un pays où l’on peut investir ».

François Hollande présidera exceptionnelement [NdPN : sic] lui-même ce lundi à partir de 8h30 à l’Elysée le « Conseil stratégique de l’attractivité », où sont attendus des dirigeants de 30 entreprises internationales, aux côtés de ministres et du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Le chef de l’Etat prendra la parole à l’issue de la réunion à la mi-journée.

« C’est une réunion avec les patrons qui viennent de l’ensemble du monde, qui pèsent 850 milliards d’euros, pour les convaincre que la France est un pays où l’on peut investir, où il faut investir, qui est un pays attractif », a expliqué devant la presse M. Moscovici, à la sortie du Conseil des ministres.

L’objectif est de « leur expliquer tout ce que nous faisons sur la compétitivité, sur la simplification, sur l’amélioration de l’environnement réglementaire et fiscal, parce les investissements étrangers en France, c’est aussi une source de création d’emplois », a-t-il dit. « Dans l’industrie, un investissement sur trois vient de capitaux étrangers », a-t-il dit. Selon Pierre Moscovici, le message de François Hollande, qui a été celui de sa visite aux Etats-Unis, est de dire que « la France est un pays dans lequel on peut avoir confiance ».

L’un des enjeux de cette rencontre sera aussi d’attirer plus les investissements des pays émergents ou encore qu’elle « déclenche un dynamique », a -t-on précisé dans l’entourage du chef de l’Etat. Selon l’Elysée, 20.000 entreprises étrangères et leurs filiales sont installées en France, aujourd’hui , où elles emploient environ deux millions de salariés. Les investissements en France viennent à 75% d’Europe, 20% des USA-Canada-Japon

Parmi les dix ministres participants à ce comité figurent, outre Jean-Marc Ayrault, Laurent Fabius, Pierre Moscovici, Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Bernard Cazeneuve ou encore Fleur Pellerin.

Chez les entreprises, sont attendues par exemple Volvo, Bosch, General Electric, mais aussi des fonds (Koweit ou Qatar) et des entreprises de pays émergents.

Vu sur La Tribune, 16 février 2014

[Châtellerault] Mépris des autorités pour le droit à la vie des gens du voyage

Logique de vie contre logique de profit…

C’est depuis longtemps l’un des marronniers moisis de la presse quotidienne régionale… Aujourd’hui dans la Nouvelle République, les marchands et les capitalistes ayant investi la zone d’Argenson se plaignent de voir les gens du voyage habiter les lieux. Mêmes propos que ceux de la direction du Super-U ayant fait évacuer un campement de caravanes : ça donne une mauvaise « image », « ça fait fuir la clientèle ». Passons sur d’autres déclarations plus nauséabondes encore…

Or les gens du voyage habitant les lieux rappellent à juste titre que la mairie ne leur laisse aucun autre endroit pour vivre : ils sont expulsés de partout, les places sont insuffisantes sur les aires d’accueil, l’absence d’infrastructures sanitaires les contraint à la débrouille… du coup les gens du voyage s’installent où ils peuvent. On voit bien, ici comme ailleurs, que les autorités sont les premières responsables des discriminations de fait à l’égard des gens du voyage, faisant le terreau d’un racisme qui ne dit pas son nom, menant à une négation agressive de leur culture.

Face à cette incurie de la mairie, les commerçants n’exigent pas des autorités qu’elles offrent enfin des conditions de vie dignes aux gens du voyage ; au contraire, le discours est méprisant, stigmatisant : un investisseur immobilier de la zone va jusqu’à exiger une baisse de subventions aux associations de gens du voyage pour rembourser un manque à gagner ! Ces braves gens du commerce évoquent des « pissotières publiques », mais quand on lit certains de leurs propos puants, on peut constater que décidément, pour eux, l’argent n’a pas d’odeur (1)…

Encore une fois, on nie éhontément le droit fondamental d’êtres humains à habiter quelque part, c’est-à-dire de vivre, droit qui ne pèse rien vis-à-vis de leur « droit » capitaliste à eux, commerçants, à faire du profit. Et qui ne pèse rien vis-à-vis du « droit » de l’incurie politicarde à fabriquer du bouc-émissaire à la pelle.

Soutien inconditionnel à toutes celles et ceux qui luttent pour leur droit de vivre et d’habiter, contre les logiques publiques et privées du profit électoral ou financier !

Juanito, Pavillon Noir, 13 février 2013

(1) « L’argent n’a pas d’odeur » : expression attribuée à l’empereur romain Vespasien, en réponse au Sénat qui se plaignait que l’Empire ait institué, pour se financer, des pissotières publiques (les fameuses « vespasiennes ») assorties d’une taxe sur la collecte des urines (qui permettait de fixer les teintures textiles).

[Poitiers] Conseil municipal : du pognon public pour les marchands du centre

30.500 € pour Poitiers le Centre. La Ville versera une subvention de 61.000 € à l’association de commerçants du centre-ville pour dynamiser le commerce de ce secteur. Elle recevra une avance de la moitié de la somme. Parmi son plan d’actions, la braderie le 2 juillet prochain.

Nouvelle République, 21 janvier 2014

Le maire a levé la séance après avoir fait l’éloge de ses opposants. Ceux-ci auraient voulu s’exprimer. Ils n’ont pas pu. Le mandat s’achève bizarrement. […]

Seule Maryse Desbourdes (NPA) s’est abstenue au moment de valider 30.500 € de subvention à Poitiers Le Centre. « L’objectif de l’association des commerçants est d’animer le centre-ville. Or, que voit-on ? Cœur d’agglo pas attractif a vidé le centre-ville des voitures. Dans le même temps, des mastodontes se développent à la périphérie. »

Nouvelle République, 21 janvier 2014