Homophobie de l’Eglise catho, complaisance du gouvernement

Le cardinal Barbarin s’oppose violemment au mariage gay

Le cardinal Philippe Barbarin exprime sa farouche opposition au mariage gay. Dans une interview réalisée ce vendredi à des médias locaux, l’archevêque de Lyon y voit une « rupture de société » qui ouvrirait la voie à la polygamie et à l’inceste.

Pour le cardinal Barbarin, le mariage gay ne serait qu’une étape. Ensuite ? « Après, ils vont vouloir faire des couples à trois ou à quatre. Après, un jour peut-être, l’interdiction de l’inceste tombera », explique l’archevêque de Lyon à la radio RCF et à la chaîne TLM. Vive la connerie humaine non ??? Un point de vue qui rejoint celui exprimé en début de semaine par plusieurs maires de communes qui ont annoncé qu’ils ne célèbreraient pas ces mariages « non-conformes aux lois de la nature ».

Dans un entretien publié mardi dans le quotidien catholique La Croix, la ministre de la Justice a présenté son projet de loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels. Il leur permettra d’adopter « dans les mêmes conditions que les hétérosexuels ».

Blog de Noir Gazier (Fédération Anarchiste Béthune-Arras), 15 septembre 2012

NdPN : les propos insupportables de Barbarin (vidéo ici) sont dans la continuité d’une offensive de l’Eglise catholique à l’encontre du mariage gay et de l’homoparentalité, avec notamment une prière nationale contre le mariage gay le 15 août dernier.

Est-il possible de considérer comme une participation à un « dialogue » tout à fait « normal » les propos d’un cureton amalgamant insidieusement les homos à des pervers incestueux ?

Les réactions du gouvernement semblent montrer que oui ! Au lieu de condamner et de poursuivre ce représentant de l’Eglise pour évidents propos  discriminatoires envers les homosexuel-le-s (ledit curetin disant bien « après, ils voudront faire des couples à trois ou à quatre »), on est parti dans la bonne vieille alliance du sabre et du goupillon !

celle du sinistre de l’intérieur Valls, relayée par Libé :

Manuel Valls, interrogé sur les propos de l’archevêque de Lyon, a estimé qu’il était de «son droit», «peut-être de son devoir», de donner son opinion, jugeant «normale» la confrontation d’idées sur ce sujet.

– celle de la porte-parole du gouvernement et sinistre du droit des femmes (!), Najat Vallaud-Belkacem, relayée par Lyon Mag :

« Il semble que les propos de Mgr Barbarin aient été pour une large part caricaturés ». Selon elle, le cardinal Barbarin est un « homme de dialogue ».

D’ailleurs, une discrimination demeure puisque, selon les propos (cités dans La Croix) de la garde des Sceaux Christiane Taubira, « Notre projet de loi ne prévoit pas d’élargir l’accès à la procréation médicalement assistée » pour les couples de lesbiennes.

Mêmes droits donc… tout en continuant à dialoguer normalement avec les ennemis de l’égalité des droits d’une part, et en n’accordant pas tous les mêmes droits.

En attendant à Poitiers, SOS tout-petits continue de faire chaque année en novembre ses prières de rue anti-IVG. Alors que les prières de rues de musulmans sont poursuivies, celles des cathos intégristes (disposant pourtant de lieux de prière) sont permises, à Poitiers devant le parvis de Notre-Dame, comme dans de nombreuses autres villes françaises, avec la protection bienveillante des forces de l’ordre.

Luttons contre l’obscurantisme sexiste et homophobe.

Tordères : commune autogérée, mode d’emploi

Tordères : commune autogérée, mode d’emploi

Avec 180 habitants, le petit village de Tordères dans les Pyrénées Orientales s’est fait connaître pour son fonctionnement municipal inhabituel : le pouvoir y est aux villageois, et la démocratie, participative. Une expérience d’auto-gestion discrète mais bien rodée. Interview de la mairesse porte-voix, Maya Lesné.

Tordères est connu pour sa démocratie participative. Comment le projet et l’équipe municipale se sont-ils constitués ?

Aux dernières élections, le maire sortant en avait ras la casquette, et le précédent (qui était resté 14 ans à la mairie), plutôt procédurier et bétonneur, voulait y retourner. On a alors organisé une grande réunion publique, ouverte à tous, même aux enfants et aux ados. On n’a pas réfléchi à qui était de droite, qui était de gauche, même s’il faut bien avouer que la majorité du village vote à gauche. Nous voulions d’abord décider ensemble de ce que nous souhaitions défendre et ensuite déterminer qui serait candidat, disposé à défendre le bien commun et pas ses propres intérêts.

Très vite, des idées essentielles se sont imposées, quant à la constitution de la liste et au fonctionnement de l’équipe municipale : 1. Que la population soit toujours impliquée dans les décisions du conseil municipal. 2. Que la liste ne soit pas exclusivement composée de notables ni de retraités (qui ont souvent soit le temps, soit l’argent – voire les deux), mais de « gens normaux » : hommes et femmes à parts égales, de tous âges, sans exclure les chômeurs, les précaires ni les personnes arrivant de l’étranger.

Comment se sont déroulées les élections ?

Des 20 personnes retenues, seules 11 se sont finalement présentées, afin de pouvoir faire face à la liste adverse malgré le panachage électoral. Nous avons obtenu 86 voix contre 20. Au final, la moyenne d’âge se situe autour de la quarantaine, ce qui n’est pas sans poser problème : beaucoup ont des activités, une famille, alors que la participation au Conseil prend du temps et de l’énergie. J’ai été désignée comme mairesse, tout simplement parce que j’étais au chômage à l’époque et que j’avais donc plus de temps. Il faut aussi dire que je suis assez grande gueule… L’important étant que ça aurait pu être n’importe lequel d’entre nous.

Quelles priorités pour le village ?

« On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste… » C’est l’esprit de notre programme. Plus concrètement, nous avons défini quatre axes primordiaux : 1. Maintenir l’école coûte que coûte. C’est la condition sine qua non pour que le village vive (le quart de la population a moins de 18 ans !), même si ça représente la moitié du budget. 2. Maintenir les emplois municipaux, également coûte que coûte (secrétaire de mairie et employé polyvalent). 3. Entreprendre une grande réflexion sur l’urbanisme, pour réagir à la forte pression foncière venant de Perpignan. En incluant la protection des zones agricoles et naturelles. 4. Continuer à bien vivre ensemble.

Comment les habitants participent-ils à la prise de décision ?

Pour le premier conseil municipal, nous avons envoyé une lettre aux habitants : tous pouvaient s’inscrire dans les commissions municipales et extra-municipales de leur choix. Finalement, parce que c’était trop restrictif et figé, nous avons encore plus ouvert : tous les habitants du village, enfants et adultes confondus, peuvent à tout moment participer à n’importe quelle commission.

Il existe 5 commissions municipales : Travaux, Environnement et Agriculture, Finances, Affaires sociales, Urbanisme. Certaines d’entre elles sont extra-municipales, dont « Tordères en fête », tout à fait intergénérationnelle : de 4 à 90 ans…

Les commissions ont-elles un rôle réel ?

Oui, les trois quarts des décisions fondamentales se prennent là, dans les commissions, qui se tiennent plus ou moins fréquemment. Les décisions ne sont pas actées si la participation est trop faible (en deçà de 5). Dans ce cas, elles sont mises en attente. « Ça ne vous intéresse plus, alors on en reparlera quand nous serons à nouveau mobilisés. » Il n’est pas question de décider à la place de tous. Si l’on nous dit : « C’est aux élus de faire le boulot ! », je réponds : « C’est mieux qu’on s’y mette tous ! » Il est plus sain de prendre une décision à plusieurs, même si c’est plus long, même si le préfet nous engueule à cause des délais. Et puis, il faut bien avouer que cette façon de faire heurte les habitudes des habitants !

Comment s’articulent commissions et conseil municipal ?

Prenons l’exemple de la Commission Travaux, qui remporte un franc succès. Les habitants se réunissent par rue, ou par « quartier ». C’est à eux de lister les problèmes qu’ils rencontrent et d’envisager les solutions (par exemple, mettre du goudron ou de la terre battue…).

Nous, au conseil municipal, on se contente de chercher le pognon et de voir si c’est jouable, en faisant faire des devis, en recueillant des avis d’experts. Ensuite, on présente ce dossier aux habitants, et c’est eux qui décident. Après tout, c’est leurs impôts, c’est à eux de trancher, et tous sont bien conscients des limites financières.

Il est souvent difficile de comprendre le fonctionnement d’un budget municipal…

Il faut reconnaître que la Commission Finances n’a aucun succès. Les gens ne se sentent pas compétents. Pourtant, comprendre le budget de la commune, et son fonctionnement, est primordial. Cette transmission de la gestion administrative et comptable de la commune à la nouvelle équipe est assurée à 80% par le ou la secrétaire de mairie, bien plus que par l’ancien maire. Sans leur compétence, nous serions démunis.

Trop souvent, à l’échelle de la commune, de la ComCom, du département, les budgets et les questions « délicates » font l’objet de réunions officieuses, où l’on débat, questionne, se met d’accord. Puis, au conseil, dans les réunions ouvertes au public, les décisions sont votées en deux minutes. Elles demeurent incompréhensibles pour les non-initiés, ce qui est à mon sens dramatique.

Il n’y a pas d’essoufflement de la participation, sur la longueur ?

Le problème de ce système est lié à l’usure de l’engagement. Une fois passée l’euphorie des débuts, la participation baisse. Il faut aller tous les jours chercher les habitants pour qu’ils participent, ce qui est plus fatigant que flatteur (même si cela témoigne aussi de la confiance faite aux membres du conseil).

Au début, certains ont également redouté « l’attaque des balançoires », c’est-à-dire la participation des plus jeunes aux décisions municipales. Ce qui a poussé ces adultes à s’engager davantage… Et c’est un sacré exercice de transmettre l’information à la fois aux adultes et aux jeunes. Mais cette transmission nous semble primordiale : il faut que les mômes s’emparent de l’histoire de leur village. Même s’ils sont, par nature, un peu conservateurs…

Est-ce compliqué d’être mairesse dans ces conditions ?

En fait, ce fonctionnement est trois fois plus fastoche pour le maire, et gratifiant. C’est vrai que tu es parfois amené à soutenir le projet des autres. Mais tu peux démissionner si ces derniers vont vraiment à l’encontre de ta façon de voir. C’est ce que je ferais si j’étais confrontée à cette situation. Un maire peut se sentir un peu seul ; il doit (ré)apprendre la discussion, la confiance, la discrétion, parce qu’il y a des moments que tu ne partages ni avec le conseil ni avec les commissions, des moments qui te plongent dans l’intimité des familles. Le premier à être appelé, en cas d’événements graves, ce n’est plus le curé, c’est le maire. On pénètre parfois un espace secret, qui doit le rester. Mais cet isolement n’est pas problématique si l’on aime le dialogue et son village.

Votre village fonctionne de façon très collective. Ce qui n’est pas d’usage à l’extérieur…

C’est là que les choses se corsent, à la préfecture, à la ComCom, dans des réunions qui prennent beaucoup de temps et d’énergie. Tu es alors vraiment seul : le fonctionnement n’est plus collectif, comme au village, mais individuel, fait de rapports de force. Quand, en plus, tu es une nana, et jeune, tu t’en ramasses plein la tronche. Dans ce cas, savoir que le village est derrière toi, que tu défends ses décisions, ça donne des forces.

Peux-tu nous donner un exemple d’un combat mené par Tordères ?

Nous avons eu un sacré bras de fer avec le préfet quant au plan de prévention des risques incendies. Tordères est en zone rouge : les assurances sont très élevées (ce qui entraîne une injuste « sélection » sociale) et, si ta maison brûle, tu ne peux pas la reconstruire ! Sans compter que la commune était censée réaliser des travaux délirants vu son budget. À un moment, si l’État prescrit, l’État paye – ou devrait le faire ! Le préfet pensait nous mettre la pression village par village. Mais nous avons monté un collectif, d’abord au sein de la Comcom des Aspres, qui a hérité avec la Résistance d’une forte solidarité. Le collectif compte maintenant 50 mairies et fait tache d’huile dans tout le Midi. Face à ce plan décidé par un technocrate à deux balles, nous demandons une réflexion nationale.

Et qu’en est-il du projet d’éoliennes sur votre territoire ?

C’était un projet de la ComCom. Les grosses communes étaient pour… mais lorsqu’il a été question des petites communes, ça a été une autre histoire ! Nous ne sommes pas contre l’éolien ou le solaire, au contraire. Nous aurions même pu faire abstraction de la dégradation visuelle. Mais nous ne voulions pas d’un projet qui nous était imposé, en toute opacité, avec en lice des grosses boîtes comme Suez et Areva, où l’énergie produite n’était pas réinjectée dans la commune. Le bras de fer a duré deux ans, mais nous avons fini par gagner : le projet a été abandonné.

Un dernier mot ?

Il est fondamental de se donner d’autres idées, d’autres envies, d’autres manières de faire, en regardant notamment ce qui se passe à Marinaleda, un village d’Andalousie1.

1Site du village, en castillan /Page Wikipedia, en français.

Article 11, 14 septembre 2012

Lire aussi cet article de CQFD

Un cahier central dans Libé sur les rencontres anarchistes de Saint-Imier

NdPN : un cahier central dans le Libé de samedi, sur les rencontres internationales de l’anarchisme ayant eu lieu à Saint-Imier (Suisse) :

Libertaires, égalitaires, fraternitaires

En 1872, Saint-Imier accueillait les premiers sympathisants anarchistes.  Pour les 140 ans, le bourg suisse appelait à une remise en ordre des idéaux.  De débats féministes en reprises de Léo Ferré, immersion pour quatre jours  au camping autogéré. 

Saint-Imier, on s’inquiétait un peu : «Y aura-t-il des appels au chaos durant les concerts? » C’est l’une des questions auxquelles les délégués anarchistes ont dû répondre, un brin amusés, lors d’une réunion de préparation à la mairie. Du 8 au 12 août, cette bourgade de 4 800 habitants, située dans le Jura bernois, a vu sa population quasiment doubler en accueillant la Rencontre internationale de l’anarchisme. Tee-shirts griffés du chat hérissé ou du «A» cerclé, drapeaux noirs et rouges arrimés aux bâtiments municipaux, quelques punks à crêtes et à clous, et pas seulement : cet événement inédit pour la grande famille libertaire proposait, ouverts à tous, des débats, des conférences, des ateliers, des spectacles et une éphémère expérience de vie communautaire.

Pour beaucoup assimilé au désordre total, l’anarchisme est avant tout une philosophie politique née au XIXe siècle, qui s’appuie sur des théories et des pratiques antiautoritaires. A la décharge du pékin, cette mouvance se fonde sur la liberté d’association de chaque individu : pas si facile, alors, de s’y retrouver entre les courants de pensée, appartenances et fédérations. Revue des troupes au beau milieu des pâturages helvétiques.

«Pour moi, c’est un système sociétal qui tend vers la perfection, c’est comme une ligne d’horizon sans cesse repoussée», explique Ramón Pino en désignant les cimes des sapins qui dessinent la crête montagneuse au-dessus de Saint-Imier. «Pour y arriver, je suis obligé de me changer : la recherche d’une société égalitaire demande des efforts.» Un idéal, donc, qui rejette les rapports de domination découlant du capitalisme et qui encourage l’autogestion : «L’égalité salariale est difficile à faire admettre à tout le monde, mais un plombier est aussi utile qu’un chirurgien.»

A 65 ans, Ramón Pino fait partie de la vieille garde de la Fédération anarchiste française (FA). «Jeune, j’ai été vacciné par le discours : t’es anar, ça va te passer un jour. Je suis bien content que ça ne soit jamais passé !» Fils de réfugiés politiques espagnols, il est un enfant de l’exil, né à Saint-Denis, en banlieue parisienne, bien loin des Pyrénées. De l’autre côté de cette frontière que son père, Jesus, volontaire dans la colonne Durruti (1), passa à dos d’homme, au tout début de 1939, incapable de marcher à cause des éclats de mortier qui avaient grêlé ses jambes. Petit, Ramón accompagnait le vétéran dans des meetings de soutien aux réfugiés, «où parlait Camus» : «J’ai été étonné, un peu plus tard, en découvrant que tout le monde n’était pas anar en France. Je me suis dit que ça devait être un truc typiquement espagnol.»

Puis, à 16 ou 17 ans, il tombe sur un bouquin de citations de Bakounine. Mikhaïl de son prénom (1814-1876), révolutionnaire d’origine russe et l’un des pères, après le Français Pierre-Joseph Proudhon, du socialisme libertaire. Bakounine est un incontournable de la bibliothèque de l’apprenti anar.

Exclusion de Bakounine

En 1872, la Première Internationale ouvrière – qui porte les idéaux démocratiques et pacifistes nés des Printemps des peuples de 1848 – prend sérieusement l’eau. Début septembre, au congrès de La Haye, Marx fait voter l’exclusion de Bakounine. La rupture entre «autoritaires» et «libertaires» (favorables à l’autonomie des fédérations au sein de l’organisation et qui, par extension, récusent tout rôle de l’Etat, y compris celui d’un Etat ouvrier) est consommée. Bakounine et les siens viennent célébrer leur dissidence dans le Jura suisse, où leurs idées jouissent d’une certaine popularité auprès des petites mains de l’horlogerie. Et c’est à Saint-Imier, les 15 et 16 septembre 1872, que la Première Internationale antiautoritaire tient congrès. Affluent des Espagnols, des Italiens, des Français, des Belges et même des Américains.

Cent quarante ans plus tard, pour fêter cette date clé de «l’institution» anarchiste, les pays d’origine sont plus nombreux encore : Afrique du Sud, Japon, Russie et ex-pays soviétiques, Balkans, UE, Scandinavie, Québec, Etats-Unis et Amérique latine. Ramón Pino fait partie des dizaines de traducteurs bénévoles. Il vient de passer plus d’une heure et demie, casque sur les oreilles, à relayer en français une conférence donnée en espagnol. A peine sorti de son box, Ramón est sollicité pour remettre ça à 20 heures précises, sur Radio Libertaire, la station de la FA, qui retransmet en direct de Saint-Imier. Trois «compañeros» mexicains, la trentaine, vont raconter leur lutte. Durant la pause musicale, Monica précise qu’ils passent à la radio pour la première fois. Impensable, chez eux, que des anars soient interviewés. Le live reprend : l’un des invités dénonce l’appareil répressif, la violence étatique, complice de celle des narcos. Et rappelle que plus de 50% des 112 millions de Mexicains vivent sous le seuil de pauvreté. Le studio a élu domicile à l’Espace noir, lieu alternatif de Saint-Imier, l’un des relais des libertaires suisses et pilier de la rencontre. Au sol gît une encyclopédie de la sexualité, à côté des mallettes de câbles.

Solidarité du poil dressé

Si les différentes organisations anars ont réquisitionné (comprendre «loué», l’abolition effective de la propriété n’étant pas à l’ordre du jour) tous les gîtes de la région pour leurs militants, quoi de mieux qu’un coup de maillet et un toit de toile pour refaire le monde à la cloche de bois. Le bois, justement, premier souci du camping autogéré, planté dans les champs de Mont-Soleil, le hameau qui surplombe Saint-Imier. Ramón a eu vent d’une anicroche : une vieille dame a enguirlandé des jeunes coiffés à l’iroquoise qui passaient, car le fagot devant sa maison avait disparu et il s’agissait du refuge d’un hérisson. Surprise, elle a vu débarquer les présumés coupables branches au bras, pour reconstruire une cabane à la bestiole. Touchante solidarité du poil dressé.

A côté du bar, des tables avec des bancs sont alignées. Il est 11 heures, une poignée de campeurs émergent d’un sommeil pâteux. Beaucoup ont déjà rallié Saint-Imier, entassés dans le funiculaire. Plus de trois cents tentes s’étalent dans l’herbe, encadrées d’allées tracées à la rue-balise pour permettre le passage des pompiers. Des toilettes chimiques ont été posées sur le bitume, et pour les douches, il faut faire fi de sa pudeur : sous des barnums – hommes et femmes séparés -, des pommeaux déversent de l’eau tirée d’une citerne. Du savon biodégradable est proposé en quantité. Pour évacuer les eaux sales, une rigole et un bassin d’épandage ont été creusés à l’arrière. Au bar, un écriteau rappelle, dans un «espanish» tout internationaliste : «Y un poco más de autogestion to manage trash, WC paper and sanitory [Et un peu plus d’autogestion pour s’occuper des poubelles, du papier toilette et des WC].»

Ramón a passé la fin de la matinée à guider les visiteurs dans l’exposition tirée d’un ouvrage paru en 2007, Espagne 1936-1939, les affiches des combattant(e)s de la liberté, qu’il a coordonné avec Wally Rosell, compère de toujours, aussi fils de réfugiés politiques. Dans le petit musée d’histoire de Saint-Imier s’étale un condensé de l’iconographie de la propagande libertaire. Pour beaucoup d’anars, la guerre civile espagnole reste un modèle, telle une racine de l’espoir. «Pendant trois ans, nos idées ont pu être mises en œuvre. Dans certains villages, un système de bons avait été instauré pour supprimer la monnaie capitalisable et gérer en commun le matériel agraire, dit Ramón. Dans plusieurs zones industrielles, ils avaient réussi à limiter l’échelle des salaires à un rapport de trois. Cette réorganisation de la production a parfois été conservée lors de la reprise en main franquiste, car ça fonctionnait mieux qu’avant.»

Y a-t-il une filiation entre ce patrimoine révolutionnaire et le 15-M, le mouvement des Indignés espagnols, l’un des plus vigoureux d’Europe ? «En mai 2011, j’étais en vacances là-bas, j’ai pu discuter avec ces Indignés, à Cadix, Séville et Barcelone. Ils m’ont dit ne pas s’appuyer sur leur passé historique. Soit parce qu’ils l’ignorent, soit parce qu’ils désirent « ratisser large » pour leur mouvement. La plupart sont jeunes – 25-35 ans -, des étudiants ou des demandeurs d’emploi surdiplômés qui auraient dû composer la classe moyenne. Ce mouvement est né alors que le Parti socialiste était au pouvoir, ils ne se font plus d’illusions sur la capacité de la gauche à améliorer leur sort, et affirment haut et fort ne pas être représentés par les centrales syndicales institutionnelles. Mais ils ne vont pas encore jusqu’à vouloir remplacer le système capitaliste par un autre fondé sur l’autogestion, qu’ils pratiquent pourtant volontiers dans leurs structures. D’où les critiques et l’impatience de nombreux libertaires espagnols : le 15-M existe depuis plus d’un an, ça discute, la situation économique va de mal en pis et… ça discute toujours !»

Ateliers cabane en carton  et cocktail Molotov

Si les libertaires sont aussi experts des palabres sans fin, c’est en chantant qu’ils aiment tout particulièrement porter la révolte. Dans le programme de Saint-Imier, entre un atelier de chants anarchistes italiens, un récital Léo Ferré et les classiques concerts amplifiés (du rock et du punk à toutes les sauces), on trouve un spectacle de flûte à bec, proposé par Christian Chandellier, militant et musicien pro : «Parfois, j’ai l’impression de ramer à contre-courant. La place donnée à la musique chez les anars n’est pas claire. L’idée de la concevoir comme un métier, un vrai travail, n’est pas évidente. Il y a souvent un malentendu, peut-être sur le côté élitiste qu’aurait l’artiste.»

Il faut de l’organisation – et du souffle – pour profiter du planning chargé de la rencontre, dont les différents pôles sont disséminés à travers la ville à flanc de montagne. Pour libérer les parents, une garderie recueille les graines de canailles, de 4 à 10 ans et dans cinq langues, chaque après-midi. Les enfants préparent eux-mêmes leur goûter – gâteaux et salades de fruits. Xavier, 9 ans et demi, s’en fiche un peu de l’anarchisme : «On en a parlé hier, mais je ne me rappelle plus trop.» Vendredi, ils étaient une vingtaine, encadrés par des volontaires et quelques parents. Hugues s’est inscrit pour donner un coup de main dimanche, «car les hommes sont plus rares sur ces tâches». Qu’a-t-il prévu ? «Ben, un atelier cocktail Molotov !» Ce sont les petits qui choisissent leurs activités. L’espace «cabane en carton autogérée» marche plutôt bien. «Quand un enfant pose une question, dit Hugues, il faut l’inciter à trouver lui-même la réponse. S’il se trompe, on va le pousser à questionner son apprentissage. On encourage la pédagogie de la découverte, de l’expérience.»

Athéisme et abstentionnisme

En devenant militant, Ramón s’est mis à lire. En France, l’abondante prose anarchiste est facile à trouver. Ce n’est pas le cas dans beaucoup de pays. Le salon du livre de la rencontre a établi ses quartiers à la patinoire de Saint-Imier. Des dizaines de stands alignent ouvrages, tracts et feuilles de choux variés. Celui des éditions Libertaires est tenu par Jean-Marc et Dominique. Depuis dix ans, leur catalogue propose 150 titres. Leurs perles : les Egorgeurs, de Benoist Rey, Ouvrière d’usine, de Sylviane Rosière, Avec le temps, de Suzanne Weber, l’Eloge de la passe, unouvrage collectif. Chez les libertaires, la culture lettrée est traditionnellement autodidacte. Quid des jeunes générations ? Quatre punks suisses, croisés lors d’un concert, sont venus de Lausanne «profiter de ce rassemblement d’idées communes» : «Et c’est l’occasion de changer de la librairie typique.» Ils ont entre 16 et 19 ans, sont étudiants ou apprentis. L’un d’eux est reparti avec Mort aux cons.

«Ni Dieu, ni maître». Quasiment une marque déposée du mouvement anarchiste, qui défend avec autant de ferveur l’athéisme que l’abstentionnisme électoral. Dans les mots d’ordre de Saint-Imier, cette maxime a été remplacée par une élégante variante : «Ni chiens, ni maîtres» – les organisateurs considérant «la présence des animaux à quatre pattes difficilement conciliable avec l’événement». Il a aussi été diffusé, dans les réseaux de sympathisants, un message de dissuasion à destination des potentiels trublions. «On n’est pas dans une logique de contre-sommet», explique Fred, membre du groupe de Besançon à l’initiative de la rencontre. Pas de service d’ordre officiel, mais des «référents sérénité» chargés de garder à l’œil, le soir, les fêtards les plus expansifs.

Les premiers jours, ils auraient raccompagné à la gare, billet offert, des participants dont l’état d’esprit ne semblait pas coller avec celui des réjouissances. Pas question de compromettre une occasion de donner au mouvement un nouveau souffle. «C’est un temps et un espace ouverts à l’anarchisme international», dit Fred, ravi des 4 000 participants venus du monde entier. «La période actuelle est propice, nos idées sont en phase avec l’actualité sociale, internationale.»

Après la visite guidée du musée, Ramón rejoint pour le déjeuner des amis à La Marmite, l’une des cantines végétariennes installées à Saint-Imier. Pour 3 euros, on y sert une copieuse assiette : salade verte, curry de légumes, pois chiches, une lichette de fromage, un bout de pain et une pomme. Depuis quand les anars ont-ils laissé tomber le saucisson ? «Ce sont les punks qui ont introduit le végétarisme, voire le végétalisme, dans le mouvement», estimait plus tôt un campeur.

Certains «crêteux», comme on dit parfois ici, défendent l’antispécisme, qui s’oppose à la domination et à l’exploitation de l’animal par l’homme – donc à son conditionnement en biftecks ou en filets. Bien étrangère au «Mort aux vaches» originel, cette tendance qui fleurit depuis une dizaine d’années laisse sceptiques nombre d’anciens.

Dans certains pays, le revival punk des années 90 a popularisé, en musique, le message libertaire auprès de jeunes ignorant la répression subie par la vieille garde anarchiste. Au Chili, il a accompagné la revendication mapuche et lancé les premiers squats. Au Japon, il a donné naissance à une nouvelle génération de militants : Taku, 29 ans, fait partie des quelques centaines d’anarchistes ouvertement déclarés dans son pays. Il est venu pour donner une conférence : «Radiation et révolution, les manifestations antinucléaires dans le Japon post-Fukushima». Il arrive, raconte-t-il, que des flics en civil fassent le pied de grue devant son immeuble, lorsqu’il rentre de l’infoshop libertaire dont il s’occupe.

Pendant près de quatre ans, Ramón a élevé seul ses deux enfants. Il ne se dit pas féministe – «ça aurait peu de sens» -, mais lorsqu’il entend des mères célibataires témoigner de leurs galères, «ça, oui, je comprends». L’un des temps forts de cette rencontre : les tables rondes anarcha-féministes. «Ni ménagères ni courtisanes !» dit le programme.

Hommes refoulés

Jeudi, il a été décidé que la séance serait non-mixte, car des participantes ne se sont pas senties à l’aise les jours précédents. Emmanuelle, 25 ans, fait partie des «copines» présentes : «De rares brebis égarées [des hommes] ont tenté de franchir la porte et se sont fait jeter. Puis, une copine est venue discuter avec les animatrices : elle est de sexe féminin mais elle s’identifie plutôt au genre masculin. A-t-elle sa place ? Les copains éconduits n’ont malheureusement pas eu le temps d’évoquer leur genre. J’ai été surprise que la pensée libertaire accepte ce type de discrimination. Comment les copains vont-ils pouvoir changer leur comportement s’ils ne peuvent assister aux réflexions ?»

Ce féminisme old school parle peu à Elsa, Elise, Hiyem et Claudia. Elsa «n’a pas théorisé la question» car elle ne s’est jamais sentie victime d’une stigmatisation. Idem pour Claudia, qui se méfie de l’option «antimasculin». Elise, fille de soixante-huitarde, parle d’un «héritage normalisé», qu’elle dépasse en s’attaquant aux problématiques queer. Hiyem se sent un peu larguée : «J’ai conscience d’un fossé culturel. Ma mère est encore une victime consentante du patriarcat. Pour ma sœur et moi, l’émancipation reste une lutte quotidienne. Je mène une double vie sur la manière dont je veux vivre, avoir une sexualité.» A ce sujet, les filles sont unanimes sur l’intérêt d’un documentaire projeté au cinéma de la Dionyversité, dont elles sont responsables pour la rencontre : Vade Retro Spermato, où il est question d’une méthode de contraception masculine non-hormonale à l’intitulé fleuri, le«remonte-couilles toulousain».

«A l’heure du 2.0, je pleure»

Avant d’adhérer à un groupe de la Fédération anarchiste, Hiyem, Elsa, Claudia et Elise se sont rencontrées à l’Amap de Saint-Denis, l’une de ces coopératives étiquetées écolos. Elles incarnent une nouvelle forme de politisation, beaucoup plus immédiate et effective, qui passe par la pratique avant de s’encombrer d’idéologies. Du côté des anarcha-féministes, le pas ne semble pas avoir été franchi : «La réunion a tourné autour de : qu’allons-nous tirer de ces rencontres ? raconte Emmanuelle. Les animatrices ont soutenu l’idée d’une charte et proposé, pour la mise en réseau, de faire passer une feuille pour noter nos adresses mail. A l’heure du 2.0, je pleure.»

Samedi, atelier de résistance non-violente. Réunies dans la salle du dojo de Saint-Imier, une quarantaine de personnes se livrent à des mises en situation. «Je le ferai», «je ne le ferai pas», «violent», «non-violent» : autant de points cardinaux placardés aux quatre coins de la pièce, qui aident à visualiser vite et bien les opinions du groupe. Après les états d’âme, les bleus au corps. L’animateur montre comment la technique du «poids mort pas tout à fait mort» fera perdre du temps aux CRS chargés de l’évacuation de manifestants lors d’une occupation (de champs OGM, du passage d’un convoi de déchets nucléaires, de places boursières).  La tortue, variante collective, consiste à s’arrimer à trois autres personnes et à faire le dos rond quand la charge est donnée. En espérant que les cognes ne viseront pas les yeux ni la bouche, une perfidie fréquente lors des sit-ins.

Malgré les râleurs (les Français étaient nombreux), les antiques chiennes de garde, les mecs qui n’ont jamais aligné deux mots mais ont la solution pour révolutionner les médias (les interdire), les concerts trop chers, les flatulences (pois chiches) et les paranos de la photo… malgré tout, on a le cœur un peu pincé de voir la rencontre tirer à sa fin. Il va falloir quitter l’îlot, revenir au réel. «Je ne me pensais pas anarchiste, dit Emmanuelle. J’ai constaté que des sociétés, des écoles, des commerces fonctionnent selon les idées libertaires, et oui ça va bien, merci.» Pour Ramón, «c’est le genre d’événement qu’on ne voit qu’une fois dans une vie». Ce n’est pas l’avis de certains habitants de Saint-Imier, qui ont demandé à leurs édiles si la manifestation aurait lieu l’an prochain (un 140e anniversaire bis ?), car elle a su apporter une animation positive dans ce coin de montagne. L’utopie pourrait bien devenir contagieuse.

(1) Colonne de combattants anarchistes en Espagne en juillet 1936.

Libération, 15 septembre 2012

L’épandage de nitrates peut continuer

L’épandage de nitrates peut continuer

Signé il y a un an par Bruno Lemaire, alors ministre de l’Agriculture, le « décret nitrates » permet d’augmenter la quantité de lisiers et d’engrais azotés épandue sur les champs. Ceux-ci regorgent de nitrates qui, trop présents dans les sols, polluent ensuite rivières et nappes phréatiques. Les agriculteurs peuvent désormais déverser fumiers et lisiers non plus sur la surface potentiellement épandable (SPE) mais sur la totalité de la surface agricole utile (SAU). Résultat : une augmentation de 20 % des quantités d’azote épandues sur les sols. Et une multiplication des masses d’algues vertes qui jonchent les côtes bretonnes en saison estivale.

Alors président de la Région Bretagne, Jean-Yves Le Drian, avait demandé au gouvernement « de retirer sans délai » le décret : « On ne peut pas dire, d’un côté, que l’on veut résoudre le problème des marées vertes et, de l’autre, assouplir les conditions d’épandage. Avec de tels signaux, le gouvernement prend le risque de relancer le contentieux avec les autorités européennes » avait-il affirmé. A-t-il osé répéter cette demande à son collègue Stéphane Le Foll, nouveau ministre de l’Agriculture, et comme lui soutien de la première heure de François Hollande ? Stéphane Le Foll vient en effet d’annoncer qu’il n’était pas question d’annuler le « décret nitrates ». Pour le changement de modèle agricole, on repassera…

Nolwenn Weiler, Bastamag, 14 septembre 2012

Une nouvelle conférence environnementale bidon

Et une con-fait-rance environnementale, une !

La bouffonnerie est reine. Rions donc comme à Carnaval. Pleurons de même, puisque, de toute façon, notre impuissance est totale. Pour ce qui me concerne, je regarde avec stupéfaction la pantomime qui se prépare. Comment ? Vous n’êtes pas au courant ? Je résume pour les sourds et mal-entendants : M.Hollande réunit vendredi 14 et samedi 15 septembre, au palais d’Iéna de Paris, une Conférence environnementale. Sur le modèle, mais en parodie, du Grenelle de l’Environnement voulu par Sarkozy en septembre 2007. Je vous glisse sous forme de PDF deux documents que l’on a le droit de juger hilarants. Un sur le déroulement (organisation des débats.pdf), l’autre qui donne la liste des participants (invités.pdf).

Mon premier commentaire sera évident : le simple fait que se tienne pareil conclave marque une défaite du mouvement écologiste. En effet, le cadre imposé par les socialistes est digne de l’émission télévisée des années 70 qui s’appelait Chefs-d’œuvre en péril. On y considérait la France des villages et l’affreuse atteinte du temps sur les nobles monuments légués par l’Histoire. Il s’agissait de dépenser quelques picaillons pour sauvegarder un clocher ou l’aile d’un château. Ma foi, cela ne mangeait pas de pain. Refaire le coup près de cinquante ans plus tard n’est pas seulement ridicule : il s’agit d’une insulte jetée au visage des centaines de millions – qui seront bientôt des milliards – de victimes de la crise écologique planétaire.

Hollande and co, qui se moquent tant de l’écologie qu’ils ne savent pas ce que c’est, prétendent donc, avec l’aval des écologistes officiels qui participent, incarner une vision nationale des écosystèmes. C’est baroque, inutile de s’appesantir, mais comme il faut entrer dans les détails, allons-y. La question de l’énergie ? Les pauvres âmes qui nous gouvernent ne pensent qu’à une chose : gagner un point de croissance pour éviter d’être jetés au prochain scrutin. Le dérèglement climatique ? Plus tard, un jour, peut-être. Je sais que Hollande a vu à plusieurs reprises Christophe de Margerie, patron de Total, par l’entremise de Jean-Pierre Jouyet, cousin de ce dernier et patron de la Caisse des dépôts et consignations (ici).

C’est on ne peut plus normal compte tenu de leurs rôles respectifs, mais que se sont-ils dit ? Selon ce que j’ai glané – je ne suis pas certain -, ils ont abordé la question des gaz et pétroles de schiste. Côté cour, Hollande et ses amis refusent toute exploitation en France, où la technique de fracturation hydraulique est interdite par une loi votée la gauche et la droite l’an passé. Côté jardin, les mêmes misent sur un retournement de l’opinion, qui sur fond d’augmentation continue du prix du gaz domestique, pourrait accepter des forages en France. À la condition, par exemple, que les pétroliers bidouillent une technique présentée comme différente de la fracturation hydraulique. En façade, donc, intransigeance gouvernementale face aux gaz de schiste. Et en privé, encouragements donnés à Total pour malaxer l’opinion publique. L’affaire Bezat montre que nous sommes face à un plan concerté. En deux mots, Jean-Michel Bezat, journaliste au Monde, y publie le 26 juillet un reportage réalisé aux États-Unis – 700 000 puits en activité, des régions entières transformées en Lune aride – sur les gaz de schiste. Surprise relative – Bezat est un grand admirateur de l’industrie -, ce reportage est très favorable au point de vue des pétroliers. Et puis plus rien.

Et puis on apprend que le voyage de Bezat a été payé par Total (ici). On, mais pas les lecteurs du si déontologique quotidien du soir, qui n’ont évidemment pas le droit de pénétrer dans l’arrière-boutique. En résumé : Total prépare le terrain, en accord avec Hollande, pour qui l’exploitation des gaz de schiste en France serait une bénédiction électorale. Et une violation grossière de la loi Énergie de juillet 2005, qui prévoit une division par quatre des émissions de gaz à effet de serre en France à l’horizon 2050. Mais que représente la loi au regard d’une possible réélection ?

Revenons à la Conférence qui commence demain. Si j’ai abordé en commençant le dossier des gaz de schiste, c’est parce qu’il est emblématique. Comme l’est le nucléaire, défendu sans état d’âme par ce gouvernement, ainsi que par le précédent. Reportez-vous plus haut au déroulement des festivités. La table-ronde numéro 1 s’appelle : « Préparer le débat national sur la transition énergétique ». On devrait mettre au centre de toute discussion la crise climatique et les extrêmes dangers d’une industrie sans contrôle, le nucléaire. Or non. On va comme à l’habitude blablater, de façon à « définir les enjeux du débat national », puis « définir les grandes règles du débat national ». En 2012, après tant de centaines de rapports, tant d’alertes et de mises en garde, d’engagements passés – le référendum sur le nucléaire promis par Mitterrand en janvier 1981 -, nous en sommes encore au point mort.

Et nous le resterons, je vous en fiche mon billet. Deux ministres en exercice participent à cette table-ronde truquée : Delphine Batho, ministre de l’écologie, et Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Les deux sont en faveur du nucléaire. Le second clairement en faveur de l’exploitation des gaz de schiste. Et de même madame Batho, qui, en hypocrite accomplie, fait semblant de croire que le dossier ne bouge pas. La fracturation hydraulique n’est-elle pas interdite par la loi ? À côté des deux ministres, une « facilitatrice » du nom de Laurence Tubiana. J’ai écrit sur elle en 2008, si cela vous intéresse : c’est ici.

Ceux qui acceptent de siéger dans ces conditions sont des dupes ou des manipulateurs. Peut-être les deux. Il n’y a pas de débat sur l’énergie, car les décisions ont déjà été prises. Ce que le pouvoir veut, c’est une caution. Il l’aura. Les écologistes officiels qui ont servi la soupe à Sarkozy il y a cinq ans peuvent bien aujourd’hui feindre qu’on ne les y reprendra plus. Si, on les y reprendra, aussi longtemps que les structures dégénérées qu’ils conduisent existeront. Voulez-vous qu’on parle des autres tables-rondes ? Bon, soit. L’intitulé de la deuxième est saisissant. La biodiversité s’effondre partout, mais, cocorico, on va s’atteler à la mise en œuvre de « la stratégie nationale pour la biodiversité » de manière à « favoriser la prise de conscience citoyenne ». C’est tellement con que ce n’est même plus drôle. On trouve ceci sur le site de notre ministère de l’Agriculture : « Grâce à l’Outre-mer, avec 11 millions de km2 de zone économique exclusive (ZEE), la France dispose du deuxième espace maritime  mondial, après celui des USA. Dans l’Océan Indien, les zones sous  juridiction française s’étalent sur une surface huit fois plus grande  que celle de la métropole. Cet immense espace maritime, réparti dans tous les océans, dote la France d’une grande richesse en matière de biodiversité marine, ce qui constitue à la fois un atout et une responsabilité. »

Formidable, hein ? Alors que l’Europe, pour une fois inspirée, souhaite interdire progressivement le chalutage profond, notre France vertueuse s’y oppose. S’y oppose, à nouveau pour de sordides intérêts politiciens. Or le chalutage profond est une catastrophe écologique planétaire (ici). Autre menu exemple : le nickel est en train de tuer à jamais des espèces endémiques de Nouvelle-Calédonie, venues en droite ligne du  Gondwana, supercontinent créé il y a 600 millions d’années et dont la Nouvelle-Calédonie est l’un des ultimes morceaux, à la dérive depuis bien avant l’arrivée des hommes sur terre. Non, bien sûr que non, on ne parlera pas de biodiversité. Et pas même chez nous, dans notre vieille France où l’agriculture industrielle est reine. Le Foll, ministre de l’Agriculture, a dealé depuis des semaines avec la FNSEA, puissance dominante, au point de ne pas même inviter à la Conférence de demain la Confédération paysanne, pourtant proche de la gauche. Au point d’aller visiter le 3 septembre les industriels français des biocarburants, fiers défenseurs d’une filière criminelle (ici). Je dois bien reconnaître que ces gens me dégoûtent.

Le reste ? Quel reste ? Table-ronde 3 : « Prévenir les risques sanitaires environnementaux ». Ministre présente : Geneviève Fioraso, militante déchaînée du nucléaire, des nanotechnologies, de la biologie de synthèse (ici). Les deux dernières tables-rondes, chiantes comme la mort dès leur énoncé, devraient causer fiscalité et gouvernance. Tout cela est à chialer. Mais comme je n’écoute que mon grand cœur, je n’entends pas vous quitter sans positiver un peu. Attention ! ce qui suit est à prendre au premier degré, malgré ce qui précède. Un certain nombre d’écologistes officiels, qui se rendront demain au palais d’Iéna, gardent ma sympathie. Notamment ceux du tout nouveau Rassemblement pour la planète (ici), comme André Cicolella, Nadine Lauverjat, Franck Laval ou François Veillerette. Ils vont tenter d’arracher quelques mesures dans le domaine de la santé, et même si je crois qu’ils se trompent sur le fond, ils ont mon estime et mon affection. Ceux-là du moins pensent à l’avenir.

Planète sans visa (blog de Fabrice Nicolino), 13 septembre 2012

URGENT : tracteur et moutons de NDDL à Paris

une vingtaine de militant.e.s contre l’aéroport de Notre Dame des Landes (ACIPA & occupant.e.s de la ZAD) viennent d’arriver sur la Champs de Mars à la veille de la Conférence environnementale.

- La Conférence environnementale des 14 et 15 septembre a censuré les sujets tabous, dont le projet de Notre Dame des Landes.

Bientôt expulsés, nous venons avec tracteur et animaux pour pâturer le Champs de Mars, le 13 septembre  à 16 h 00

Solidarité avec la lutte contre l’aéroport de NDDL et son monde !

Vu sur Indymedia Paris-IDF, 13 septembre 2012