Archives de catégorie : Écrits

[Poitiers] De la « démocratie » municipale

Un article sort aujourd’hui dans la Nouvelle République, égratignant le fonctionnement du conseil municipal à Poitiers et l’absentéisme d’un certain nombre d’élus.

Pour notre part, le pouvoir de décider ne saurait être confisqué par des « représentants », ni se limiter à une perspective territoriale. Les anarchistes sont pour le fédéralisme libertaire, à savoir un réseau structuré d’association libre, garantissant l’autonomie, la subsidiarité décisionnelle au profit des premier-e-s concerné-e-s, la péréquation dans l’attribution des ressources. Dans la lignée de Bakounine, nous considérons que ce fédéralisme doit être double : à la fois économique, en associant producteurs et consommateurs, mais aussi territorial, allant de l’échelle locale à des circonférences toujours plus large. Les mandats ne doivent pas être représentatifs (hors de question que toute latitude soit laissée aux mandaté-e-s, comme dans le système actuel), mais impératifs, c’est-à-dire qu’à tout niveau de circonférence fédéraliste, les mandaté-e-s doivent mettre en place techniquement les décisions dont les lignes ont été clairement définies en assemblées de personnes concernées. Les mandatés doivent rendre compte, et sont révocables. Par ailleurs, les mandats doivent tourner le plus possible, avec tuilage et formation garantie, de façon à ce que les compétences se diffusent afin d’éviter les spécialisations et la technocratie. Les mandatés doivent avoir le même accès aux ressources socialisées et sous contrôle des assemblées de base, ni plus ni moins.

Rien à voir donc avec ce simulacre de démocratie que nous dépeint la Nouvelle République.

Pavillon Noir

Le difficile exercice de la démocratie municipale

 

Pilotée par le maire avec les grosses cylindrées de la majorité, la mécanique bien huilée du conseil carbure à l’ordinaire avec une opposition hors-circuit.

Une grosse machine aux multiples rouages : la démocratie municipale est une mécanique de précision dont les moteurs sont une administration bien huilée et une majorité dominée par quelques grosses cylindrées. Le maire tient fermement les commandes, secondé par une garde très rapprochée. « Le pouvoir est concentré dans les mains d’un quatuor constitué du maire (Alain Claeys), de son directeur de cabinet (Mathias Aggoun), du directeur général des services (Marc Barreau) et de l’adjoint aux finances (Francis Chalard), décrypte un élu sous le sceau de l’anonymat. L’ensemble de l’équipe municipale n’est pas associé aux grandes décisions. Souvent, l’administration prend le pas sur les élus. Et le conseil ressemble parfois à une chambre d’enregistrement. » Dans nos colonnes récemment, Serge Rouquette (UDI) assénait : « Le maire décide d’abord et discute ensuite. » Un sentiment partagé, avec des variantes, sur tous les bancs du conseil.

«  Une opposition trop minoritaire  »

Certains voudraient ainsi justifier l’absentéisme qui marque la grosse demi-douzaine de séances annuelles (lire plus bas). Ce n’est pas l’avis de Magali Barc, adjointe PS à la jeunesse. « Le maire fait confiance à ses adjoints, à son équipe. Quand il intervient, c’est pour donner un coup de main. Je ne fais pas partie du premier cercle et je considère que je dispose de la liberté qui convient dans ma délégation. » Stéphane Braconnier, leader d’une opposition hors-circuit et sans voix, avance quelques éléments d’explication. « L’opposition est respectée par le maire et la majorité… Mais elle est beaucoup trop minoritaire pour jouer son rôle. Nous sommes six dans le groupe, il nous est impossible de nous démultiplier pour assurer notre présence dans les innombrables commissions et instances. Moi-même, j’ai beaucoup de mal à siéger dans le conseil d’administration de Sipéa par exemple. La majorité a pour elle le nombre et le temps. Elle compte pas mal de retraités qui peuvent se consacrer pleinement à leur mandat. » Le citoyen par son vote et le législateur en introduisant une grosse prime à la liste vainqueur dans ce scrutin municipal à la proportionnelle ont voulu ce déséquilibre des forces. En s’imposant au premier tour avec 54,52 % des voix en 2008, Alain Claeys réunit une majorité écrasante de 42 membres sur un total de 53 conseillers. Un résultat formellement démocratique.

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Le bureau se réunit chaque lundi

La démocratie municipale connait son temps fort hebdomadaire avec la réunion du bureau le lundi après-midi où se retrouvent maire, adjoints, conseillers délégués, le directeur de cabinet et le directeur général des services . Cette sorte de gouvernement de la ville, « décide de tout ou presque » selon Magali Barc. Des décisions qui sont amendées en commissions et votées en séances plénières du conseil.

assiduité

Les absents ont toujours tort

Comme à l’école. Les motifs d’absences au conseil sont divers, variés souvent valables, toujours justifiés. Pour Stéphane Braconnier (UMP), les absents ont toujours tort. « L’assiduité n’est pas réglementairement obligatoire au conseil mais le minimum qu’on doit aux électeurs est d’assister aux séances. L’absentéisme me choque profondément. » Le 10 décembre dernier pourtant, cinq des six membres du groupe UMP-UDI étaient soit absents (dont Stéphane Braconnier) soit en retard. « C’est le mauvais fruit du hasard. » L’absentéisme n’a pas de couleur politique : Philippe Mahou, tête de liste MoDem en 2008 a raté six des sept conseils de l’année 2012 comme la conseillère de la majorité Marie-Pierre Magnan. Bernard Ramat, autre conseiller de gauche, fut absent à 5 reprises. La députée européenne PS Bernadette Vergnaud, conseillère déléguée, ne fut que de trois séances en 2012 comme les adjointes Nathalie Rimbault-Raitière (PCF) ou Magali Barc (PS). « J’ai eu de gros problèmes de santé », confie l’intéressée, cadre administrative supérieure à l’Université. > Conseil du 20/02/2012. 7 absences, 3 retards ou départs anticipés. > Conseil du 26/03. 11 absences, 4 retards ou départs anticipés. > Conseil du 21/05. 13 absences, 3 retards ou départs anticipés. > Conseil du 25/06. 9 absences, 6 retards ou départs anticipés. > Conseil du 24/09. 12 absences, 5 retards ou départs anticipés. > Conseil du 19/11. 7 absences, 4 retards ou départs anticipés. > Conseil du 10/12. 12 absences, 5 retards ou départs anticipés.

indemnités

1.321 € net d’impôt par mois pour un adjoint

Les indemnités des élus sont calculées selon un pourcentage de l’indice brut terminal de la fonction publique. Le point brut de ce taux évolutif est d’environ 38,08 € pour une trentaine d’euros net après retenues de charges et d’impôt à la source. > Conseil. La première adjointe dispose d’une indemnité mensuelle de 80,20 % (3.110 € brut, 2.470 net). Les 14 autres adjoints et Maurice Monange conseiller spécial délégué ont un taux de 42,90 % (1.630 € brut, 1.321 € net). 19,50 % (742 € brut, 600 € nets) sont attribués aux 15 conseillers délégués. Dix autres conseillers de majorité ayant des fonctions auprès des adjoints ont un taux de 6 %, les 11 conseillers d’opposition disposant de 2 % soit moins de 68,16 € net par mois. > Grand Poitiers. De très nombreux membres du conseil sont aussi conseillers communautaires. Parmi les 21 vice-présidents de l’agglo, dix sont Poitevins et se voient attribuer 38,70 % supplémentaires : les adjoints Francis Chalard, Bernard Cornu, Jean-Jacques Guérin, Robert Rochaud et Aurélien Tricot, les conseillers délégués El Mustapha Belgsir, Jean-Daniel Blusseau, Jean-François Macaire et Maurice Monange. Grand Poitiers alloue 26,15 % à Jean-Claude Bonnefon et Patrick Coronas au titre de leur délégation, les autres, simples conseillers, ayant 3 %. Le maire au plafond. Député-maire de Poitiers, Alain Claeys est soumis au plafond des élus (9.860 € brut hors diverses indemnités et frais de fonctions). Il dispose de 36,26 % (1.381 brut) comme maire et aussi de 36,26 % comme président de l’agglo.

Nouvelle République, 21 janvier 2013

[Poitiers] La médaille d’honneur de l’esclavage salarié pour les anciens de Vitalis

C’est avec une grande émotion que des médailles d’honneur des chemins de fer (des médailles d’honneur du travail), ont été remises à des salariés de Vitalis ayant cumulé un nombre conséquent d’années d’esclavage salarié.

Ces médailles étaient anciennement nommées « médailles d’honneur des Vieux Serviteurs » : ça ne s’invente pas. Le système du travail exploité et aliéné sait récompenser comme il se doit ses éléments les plus durablement obéissants, avec 300.000 médailles par an.

Hormis les médailles à l’ancienneté (comme les médailles des chemins de fer), la médaille d’honneur du travail est attribuée à la demande des salariés, qui doivent déposer (à condition de remplir les conditions) un dossier gratuit de demande auprès de la préfecture.

Voici donc les clinquantes distinctions honorifiques dont vous pourrez orner votre poitrail d’esclave, certes courbé par le poids des années passées à l’effort zélé, mais fier d’avoir servi les intérêts du patronat et de l’Etat :

La classe, non ? Ca mérite bien 25, 35 ou 38 années à consacrer son temps, son sang et sa vie au service d’un boulot de merde.

Pavillon Noir, 30 janvier 2013

[86] Aurevoir Monsieur le Préfet

Le préfet de la région Poitou-Charentes, Yves Dassonville, s’en va donc en retraite…. après une dernière décision en faveur de Vinci. A ce sujet, la Nouvelle République évoque « la dernière de ces missions [qui] l’aura notamment conduit à coordonner le chantier de la LGV Tours – Bordeaux. « Une bataille de tous les jours pour que ce chantier avance en respectant les procédures. C’est une mécanique énorme, une mécanique de précision. Si elle s’enraye, le chantier est arrêté et ce sont des millions de perte. Un vrai défi pour l’administration. » Il est vrai que monsieur le préfet n’a jamais caché faire sa « priorité » du glorieux chantier de la LGV Tours-Bordeaux.

Et du « maintien de l’ordre« , ce pilier régalien ainsi qu’il le dit lui-même. Et ce, dans la droite ligne de son précédent service de l’Etat en Nouvelle Calédonie : après y avoir choisi la répression contre les manifestations, il s’était particulièrement illustré par ses actions et ses propos contre les syndicalistes de l’USTKE, allant jusqu’à parler de « méthodes de voyous » (Nouvelles Calédoniennes, 18/01/2008). Il y avait aussi interdit pour un temps, dans Nouméa, la vente d’alcool à emporter le week-end.

Le fidèle serviteur de l’Etat français a aussi, entre autres hauts faits d’armes, poursuivi une fois débarqué dans le Poitou-Charentes, une politique ferme méhumène vis-à-vis des migrant-e-s : « Pour intégrer les gens en situation régulière, ceux qui partagent nos valeurs, il faut renvoyer ceux qui ne le sont pas ». Quant à l’arrestation à la sortie de la préfecture d’un lycéen tentant de régulariser sa situation : voilà du travail propre et sans fioritures. La politique du chiffre, ça ne se discute pas.

Le préfet, en bon responsable des forces de police nationale, protège aussi les bons citoyens contre les « marginaux » susceptibles de faire fuir les clients du centre-ville de Poitiers, lors de réunions avec les commerçants et la mairie. Et contre les militant-e-s qui perturbent le train-train quotidien avec leurs dangereuses banderoles ou écrits. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les chroniques de la répression depuis juillet 2011, sous l’autorité bienveillante de Monsieur le Préfet : évacuations de squats, arrestations ou contrôles d’identité lors de la diffusion de journaux, et bien sûr encadrement très étroit des manifs (souriez, vous êtes filmé-e-s).

Répression des militant-e-s donc, mais à géométrie variable : alors que 100% de la quarantaine de vilains gauchistes occupant une maison vide contre Vinci sont arrêtés fin 2011 et emmenés au poste, on négociera en revanche avec les fachos qui occupent en octobre 2012 le toit d’une mosquée avec des slogans racistes : quelques fachos arrêtés sur 70 qui repartent tranquillement après négociation. Soyons fermes, mais humains…

Ce fut enfin un fervent partisan du libéralisme. Les services publics coûtent trop cher en milieu rural ? On peut les maintenir « à moindre coût » : pourquoi pas remplacer une poste par un commerçant offrant des services postaux ? « Cela se fait depuis longtemps en Grande Bretagne » : il suffisait d’y penser… et puis, il faut bien « qu’on fasse rentrer dans la logique de l’Etat la notion de performance, de service du public, d’économie« .

Un fidèle serviteur de l’Etat donc, qui a bien mérité de prendre une retraite confortable aux frais des contribuables. Gageons qu’il sera vite remplacé par un autre préfet tout aussi humaniste mais ferme : les bons citoyens paisibles peuvent dormir tranquilles.

Pavillon Noir, 30 janvier 2013

Réflexion sur le droit et les droits

Réflexion sur le droit et les droits

and justice for all, pochette d'un album de Metallica

Cette réflexion est suscitée par un ras-le-bol de cette tendance de la gauche consistant à réclamer des droits à nos ennemis qui prétendent en être les garants, ou consistant à les implorer de se les appliquer à eux-mêmes. Comme si ceux-ci pouvaient abolir d’eux-mêmes leur emprise sur nous. Comme s’ils pouvaient ne pas profiter de ces revendications pour accroître leur pseudo-légitimité…

En société étatiste, c’est-à-dire d’organisation sociale sous le dénominateur commun d’une domination politique, économique et sociale de certaines personnes sur d’autres, le droit n’est qu’une mascarade. Le droit écrit, apparu en même temps que la volonté des Etats de fixer leur domination dans un marbre sacré, s’est construit de fait au gré de rapports de force. L’ambiguïté du droit des dominants,  avec un volet répressif d’une part et un volet « social » d’autre part, ne reflète pas une « neutralité » de l’Etat. A notre sens le droit étatique, pas plus que l’Etat, ne peut être considéré comme un outil neutre.

Si l’ensemble des composantes du mouvement social réprouve (quoiqu’il y ait hélas des exceptions) le côté répressif du droit bourgeois, au sens où celui-ci sanctifie la propriété privée d’une part et la domination d’autre part, et si le même mouvement social considère aussi généralement que les droits sociaux ne sont et n’ont été obtenus par un rapport de force, la façon d’envisager tactiquement ces droits sociaux diverge néanmoins radicalement. Notamment entre les tenant-e-s de la « transition », s’inspirant de la tradition sociale-démocrate ou léniniste, et les anti-autoritaires, s’inspirant de la tradition anarchiste ou libertaire.

Les droits dits « sociaux » n’ont jamais été conquis que par les luttes, c’est un fait. Un Etat ne décrète de tels droits, débordant de ses prérogatives régaliennes traditionnelles qui sont sa véritable nature (domination armée, judiciaire, fiscale), que s’il est placé malgré lui en situation de devoir faire des concessions, lorsqu’il sent que les fondements mêmes de sa domination vacillent. Que le rapport de force faiblisse, voire s’inverse, et ces droits ne seront pas ou plus appliqués ; ils seront même parfois purement et simplement supprimés. Nous constatons ainsi que l’Etat outrepasse quotidiennement son propre droit en termes de répression, mais rechigne en permanence à appliquer les droits sociaux (logement par exemple). Les attaques régulières de l’Etat ces dernières décennies contre les « droits sociaux » et les « services publics » s’inscrivent dans ce rapport de force. Que ce rapport de force ait tourné à la faveur des dominants et des exploiteurs n’est d’ailleurs pas sans rapport, à mon sens, avec l’accaparement du champ des luttes sociales par une certaine gauche « citoyenne », avec son cortège d’illusions mortelles pour le mouvement social.

On pourrait m’objecter que l’Etat met encore tout de même en oeuvre des droits sociaux bien réels, aidant de fait nombre d’exploité-e-s / dominé-e-s à survivre. C’est un fait indéniable, mais ce qu’il me paraît intéressant de relever ici, c’est justement ce caractère de survie, et non de vie épanouie. Si droit de grève, RSA, planning familial (pour exemple) permettent en effet de rendre la vie moins dure à des millions de gens, ce n’est que pour les maintenir en vie dans l’objectif de continuer à les soumettre, en monopolisant la gestion de ces droits. Il est en effet intéressant de noter que ces droits sociaux préexistent dans les faits. Avant même d’obtenir le « droit » de faire grève, les associations ouvrières occupaient les usines et manifestaient en force. Avant même la sécurité sociale, les syndicats avaient leurs propres caisses de solidarité autonomes pour les grèves, les retraites, les maladies, le chômage, au point qu’au début du siècle, la CGT rejetait la velléité de l’Etat d’en accaparer la gestion. La sécurité sociale de l’après-2ème guerre mondiale a depuis occulté cette réalité historique. Les plannings familiaux ou le droit à l’avortement s’inscrivent eux aussi dans la velléité de l’Etat de monopoliser la gestion de pratiques qui étaient auparavant nées et organisées au sein de collectifs féministes autonomes de lutte. Le « droit de vote », de type représentatif et historiquement défendu par la gauche bourgeoise, s’est inscrit très tôt dans la volonté de briser les fonctionnements égalitaires des mouvances révolutionnaires, qui pratiquaient plutôt le mandat impératif, et où les mandatés, révocables, devaient rendre compte à leurs mandataires. Et ainsi de suite…

Comme l’indique le symbole même de la statue de la justice, le droit est en fait indissociable pour l’Etat d’une sorte d’épée symbolique, inspirant crainte et respect ; mais à un seul tranchant, celui forgé pour tailler dans les opprimé-e-s. L’autre tranchant, celui des responsabilités sociales de l’Etat sensées garantir les opprimé-e-s contre leurs oppresseurs, est toujours assez émoussé pour être rendu inoffensif. Malgré cette évidence historique, cette arme du droit, de la « légitimité » de l’Etat (sans laquelle il ne pourrait se maintenir à long terme, en n’exerçant qu’une simple force brutale de coercition), continue d’exercer un véritable mirage chez nombre de militants politiques, syndicaux et associatifs. Dans ce système généralisé de la dépossession politique, économique et sociale, le droit sert surtout à maintenir l’illusion d’un Etat comme lieu « neutre », lieu de « médiation » universelle, de « dialogue social ». C’est cette illusion de droit qui confère aujourd’hui encore à l’Etat sa légitimité auprès d’un grand nombre d’exploité-e-s et de dominé-e-s, qui se soumettent régulièrement au rituel du vote, croyant qu’il pourrait ressortir des urnes autre chose que la ratification de l’injustice actuelle. Ratifier, légitimer l’injustice systémique, voilà le fondement du système juridique.

Pour nous libertaires, les libertés ne se donnent pas, elles se prennent. Il n’y a rien à attendre de l’Etat dans des négociations, sinon tactiquement, dans la perspective résolue de gagner en force contre sa domination, pour le faire disparaître. En appeler à l’illusion de sa bienveillance et à son arbitrage, c’est retourner cette dynamique contre nous-mêmes. Nous ne sommes pas contre le fait de procéder par étapes, mais si étapes il y a, c’est dans le but précis d’une abolition de la domination, qui définit par ailleurs la nature même de ces étapes.

La conception libertaire de la liberté n’est pas celle du citoyennisme des droits de l’homme riche. Ma liberté ne finit pas là ou commence celle des autres, c’est au contraire là qu’elle commence. Dans le cadre d’une société libertaire, c’est-à-dire débarrassée de la dépossession sociale, économique et politique, débarrassée de rapports sociaux de domination et d’exploitation, et où primeraient autonomie, entraide et possession sociale des moyens de production, plus mon voisin et moi-même serions libres de créer, d’inventer, d’agir et de nous organiser comme nous l’entendrions, plus lui et moi aurions accès aux fruits de l’activité sociale ; plus lui et mois serions libres. Cette proposition, que nos détracteurs qualifient souvent d’utopiste, n’est pas un rêve décliné au futur, dans un horizon sans cesse repoussé de lendemain qui chante. Nous l’expérimentons au quotidien, dans nos luttes, dans nos alternatives en actes, dans nos organisations formelles ou informelles. C’est cette « utopie » en luttes et en actes, qui permet d’ailleurs aujourd’hui à nos détracteurs de bénéficier des maigres droits qu’ils chérissent, concédés à regret par le pouvoir. C’est cette « utopie » qui surgit partout où des gens se rencontrent et s’organisent sans chefs, pour cultiver des terres, créer des réseaux d’échanges de ressources et de savoirs, vivre plus heureux ici et maintenant. Cette « utopie » est celle de la maturité humaine. Pour nous libertaires, l’utopie délirante est celle qui consiste à croire que nous pourrions bénéficier de libertés sans avoir à les susciter, et à lutter pour les défendre. Que nous pourrions continuer indéfiniment à vivre dans ce système de destruction sociale et écologiste qu’est le capitalisme, sans être menacé-e-s à plus ou moins long terme d’extinction de l’humanité et de la planète.

Dès lors, notre droit ne se définit pas par la répression  de la société capitaliste, qui à notre sens n’est que le garant de monopoles économiques, sociaux et politiques qui privent tout le monde des décisions et d’un accès aux ressources. Le droit se comprend selon nous, si tant est qu’on éprouve encore le besoin de parler de « droit », en contractualités libres. Contractualités-repères permettant à tout un chacun de vivre mieux, au sens où ces repères permettent de mieux nous organiser dans nos activités. Nulle sacralisation du droit, du principe idéologique primant sur nos besoins réels. Dans le cadre d’un tel « droit, partant du réel et de nos vécus, il est à tout instant possible de redéfinir ensemble ces règles en fonction des données réelles de nos situations respectives et collectives. La règle n’est pas ce qui interdit et limite, la règle est pour nous, lorsqu’elle est jugée nécessaire, ce qui nous permet de nous régler les uns sur les autres, pour démultiplier nos potentialités respectives et collectives.

C’est le fondement du fédéralisme libertaire, reposant sur l’autonomie de décision et de fonctionnement des individus librement organisés ; sur la subsidiarité, garante de l’autonomie, permettant de faire primer ces fonctionnements locaux sur ceux décidés à l’échelle de groupements humains plus larges, dans une liberté reconnue par tou-te-s d’expérimenter ; mais aussi sur la péréquation, pour qu’il y ait égalité d’accès réel, pour tou-te-s et en fonction des besoins exprimés, aux ressources de l’activité sociale.

Assez donc, de revendiquer des droits auprès des ennemis de notre liberté. Nous ne voulons pas de faux contrats, léonins, dissimulant des inégalités de fait, et légitimant notre soumission. Nos contractualités doivent au contraire nous permettre à tou-te-s de nous épanouir, dans nos diversités, et même nos divergences.

Les droits sont nôtres, ou ne sont pas.

Juanito, Pavillon Noir (Fédération Anarchiste 86).

[Valdivienne – 86] Buroform passe officiellement en SCOP

NdPN : pour Arfeo Buroform à Valdivienne, la longue démarche juridique de reprise de leur boîte par les salarié-e-s menacé-e-s de chômage a enfin abouti. Nous avions déjà parlé sur ce blog de cette lutte et nous réjouissons donc de son issue. La boîte, qui conçoit des aménagements de bureau, continuera donc à tourner, avec des salarié-e-s qui décideront. Bien sûr, ce n’est pas non plus l’anarchie ! Restent en effet des différences de rémunérations, une latitude à décider des personnes nommés à la direction, sans parler de l’inscription dans les exigences d’un marché capitaliste aux antipodes du fédéralisme libertaire. Mais cette dynamique autogestionnaire montre tout de même une autre piste que celle suivie par nombre de de salarié-e-s menacé-e-s de licenciements, sur une position plus défensive consistant à sauver les pots cassés en se contentant d’indemnités. Ici, l’outil de travail est repris par les salarié-e-s ; occasion d’un prélude à d’autres luttes et à d’autres pratiques communes ? Nous l’espérons et souhaitons du courage aux salarié-e-s.

Buroform : c’est reparti

Le tribunal a entériné hier le projet de SCOP. 89 emplois seront sauvés à Valdivienne.

C’est la décision qu’on attendait mais c’est malgré tout un sacré soulagement pour les salariés de Buroform à Valdivienne et, dans une moindre mesure, pour leurs collègues d’Arfeo à Château-Gontier (Mayenne) : le tribunal de commerce de Poitiers a entériné hier le plan de reprise sous forme de Société coopérative et participative (SCOP) du groupe Arfeo, spécialisé dans le mobilier de bureau.

Hier après-midi Sophie Mussche, responsable du site de Valdivienne, Alain Tullio, représentant CGT du personnel, et Thierry Melot, secrétaire du comité d’entreprise, ont fait le déplacement à Poitiers pour entendre la bonne nouvelle.

1,8 million de commandes en attente

Dès lundi, la Société nouvelle Arféo-Buroform va pouvoir entamer sa marche vers un redémarrage complet. Première étape, explique la directrice du site de Valdivienne, Sophie Mussche : acheter sans tarder la matière première qui va permettre de faire face aux commandes : il y en a pour 1,8 million en attente sur les carnets des deux usines. Le soutien des banques et des pouvoirs publics (le conseil général de la Mayenne notamment, qui s’engage financièrement) s’est avéré décisif pour emporter la conviction des juges. Il devrait également permettre de débloquer les relations avec les fournisseurs de matière première, dont l’absence entravait jusqu’à hier le fonctionnement des chaînes de fabrication.

Élections la semaine prochaine

Parallèlement, la nouvelle SCOP, baptisée Société nouvelle Arfeo Buroform, va s’employer la semaine prochaine à élire son Comité de direction. Actuel directeur général d’Arféo et porteur du projet de reprise, Michel Moinet devrait en toute logique être désigné président. A Valdivienne, 89 des 107 emplois actuels devraient être sauvegardés. C’est l’administrateur judiciaire qui aura la charge de gérer le Plan de sauvegarde des emplois, beaucoup plus sévère à Château-Gontier, où 122 des 205 emplois seront sauvegardés. A l’heure actuelle, la quasi-totalité des salariés de Château-Gontier et 70 de ceux de Valdivienne ont fait part de leur désir d’adhérer à la coopérative.

Vincent Buche, Nouvelle République, 19 janvier 2012