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LGV Poitiers-Limoges : honte aux politicien-ne-s

NdPN : nous ne reprendrons pas ici tous les arguments que nous avons déjà répétés contre le projet de ligne à grande vitesse Poitiers-Limoges ; arguments économiques, mais aussi environnementaux, politiques et sociaux. Les citations extraites de ces deux articles de la Nouvelle République sont déjà très parlantes, et nous n’oublierons pas les prises de position des « responsables politiques ». Honte aux politicien-ne-s promouvant le projet, ou réduisant leurs critiques aux seules difficultés de financement, montrant par là tout le mépris porté aux habitant-e-s et à notre environnement. Quant à l’affirmation par la presse que « les habitants ont la parole », est-ce une mauvaise blague ? Voilà des années que leurs arguments d’évidence contre ce projet mortifère font face à la surdité des autorités ! Continuons à lutter avec les habitant-e-s contre cette colonisation de nos lieux de vie !

LGV Poitiers-Limoges : les habitants ont la parole

L’enquête publique sur le projet de barreau ferroviaire débute aujourd’hui. Opposants et partisans ont jusqu’au 13 juillet pour faire valoir leurs arguments.

Depuis neuf ans qu’il est question de ce projet, tout a été dit et tout a été écrit sur la ligne ferroviaire à grande vitesse Poitiers-Limoges. Durant quarante-quatre jours, les partisans et les opposants vont tout de même avoir l’occasion de faire valoir très officiellement leurs arguments auprès du commissaire enquêteur chargé d’émettre un avis favorable ou défavorable à la déclaration d’utilité publique.

Ils vont aussi pouvoir consulter l’intégralité du dossier préparé par Réseau Ferré de France : « Un gros pavé de cinq mille pages qui comprend le rapport rendu par l’Autorité environnementale en mars dernier et le mémoire complémentaire du maître d’ouvrage », précise Marie-Paule Hennuyer, la représentante de RFF en Limousin.

 «  On va momifier le territoire  »

Les opposants qui demandent depuis longtemps à prendre connaissance du volet socio-économique ne manqueront pas de le consulter. Pour le reste, ils savent déjà les remarques qu’ils formuleront ; de l’empreinte carbone négative pour les cinquante prochaines années aux risques d’inondations accrus dans la vallée du Clain en passant par l’incompatibilité avec les engagements pris par l’État sur la ligne Paris-Toulouse. « Nous sommes effarés par la précipitation des événements », insiste Nicolas Bourmeyster, le président du collectif Non à la LGV. « Comme il n’y aura pas d’argent pour financer ce projet avant au moins quinze ans, on va momifier le territoire, les maisons y seront invendables, les gens vont hésiter à s’y installer… » Il s’étonne surtout que le gouvernement engage cette démarche dès maintenant alors que la commission Mobilité 21 chargée de hiérarchiser les projets d’infrastructures de transport doit rendre son rapport (peu favorable aux lignes à grande vitesse) en juin. C’est que ce projet est soutenu en haut lieu. Le président (corrézien) de la République qui suit personnellement le dossier a d’ailleurs récemment nommé un ancien camarade de promotion de l’ENA, Michel Jau, à la tête de la préfecture de la Haute-Vienne. « C’est un projet validé. Je ne pense pas qu’il soit de nature à être remis en cause », a déclaré le représentant de l’État qui a évoqué une « décision irréversible » en prenant ses fonctions. En Limousin, les élus espèrent toujours pouvoir prendre le TGV dès 2020.

les dates-clés

> 2004 : le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, abandonne le projet Paris – Orléans – Limoges – Toulouse et lance les études pour la LGV Poitiers-Limoges pour une mise en service en 2014. > 2006 : un débat public est organisé dans douze villes en Poitou-Charentes et Limousin. > 2007 : Réseau Ferré de France retient l’option du tracé central, le plus direct, passant à proximité de Montmorillon ; une convention de financement des études (30 M€) est signée entre RFF, l’État et les collectivités. > 2012 : la commission nationale du débat public décide qu’il n’y a pas lieu d’organiser de nouveau débat public malgré l’expiration du délai de cinq ans avant l’ouverture de l’enquête publique. > 2013 : le gouvernement donne son feu vert au lancement de l’enquête publique sans attendre le rapport Mobilité 21.

pratique

L’enquête publique se déroulera du jeudi 30 mai au vendredi 12 juillet 2013 inclus, durant 44 jours. Dans la Vienne, le public pourra consulter le dossier d’enquête publique et présenter ses observations à la préfecture de Poitiers et à la sous-préfecture de Montmorillon, mais aussi dans les mairies des dix-neuf communes concernées par le tracé : Aslonnes, Civaux, Dienné, Fleuré, Gizay, Gouëx, Iteuil, Lathus-Saint-Rémy, Lhommaizé, Lassay-les-Châteaux, Mazerolles, Moulismes, Persac, Plaisance, Les Roches-Prémarie-Andillé, Vernon, La Villedieu-du-Clain et Vivonne. Le dossier de l’enquête doit également être consultable sur le site Internet de la préfecture de la Vienne : www.vienne.pref.gouv.fr.

Collectif des opposants : http :// non-lgv-poitiers-limoges.fr Association de promotion de la LGV : http://tgv-plb.asso.fr

pour

> Alain Claeys Le député-maire PS de Poitiers est le principal avocat de la LGV Poitiers-Limoges dans la région. Il souhaite placer la gare multimodale de Poitiers au cœur d’un nœud ferroviaire dans la perspective d’une poursuite de la ligne à l’Est jusqu’à Lyon. > Catherine Coutelle La députée PS de la 2e circonscription de la Vienne défend le projet avec une réserve sur le financement. « Il ne me semble plus possible d’imaginer que ces infrastructures particulièrement coûteuses soient financées par l’État et les collectivités territoriales, seuls », écrivait-elle l’an dernier.

indécis

> Ségolène Royal Après avoir longtemps affiché son scepticisme, la présidente PS de Poitou-Charentes a changé de stratégie en début d’année : la Région est à présent officiellement favorable au projet mais elle ne veut pas le financer, comme pour la ligne Tours-Bordeaux. « Le projet actuel de RFF n’a pas encore démontré sa pertinence sur le plan de sa rentabilité économi- que », écrivait-elle en 2009. « La Région soutient ce projet essentiel pour le Limousin », précise-t-elle maintenant. > Jean-Pierre Raffarin L’ancien Premier ministre qui a lui-même mis le projet sur les rails il y a neuf ans fait désormais campagne contre la LGV Poitiers-Limoges mais sans le dire franchement. A un peu plus d’un an des sénatoriales, il conditionne son soutien à la construction très hypothétique d’une gare dans le Montmorillonnais : « Ou on a une gare et la LGV a un sens ou on n’a pas de gare et le développement du TER peut résoudre la question… »

contre

> Jean-Michel Clément Le député PS de la troisième circonscription (Sud Vienne) plaide depuis longtemps pour un abandon du projet : « Les territoires ruraux sont oubliés pour ne pas dire sacrifiés. Par ailleurs, le temps gagné ne serait pas énorme, et disproportionné, par rapport au coût », expliquait-il l’an dernier. > Yves Bouloux Le maire DVD de Montmorillon et président de la communauté de communes du Montmorillonnais s’oppose à la LGV défend le projet de mise à 2X2 voies de la RN 147 entre Poitiers et Limoges. > Robert Rochaud Le porte-parole des élus écologistes de Poitou-Charentes précise que les Verts ne sont « pas opposés par principe au TGV » : « L’urgence, ce n’est pas la LGV Poitiers-Limoges. L’urgence est de moderniser la ligne Poitiers-Limoges. »

Baptiste Bize, Nouvelle République, 30 mai 2013

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Une voie ferrée au fond du jardin

« C’est un projet politique qui n’a pas de sens ; l’impact environnemental est colossal », estime Thierry Ferreira, à Iteuil.

Au fond de son jardin, un champ de blé s’étend jusqu’à une haute haie. C’est là, à environ 250 mètres de la maison de Thierry Ferreira que doivent s’élever le remblai et le viaduc permettant à la LGV Poitiers-Limoges de franchir le Clain, à proximité du Port, à Iteuil, pour se raccorder à l’actuelle ligne ferroviaire Paris-Bordeaux. Quand il a choisi d’acheter ce petit bout de verdure avec son épouse, il y a douze ans, c’était pour « son côté calme et bucolique », précise cet enseignant-chercheur de l’Université de Poitiers. À l’époque, il n’était pas encore question de cette LGV… « Je ne suis pas inquiet parce qu’on peut partir même si notre maison est maintenant invendable », assure Thierry Ferreira. « Mais il y a des gens ici qui se retrouvent piégés. Les voisins ne dorment plus. L’agriculteur en face se retrouve avec une exploitation coupée en deux que son fils ne pourra pas reprendre… Ce projet va tout détruire. » Dans cette aventure, ce riverain estime avoir été « déniaisé » : « Si j’avais encore des illusions sur la politique, je les ai perdues. Tous les feux sont au rouge mais le projet continue d’avancer. » Il juge surtout le projet coûteux et inutile. Donc plus difficile encore à accepter.

B. B., Nouvelle République, 30 mai 2013

Le chômage frappe de plus en plus fort dans le Poitou-Charentes

NdPN : La Nouvelle République fait aujourd’hui un point alarmant (et alarmiste) sur les emplois en Poitou-Charentes, en berne. En relayant cet article, nous ne déplorons pas la chute du nombre d’emplois en elle-même : nous sommes partisan-e-s de la fin de l’esclavage salarial ; nous ne voulons plus engraisser des patrons en nous faisant racketter, ni participer à la machinerie de destruction des liens sociaux et de destruction écologique qui est au coeur de la logique capitaliste. Nous déplorons plutôt les effets de cette situation qui nous est imposée par le pouvoir économique et politique, en termes de conditions de vie. Le chômage, aussi bien que le travail salarié, sont des armes redoutable au services des exploiteurs pour briser nos vies : les autorités conditionnent en effet notre droit à vivre, au chantage odieux du travail consistant à trimer comme des esclaves dans des tafs de merde, et nous contraignent à les implorer de nous donner des « emplois » quand nous en sommes privés. Dans les deux cas, on subit, avec le couteau sous la gorge : obéis ou crève de faim. Nous sommes en colère face à cette organisation autoritaire et cynique de la société, contraignant tant de gens parmi nous à des conditions de vie de plus en plus éprouvantes voire misérables, pour le seul profit éhonté de quelques-uns. Et en disant merci s’il-vous-plaît ! Nous sommes aussi en colère face à ces bureaucraties syndicales, biberonnées de subventions, qui pour maintenir leur caste méprisable, ne font qu’implorer plus d’emplois et négocient des ANI et autres collaborations répugnantes, pour participer à nous plonger toujours plus dans l’aliénation et la soumission. Face à cette situation consternante, l’alternative n’est pas de bosser ou de pas bosser, mais de nous organiser pour ne plus avoir à subir, ni l’esclavage salarié ni la misère. A savoir, pourvoir ici et maintenant à nos besoins en partageant et en nous entraidant, salarié-e-s ou non, et en reprenant l’offensive contre ce système d’oppression généralisée, prêt-e-s à rendre coup pour coup !

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Le Poitou-Charentes dans le rouge

A l’exception de l’agriculture, du ferroviaire et du tourisme, tous les indicateurs économiques régionaux sont dans le rouge selon l’Insee.

Didier Blaizeau, le directeur régional de l’Insee, s’en excuserait presque : « Nous n’allons rien vous apprendre que vous ne sachiez déjà. » L’Institut de la statistique présentait hier à Poitiers le bilan économique de l’année 2012. Et effectivement, il n’y a pas de surprise : il est catastrophique. Jamais depuis la guerre, la région (comme d’ailleurs la France entière) n’avait connu une succession de trimestres (six) à croissance nulle, voire négative.

Quatre domaines, pas un de plus, échappent à la sinistrose : la production céréalière, grâce à une récolte et des prix exceptionnels qu’on ne reverra pas cette année ; les exportations de cognac ; l’industrie ferroviaire, dopée par les résultats d’Alstom à l’export ; et le tourisme, qui maintient ses positions, ce qui n’est pas si mal dans le contexte ambiant.

En 2012, la région a perdu 2.150 emplois

Tous les autres indicateurs sont « dans le rouge ». En un an, le secteur marchand non agricole a perdu 2.150 emplois dans la région. La Charente et la Charente-Maritime s’en sortent plutôt moins mal en perdant respectivement 0,1 % et 0,6 % de leurs emplois. A lui seul, l’intérim, qui s’effondre depuis la mi-2011 (-5,4 % en un an), explique 800 de ces pertes d’emplois salariés. Après avoir été, jusqu’à la crise de 2008 le gros pourvoyeur de travail en Poitou-Charentes, la construction a perdu tout ce qu’elle avait gagné. Et la baisse des permis de construire accordés (sauf en Charente-Maritime, grâce aux immeubles collectifs) ne laisse pas présager un retournement de situation. Autre signe de la dégradation considérable du contexte économique : le nombre de créations d’entreprises a baissé de 20 % dans la région. Poitou-Charentes avait la réputation d’être la région de France où on créait le plus de PME et de TPE : elle détient aujourd’hui le triste record des baisses de création. Si la Charente limite la casse (-7 %), la Charente-Maritime fait exploser les compteurs : -28 % ! Certes, les créations d’autoentreprises viennent compenser en nombre le manque de créations « classiques ». Mais on sait désormais que l’envolée du nombre d’autoentrepreneurs est tout sauf un signe de santé économique. Telle sœur Anne dans son donjon, les observateurs de l’économie picto-charentaise scrutent l’horizon en quête d’un bien improbable signe de reprise : « Si l’intérim redémarre, ce sera un signe avant-coureur », prévient sans grande conviction Didier Blaizeau.

Vincent Buche, Nouvelle République, 28 mai 2013

Gauches et anarchismes

Gauches et anarchismes

Voici quelques remarques, que je vais tenter de synthétiser, pour expliciter les différences de fond entre toutes les composantes dites de « gauche » (de la gauche sociale-démocrate à l’extrême-gauche, voire à l’ultra-gauche), et les tendances de l’anarchisme.

Je passe rapidement sur les points communs positifs, qui animent nombre de militant-e-s sincères, de gauche ou libertaires : le désir d’égalité, de liberté et de solidarité. Notons qu’il y a aussi certains points communs en forme de travers, comme cette sacrée « moraline » qui imprègne tant encore les relations sociales car directement issue de la pensée chrétienne, consistant à éprouver un devoir moral de compassion et d’assistance à celles et ceux qui souffrent, avec une dénégation parfois sacrificielle de soi-même ; ou encore cette vision quelque peu eschatologique d’un progrès vers une société meilleure, pour ne pas dire idéale (la cité de Dieu ?), avec pour la gauche révolutionnaire et l’anarchisme révolutionnaire, une certaine propension à profaner (au sens de rendre profane, séculier) le millénarisme apocalyptique du jugement dernier, avec une certaine conception de la « révolution ».

Je pense qu’il est possible d’introduire les choses, vue l’importance du langage dans la formation des visions du réel, sur la différence étymologique, qui est aussi bien la différence historique et structurante, entre « gauche » et « anarchisme » ; la gauche s’inscrit en effet dans sa désignation même, on le sait, par le parlementarisme : lors de la révolution française, les gens refusant le droit de veto royal s’étant rangés à gauche du président de l’assemblée. Au passage, rappelons-nous que les comités révolutionnaires de sans-culottes de certains quartiers parisiens se sont opposés très tôt à cette gauche parlementaire, y compris montagnarde (avec laquelle ils collaboraient néanmoins de fait), notamment -déjà – sur la question du mandat représentatif, à laquelle ils opposaient le mandat impératif (voir l’ouvrage de Zaidman à ce sujet), où la personne mandatée doit tenir les mandats qui lui ont été confiés et rendre compte de leur mise en oeuvre aux mandataires, sous peine de révocation immédiate par les mandataires.

A l’inverse, « anarchisme » est un terme qui a répondu à une situation concrète, à savoir une réappropriation polémique d’un terme employé pour dénigrer les gens qui mettaient en avant leur refus d’une légitimation de tout pouvoir. Non pouvoir au sens de « pouvoir de », pouvoir d’agir (ce que les anarchistes prônent au contraire avec force), mais pouvoir au sens de « pouvoir sur ».

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La première différence, donc, entre gauche et anarchisme, consiste en une critique anarchiste de la représentativité. Dans le principe même, personne ne peut être « représenté », c’est-à-dire réduit à des positions (à une représentation, une caricature, un spectacle). Dans la pratique, personne ne peut prétendre incarner « le peuple » : pour les anarchistes, il est aberrant de laisser carte blanche aux personnes mandatées. La personne mandatée ne décide pas : elle accomplit techniquement des mandats, du mieux qu’elle le peut (et donc, certes, de façon forcément pragmatique et subjective). La décision ne vient donc pas d’elle, mais des gens ayant émis ensemble ces décisions, et l’ayant chargée, pour des raisons de commodité toutes pragmatiques, de les mettre en oeuvre.

Dans la gauche, il y a bien une vision consistant à savoir mieux que les autres, et ainsi laprétention, plus ou moins assumée, d’émanciper les autres à leur place (parce qu’ils-elles seraient ignorant-e-s, mal informé-e-s de leur propre intérêt, etc). Cette posture est typiquement, viscéralement, de gauche, même lorsqu’elle se pare d’atours « radicaux ». Ce discours, tout à fait élitiste, méprisant et d’autant plus odieux qu’il adopte bien souvent la forme d’une pédagogie paternaliste et curetonne bienveillante, se discerne à travers toutes les composantes de la gauche. Chez les anarchistes, les opprimé-e-s s’émancipent eux-elles mêmes, par et pour eux-elles mêmes. Ce n’est pas le degré de radicalité du discours ou de la pratique qui importe : la radicalité se situe dans la dynamique de l’appropriation même de la réflexion et de la pratique.

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La deuxième différence, qui va avec, relève de la vision même de l’organisation sociale, pour ou contre l’unité, ou la multiplicité.

Il s’agit de l’affirmation par la gauche du postulat totalitaire de « la société », que je qualifie de mythe unitaire. Point sensible (que j’évoquai récemment sur cette liste) car les anarchistes, contrairement aux origines, ne rejettent plus tou-te-s cette notion de démocratie, pourtant conspuée par toutes ses tendances au XIXème siècle (on cherchera en vain une défense de la « démocratie directe » chez les premier-e-s théoricien-ne-s de l’anarchisme).

Pour toutes les tendances de la gauche, donc, y compris l’ultra-gauche et le conseillisme pourtant proches de l’anarchisme par bien des aspects, la vision de cette organisation sociale s’inscrit toujours dans un cadre unitaire, totalisant, regroupant tous les individus et collectifs dans le cadre d’une gestion globale. Le plus souvent, celui de l’Etat centraliste ; parfois, celui de l’Etat décentralisé (voir certains discours trotskystes actuels) ; toujours, celui de la démocratie (cf l’ultra-gauche et le conseillisme, qui rejettent la notion d’Etat mais s’inscrivent toujours dans un cadre unitaire de « démocratie réelle » – Pannekoek- ou directe). A savoir que les décisions concernent l’ensemble de « la » société ou « du » peuple.

Plusieurs conséquences pratiques, très importantes :

-Le fonctionnement décisionnel, à gauche, est fatalement majoritaire, dans une conception unitaire et démocratique de la société. De fait, l’individu s’efface dès lors devant le collectif, malgré toutes les déclarations d’intention. Et si l’on parle d’émancipation individuelle, cela ne peut passer que par « le » collectif. Or chez les anarchistes, la conception de la liberté ne s’oppose pas à celle de la liberté d’autrui. Selon la célèbre formule de Bakounine, la liberté d’autrui étend la mienne à l’infini. Individu(s) et collectif(s), bien loin de s’opposer, alimentent mutuellement leur épanouissement social.

-Dès lors, pour les anarchistes (contrairement à la gauche), le politique -et ses instances- ne consiste pas à délimiter les libertés, c’est-à-dire, fatalement, à réprimer ce qui ne se plie pas au « bien commun » édicté. Mais à coordonner, à mettre en relation des dynamiques d’émancipation et de créativité sociale.

Cela peut se résumer à la différence entre le fédéralisme anarchiste, et la démocratie (y compris dite « réelle », ou « directe »). Dans le cas de l’anarchisme, l’autonomie, la libre association et la contractualité, sous la volonté de l’entraide et de la solidarité, issue d’une compréhension de l’intrication étroite des intérêts individuels et collectifs (et non d’un impératif moral) ; les instances fédérales de sont pas destinées à être décisionnaires (à moins de consensus, voire d’une unanimité – de fait impossible à grande échelle), mais à mettre en relation, à répandre les liens et elles offrent un espace et un temps de réflexion pour concevoir les moyens les plus adéquats de mettre en oeuvre ces formes de l’entraide (peréquations, contractualités…). Dans le cas des gauches, prévalent au contraire le refus de la subsidiarité décisionnelle, l’association de fait (et de force s’il le faut) de tou-te-s sous les instances « légitimes », et la Loi (y compris les lois sociales, les droits sociaux), dans un sens global.

-D’où une autre conséquence : les anarchistes rejettent les élections. Et ce, pas uniquement contre l’idée de représentation et de représentativité, comme déjà évoqué, mais aussi contre l’idée que la majorité serait légitime à s’imposer aux minorités au nom du « bien commun/public » ; contre l’idée de lois générales. Si vote il y a chez les anarchistes, cela ne peut servir qu’aux personnes à se situer dans le débat, à se trouver pour élaborer ensemble, à synthétiser les vues diverses voire divergentes en présence, mais certainement pas à astreindre les minorités à une pression de masse.

Les anarchistes préfèrent la notion de consensus, pour les décisions impliquant tout un groupe humain ; et de libre association pour toutes les autres décisions (bien plus fréquentes en fait) impliquant les concerné-e-s. Contre la loi, les anarchistes opposent le contrat entre concerné-e-s ; les règles, nécessaires, n’imposent pas, ne contraignent pas, mais permettent aux groupes humains de se régler les uns sur les autres, de façon à accroître leurs possibilités réciproques et mutuelles d’action réelle. Au passage, bien des anarchistes ont émis une critique forte du « contrat social », cet espèce d’Eden originel – qui n’a jamais existé dans les faits mais a toujours servi aux pouvoirs étatiques de justifier les inégalités et les injustices réelles, et qui tient lieu de légitimation quasi-religieuse de la Loi.

La gauche quant à elle, même si elle refuse les « élections bourgeoises », n’est pas contre le principe du vote majoritaire ; bien au contraire ellea toujours été sa plus ardente promotrice, défendant le vote comme moyen d’organisation sociale, voire moyen principal, et même principiel, d’organisation sociale.

Nuance toutefois : le fonctionnement au vote et à la majorité se sont répandus dans certaines organisations anarchistes, et dans l’anarchosyndicalisme. Avec une nuance de taille par rapport à l’extrême-gauche : les minorités ne sont pas tenues d’appliquer les décisions majoritaires, alors que dans l’EG si – le droit pour les minorités ne consistant qu’à se constituer en « tendances ».

Cette prétention de la gauche à imposer l’unité montre qu’elle n’a été qu’un dispositif, et sans doute de fait le plus redoutable pour nos libertés, de l’évolution des sociétés vers les formes de l’Etat moderne, centralisateur, dont les lois globales se sont historiquement substituées avec violence aux cultures, droits coutumiers, jurisprudences associatives et contractualités diverses. Il suffit, du reste, de mesurer combien la révolution française a pu jouer un rôle déterminant dans l’unification autoritaire du territoire ; à un point auparavant inenvisageable, même sous l’absolutisme d’un Louis XIV. Voir la loi Le Chapelier, abolissant le principe même de l’organisation autonome et directe des personnes (associations, guildes, syndicats, etc.), au nom du bien commun. La gauche a été de fait un avatar efficace de cette vision si typique de l’Etat moderne. Au nom de la critique des formes passées de la domination sociale (féodalisme) et de son logiciel idéologique de servitude (la religion), la gauche a participé, peut-être plus encore que la droite, à légitimer une nouvelle forme d’organisation de la domination sociale (l’Etat-nation-centraliste) et son nouveau logiciel idéologique (la démocratie, ou pouvoir « du » peuple… sur les individus et groupes humains bien réels, puis la « laïcité », instaurant dans le marbre une conception toute capitaliste de la distinction entre « sphère privée » et « sphère publique », et trahissant récemment sa propension à servir l’écrasement de minorités avec sa critique hypocrite de l’islam, servant en réalité de paravent à la perpétuation d’un racisme d’Etat).

Ces formes organisationnelles ont correspondu à des évolutions économiques décisives (passage d’une économie agricole mise sous coupe réglée de petits groupes guerriers, à une économie de salariat, garantie par des armées étatiques). L’argent (y compris lorsqu’on exige un « partage des richesses » !) remplace Dieu comme fétiche de l’unification sociale et truchement des rapports sociaux. La communauté unifiée de l’Eglise a cédé la place à la communauté unifiée du marché, des citoyens. Mais c’est toujours la même vision totalitaire. Le fait même que les gauches parlent tant des « masses » montre d’ailleurs, entre autres indices de vocabulaire, avec quelle considération -ou plutôt absence de considération) les gauches traitent (canalisent, récupèrent, gérent, caricaturent, simplifient, nient voire démolissent) les liens humains réels, dans leur infinie complexité et richesse, les transformant en rapports citoyens.

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Troisième différence, qui va aussi avec : la conception de la fameuse « transition » vers une société libre, égalitaire et solidaire.

Ici, j’aimerais rappeler que les anarchistes ne rejettent pas forcément l’idée d’une « phase de transition ». La différence avec les gauches consiste principalement à situer cette transition ici et maintenant, et non après une révolution. Si révolution il y a pour les anarchistes, celle-ci ne peut être que le fruit de la praxis révolutionnaire, elle aussi ici et maintenant.

Cela va, concrètement, avec la question des moyens. En l’occurrence : comment faire pour mettre à bas les dominations sociales et les exploitations sociales, alors que les structures collectives sont organisées pour l’exploitation et la domination ?

Pour une grande partie de la gauche, il est incontournable de prendre le contrôle de ces structures collectives (parlement, puis syndicats, puis associations citoyennes), en les utilisant, en y faisant une sorte de « lobbying ». Ce fut toute la stratégie politique concrète de Marx (à qui je ne retire néanmoins pas les brillantes analyses sociales et économiques), puis d’un Lénine : sa critique du « gauchisme » (c’est-à-dire de celles et ceux souhaitant s’organiser de façon extra-parlementaire, et rejetant l’idée du parti unique), résume paradoxalement l’essence des gauches (le véritable gauchisme donc, à mon sens), à savoir l’inscription dans (et même l’affirmation de) un projet social unitaire, dénigrant tout ce qui ne rentre pas dans ce moule.

A l’inverse, les anarchistes (bien loin de rejeter la nécessité de l’organisation et de collectifs humains, contrairement à ce dont les accusent bien des gens de gauche), souhaitent constituer ici et maintenant d’autres formes de collectif, d’association, de relations sociales, débarrassées de l’exploitation et de la domination. Il ne s’agit pas chez les anarchistes de nier le poids des institutions du pouvoir, qu’ils-elles sentent d’ailleurs souvent peser partiulièrement sur eux-elles. Mais, plutôt que d’en user, ce qui est selon leurs observations (et non leurs idéaux) voué à l’échec, les affaiblir et les détruire par une autre façon de s’organiser ici et maintenant, en opposant à une dynamique de destruction des liens sociaux sous l’apparence d’unité sociale, celle d’une construction de liens sociaux réels. Ce qui a d’ailleurs l’avantage, pour les anarchistes, de ne pas se poser en émancipateurs-trices, mais en force de proposition et de lutte, en dynamique d’émancipation.

On notera ainsi que les gauches, bien qu’elles partagent avec les anarchistes l’objectif (du moins affiché) d’une société débarrassée de l’exploitation capitaliste et de la domination de l’Etat, prônent ainsi très souvent la taxation du capital ou les augmentations de salaire ou l’application de lois ou le votez pour nous, ou la nationalisation de la production. Mais ne revendiquent pas l’abolition du salariat et de l’Etat, ni la socialisation de la production. D’ailleurs, les anarchistes au fond ne revendiquent pas, mais pratiquent l’action directe : « les libertés ne se donnent pas, elles se prennent » dixit Kropotkine.

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Quatrième différence, sur la démarche théorique. Les gauches ont une vision idéaliste (y compris lorsqu’elles se disent matérialistes ou dialectiques, de par le déterminisme trop souvent mis en avant dans des analyses au final simplificatrices, même lorsqu’elles se parent de discours complexes), au sens où la fin prime sur les moyens, où l’idéal (aussi fin dans son analyse soit-il) détermine la vision du réel, l’action sur le réel, et tant pis pour ce qui refuse de rentrer dans ce moule.

Les gauches ont par ailleurs (et cela va avec, l’idéalisme occidental étant intrinsèquement lié à la vision monothéiste) une vision holiste, aussi bien sociologiquement qu’ontologiquement. En bref, il faudrait saisir l’unité pour comprendre le réel, et construire l’unité et la ligne commune pour émanciper l’humanité.

Les anarchistes ont en revanche une vision pragmatique, partant du vécu. En ce sens, ils et elles ne proposent pas d’idéal, mais l’action directe et l’affirmation de la diversité, ou plutôt de la multiplicité. La seule unité réelle qu’il y ait, ou plutôt accord, entre les anarchistes, est ce respect de l’autonomie, de la multiplicité pragmatique de l’émancipation. Il ne s’agit pas d’un relativisme ; il s’agit du constat assumé qu’il n’y a pas une vérité valable en tout lieu (et encore moins en tout temps), mais des pratiques plus ou moins adéquates selon l’immense diversité des situations, et que ce sont les premier-e-s concerné-e-s qui sont les plus à même d’y répondre.

Ce texte, sans doute plein de simplifications, comme du reste tout texte, n’est qu’une invitation à prolonger le débat, en vue d’assumer pleinement notre anarchisme, nos anarchismes.

Juanito, groupe Pavillon Noir (FA 86), 27 mai 2013

La fête de l’amer

La fête des mères tire son origine de la célébration locale de mères… de familles nombreuses. Les femmes ne sont ainsi valorisées que lorsqu’elles sont moulées dans une relation de soumission, en l’occurrence celle de la famille patriarcale. Elles ne sont célébrées que lorsqu’elles enfantent pour l’Eglise, puis pour la patrie et enfin, pour la reproduction de la force de travail.

Cette fête est reprise de façon institutionnelle en 1941 pour célébrer toutes les mères, par le régime fascisant de Pétain, dans le but déclaré de refonder la France sur la valeur patriarcale de la famille catholique. Il s’agit explicitement de promouvoir, globalement, le repeuplement de la France, en imposant à toutes les femmes de se mouler dans un rôle imposé de gestation et d’éducation des enfants. Le secrétaire d’État à la famille et à la santé de Pétain, Jacques Chevalier, présente « la mère » comme « pilier » de la famille. Il associe aussi « la femme » au sacrifice et au monde des émotions (et non à celui de la domination et de l’intellect, réservé aux hommes). Elles sont assignées à s’occuper de toutes les tâches domestiques de la sphère privée, non valorisées par le capitalisme. Les hommes sont quant à eux voués à la sphère publique, c’est-à-dire au monde du travail salarié.

On mesure ici bien, à travers cet exemple, l’intrication du système patriarcal et du système capitaliste, et aussi combien l’Etat a pu jouer un rôle important dans la perpétuation du système patriarcal, en attribuant aux femmes des caractéristiques bien particulières et un rôle bien précis. Diffusant ainsi dans toute la société la normalisation de la division entre dominées et dominateurs, et donc celle de la domination et de la soumission. Nous pourrions aussi citer la régression terrible du Code Civil napoléonien en la matière, ou encore le maintien de lois discriminatoires (jusqu’en 1966, les femmes doivent avoir l’autorisation de leur époux pour travailler). Si le patriarcat est sans aucun doute la domination sociale la plus ancienne de l’histoire de l’humanité, le capitalisme et l’Etat ont eu intérêt à la perpétuer.

Bien loin de supprimer cette fête après le retour de la république, les gouvernements suivants la reprennent. En 1950, son organisation est confiée au ministère de la Santé, ce qui n’est pas un hasard eu égard à l’évolution des formes du biopouvoir, c’est-à-dire le contrôle des corps sous les prétextes de la sécurité et de l’hygiène. Le fait que la norme de « la mère » soit encore implicitement imposée aux femmes à travers cette fête, aujourd’hui en 2013, et que sa célébration soit encore martelée à tou-te-s, jusqu’aux enfants dès l’âge de la maternelle par les traditionnels cadeaux bien sexistes (objets de beauté ou domestiques), à fabriquer en classe, montre amplement – si besoin était encore – combien le patriarcat demeure au fondement, aussi bien historique que structurel, de toutes les autres dominations sociales.

Or ce jour de fête instituée par un fascisant notoire est le jour qu’ont choisi pour manifester les homophobes contre l’égalité des droits. Rassemblant dans leurs rangs tou-te-s les partisan-e-s des idéologies les plus liberticides (droite, extrême-droite, groupes fascistes, catholiques intégristes…). Ce n’est pas un hasard : de la même façon que ces manifestant-e-s considèrent que l’homosexualité n’est pas « naturelle », ils (en bleu) et elles (en rose) prônent une vision discriminatoire, sexiste et genrée, avec des rôles prétendument « naturels » qui seraient attribués aux femmes et aux hommes… promouvant les valeurs patriarcales de la famille nucléaire homme-femme-enfants. Alors même qu’on sait bien aujourd’hui que les notions de sexe et de genre, de même que les jugements de valeur sur la sexualité, ou encore l’éducation, sont des constructions éminemment sociales.

Ces manifestant-e-s ne sont que les idiots utiles d’un système global de domination sociale.

Une pub de l'Oréal
Une pub de l’Oréal

Juanito, Pavillon Noir, 26 mai 2013

Mise à jour (28/05) : à l’occasion de cette journée, le maire de Poitiers a remis des « médailles de la famille française » à quatre mères, ainsi qu’un bouquet de fleurs. Ces femmes ont respectivement cinq, cinq, sept et onze enfants… le choix des mères a été fait par la préfecture et l’une d’elles devrait être félicitée par François Hollande à l’Elysée. Le patriarcat a encore de beaux jours devant lui…

[Poitiers] Homophobes-sexistes hors de nos villes hors de nos vies

Mercredi 22 mai, les « veilleurs pour la famille » se sont à nouveau rassemblé-e-s à une petite centaine de personnes sur les marches du palais de justice, de 21h à 23h, pour tenter d’imposer leur discours moisi et homophobe contre l’égalité des droits. Malgré l’adoption de la loi pour le mariage pour tous et la filiation pour les couples homoparentaux, les milieux réacs manifestent de toute évidence leur volonté de garder contact pour diffuser leur discours nauséabond. Nous avons ainsi constaté dans leurs rangs la présence importante de cathos intégristes (les mêmes qui prient contre le droit à l’IVG) et de partisans d’extrême-droite. Pour ne pas tomber sous le coup de la loi contre la prière de rue -malgré leurs petits cierges et leurs discours religieux- les réacs se sont contenté-e-s d’ânonner quelques chants. Ces anti-mariage homo, ennemi-e-s de l’égalité et de la liberté, ont même eu le culot de chanter à plusieurs reprises des chansons en faveur de la liberté, ou plus drôle encore, le chant des partisans. Leurs récupérations éhontées ne se fixent décidément aucune borne.

Ces anti-mariage homo, craignant les contre-rassemblements, s’étaient donc donnés rendez-vous en secret. Des personnes pour l’égalité des droits ont néanmoins pu obtenir l’information et annoncer l’événement. Le bouche-à-oreille a ainsi permis, le soir même, à un certain nombre de gens de s’organiser rapidement pour un contre-rassemblement.

La dernière fois, un militant syndical qui protestait contre cette prière de rue masquée s’était fait embarquer par les flics. Cette fois-ci, les antifascistes s’étaient organisé-e-s pour rester bien groupé-e-s. Après avoir déployé un drap pour masquer le groupe des réacs, ils et elles ont entonné plusieurs chansons révolutionnaires et anticléricales, accompagné-e-s par un joueur de guitare aux accords bien pêchus, et sont resté-e-s dans la rue jusqu’à la fin du rassemblement sexiste et homophobe. De nombreux-euses passant-e-s se sont associé-e-s aux partisan-e-s de l’égalité des droits, dans une ambiance festive, contrastant manifestement avec l’ambiance triste et austère des réacs.

Cathos intégristes, fachos, homophobes, nous serons toujours là, la rue ne vous appartient pas !

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Pavillon Noir, 24 mai 2013