[Prison de Vivonne] Menaces sur l’atelier de socio-esthétique

La socio-esthéticienne aux petits soins pour les détenues

Malgré son attrait, l’atelier de socio-esthétique du centre pénitentiaire de Vivonne pourrait être remis en cause en raison d’un problème de financement.

Centre pénitentiaire de Vivonne. Avec 35 détenues, le quartier réservé aux femmes dépasse sa capacité d’accueil théorique (1). Ce mardi, le passage pour certaines d’entre elles dans l’atelier de socio-esthétique représente une véritable bouffée d’oxygène.

«  Le fait de prendre soin de soi est essentiel quand on est privé de liberté  »

Animés par « la volonté de proposer des choses différentes sur le plan culturel et social », Virginie Maurane, de la direction du SPIP (2), chargée de mettre en place des activités socio-éducatives au sein de l’établissement carcéral, et Patrick Genty, directeur du pôle insertion de l’UDAF (3), constate le succès de cette action confiée à Marie (4), « une professionnelle formée à l’approche psychologique des personnes en souffrance et qui utilise l’outil esthétique pour entrer en relation avec ce public fragilisé. » Pour les volontaires, la matinée est rythmée par des séances individuelles (soin du visage, beauté des mains et des pieds, maquillage, conseils personnalisés) et l’après-midi par des ateliers collectifs. « Les détenues s’entraînent à se faire des soins entre elles afin de pouvoir reproduire ce geste en détention, continue Mme Maurane. Pour chacune d’elle, l’objectif est de revaloriser son image et préparer sa sortie. Le fait de prendre soin de soi est essentiel quand on est privé de liberté. Pour les femmes, la relation au corps est difficile en détention. » « L’effet est sur le physique mais également sur le moral », assure Patrick Genty. Le responsable du quartier des femmes ajoute : « Quand on va voir ses enfants au parloir, on a envie de montrer qu’on est bien ».

Un budget de 5.000 €

Mais ces deux journées mensuelles ont un coût (5.000 € sur l’année selon Virginie Maurane) supporté par l’administration pénitentiaire et le SGAR (5). « Là, nous n’avons pas pu obtenir la subvention du SGAR qui a décidé de valoriser les projets en relation avec les formations professionnelles, regrette Patrick Genty. Il faut trouver d’autres possibilités de financement pour maintenir l’activité sinon ce sera son arrêt. » Préjudiciable aux détenues, forcément.

(1) 20 en maison d’arrêt et 15 en centre de détention. (2) Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation. (3) Union Départementales des Associations Familiales. (4) Le prénom a été modifié. (5) Secrétaire Général pour l’Administration Générale.

en savoir plus

 » Ici, elles se retrouvent en tant que femmes « 

Depuis janvier 2011, Marie (1) s’installe deux journées par mois avec son matériel dans la salle de coiffure transformée en atelier de socioesthétique. « Vous voyez, l’endroit a été aménagé et décoré pour être suffisamment accueillant pour les détenues. Et je mets un fond musical assez relaxant. Le but, c’est de retrouver l’estime de soi avec l’ambition de faciliter une meilleure insertion sociale des détenues à leur sortie. Cet atelier représente aussi un moyen de renouer avec leurs corps meurtris par l’enfermement. En fait, je suis surprise par les ressources intérieures dont elles disposent. Je m’attendais à rencontrer des femmes dépressives. Or, quand elles viennent, l’échange s’instaure, elles arrivent à rire entre elles. Ici, elles se retrouvent en tant que femmes, c’est très important ».

(1) Le prénom a été changé.

Nouvelle République, Jean-François Rullier, 12 septembre 2012

[Dissay – 86] Fermeture d’U3PPP : les salarié-e-s promettent des « actions dures » si leurs revendications ne sont pas entendues

U3PPP à Dissay : les salariés ne veulent pas couler

Le fabricant marseillais de coque polyester de piscine a décidé de fermer l’unité de Dissay. Mais les salariés ne l’acceptent pas. Ils se battront.

Les vingt salariés de l’usine U3PPP à Dissay, appartenant au groupe Gérard Andréi, sont reçus individuellement à partir d’aujourd’hui – et ce jusqu’à vendredi –, par le directeur financier, dans le cadre de l’entretien préalable de licenciement.

«  Une prime supra légale de 15.000 euros  » pour chaque salarié

Le fabricant marseillais de coque polyester de piscine, PGGA (*) qui compte sept usines en France, a décidé de fermer celle de Dissay. Motif invoqué : la société U3PPP apparaît comme le « maillon faible » selon la direction qui a livré aux employés de la Vienne le scénario d’un film noir. Le groupe serait en surcapacité de production face à une concurrence de plus en plus difficile à soutenir. L’usine disséenne serait en perte de chiffre d’affaires d’environ 50 % sur une période de cinq ans. Il y va donc de la pérennité de l’entreprise si la situation reste en l’état. Le groupe marseillais a donc décidé de transférer l’activité de production de l’unité de Dissay vers des sites voisins. Et de proposer des mutations. Les employés d’U3PPP, « effondrés » par cette mesure, ont écrit à Gérard Andréi pour lui rappeler que leur usine a été « pilote » de beaucoup de produits et procédés « dont le reste du groupe a profité sans en supporter le coût des essais. » Des essais pénalisant l’usine qui doit supporter, seule, le coût du service après vente. Touchées mais pas coulées, les vingt personnes refusent de porter le chapeau : « Nous ne sommes pas responsables de la fermeture de notre usine, c’est une mauvaise gestion qui nous y amène », écrivent-ils à la direction du groupe marseillais. « Ce n’est pas à nous de payer les pots cassés. » Les salariés de l’U3PPP demandent la mise en place, en plus des indemnités légales, « d’une prime supra légale de 15.000 euros » pour chacun d’entre eux. Car la dizaine de postes proposés au sein du groupe ne les intéresse pas. Ils promettent des « actions dures » s’ils n’ont pas gain de cause.

(*) Piscines Groupe Gérard Andréi.

Nouvelle République, Didier Monteil, 12 septembre 2012

[Jouhet – 86] Un artiste menacé d’expulsion

NdPN : Décidément, le changement c’est pas pour maintenant ! L’Etat continue à briser des vies et des familles entières. Le site de soutien à Keith et la page sur comment l’aider, où se trouve aussi son mail. Courage à lui et à ses proches. Solidarité avec tou-te-s les expulsables !

Le peintre Keith Donovan menacé d’expulsion de France

Installé à Jouhet, l’artiste-peintre canadien Keith Donovan est sous le coup d’un arrêté d’expulsion. Il conteste cette mesure qu’il peine à comprendre.

Keith Donovan et sa compagne Mila Weissweiler dans son atelier à Jouhet. Installé en Europe depuis trente ans, il n’a plus de famille au Canada.

La vie de Keith Donovan vient de basculer dans un autre monde. Cet artiste peintre installé dans le village de Jouhet peut, théoriquement, être arrêté, placé en rétention administrative et expulsé vers son pays d’origine, le Canada.

Une situation qui relève du cauchemar pour cet homme paisible de 60 ans, arrivé en Suisse il y a trente ans, installé en France depuis 1997. À l’époque, ses œuvres avaient été remarquées par la Fondation de France qui l’avait invité à travailler à la Cité des arts. Deux ans plus tard, le peintre avait décidé de poser ses valises à Paris. En 2004, il achète une maison et installe son atelier à Jouhet, avec son épouse britannique d’alors. Son activité est inscrite au registre du commerce, il vit de la vente de ses œuvres. « J’avais appelé la préfecture de la Vienne pour demander un titre de séjour, mais on m’a répondu que ce n’était pas nécessaire, compte tenu de ma nationalité, de mon mariage et de ma situation fiscale. » En 2007, le couple se sépare. Keith reste à Jouhet en attendant la vente de la maison, qui n’arrive pas. Mais en décembre 2008, le ciel lui tombe sur la tête, lors d’un voyage en Angleterre : « J’allais passer Noël chez une amie ». A l’aéroport de Stansted, son passeport canadien est refusé : « Leurs règles venaient de se durcir : je n’avais pas de titre de séjour pour prouver que j’étais en règle en France ». Aujourd’hui encore, il en parle la gorge serrée : « J’ai passé la nuit dans une sorte de prison, sans même avoir le droit de prendre un cachet d’aspirine. » Il est refoulé dès le lendemain. A son retour en France, sa mésaventure n’intéresse guère les douaniers. Keith entreprend les démarches pour se mettre en règle. Sa première demande, en janvier 2009, est acceptée. Mais un an plus tard, le renouvellement du titre de séjour est refusé, faute de communauté de vie avec son épouse. Le divorce est d’ailleurs impossible, « la procédure étant suspendue à l’obtention d’un titre de séjour. » Le 24 août dernier, il reçoit un arrêté préfectoral qui l’oblige à quitter le territoire dans les 30 jours. Le Canada, c’est le rêve de milliers de candidats à l’émigration. Mais Keith n’y a plus d’attaches : « Mes parents sont décédés il y a dix ans, toute ma vie est ici ».

«  Toute ma vie est ici  »

Une décision incompréhensible pour son amie Mila Weissweiler : « La préfecture ne reconnaît pas sa présence en France avant 2004 car son passeport n’avait pas été tamponné entre la Suisse et la France en 1997 ». Elle a le sentiment d’être victime de leur bonne foi : « Si on n’avait pas fait de demande de titre, ils ne seraient jamais venus le chercher ! » L’avocate de Keith Donovan va contester l’arrêté devant le tribunal administratif. Le couple se raccroche aujourd’hui à cette procédure et à l’espoir d’obtenir enfin un titre de séjour. En attendant, Keith va essayer de se remettre au travail : un tableau commandé pour le hall d’un immeuble à Genève.

réactions

Nombreux messages de soutien

Près de 70 personnes ont signé la pétition en ligne sur le site www.soutenir-keith.com. De nombreux messages de soutien ont été écrits, parmi lesquels les trois suivants. Jacques Bouloux, maire de Jouhet. « Keith Donovan s’est parfaitement intégré et fait l’unanimité autour de lui. Il participe à la vie associative et n’hésite pas à aider et donner de son temps aux personnes âgées qu’il côtoie et à l’occasion sert d’interprète auprès d’autres résidents anglophones. Je souhaite que l’ordre d’expulsion du territoire français émis à son encontre soit annulé et que son dossier de demande de carte de séjour soit réexaminé. » Fabrice Granger, voisin. « Je connais Keith Donovan depuis son installation dans le village en 2004. En qualité de voisin, d’ami et je pourrais quasiment ajouter de parent tant il est proche de ma mère et moi-même. Outre le fait qu’il ait été présent lors de moments tragiques de nos existences, nous apportant son soutien moral, il égaie nos vies, comme celles de bon nombre de voisins ou de gens de tous horizons, avec sa joie de vivre, son goût pour la bonne table, son immense amour pour l’art et son érudition. Il porte haut les couleurs de la France qui devrait se vanter d’avoir en son sein quelqu’un de bien. » Claude-Hubert Tatot, enseignant à la Haute école d’art et de design de Genève. « Être artiste ne donne aucun droit supplémentaire au regard de la loi, pourtant par sa présence sur le territoire et par son travail Keith Donovan contribue à l’enrichissement et au rayonnement d’une nation qui se disant attentive aux arts et aux lettres devrait aussi être attentive à une requête aussi légitime que simple à satisfaire : laisser Keith Donovan faire ce qu’il fait depuis tant années, vivre et travailler en France. »

Nouvelle République, Sébastien Kerouanton, 11 septembre 2012

[LGV Poitiers-Limoges] « Il faut tout arrêter ! »

NdPN : Si vous avez des nouvelles sur les dates des prochaines manifs pour enterrer ce projet fumeux, n’hésitez pas à nous écrire et on diffusera.

LGV Poitiers-Limoges :  » Il faut tout arrêter ! « 

Selon les opposants à la ligne à grande vitesse entre Poitiers et Limoges la période est particulièrement propice à un enterrement politique du projet.

Le Collectif « Non à LGV Poitiers-Limoges » n’a pas été démobilisé pendant l’été. Hier, son président Nicolas Bourmeyster et les membres du bureau ont fait le point sur le projet de ligne à grande vitesse entre les deux capitales régionales qu’ils dénoncent depuis trois ans. Et notamment sur une décision lourde de sens, selon eux : « Le gouvernement a dit qu’il allait remettre à plat les 14 projets de ligne à grande vitesse en France et déterminer lesquels sont prioritaires, explique le collectif. C’est donc le moment idéal pour prendre la décision d’arrêter carrément le projet entre Poitiers et Limoges. »

Les opposants ne s’appesantissent pas sur les arguments qu’ils ressassent depuis 2009 « sur l’inutilité de ce projet en matière écologique, économique, ou d’aménagement du territoire ». Ils préfèrent se concentrer sur l’argument du coût. « Sous-estimé depuis le début par Réseau Ferré de France aux alentours de 1,3 milliard d’euros, son montant total dépassera largement les deux milliards en 2017, assure Nicolas Bourmeyster. Plusieurs collectivités locales ont d’ores et déjà dit qu’elles n’auront pas les moyens de participer à son financement. Et il ne faut pas non plus compter sur un partenariat public/privé, un système décrié par la nouvelle majorité gouvernementale. Il ne reste donc qu’un opérateur capable de le financer, c’est l’État lui-même. » Comme l’heure est plutôt aux économies budgétaires du côté de l’Élysée et de Matignon, les opposants espèrent un enterrement politique du projet. « Mais il subsiste le risque d’une décision strictement politique, prise par un président de la République dont on connaît les attaches limousines », notent-ils. C’est sur ce thème qu’ils vont organiser des manifestations dans les semaines qui viennent et qu’ils vont écrire aux parlementaires de la Vienne, « ainsi qu’aux élus de l’Indre et de la Creuse concernés par les projets alternatifs POCL et POLT (NDLR. : Paris-Orléans-Clermont-Lyon et Paris-Orléans-Limoges-Toulouse) ».

Nouvelle République, Philippe Bonnet, 11 septembre 2012

[Le Chefresne] Un article sur la THT

NdPN : Bastamag revient sur la lutte locale contre la ligne à très haute tension (THT), destinée à transporter l’énergie produite par le futur réacteur nucléaire EPR de Flamanville. Alors même que les EPR viennent d’être rejetés aux Etats-Unis (dans le silence radio des médias français) et que le chantier EPR s’enlise, à Flamanville comme ailleurs dans le monde, l’Etat s’obstine à imposer ses autoroutes électriques nuisibles, et tombe le masque : répressions, violences physiques et menaces, procès ubuesques, « lois » bafouées, sommes colossales versées aux élus pour acheter le silence. La lutte continue.

Ligne THT : ce petit village normand qui résiste encore à l’autoroute de l’électricité

Rien n’arrête « le progrès ». Surtout pas un maire entêté, une poignée de paysans désespérés, des riverains désenchantés et quelques dizaines de militants écolos non violents. L’autoroute de l’électricité, qui reliera le réacteur nucléaire EPR de Flamanville, dans la Manche, à l’agglomération rennaise, continue sa progression, inexorablement. A coup de pressions, de répressions et de millions pour acheter l’opposition. Reportage à Chefresne, en Normandie, dernier bastion de la résistance à la ligne THT.

Une autoroute de l’électricité. Deux fois 400.000 volts. 420 pylônes sur 163 kilomètres. La ligne doit acheminer l’électricité produite par le futur réacteur nucléaire de Flamanville, dans la Manche, jusqu’à l’agglomération rennaise. Parmi les 64 communes concernées par le tracé prévu par RTE, la filiale d’EDF chargée du transport d’électricité, la commune de Chefresne dans la Manche résiste à cette ligne Très Haute Tension (THT), empêchant la poursuite des travaux.

Ce dimanche matin, les opposants à la construction de la ligne THT ont rendez-vous dans ce petit village de 310 habitants, au milieu des collines, des haies et des prés. Les opposants au projet occupent depuis mars le bois de la Bévinière, situé sur le tracé. Des plateformes, posées à une dizaine de mètres de hauteur, entourent deux arbres. Au sol, des bâches, des panneaux, une toile de tente, une cabane. Et un escabeau sur lequel on grimpe pour apercevoir, à travers les feuillages et les ronces, les trois pylônes électriques qui se dressent à l’horizon.

Au menu de l’assemblée générale, des nouvelles des « copains », blessés lors d’affrontements avec les forces de l’ordre, à la fin du mois de juin, dans la commune voisine de Montabot. Lors d’un week-end de « résistance », en réaction à des provocations de certains opposants, des grenades explosives « assourdissantes » ont été utilisées par les forces de l’ordre. « Normalement, ces grenades sont lancées au sol, pour disperser la manifestation, explique un jeune. Là, elles étaient lancées en tir tendu, vers nos têtes. »

Marquer les corps et les esprits

Bilan de l’affrontement : 25 blessés, dont deux graves. La plupart ont reçu des éclats de plastiques ou de métaux provenant des grenades. Et les blessés auraient attendu les secours pendant une heure : le véhicule médicalisé était bloqué par les gendarmes à une dizaine de mètres du camp [1]. Une force disproportionnée, pour marquer les corps et les esprits. Car depuis six ans, des riverains luttent pour éviter la construction de la ligne THT. A coup de procédures judiciaires, de recours devant le Conseil d’État et d’arrêtés municipaux.

Jean-Claude Bossard était, jusqu’au mois de mai, maire du Chefresne. En 2008, il a rédigé, avec son conseil municipal, un arrêté de police afin de prévenir des risques sur la santé de ses habitants. « En tant que maire, nous avons l’obligation de protéger nos habitants », explique-t-il. Le Maire du Chefresne a notamment invoqué la Charte de l’environnement, à valeur constitutionnelle, pour interdire la construction de la ligne à moins de 500 mètres des habitations et 300 mètres des stabulations. Dans la foulée, 45 communes (sur les 64 impactées par le tracé de la THT) suivent cet exemple. Réponse des tribunaux administratifs : c’est l’État et non le maire qui est compétent dans ce domaine. Tous les arrêtés municipaux sont cassés.

Rondes d’hélicoptères et contrôles policiers

Tous, sauf un. Celui du Chefresne. « Le délai de deux mois était dépassé quand la préfecture s’en est rendu compte », raconte Jean-Claude Bossard. Le maire peut alors invoquer son arrêté municipal, quand les travaux sont entamés, début juin. Écharpe autour du cou, le maire se fait alors arrêter pour obstruction de la voie publique. Il est placé en garde à vue et subit 12 heures d’interrogatoire. « Ce qu’on voulait, c’était me mettre la pression. » Il est aussi considéré comme le chef de fil des opposants au projet. C’est lui le propriétaire du bois de la Bévinière, que la ligne doit traverser et qui est occupé par les opposants (voir la vidéo de l’arrestation).

Anti-THT : le maire du Chefresne (50) en garde à… par france3bassenormandie_845

Jean-Claude Bossard et sa famille subissent une pression policière de plus en plus pesante. Au bout de son chemin, les gendarmes stationnent et les contrôlent presque à chaque passage, de jour comme de nuit. Dans le ciel, un hélicoptère effectue régulièrement des rondes. « Lors d’une fête de famille, les gendarmes sont venus contrôler tout le monde, à cinq estafettes, et un hélicoptère au-dessus de nous », raconte-t-il. Il a également reçu des menaces de mort : « On m’a dit qu’on allait s’occuper de mon cas. »

100 millions d’euros pour acheter l’opposition

Suite à son arrestation, le maire de Chefresne a décidé de démissionner. Par solidarité, son conseil municipal l’a suivi, excepté un conseiller. De nouvelles élections municipales se sont déroulées le 9 septembre. Les nouveaux élus pourront décider de continuer l’opposition à la ligne THT. Ou accepter la grosse subvention allouée par RTE, en contrepartie des « dommages » esthétiques et matériels provoqués par la ligne. Dans le cadre du Plan d’accompagnement au projet (PAP), le Chefresne s’est vu proposer près de 200.000 euros contre l’acceptation de la ligne. Une somme énorme pour une commune dont le budget annuel avoisine les 150 000 euros. « Nous avons réuni la population, lors d’une de nos réunions de démocratie participative qui précèdent les conseils municipaux », relate Jean-Claude Bossard. La somme a été refusée.

Le Chefresne décide alors de monter un projet alternatif, et d’installer des panneaux photovoltaïques sur l’église du village. Une garantie de vente d’électricité de 200 000 euros, répartie sur 20 ans. Sur les 45 communes qui étaient opposées au lancement du projet, seules cinq ont refusé les subventions PAP. « On la surnomme la ligne T’es acheté », souligne Jean-Claude Bossard. Au total, 100 millions d’euros sont distribués par RTE, pour faire accepter le projet. Soit environ 50% du coût de construction de la ligne [2]. Dans le langage de l’entreprise, ce sont des « mesures de réduction ou de compensation des impacts du projet sur l’environnement ». Mais l’environnement ne signifie pas la santé de l’homme. Pas question, pour RTE, d’évoquer ou de reconnaître le moindre souci sur la santé des humains.

Des champs magnétiques dangereux pour la santé ?

« Pourquoi dépenser autant d’argent s’il n’y a pas de dangers sanitaires ?, s’interroge Jean-Claude Bossard. Depuis le début, nous réclamons une étude épidémiologique sur les effets de la THT. » En France, une telle étude n’a jamais été réalisée. Les conclusions de l’enquête publique, en 2006, appelaient à la réalisation d’une étude épidémiologique. Mais le projet a ensuite été déclaré d’utilité publique. Et les conséquences sanitaires de la THT sont devenues secondaires…

RTE tente de rassurer : « Après plus de trente ans de recherche, la position de la communauté scientifique est claire, les champs électromagnétiques générés par les lignes à haute tension n’ont pas d’impact prouvé sur la santé humaine », affirment Philippe Rémy, directeur du Projet Cotentin-Maine et Jean-Michel Ehlinger, directeur d’aménagement [3]. RTE entreprend d’ailleurs de casser les « idées reçues » dans de petits clips vidéos, sur son site internet La Clef des Champs.

clefdeschamps.info : tout sur les champs… by rte_france

Des informations contredites par des spécialistes des ondes électromagnétiques. Les appareils électroménagers émettent des champs semblables à ceux de la ligne ? « Contrairement aux lignes électriques, nous ne passons pas 24h sur 24 à proximité du rasoir, de la cafetière ou du grille-pain, explique Catherine Gouhier, secrétaire du Centre de recherche et d’information indépendantes sur les rayonnements électromagnétiques  (Criirem). L’OMS déclare que « les champs magnétiques induits d’extrêmement basse fréquence [sont] potentiellement cancérigènes », note Catherine Gouhier. Et « l’exposition aux lignes électriques est passive et sur une longue durée. »

Des agriculteurs soumis à une clause de confidentialité

En 2008, le Criirem a réalisé une enquête sur les effets de la THT, en étudiant les conditions de vie de riverains d’une ligne. 2000 foyers répartis sur 160 communes ont été interrogés. Irritabilité, état dépressif, vertiges, maux de tête, sommeil perturbé… La santé de ceux qui vivent à proximité des lignes est impactée. Les exploitations agricoles sont elles aussi touchées : « Quatre fois plus de nervosité et trois fois plus d’hésitation chez les bovins, comportements de fuite, deux fois plus d’irrégularité de production laitière » à proximité des lignes que dans une zone non exposée (lire l’enquête).

Thierry Charuel est un agriculteur spécialisé dans la production de lait, au Mesnil Thébault, dans le sud de la Manche. Son enclos de vaches laitières est situé à 60 mètres d’une ligne THT de 400.000 volts, construite au début des années 80. Défaillance de son robot de traite, inflammations mammaires, cellules dans le lait rendant sa consommation impossible, problèmes de reproduction : l’agriculteur estime être touché de plein fouet par les courants électriques qui partent de la ligne THT. Il évalue ses pertes à 50 000 euros par an.

En 2004,  dans le cadre du Groupe permanent sur la sécurité électrique (GPSE [4]), mis en place par le ministère de l’Agriculture pour accompagner les éleveurs, il fait appel à RTE pour adapter son bâtiment. L’entreprise lui conseille des aménagements, comme l’isolation des sols pour éviter les remontées de courant ou l’installation d’une cage de Faraday, une enceinte qui protège des nuisances électriques. Il reçoit plusieurs centaines de milliers d’euros, entre 2004 et 2010, pour les travaux d’aménagement. Mais en signant cette convention avec RTE, l’agriculteur est contraint d’accepter une clause de confidentialité. Laquelle l’empêchait de  communiquer l’existence des problèmes sanitaires sur les animaux… sans autorisation de RTE. L’argent contre le silence.

Suicides, liquidations judiciaires, pressions

A partir de 2010, le GPSE a progressivement disparu. Et les aides se sont évanouies, constate Thierry Charuel, qui a décidé d’attaquer RTE en justice. « Si RTE m’avait dit, en 2003, que l’ensemble des problèmes ne serait pas réglé, on aurait construit ailleurs, et pas à cet endroit, » assure l’agriculteur. « Tout est fait pour nous faire craquer, ajoute-t-il. RTE trouve sans cesse une nouvelle faille pour nous faire porter la responsabilité des pertes d’exploitation. »

Si tous n’osent pas aller sur le terrain judiciaire, de nombreux agriculteurs sont dans le même cas que Thierry Charuel. Certains sont placés en liquidation judiciaire, d’autres sont contraints d’arrêter. Quelques-uns mettent fin à leurs jours, explique François Dufour, exploitant agricole et vice-président (EELV) de la Région Basse-Normandie [5]. « D’autres n’ont pas établi le lien direct entre la proximité de la ligne THT et les différents problèmes qu’ils rencontrent sur leur troupeau », écrit-il. Beaucoup, aussi, n’osent pas faire part de leurs difficultés.

« On se sent méprisés »

« Si les animaux sont malades, pourquoi les hommes n’auraient-ils aucun problème ? », s’interroge Marie-Laure Primois, dont la maison et la ferme seront entourées de huit futurs pylônes. Elle a toujours refusé de donner son accord à RTE. « On se sent méprisés, pas écoutés. Nous avons rempli deux cahiers pour l’enquête publique qui précédait la mise en servitude (la possibilité pour RTE d’intervenir sur des terrains privés). Nous n’avons jamais eu les conclusions de l’enquête publique. » La veille de la manifestation de Montabot, des hélicoptères n’ont pas cessé de survoler leur maison.

La pression policière, Stéphane Godreuil la subit depuis plusieurs mois déjà. Il habite à quelques encablures du bois de la Bévinière. Et à 110 mètres d’un pylône. L’armature de métal se dresse en surplomb de sa maison. Un autre pylône devrait bientôt sortir de terre à une centaine de mètres. La future ligne traversera son terrain. Les arbres ont dû être abattus. Son épouse souffre d’un cancer. Le professeur qui la suit lui a simplement conseillé de partir, « de se trouver un petit coin tranquille », afin d’éviter l’impact moral et physique de la ligne.

« Les gendarmes nous épient avec des jumelles »

Le couple a donc décidé de mettre en vente leur maison. A moins de 100 mètres, RTE leur aurait racheté leur bien, revendu ensuite en dessous des prix du marché, à de nouveaux propriétaires s’engageant à ne pas poursuivre l’entreprise pour d’éventuels problèmes sanitaires. Mais le tracé de la ligne a été pensé pour racheter un minimum de maisons. A 110 mètres, donc, le couple doit se débrouiller. « Du fait de la présence de la ligne, le prix de vente est déjà inférieur de 30% à la valeur de la maison », indique Stéphane Godreuil. Les acheteurs potentiels sont prévenus par l’agent immobilier. Quand ceux qui sont tout de même intéressés découvrent le pylône, la plupart repartent sans visiter.

Quand Stéphane Godreuil s’approche du pylône pour entretenir son terrain, les gendarmes débarquent illico. Ils sont alertés par les sociétés de surveillance, embauchés par RTE pour protéger les pylônes. « On est étroitement surveillés, raconte-t-il. Au début, on rigolait des contrôles des gendarmes. Puis c’est devenu gênant quand on s’est aperçu qu’on nous épiait avec des jumelles. On nous met la pression. » La veille de la manifestation, les gendarmes sont venus le voir pour essayer de lui soutirer des informations. « Ils m’ont déconseillé d’y aller, me disant qu’ils allaient procéder à des arrestations, que les sanctions seraient lourdes », raconte-t-il.

Déboulonner ou scier les pylônes

De semaine en semaine, la répression s’intensifie. Une liste de 16 supposés « leaders » de la contestation circulerait parmi les forces de l’ordre. De plus en plus d’opposants sont déférés en justice. Trois personnes, citées dans un article de journal, ont été perquisitionnées. Et une ordonnance punit tout rassemblement auprès d’un pylône d’une astreinte de 2000 euros par heure et par personne. Les actions symboliques sont donc rendues très difficiles.

A la place, les sabotages se multiplient. Déboulonner les pylônes – quand RTE ne les a pas soudés. Ou scier les bras de fer. Des moyens de faire perdre de l’argent à la filiale d’EDF pour espérer être entendus. « Les coûts aujourd’hui constatés restent marginaux par rapport au coût global du projet, assure RTE. Ils ne sont pas de nature à déséquilibrer l’économie du projet. » Mais pour que la construction continue, il faudra traverser le bois, déloger les opposants du haut des plateformes. Une dernière bataille, pour l’honneur, avant que l’autoroute de l’électricité ne poursuive son chemin. Sauf contre-ordre de l’État. Craignant des affrontements avec les forces de l’ordre, les opposants ont décidé, début septembre, de ne plus occuper le bois que de façon symbolique, mais d’arrêter d’y vivre.

Notes

[1] Lors du procès d’un militant accusé d’avoir blessé un gendarme mobile, l’urgentiste régulateur du Samu qui est intervenu ce jour-là a également décrit les demandes répétées d’identités des victimes par la préfecture.

[2] Le coût total du projet est de 343 millions d’euros, comprenant 200 millions d’euros pour la construction de la ligne, 47 millions d’euros pour la construction des deux postes électriques, 96 millions d’euros de mesures de réduction ou de compensation des impacts du projet sur l’environnement (aménagements paysagers, plantations complémentaires, mises en souterrain de lignes électriques de tensions inférieures… .

[3] RTE a accepté de répondre à nos questions, mais par courriel, faute de temps…

[4] Créé en 1999, le GPSE a permis de compenser les pertes des agriculteurs touchés par la ligne THT. Cette initiative permet de financer les travaux d’aménagement, d’assurer un suivi sanitaire et de compenser les pertes d’exploitations

[5] Lettre adressée à plusieurs ministres, le 18 juin 2012

Simon Gouin, Bastamag, 10 septembre 2012