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[86] « Boisement compensateur » sur le tracé de la LGV : opération greenwashing pour Vinci

Le « greenwashing » consiste pour une entreprise à se donner des airs de préoccupations environnementales, pour dissimuler un impact social et écologique dévastateur. Un peu comme l’émission de Hulot, Ushuaïa, qui était financée par le plus gros pollueur de l’époque en France, Rhône-Poulenc.

Concernant la LGV (ligne à grande vitesse) Tours-Bordeaux, véritable plaie béante traversant notamment la Vienne avec ses remblais géants, des espaces boisés ont été défrichés et leurs sols dévastés. A la place, des paysages lunaires, des pierres transportées depuis des carrières qui essaiment le long du tracé. Le néant, le désert et le béton.

Aujourd’hui, nouvelle opération de communication de Cosea dans les médias locaux, toujours prompts à relayer  la propagande de Vinci (multinationale aussi impliquée dans d’autres destructions sociales et écologiques comme à Notre-Dame-des-Landes). Il s’agit de replanter des arbres « de qualité » sur une surface double de celle défrichée par le tracé de la LGV. Cette merveilleuse illustration du capitalisme vert s’appelle le « boisement compensateur » [sic]. Il y aura même des arbres fruitiers pour les petits oiseaux qui viendront se fracasser sur les TGV ! Ce petit paradis (qu’il faudra néanmoins attendre un siècle pour voir) sera bien protégé par des clôtures installées par Cosea.

Sauf que ces 314 hectares de reboisement dans la Vienne, en plus de ceux couverts par le tracé LGV, remplacent des espaces agricoles dont les exploitants sont virés avec le concours gracieux de l’Etat PS (qui oblige au « boisement compensateur »), et les liasses de biftons de Vinci. Vinci est au demeurant largement subventionnée, dans ce chantier LGV, par ledit Etat… dans le cadre d’un « partenariat public-privé » ruineux pour les populations, subissant un surcroît de « dette publique » bidouillée par des bureaucrates. Niveau social, on repassera !

A ce propos, le gros propriétaire foncier interviewé par la Nouvelle République évoque les arbres replantés par le grand Colbert. Comparaison révélatrice ? Il oublie de préciser que si Colbert a replanté des arbres, c’était déjà pour « compenser » une dévastation sociale et écologique : la France a été déboisée par le même Colbert, en quasi-totalité, sous Louis XIV… Et ce, pour construire une marine de guerre et des navires marchands (négriers notamment). Déjà à l’époque, la dévastation écologique était la signature d’une politique étatique de dévastation sociale programmée.

Quant au niveau « écologique », qui oserait prétendre que les sols des terres labourées, saturés d’intrants polluants, à la microbiologie dévastée et sur lesquels ces « arbres de qualité » sont téléportés, pourront remplacer l’humus forestier, infiniment riche, complexe et fragile, et dont le vaste recul en France est pour le moins préoccupant ? On est là dans le mépris total des conditions environnementales propices au développement d’une véritable forêt. Rappelons que l’écrasante majorité des sols en France sont de fait devenus de véritables déserts stériles : sans l’emploi massif d’intrants chimiques, sans l’utilisation massive du pétrole, les terres agricoles ne produiraient quasiment plus, faute de vie biologique réelle. L’humus forestier, seul système biologique au monde apte à produire la vie de façon « durable » et cyclique, met plusieurs décennies à se reconstituer… quand il se reconstitue.

Même l’argument économique de l’industrie bois ne tient pas : les chênes et les cèdres plantés aujourd’hui dans la Vienne ne pourront être exploités que d’ici… 80 à 120 ans. L’aspect coup de comm’ apparaît en plein jour, si l’on note que les propriétaires fonciers qui concèdent leurs parcelles ne s’engagent à ne les maintenir boisées que pendant… vingt ans !

Bref, la désinformation de Vinci, de l’Etat, des bureaucrates politicards locaux et des médias frise une fois de plus le grotesque. Après les enfants handicapés heureux de conduire des engins de Vinci, après l’invocation à la journée de la femme pour évoquer l’effort dérisoire de « parité » sur les chantiers, après le recours piteux à l’argument grossier de la création d’emplois précaires et temporaires, voici les arbres et les petits oiseaux. Il faut dire qu’ils auront peut-être la « chance de voir passer les premiers TGV » [sic] : chez les journalistes aussi, on peut se montrer poète…

L’enjeu des pouvoirs politico-économiques est désormais d’étendre la dévastation LGV à un barreau Poitiers-Limoges.

Nous ne laisserons pas transformer la planète que nous habitons en poubelle de béton.

Pavillon Noir, 18 mars 2013

La vidéo de la Nouvelle République ici.

Voir aussi l’article de la NR…

LGV : deux hectares boisés pour chaque hectare défriché

Le boisement compensateur de la LGV Tours-Bordeaux prévoit la plantation de 314 ha d’espèces d’arbres de qualité dans la Vienne. A la charge de Coséa.

Sur une colline de Marnay, Patrick de Lassée s’agenouille devant un jeune chêne sessile d’une soixantaine de centimètres pour montrer à son fils de 13 ans la forme caractéristique de ses feuilles. « Le boisement est une affaire de longue haleine, on travaille pour la postérité, explique cet important propriétaire foncier. Si Colbert n’avait pas planté la forêt de Tronçay, les chênes n’auraient pas été là pour la marine de Louis XV ! »

Dans 150 ans, cet arbre atteindra sa maturité s’il a survécu aux sélections successives qui seront opérées sur cette parcelle de 7 ha où près de 8.000 plants identiques et 1.300 cèdres de l’Atlas ont été plantés la semaine dernière. Alors, peut-être, les héritiers des de Lassée se souviendront-ils que l’opération de boisement est intervenue pendant la construction de la ligne ferroviaire à grande vitesse Tours-Bordeaux ? Une mesure compensatrice imposée par l’État.

«  On s’engage pendant 20 ans  »

« Nous avons l’obligation, dans les quatre ans, de planter deux hectares pour chaque hectare de forêt défriché le long du tracé de la ligne dans la Vienne », explique Luc Vancrayelynghe, l’ingénieur paysagiste de Coséa, le consortium chargé de construire la voie ferrée. « L’idée est de produire du bois d’œuvre de qualité, pas des résineux pour l’industrie papetière ni du bois de chauffage », ajoute Frédéric Filet, de l’entreprise Alliance Forêts Bois sollicitée pour la plantation. Principalement des chênes, donc, mais aussi des fruitiers – merisiers, cormiers et autres alisiers : « Des espèces dont le bois est destiné à l’ébénisterie au bout de 60 ou 80 ans mais qui jouent un rôle en matière de biodiversité ; les oiseaux se nourrissent de leurs fruits. » Au total, à la fin de l’année 2012, Coséa avait déjà fait planter 60 des 314 hectares prévus sur l’ensemble du territoire départemental mais les conditions météorologiques ont ralenti le programme cet hiver. Pour les propriétaires, dont les dossiers ont été retenus, c’est tout bénéfice. Ou presque. « Sans aide, je ne suis pas sûr que beaucoup feraient l’effort de boiser de telles surfaces, estime Patrick de Lassée. Et puis, on s’engage tout de même à maintenir le terrain boisé pendant 20 ans et à l’entretenir de la 4e à la 20e année. »

90 % du coût de l’opération au final

Le technicien de la Société forestière de la Caisse des dépôts, qui assure la maîtrise d’œuvre, estime néanmoins que Coséa prend en charge 90 % du coût de l’opération au final ; à elles seules, les clôtures de deux mètres de haut qui protègent les plants du gibier représentent la moitié de la facture ! « L’entreprise chargée de la plantation doit garantir 80 % de reprise la première année et assurer l’entretien durant trois ans », précise-t-il. Le temps de permettre aux jeunes arbres de s’imposer pour avoir une chance de voir passer les premiers TGV.

Sur 314 hectares à boiser, 60 sont déjà plantés et 175 sont à l’étude. Les propriétaires intéressés peuvent s’adresser au Centre régional de la propriété forestière au 05.49.52.23.08. Courriel : poitou-charentes@crpf.fr

Baptiste Bize, Nouvelle République, 18 mars 2013

Habent papam…

Habent papam…

Le nouveau pape, « François Ier », a été élu ce mercredi soir. Il s’agit du cardinal Jorge Bergoglio. L’Eglise catholique, après avoir imposé un pape Benoît XVI, très conservateur, a donc choisi un pape sud-américain, un argentin plus précisément.

Bergoglio est un homme réputé d’origine modeste et au train de vie modeste ; nombre de médias se complaisent à clamer qu’il vit dans un appartement, qu’il se déplace en métro et qu’il fait sa cuisine tout seul. Si cela suffit à le rendre saint, alors les milliards de prolos que compte la planète sont une armée de saints… Bref Bergoglio, qui annonce vouloir « lutter contre la pauvreté », est annoncé par les médias comme humble et proche des pauvres. Le nom même de « François », que Bergoglio s’est choisi, se rapporte d’ailleurs au fondateur de l’ordre des franciscains, ordre de moines mendiants fondé au Moyen-Âge. Nombre de chefs d’Etat ont donc, comme il se doit salué cette élection (dont Hollande, comme nous le verrons plus loin). Les médias ont évoqué un tournant possible au sein d’une Eglise passablement passéiste.

Mais l’Eglise a-t-elle vraiment décidé de tourner la page du conservatisme en nommant un sud-américain ? On peut en effet y voir aussi un enjeu stratégique, pour récupérer une population sud-américaine délaissant de plus en plus l’Eglise catholique, pour se tourner vers les églises protestantes qui pullulent. Cette préoccupation se traduit bien chez ce nouveau pape, qui avait vitupéré dès septembre dernier contre les prêtres refusant de faire baptiser les jeunes enfants nés hors-mariage.

En réalité, le parcours de ce jésuite n’est pas franchement celui d’un réformateur. Le nouveau pape se traîne même de sacrées casseroles !

Si celui-ci se déclare contre le libéralisme, il a de fait toujours combattu (tout comme son prédécesseur Benoît XVI) la théologie de la libération, un courant progressiste et « social » de l’Eglise catholique sud-américaine, inspiré en partie par le marxisme. « L’apolitisme » de la compagnie de Jésus, revendiqué par Bergoglio, est à géométrie très variable…

Ce n’est pas tout. Pendant la dictature des généraux en Argentine, ayant fait 30.000 morts, Bergoglio n’a jamais dénoncé les crimes des généraux… à l’image de l’institution catholique argentine, qui fut clairement complice de la dictature. Un autre Jorge, le général dictateur Videla, a pourtant frappé un certain nombre de prêtres engagés dans la théologie de la libération, dont des gens que Bergoglio connaissait. Botus et mouche cousue : apolitisme on vous dit ! Il faut dire que Videla déclarait vouloir restaurer  » la civilisation catholique occidentale ». Ca valait sans doute bien quelques dizaines de milliers de tortures et d’assassinats… les desseins de Dieu sont impénétrables, rendez à César ce qui est à César, tout ça tout ça.

Même devenu évêque, Bergoglio a refusé de dénoncer la complicité flagrante de l’institution catholique. Pire, il a affirmé que les procès intentés contre des évêques catholiques accusés d’avoir participé aux séances de torture, étaient une « campagne de calomnie menée contre l’Eglise ».

L’histoire ne s’arrête pas là. Un bouquin paru en 2005, El Silencio, révèle que Bergoglio aurait retiré sa protection à deux prêtres jésuites travaillant dans les bidonvilles, et donné son feu vert en 1976 à l’armée pour les enlever… Entendu comme témoin par des juges dans cette affaire, Bergoglio a parlé de « diffamation », et affirmé vouloir parler sans tabous de l’Eglise sous la dictature. Pour lui, l’Eglise n’aurait rien à se reprocher, à part quelques individus isolés complices du pouvoir.

Bergoglio n’est pas un complice des fachos que sur le plan du positionnement politique. Sur le plan des libertés des homos et des femmes, ce n’est guère mieux. En 2010, Jorge Bergoglio a ainsi déclaré que l’homosexualité était « un démon infiltré dans les âmes« , et que les marches pour le mariage gay étaient de « la main du diable« … Diantre !

Bergoglio ne s’arrête pas à de simples déclarations. C’est lui, en personne et avec une virulence toute particulière, qui a mené la fronde contre la loi légalisant le mariage homosexuel en Argentine. Ainsi que contre le droit donné aux transsexuel-le-s de changer de sexe pour l’état civil. Ou encore contre le développement de l’éducation sexuelle… De fait, le cardinal a pris la tête d’un véritable affrontement de l’Eglise catholique argentine contre Cristina Kirchner (présidente de centre-gauche). Dans cette fronde, Bergoglio (cet « ami des pauvres ») n’a d’ailleurs pas hésité à s’afficher officiellement avec les partis les plus réacs, ainsi qu’avec les patrons et les milieux d’affaires !

On ne s’étonnera pas non plus qu’il se soit toujours farouchement opposé aux droits des femmes. Notamment à la contraception et au droit à l’avortement, toujours interdit en Argentine… sous la pression de l’Eglise.

Tout cela n’empêche pas un autre François, le très laïque président Hollande, de proclamer dans un communiqué : « J’adresse au Pape François 1er mes félicitations les plus chaleureuses et mes voeux très sincères pour la haute mission qui vient de lui être confiée à la tête de l’Eglise catholique pour faire face aux défis du monde contemporain« . « La France, fidèle à son histoire et aux principes universels de liberté, d’égalité et de fraternité qui fondent son action dans Le Monde, poursuivra le dialogue confiant qu’elle a toujours entretenu avec le Saint-Siège, au service de la paix, de la justice, de la solidarité et de la dignité de l’homme« .

Une belle leçon de solidarité entre hommes de pouvoir.

Juanito, Pavillon Noir (FA 86), 14 mars 2013

NdPN : notons que pas un mot sur ces points noirs du nouveau pontificat n’a été signalé, ni par l’archevêque de Poitiers, ni par la Nouvelle République. Alleluia !

Salut à toi Comès

C’est avec un gros chagrin que j’apprends la mort de Comès, mercredi dernier, à 71 ans.

Cet artiste hors du commun, maître du noir et blanc, avait produit de nombreuses bandes dessinées autour du thème de la magie et de la ruralité, mais aussi de l’injustice sociale et de la difficulté de s’intégrer à ce monde violent, policier, raciste et sexiste…

Il parlait de vengeance.

Il parlait d’amour.

silence 1

silence 2

silence 3

Trois planches de Silence, dont la première… et la dernière.

Juanito, Pavillon Noir, 9 mars 2013

[86] Quand les institutions surfent sur la journée de la femme

Nos chères institutions n’en ratent décidément pas une quand il s’agit de faire les louanges de la LGV Tours-Bordeaux, ou plus généralement de l’esclavage salarial. Relayées comme il se doit par notre chère presse locale (pour changer). Deux articles de la Nouvelle République évoquent ainsi deux événements médiatiques surfant sur « la journée de la femme », avec des femmes… de pouvoir.

L’un avec la nouvelle préfète de la Vienne, rencontrant la responsable de la comm de Lisea (filiale de Vinci), vantant les mérites de la mixité pour construire la LGV Vinci. Après l’argument de l’emploi, et les enfants handicapés, la promotion des femmes ! L’Etat et Vinci ne reculent devant rienpour imposer leur chantier en forme de désastre social et écologique.

L’autre d’une eurodéputée « socialiste », qui propose une « carte professionnelle européenne », non sans une vibrante tirade : « aujourd’hui, c’est la journée des femmes. Le poète dit que la femme est l’avenir de l’homme, moi je rajoute que la jeunesse est l’avenir de l’Europe »

PS : Rien à voir, mais hier a eu lieu à Paris une manif à l’occasion de la journée de la femme. La Fédération Anarchiste avait appelé à constituer un cortège libertaire, pour défendre l’autonomie des luttes antipatriarcales, contre les récupérations institutionnelles. Le service d’ordre du PCF, sans doute pour fêter à son humble mesure les 60 ans du regretté Staline, a gazé le cortège anarchiste au départ de la manif (à Stalingrad, ça ne s’invente pas). Compagnons et compagnes ont été visé-e-s : il faut bien défendre la parité… un communiqué fédéral suivra bientôt.

Pavillon Noir, 9 mars 2013

Antisexisme un jour, patriarcat toujours

Antisexisme un jour, patriarcat toujours

Comment prétendre combattre l’esclavage capitaliste et étatique et la société de classes, si nous reléguons au second plan la question de la division entre genres, âges, émotions, si nous continuons à faire nôtre l’idée absurde que femmes ou enfants seraient des êtres inférieurs qu’il conviendrait de discipliner ou de guider avec paternalisme ?

La misère frappe majoritairement les femmes, victimes expiatoires des souffrances de ce monde. Moins bien payées, toujours aussi sollicitées pour accomplir les tâches les plus ingrates et les plus répétitives. Et servir de défouloir émotionnel et sexuel à la violence masculine. Dans le monde, une femme sur cinq sera victime de viol ou de tentative de viol, au cours de son existence.

La division sociale se nourrit du sexisme ou, pour employer un terme plus pertinent, de la domination masculine. Le système patriarcal attribue aux individus désignés comme « femmes » ou « hommes », selon la configuration du sexe biologique, des caractéristiques particulières sur lesquels il faudrait se mouler. En particulier les femmes, qui auraient le goût pour la dépense et les choses légères, peu de compétences en géométrie, auraient une propension à l’« l’hystérie » et autres fadaises comme l’incompétence à la lecture des cartes routières. Ayant pour contrepartie d’autres « qualités » décrétées, telles que l’écoute, la disponibilité, la douceur, et tant d’autres choses qu’on exige en général d’un-e esclave bien soumis-e.

Les femmes sont affublées par le capitalisme des tâches de reproduction et d’entretien de la main-d’œuvre, tâches bien évidemment non rémunérées, et donc non valorisées socialement. Les femmes peuvent ainsi demeurer le réceptacle de la violence subie par les hommes au travail : viols, coups, et meurtres. Une femme meurt tous les trois jours en France sous les coups de son « compagnon ».

Il est là aussi intéressant de noter combien l’Etat, à travers ses lois, a pu jouer un rôle actif dans la production de ces normes inégalitaires et atrophiantes. La notion même de famille mononucléaire, du couple hétérosexuel avec enfants, où femme et enfants obéissant au pouvoir patriarcal du « chef de famille », a été largement construite par la bourgeoisie industrielle, et codifiée dans la régression terrible que constitua le code civil de Napoléon Bonaparte en matière de droits sociaux.

Face à ces injustices insupportables, face à la violence masculine, les féministes se sont organisées en ne comptant que sur elles-mêmes, en constituant elles-mêmes des réseaux d’entraide et de lutte, obtenant ainsi de significatives avancées comme le droit à l’avortement.

Une grande partie du mouvement féministe a hélas été digérée par le pouvoir. L’Etat a mis en place des lois de parité qui non seulement maintiennent pour discriminant social la distinction des individus en sexes biologiques, mais conduisent des révoltées à commuer leurs révoltes en revendications, sous les fourches caudines de la médiation de l’Etat, où à reléguer les questions de classes, faisant ainsi la même erreur que nombre de militants masculins reléguant les luttes féministes au second plan.

Nous sommes contraint-e-s de reconnaître notre oppression pour la subvertir. De nous reconnaître « prolétaires », « femmes », « arabes », « homos », de partir de la situation concrète d’une catégorisation du pouvoir qui nous enferme, sur les bases d’une situation commune. Sans nous laisser pour autant « représenter ». Nous devons par ailleurs garder en tête que notre but est l’abolition de ces catégories mêmes de la discriminations, qui sont celles de la domination.

Ce n’est pas parce que je suis catégorisée « femme » qu’on achètera mes désirs d’en finir avec la sclérose des normes genrées et la domination masculine, pas parce qu’on me dit femme que je vais me satisfaire de l’aliénation d’un bulletin de vote, d’une place paritaire sur une liste électorale, d’un salaire d’esclave féminin tendant à devenir égal à celui d’un esclave masculin, de l’extension aux mecs de la torture de l’épilation à la cire. Ce n’est pas parce que je suis prolétaire que je suis heureuse d’être l’esclave salarial d’un patron ou d’un « Etat social », que je jubile de me voir représentée sur les affiches caricaturales de gauche en bleu de travail à casquette, une clé à molette à la main. Ce n’est pas parce qu’on me catégorise comme noire de peau, que je me réjouis d’une « discrimination positive » hissant des vedettes « issues de la diversité » à l’écran pour y exhiber leur opportunisme et leur lâcheté, ou des salauds à des postes de pouvoir qui vont m’exploiter, me fliquer ou me virer. Ce n’est pas parce que je suis catégorisé-e « homo » qu’on va acheter mon adhésion au système hétéroflic par la bague au doigt pour tou-te-s, ou un événement gay-pride où je vais jouer la lesbienne folklorique pour les badauds citoyennistes. Marre des journées exutoires d’un jour.

Dès que la lutte radicale pour l’abolition de ces outils du pouvoir, qui permet de rogner du terrain (sous forme de réformes ou de « droits » concédés par l’adversaire), cède le terrain à un identification positive et sclérosante aux catégories étanches qui nous enferment, la puissance subversive de la lutte est étouffée, puis récupérée, digérée. Au final, les réformes et les droits se retournent contre nous, lorsque nous nous en contentons.

Nous ne voulons pas d’une cage plus grande et aux barreaux repeints en couleur dorée. Nous voulons faire un beau feu de joie de toutes les cages qui nous enferment, de toutes les étiquettes qui nous cantonnent à des rôles. Des droits, des droits… les libertés se prennent, elles ne se demandent pas. Les ténors du barreau parlotent ? Mettons ce temps à profit pour limer tous les barreaux.

à bas les étiquettes

Terminons sur l’un des prétextes les plus grossiers donnés par les Etats « démocratiques » à leurs interventions militaires : la fameuse « défense des droits des femmes ». L’Occident a beau jeu de vilipender le voile islamique sous toutes ses formes, alors qu’il véhicule un discours genré, masculiniste et sexiste à longueur de discours politiciens, médiatiques et publicitaires !

Les clichés sexistes surabondent dans la sphère d’influence des Etats d’Occident, des plateaux télés aux publicités, avec des modèles féminins affligeants, amaigries par des régimes délirants, bimboïsées, aussi érotisées que dénuées de tout véritable érotisme. Les femmes sont violemment incitées par la publicité, vomie par toutes les pores du système marchand, à dépenser leurs maigres salaires en fringues, en régimes dangereux ou en maquillages chimiques, dans l’injonction permanente de rester sexy, bref soumises et disponibles à la domination masculine. Tant pis pour les innombrables jeunes femmes tombant dans la spirale destructrice de l’anorexie, pour les « garçons manqués », pour les « camionneuses », pour les « moches », pour les « vieilles » passée la quarantaine. Tant pis pour toutes celles qui, faute d’argent, de temps ou d’envie, sont considérées comme des boudins parce qu’elles commettent la faute impardonnable de « ne pas assez prendre soin d’elles ».

Le spectacle médiatique contraint les femmes à se soumettre au salariat ou au cirque citoyenniste. Les rares femmes parvenant à des postes de domination, au sein d’entreprises ou d’appareils étatiques, sont contraintes d’afficher encore plus de froideur émotionnelle, de volontarisme ou d’autoritarisme que les hommes pour s’intégrer au système patriarcal, car les médias ne manqueront pas de leur tailler un short au moindre faux pas. Les juges, les autorités religieuses et autres « spécialistes » de l’éducastration continuent d’imposer aux femmes l’éducation exclusive des enfants, véhiculant le mythe de « l’instinct maternel ». Les femmes qui n’auront pas d’enfants, passés trente-cinq balais, seront les victimes de remarques incessantes. L’avortement continue d’être attaqué dans la sphère politique par une réduction des budgets des plannings familiaux, et sur la place publique par des associations religieuses obscurantistes et fascisantes, protégées par des cordons de police et auxquelles les médias ouvrent leur tribunes au nom du « débat public ».

Pour le capitalisme, qui veut que la force de travail se reproduise à ses propres frais dans la sphère dite « privée », le fait est qu’en Occident, la tâche de reproduction du prolétariat reste autoritairement dévolue aux femmes. Voter pour des chefs (par ailleurs largement masculins), bosser comme une esclave à temps partiel et mal payée, veiller à se montrer performante sexuellement tout en continuant à torcher les lardons, à faire les courses et à repriser les chaussettes, voilà la conception de la liberté féminine à la mode occidentale. Et l’on reprochera encore aux femmes, placées sous une pression sociale insupportable, d’avoir une propension à « l’hystérie »…

Si le voile est une discrimination sexiste révoltante parmi d’autres, dans les régions du globe sous le joug de machos islamistes prétextant de lois religieuses pour maintenir leur domination abjecte sur les femmes, l’islamisme n’a hélas pas le monopole du patriarcat. Voir les Etats occidentaux intervenir au nom des « droits des femmes » a de quoi donner l’envie de bons grands coups de pieds dans les couilles.

Revendiquer un jour un seul sur les 365 que compte une révolution planétaire, voilà qui en dit long sur l’institutionnalisation des luttes féministes. Il y a pourtant, ici et maintenant, matière à faire la révolution au quotidien.

J., groupe Pavillon Noir, 8 mars 2013